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Full text of "Histoire de France jusqu'au XVIe siècle"

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HISTOIRE DE FRANCE 

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HISTOIRE DE FRANCE 

AC.DIX-HIIITIËUE SIËCLË. 



LOUIS XV 



1724- 1757 - 



J. MICHELE! 



PARIS 
IIBRAIRIE CHAMEROT ET LAtWEREÏNS 

RDI DD JIBDIHET, IS 

L'AuUnr fl l'iiiltur M rtMmnl le ilrolt ii Iradntlioa cl dg r«?roJueliira i rétniistr. 



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PRÉFACE 



Passer de la Régence à Fleury et à Louis XV, 
c'est, ce semble, passer de la pleine lumière aux 
arrière-cabinets de Versailles, cachés dans l'é- 
paisseur des murs, sans air ni jour que ceux des 
petites cours qui sont des puits. — Grand change- 
ment. Tout était en saillie. Tout gravitait autour 
d'un fait très-public, leSystème. Tout entrait dans 
le drame, et paraissait au premier plan, le mal sur- 
tout. Ce temps ne voilait rien. 

Il en est autrement de Fleury et de Louis XV. 
Les gouvernements successifs ont cru devoir 
cacher cette histoire de prêtre et de roi. C'est un 
mystère d'État. Deux personnes en ce siècle ont 
seules eu la faveur d'en ouvrir les archives diplo- 
matiques, l'historien de la Régence Lémontey, et 



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celui de la Chute des jésuites. Les quaranle années 
qui s'étendent de l'une à l'autre époque n'élaient 
guère connues jusqu'à nous que dans les événe- 
ments qu'on peut dire extérieurs, militaires, litté- 
raires, les anecdotes de Paris. Pour le centre réel 
de l'action, du gouvernement, l'inlérieur de Ver- 
sailles, qui le savait? personne. Porte close. On 
n'y entrait pas. C'était trop haut pour les simples 
mortels. Affaire de Cabinet ! Grand mot qui fer- 
mait tout. Ce n'était pas figure. Le Cabinet n'est 
pas le salon des ministres et de la table verte, mais 
le petit Irou noir où le Roi écrivait, souvent contre 
son ministère, à sa famille, à ses parents, amis. 
Espagnols, Autrichiens. 

L'extrait de d'Ârgenson donné en 1825 ne nous 
révélait guère que la politique extérieure de cet 
homme excellent dans son court ministère. En 
1857, heureusement, son trèsTdigne neveu, hon- 
nête et courageux, averti que l'on préparait une 
édition de son grand oncle, et craignant la prudence 
timide que l'on pourrait y mettre, cassa les vitres, 
et publia lui-même, nous donna le vrai Louis XV 
(édition Janet, in-12). Puis vint l'édition in-8*, 
très-ample et fort utile à consulter. 

Là en pleine lumière éclate le secret de ce r^e : 
la conspiration de famille. On voit parfaitement 
que le Roi ne fut point aussi flottant qu'on l'avait 



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cru, mais sous l'empire d'une idée fixe. Si les mi- 
nistres ou les maîtresses influèrent, ce fut en sui- 
vant cette idée, servant uniquement Pintérêt de 
famille.' 

Le témoignage de d^Argenson est d'autant plus 
gravequ*il a un culte ardent et sincère delà royauté. 
]1 s^obstine à aimer le Roi, à espérer en lui, 
à croire qu'un jour ou l'autre il vaudra quel- 
que chose. La vérité, malgré Im, lui échappe, 
s'arrache de sa bouche. 11 la dit à regret, à son 
corps défendant. Même après sa disgrâce, il est le 
même. Sa foi robuste n'en est pas ébranlée. Il garde 
encore longtemps son eredo monarchique : l'espoir 
du salut par le Roi. D'autant plus il est accablé 
quand manifestement tout est perdu (1756) et la 
France livrée à l'Autriche. Alors il succombe et il 
meurt. 

Des lueurs sii^ulières éclataient par ce livre, 
mais courtes, brèves, des lumières incomplètes. 
Enfin un secours est venu qui nous aide à lire d'Ar- 
genson, qui donne Versailles jour par jour. C'est 
l'immense et consciencieux Journal de M. de 
Luynes, qui, de chez la Reine, voit tout, note tout à 
sa date, en termes ménagés, mais clairs leplus sou- 
vent, La Reine, quoique si dévote, les amis de la 
Reine, entrèrent très-peu dans le mouvement de 
Versailles, rieslèrent à part du Dauphin, de Mes- 

D,a,l,zc.bvG06gIC 



dames. M. de Luynes est un témoin honnèle, 
triste, respectueux, dont certes le respect n'est 
nullement de l'approbation. 

Sa chronologie simple, mais infînimelit détail- 
lée, saos le savoir, sans le vouloir, confirme les 
faits graves donnés par d'Ârgenson et autres. Il 
explique Barbier, la Hausset, etc. Il prouve que 
Soulavie fut souvent très-bien infoi'mé. 

Le secours admirable que je trouve dans M. de 
Luynes, c'est qu'autour d'un grand fait qui me 
vi^t de quelque autre, il me donne une infi- 
nité de faits accessoires qui l'amènent, l'expli- 
quent, qui se lient avec lui par la force des 
choses. Le grand fait passe; mais la trace en 
continue longtemps; mille détails le rappellent 
encore. Encadré dans la multitude de ses 
précédents, de ses conséquents, — prévu avant, 
suivi après, — ce fait offre un ensemble de 
laits qui se supposent, se tiennent, se prou- 
vent les uns les autres. Voilà un fait solide, 
alors, et il n'est pas facile d'y toucher et de 
l'ébranler. Il repose dans la certitude, — une cer- 
titude telle que nulle science d'observation ou de 
calcul ne donne de preuve plus forte. 

Pour les temps antérieurs à ce journal, très-la- 
borieusement j'ai moi-même construit mon fit 
chronologique, l'ai suivi en toute rigueur. Aux 
temps tragiques surtout de M™ de Prie, un seul 

Douze. bvGoogle 



fait hors de date eût rendu toul obscur. Là et 
partout (ainsi que je l'ai dit ailleurs], je suis 
le serf du temps. Je m'inlerdis ces tableaux géné- 
raux oii l'on rappi-oche pour l'effet littéraire des 
laits d'époques différentes. Qu'ils soient brillants, 
ces tableaux, il n'importe. Leur éclat obscurcit, 
faisant perdre de vue la vraie lumière profonde de 
l'histoire, lacausalité. 

Par ce respect du temps, il s'est trouvé que 
mêmeoij ce volume ne s'appuie pas de documents 
nouveaux, il n'en donne pas moins une histoire 
absolument neuve. Ceux qui croyaient savoir l'his- 
toire de Louis XV, seront un peu surpris. Ils n'y 
reverront rien qui réponde h leurs souvenirs. Pour 
les rassurer, j'ai cité beaucoup, et dans le texte 
même (non pas au bas des pages). Par là, dans les 
moments critiques qui les inquiéteraient, ils sen- 
tiront la base ferme que l'histoire leur met sous 
les pieds. 

J'ai poussé ce scrupule (pour le procès de Da- 
miens) jusqu'à citer de ligne en ligne. Les nuances 
infinies du règne de Mesdames, les variations que 
subit dix ans la Pompadour du plus haut au plus 
bas, avant son règne de la guerre de Sept ans , 
tout cela est daté, précisé par les textes. 

Saint-Simon m'a servi encore dans ce volume. 
Quoique la fm de ses Mémoires reste cachée tou- 



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jours aux secrètes archives des affaires étrangères, 
il donne, dans ce que nous avons, des faits capi- 
taux sur Fleury : — sa profonde ignorance (avouée 
de son araiWalpole), — sa niaise confiance aux 
Anglais, — sa connivence honteuse à la vie pi- 
toyable du petit Roi, et le soin qu'il eut d'éloi- 
gner de lui les honnêtes gens qu'avaient choisis 
Louis XIV et le Régent. Sur tous ces points, il 
autorise, confirme Soulavie, et aussi sur le point 
très-grave qui contient tout : Flmry fut le man- 
nequin d'ïssy, de Saint Sulpice, des Rohan, des 
Tencin. Ils ne le lâchèrent pas, le firent rester, 
même idiot, nous tinrent liés sous ce cadavre. 

D'Aj^enson et autres nous prouvent qu'il ne 
rétablit pas la France. Il la livra aux Fermiers 



Tout le monde se jouait de lui, même l'Espa- 
gne, ce qu'établit Monlgon (qu'on ne lit pas 
assez). . 

M. d'Haussonville a fourni la preuve de ses 
deux trahisons, de ses faiblesses pour l'Autriche, 
à qui il dénonçait nos ministres et nos généraux, 
à qui il immola l'armée infortunée, gelée dans le 
retour de Prague. 

Noailles que j'ai ailleura admiré, défendu, ici 
me tromperait par son adresse à embrouiller 
les choses, sans d'Argenson qui donne naïvement 
le dessous des caries, l'asservissement de Noailles 

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aux dévots, à Mesdames et à rintéi-êi de famille 
(1746). 

Voltaire me sert fort par ses lettres, peu par, 
son Louis XV, sa triste Histoire du Parlement, 
It est dans ces ouvrîmes injuste et léger, très-flat- 
teur, spécialement pour Richelieu. 

L'homme de Richdieu, &)ulavie, est trop dé- 
crié. Bavard et mauvais écrivain, ne sachant pas 
trop bien les affaires générales, il sait très-bien 
Versailles. Il avait sous la main et Richelieu 
vivant, et les papiers de Richelieu, les papiers 
Maurepas, le journal de M. de Luynes. Avec tant 
de secours, il pouvait marcher droit. Pour la 
cour, il est bon le plus souvent, et on le trouve 
exact en ce qu'on peut vérifier. 

Duclos, fort inutile pour les temps antérieurs, 
est tout à coup en 1756 très-important, très- 
grave. Dans sa position singulière, à part des 
philosophes, familier chez la Pompadoiir, et 
surtout ami de Bernis, il a vu de très-près à 
ce moment. Il y donne deux faits capitaux : 1' La 
Pompadour a seulement influé jusqu'en 1756; 
mais alors elle règne (par la grâce de Mari&- 
Thérèse) ; 2° l'ordre de Rosbach partit de Vienne, 
de notre ambassadeur Choiseul, le valet de l'Au- 
triche. 

La Hausset est fort curieuse, mais elle fait un 
Roi bonasse, et une douceâtre Pompadour. Elle 

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ignore que sa maîtresse a rempli les prisons 
d'Étal. Elle ignore (chose plus étonnante) que 
par trois fois (1747, 1752, 1755), la Pompa- 
dour fut très-près de tomber. — Elle sait des 
choses importantes : le petit Parc-aux-cerfs 
intérieur près de la chapelle, l'inceste simulé 
par les seigneurs pour plaire au Roi, sa vive 
jalousie à l'égard de ses filles, sa haine pour 
Bernis quand il le sut amant de sa GUe l'In- 
fante, etc., etc. 

Elle réduit ce qu'on avait dit sur la haute 
faveur de Quesnay et de son école auprès du 
Roi. II avait plu sans doute par la doctrine 
économiste qui fait le Roi co-propriétaire en tout 
bien du royaume. Mais il resta toujours isolé, 
à distance. Même en voiture , et l'emmenant 
comme médecin, la Pompadour ne daignait lui 
parler. 

L'excellent journal de Marais, qui nous a ré- 
vélé la honteuse enfance du Roi, Je fangeux 
Versailles de ce temps, malheureusement nous 
quitte de bonne heure. — Et il s'en faut que 
Barbier le remplace. Très- prolixe pour le Parle- 
ment et riche pour l'histoire de Paris, Barbier 
ignore profondément la Cour, le lieu étroit où 
tout se décidait. En 1758, à peine, il commence 
à savoir les faits de 1732 (l'avènement de la 
Mailly). Il ne sait pas un mot du règne de 

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M"" de Vintimille, un des grands moments de 
l'histoire. 

Même son Parlement, il le sait assez mal. 
Il n'en marque pas bien la dualité intérieure 
(jansénistes el politiques), les tendances opjmsées 
qui ôtaient toute force à ce corps, guerroyant à 
la fois contre la Bulle et l'Encyclopédie. Utile 
cependant, très-utile, ce journal ne me quitte 
pas ; il me donne (en r^ard de de Lnynes el de 
d'Argenson) la chronologie de Paris. 

Le témoin capital du siècle est certainement 
d'Ai^enson. Il n'est pas sans talent (voir le si- 
nistre bal de décembre 51), et il a un grand 
cœur, un violent amour du peuple et de la 
France. Je comprends qu'aujourd'hui tous les 
petits esprits tombent sur lui, relèvent soigneu- 
sement ses contradictions. 

Oui, oui, c'était un simple. Cela n'empêche 
pas qu'il ne fût un voyant, ne devinât cent 
choses qui depuis se sont faites. On dirait 
qu'il est membre de l'Assemblée constituante. 
Il voit toute la France nouvelle, l'Italie libre, la 
naissance des États-Unis. 

Sans accuser, il est terrible. Il ressort partout 
de son livre que Versailles ne cesse pas un seul 
jour de trahir la France. 

Du reste inTWcemmeM, en grande sécurité de 
conscience. Quand Louis XV reçut l'^jralignure 

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de Damiens, il dit : « Eh ! poui'quoi me tuer? Je 
ne fais de mal à personne. » 

II aurait pu être encore pire, avec l'éducation 
qu'il eut, avec les petits corrupteurs auxquels 
rabandonna Fleury. Il aurait pu être un Néron. 
Au fonds, ce fut un gentilhomme, timide, hautain 
et sec, dissolu, aimant la famille, maïs du plus 
bas amour, amour de chat; très-hostile à son fils, 
beaucoup trop tendre pour ses iilles. Si on qua- 
lifie cet amour moins sévèrement que les con- 
temporains, il l'estera toujours incontestable que 
Mesdames eurent sur lui une énorme influence. 
L'une sauva les biens du Clerçé ; il n'y eut de 
ruiné que la France. L'autre fut la cause di- 
recte des guerres prindpales de ce règne. • 

Croyant solidement que le royaume était un 
simple patrimoine, ni le Roi, ni ses filles n'eu- 
rent le moindre scrupule. Pour l'une, on tue 
200,000 hommes, pour lui donner le Milanais 
(1741-1748). On ne réussit pas. Alors, pour elle 
encoi'e, pour lui donner les Pays-Bas, commence 
la grande Guerre de sept Ans, qui coûte un mil- 
lion d'hommes (si l'on compte tous ceux qui 
moururent de misère). 

M. de Luynes, dans son détail immense des 
choses publiques, officielles, à son insu, appuie 
merveilleusement d'Ai-genson. Il nous donne le 
temps et le lieu, les petits voyages, le changement 

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lies appartements. Avec Itti et Blondel, et ]e sa- 
vant M. Soulié, le conservateur de Versailles, 
je vois tout, je suis tout, de jour, de nuit. Un 
plan ingénieux, par de petites cartes qu'on lève à 
volonté, donne ta superposition des étages, des 
entresols même coupés dans la hauteur des 
pièces, rinfmie subdivision du vaste labyrinthe 
(Bibl. du loiwre, vol. 10-4°). Rien de plus in- 
structif. Tel cabinet, tel escalier, expliquent les 
grands événements. 

En ce palais impur, le seul lieu un peu propre 
où puisse s'arrêter le r^ard, c'est l'appartement 
de la Reine. Elle était née charmante de cœur et 
de douceur modeste. Faible, bigote , parfois into- 
lérante , quand elle y est poussée par ses jésuites 
polonais , d'elle-même elle n'est pas intrigante. 
Sa petite société resta à part de la cabale du Dau- 
phin, de Mesdames. Je n'aime guère son président 
Hénault, mais beaucoup ses de Luynes, rares 

"Courtisans, qui, loin de demander, dépensaient 
leur fortune à nourrir leur maîtresse, infirme, 
abandonnée. Cet honnête intérieur m'a reposé 
les yeux. M. de Luynes, par le portrait sévère 
qu'il a fait du Dauphin, par des traits innom- 
brables relatifs aux ûlles du Roi , fait sentir for- 
tement combien la reine est loin de ses enfants, 
de madame Henriette et de madame Adélaïde, les 

deux Chefs du Comdl, pour dire comme d' Ai^en- 

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son. Au volume suivant, en mars 1767, on verra 
]a lille et la mère se disputer directement l'édu- 
cation de Louis XVI. 

J'ai profité souvent des Nouvelles ecclésiasti- 
ques, — fort peu des livres de Hollande , Histoire 
de la cour de Perse, Vie privée, et autres sot- 
tises, d^ écrivains faméliques, ignorants et mal in- 
formés, qui écrivaient pour les libraires les mys- 
tères de la Cour dont ils ne savaient pas un mot. 

Dans le labeur ingrat, mais nécessaire, de 
bien tenir, sans le lâcher, le fil central qni mène 
tout, je ne m'écarte guère ni vers les affaires 
protestantes, ni vers nos colonies. Je dois les 
ajourner. Mais je ne puis pas ajourner un spec- 
tacle admirable et de lumière immense, qui 
m'a consolé, soutenu, dans mon sombre Ver- 
sailles où j'étais enfermé : — l'essor de la pensée 
au dix-huilième siècle. 

Plus l'autorité tombe et descend dans la honte, 
plus le libre esprit monte, allume le fanal im- 
mortel qui nous guide encore. 

C'est de la Régence à Rosbach, dans ces 
trente-trois années, que ce siècle a été fort, ori- 
ginal et lui-même. La décadence en tout com- 
mence enl760\ 

> Ce volume s'airêle i l'entrée de la guerro de Sept ans. — Hehélius, 
HoUutdi, Ttmnoit plus tard, ainsi que Candide, cette ftdiease édipie 



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Aux neuf années de paix entre les guerres 
(1748-1757), la France étonna le monde d*une 
fécondité inouïe. Jamais tant de grands livres ne 
parurent en même temps. On vit surgir coup sur 
coup, comme aux époques antiques des soulève- 
ments de la terre, des masses énormes et colos- 
sales , des Alpes et des Pyrénées. 

L'Esprit des lois, splendide exposition de tant 
de faits curieux, de tant de vues ii^nieuses, fut 
un coup de théâtre immense (1748). 

Et à l'instant (1749), suivit, comme une autre 
montagne, la grande Histoire naturelle de Bufibn, 
sa Théorie de la terre, qui le mènera en trente 
ans aux Époques de la nature. 

Bientôt (1755) apparaît, incomplète encore, 
cette histoire qui fit toute histoire , qui nous en- 
gendra tous (et critiques et narrateurs), le vaste 
Essai sur les mœurs des nations (complet, 1757). 

Cependant, année par année, par Teffort tita- 
nique de Diderot, d'Alemberl, Voltaire, tant d'au- 
tres qui si généreusement y jetèrent leurs tra- 
vaux, s'entassait l'Encyclopédie, livre puissant, 

de Vollaire. — La réaclion pleureuse de Diderot (le Pare de famille) 
at de la HooTelle Hélolse (1759), ne ma regardent pas encore. — 
L'art est eocor« entier. Cet art tU Ut Régence subsiito. Il va ^lir, 
et peu i peu faire place au pauvre art louii XVI. — Le stjle aussi 
s'altàre *ere 1760. Un grand maître l'a dit : ■ Dans Voltaire, la 
forme est l'htdnt de la peniée, — transparent, — rien de plus. Avec 
Ronsseau, l'art parait trop, et l'on voit commencer le règne de la forme, 
par conséquent sa décadence, » 



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quoi qu'on ait dît, qui fut bien plus qu'un li^Te, 
— la conspiration victoiieuse de l'esprit humain. 

Victorieuse. — Je le dis en deux sens. 

On pourra voir dans ce yolume l'hommage 
étrange que l'Autriche elle-même, pour enlraîner 
la France, fut obligée de rendre à l'opinion domi- 
nante, on verra la cabale autrichienne se dire phi- 
losophe, — Kaunilz, Choiseul, coiu-lisans de Fer- 
ney, — et la grosse Marie-Thérèse, quatre heures 
par jour à son prie-dieu, autant ie soir aux pièces 
de Voltaire, qu'elle fait jouer lâchement par ses 
filles les archiduchesses. 

On y verra aussi comment un encyclopédiste, 
l'ami et l'allié de Diderot et de d'Alembert, pour- 
suivi à la fois par les rois et par les dévots, leur 
livra en un an cent combats, sept batailles, fît 
face à leur sept cent mille hommes. — C'est la 
plus grande lutte pour la disproportion des forces 
qu'on ait vue depuis Salamine. — La même 
année, 1757, on proscrivit ensemble Frédéric, 
l'Encyclopédie ; on mit au ban du monde et la 
philosophie et le roi des penseurs. — La Pensée 
vainquit à Rosbach. 

Trois empires et cent millions d'hommes ne 
purent rien sur quatre millions. — Le fer, le 
feu, la mort, mollirent contre l'Idée. 

L'Idée forte et paisible. — Le soir de ces 
grands jours, ayant couché par terre vingt, trente 

Douze. bvGoogle 



mille Croates ou Cosaques, Frédéric, immuable, 
écrivait à Voltaire, ou faisait ua chapitre de ses 
admirables Mémoires. 

Napoléon semble avoir peu goûté que les idéo- 
logues aient eu un si grand capitaine. Il est fort 
dur pour lui. II tient trop peu de compte des 
circonstances spéciales, vraiment imiques, d'une 
telle crise. 

La France, en général, n'a pas rendu encore 
tout ce qu'elle doit à l'homme qui l'a le plus ai- 
mée, qui vécut d'elle, ne parla que sa langue, 
à ce Français, si grand par Vaction et par la 



Le dix-huitième siècle avait posé sa foi, son 
credo, son symbole, (par Voltaire, Vauvenai-^ 
gués, etc.) : Le hit de Vhomme est l'action. U 
restait de montrer et de prouver cela, comme fit 
Frédéric, par toute activité, dans la paix, dans 
la guerre, administration, lois, combats, avec ce 
calme souverain, qui, par dessus le trouble des 
affaires, des dangers, planait dans la culture des 
arts. 

L'action! On verra combien ce simple mot 
fut fort pour rallier le siècle avant la décadence 
de 1760. — Il est très-faux qu'on ait erré, flotté. 
Non, l'Europe a marché très-droit. 

Leibnitz posa la force vive, premier élément 
d'action. — Vico dit que l'homme est créateur, 

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père et fils de son action (1726). — Montesquieu, 
aux Lettres Persanes, que le principe inactif ei 
stérile du Moyen âge allait mourir (1720). — Vol- 
taire proclame en ses Lettres anglaises : « L'ac- 
tion est le but de l'homme. » (1754). — « L'ac- 
tion libre (1758) — et sous la même r^le mo- 
rale. » (1751). 

Diderot enfin entreprend d'évoquei' l'action, la 
force vive, en tous les êtres, fait jaillir de chacun 
le Dieu qui est en lui. Il s'écrie : « Élargissez 
Dieul » Mot fécond qui lança, avec nous, l'Alle- 
magne, et les sciences de la nature. 

Celles de l'homme Tétaient par VEssai sur les 
mœurs, et la grande enquête historique sur Fac- 
tion universelle de Thomme, sur sa concordance 
morale. 

Montesquieu et Voltaire avaient pressenti l'O- 
rient, regardé vers la Perse. Au moment où l'E*- 
sai parut, un héros de vingt ans, Anquetil, sans 
moyensm ressources, va au fond de l'Asie (1754) 
chercher les livres de la Perse, la tradition sainte 
de la morale antique, l'accord du genre humain 
(du présent au passé), — la fin de l'a4!tion, du 
travail créateur à l'im^e de Dieu, qui nous fait 
dieux aussi. 

HyÈres, 1" mai 1866. .. , , 



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HISTOIRE 

DE FRANCE 

AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 



CHAPITRE PREMIER. 



Fleury et M. le Duc. 1724. 



Un simple pfécepteuravait transféré le royaume. 
Fleuï7 avait d'un mot (que le Roi ne dit même 
pas, approuva seulement), créé M. le Duc. Et 
cela sans conseil. Nulle délibération. Les minis- 
tres ignorèrent qu'on faisait le premier ministre. 

Un seul témoin, le gnome, le nain familier, la 
Vrillière, celui que le Régent nommait « le bilbo- 
quet. » Le petit homme avait le serment dans sa 
poche, de sorte que M. le Duc put le prêter à 
l'instant même. 

Ce nain était im personnage, de terrible im- 



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(UM) _- 2 — 

portance. En lui el sa lignée fut pour soisaDte 
aouées l'arbitraire monarchique, la Terreur pa- 
pale el royale. Ministre des lettres de cachet et 
des prisons d'État, il les remplit de jansénistes. 
Par son petit parent, l'espiègle Haurepas (le 
chansonnier farceur), il avait la marine, les ga- 
lères et les bagnes des forçats protestants. 

La Bulle, étendant son royaume, avait énormé- 
ment gonflé cet avorton. Il voulait pour son iils 
une fille naturelle du roi d'Angleterre! Et pour 
cela d'abord il allait le faire duc. Le R^eol n'o- 
sait refuser. Il était dangereux par un côté obscur, 
le pied qu'il avait pris dans les profondeurs de 
Versailles, aux secrète cabinets où la royale idole 
vivait avec trois camarades. Là de bonne heure il 
eut son Maurepas, bouffonant, folâtrant, malgré 
les rebufTades , écouté cependant et souffert 
comme un Triboulet. 

Auguste lieu. Deux fois s'y décide le sort de la 
France (août 1722, juin 1726), au profit de 
Fleury. L'autorité est là, le pouvoir part de là. 
Celui qui y est maître, sans souci du Régent, de 
son vivant, pactise avec M. le Duc. Fleury n'en 
fait mystère (Saint-Stmwt). Son parti a déjà par 
Ehibois la royauté religieuse. A la mort du Régenl> 
il prend la royauté. 

M. le Duc n'eut qu'un pouvoir borné. Il croyait 
former le Conseil. Mais le Gonseilj en trois per- 

U.,r,l,z<,.f,G00gIf 



— 5 — tlI8« 

sonnes, n'en fut qu'une réellem^it, Fleury. Avec 
le pelit Roi, Fleury fort aisément subordonnait 
M. le Duc, qui, seul de son cô\é, n'avait qu'à 
obéir. 

Désappointé, il demanda du moins qu'il y eût 
un quatrième membre, qu'on appelât un homme 
bien connu de Fleury, et point dési^réable, le 
vieux Villars. Ce qui ne servit guère. Ce fastueux 
bonhomme, très-faible au f(tnd, ne fut qu'un 
comparse bavard. 

Fleury fît deux parts du travail. D'abord tout 
seul avec le Roi, une bonne demi-heure, il don- 
nait les grâces et les places, tout ce qui fait aimer 
(Villars). Pour le Duc restaient les affaires, tout 
ce qui fait haïr. S'il s'agissait d'impôts, le sensible 
Fleury s'en allait tout doucement. 

Le Régent laissait tout dans un état terrible, 
désespéré. Celui qui succédait était perdu d'a- 
vance. M. le Duc, avec ses acolytes, sd M"" de 
Prie et Duverney, ne pouvait (quoi qu'il fît) que 
se précipiter, « et passer comme un feu de paille » 
{Argenson),en Laissant à Fleury le terrain nettoyé. 

Mais quel était Fleury? et par quel ensorcelle- 
ment un homme de soixante-dix ans tenait-il à ce 
point un enfant de quatorze? quels étaient donc 
les charmes du vieux prêtre? son talisman mysté- 
rieuïî 

« Heureux les doux ! cai' ils posséderont la 

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imi) _ 4 _ 

Terre. » Saint Matthieu prédisait Fleuiy. 11 était 
doux. Et tout lui fut donné. 11 était patieat, sou- 
riant. Au fond très-pen de chose, un î^éable 
rien. 

C'était un fort bel homme, fort grand, d'un peu 
moins de six pieds, d'une mine douceâtre. 11 était 
du Midi, mais sans vivacité, au contraire lent et 
paresseux, et surtout (conune sont volontiers ces 
hommes longs) souple, pliant. Né à Lodève (1653), 
61s d'un receveur des tailles, il était pourtant gen- 
tilhomme. Ayant des frères, il dut alléger sa fa- 
mille, fut fait d'Église. Â quoi il n'avait pas 
grande vocation. Il fît chez les jésuites d'assez 
bonnes études, en surface et légères, resta un ai- 
mable ignorant. 

Les rois ont un faible secret pour les hommes de 
décoration. Le favori de Louis XIII, on l'a vu, était 
un géant. Louis XIV, à qui Bossuet donna Fieury, 
pour sa belle figure le fit aumônier de la reine, 
plus tard un de ses aumôniers. Quand il maria 
sa fille au duc d'Orléans, pour soutenir dignement 
le poêle, on prit Fieury. Il n'était cependant que 
diacre. Fort peu pressé de se faire prêtre, il ne 
s'y décida qu'à trente-neuf ans. C'était le temps 
où Tarchevêque Harlay, la nuit, courait les filles 
dans les rues de Paris. Fieury, sans faire autant 
de bruit, entre Paris, Versailles, menait la vie 
douce et l^ère. Pucelles, le fameux janséniste. 

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— 5 — [!«*) 

homme violent, mais Irès-véridique, a toujours 
affirmé qu'alors jeunes tous deux ils avaient 
même maîtresse par économie. 

Le Roi aimait les détails de police. U fut in- 
struit sans doute, et un matin Fleury eut la fa- 
veur inattendue du plus sec évêché de France, 
Fréjus, à deux cents lieues, un désert, un ma- 
rais, d'oiî il ne put se débourber. Quiuie ans 
durant, il resta là inconsolable et l'avouant. II 
signait : « Évêque de Fréjus, par rindignatitm 
divine. » 

Lorsque le prince Eugène, apportant dans sa 
poche le démembrement de la France, fit avec le 
duc de Savoie son invasion provençale, Fleury alla 
à eux, leur plut et figura parmi leurs courtisans. 
Cela le coulait à Versailles. Désespéré, en 17i4, 
il tourna, brusquement, se donna aux jésuites. 
Mais ils ne l'acceptèrent qu'en exigeant un gage, 
une très-pesante garantie. C'est que de leur main 
il prendrait un confesseur, un guide, un témoin 
de sa vie, qui aurait l'œil à tons ses actes. On le 
savait très-mou. On lui donna un magisler terri- 
ble, certain Follet, de Saint-Sulpice, qui sous sa 
verge avait (dans la plus sale rue de Pai-is) le sé- 
minaire Saint-Nicolas. C'était un cuistre, un mou- 
chard et un saint, fort sincère, zélé jusqu'au 
crime. Quand on viola Port-Royal, qu'on brisa 
les cercueils, la police frémit elle-même, mais 

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(17241 — 6 — 

n'osa reculer, se voyant regardée par une aiilre 
police, ce sauvage et cruel Pollet. 

Sous celle influence violaile, Fleury, en une 
année, du plus bas au plus haut est relancé, 
mis au pinacle, précepteur de l'enfant qui est 
tout l'espoir de la France. Et cela malgré le 
vieux Roi, qui résista. Ce ne fut qu'au dernier 
moment, dans le funèbre CodidUe, que. gagné de 
gangrène et la mort dans les dents, il se laissa 
arracher par Tellier cette dernière ob^ssance. 

IjC Régent n'osa rien changer. Il conserva Fleury. 
Mais à côté de ce bellâtre qui ne servait à rien, il 
mit un tout autre homme et des plus estimés de 
France, nommé aussi Fleury, l'illustre auteur de 
VHistoire ecclésiastique. Solitaire dans Versailles, 
ce pieux savant avait été souS'j}récepteur du Dnc 
de Bourgogne. Et le lecteur du même prince, 
l'abbé Vittomcnl (l'honneur et la probité même) 
se trouvait être instittUeur du petit Roi, lui ap- 
prenait à lire. 

L'éducation était fort difficile. Le Roi, qui s'é- 
tait vu si cher, si précieux, objet d'amour pour 
tous, n'écoulait plus que sa pelite bande, fort 
gâlée, d'enfants dangereux. Stylé par eux, il sa- 
vait dire ; « Je veux. » On lui arait appris que 
ses gouverneurs, précepteurs, n'étaient que ses 
valets. Dans une telle situation, Fleury aurait dû 
conserver ceux qui avaient un peu de prise, le 

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— 7 — [in*) 

vénérable confesseur el le sage iostiluleiir Vitte- 
ment, que l'enfant écoulait assez. Loin de là, quand 
l'affaire d'août 1722 l'établit lout-puissanl , il 
écarta justement ces deux hommes. Il rendit aux 
jésuites leurprivilége de confesser le Roi. Le P. Li- 
aières fut confesseur, moins d'effet qae de nom 
pourtant. Fleury vraiment demeura seul. 

Et seul il dut rester par l'excès de la complaU 
sance. N'enseignant rien, il ne venait à la leçon 
qu'en apportant un jeu de cartes. UAlexandre 
de Quinle-Gurce était sur table, mais si peu re- 
gardé que le sinét resta six mois à la même page 
{Arg.}. 

Le Roi, sans autre forme, quand il voulait, 
mettait son Fleury à la porte (Marais). Fleury 
avalait tout. A ce prix il restait, même était désiré 
à tels moments officiels où l'occasion comman- 
dnit, où l'enfant Roi avait à dire un mot. 

Il fallut le trouver, ce mot, à la mort du Ré- 
gent. Mais toute chose était prête. Fleury, Pollet 
et les jésuites, voyant chez le jeune Orléans que 
le futur ministre serait Noailles, un demi-jansé- 
niste, traitèrent avec M. le Duc. 

Des deux côtés, on se tint mal parole. Fleury 
gardait les grâces, le meilleur du pouvoir, tra- 
vaillait seul d'abord avec le Roi, tenant ainsi 
M. le Duc en crainte^ el sous uneépée suspendue. 
M. le Duc, de son côté, loin de presser à Rome 

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(1724) — 8 — 

le chapeau de Fleury, l'enlravait secrèlement. Il 
s'était engagé contre les jansénisles. Il y était 
Irès'froid, et même à Rome négociait la paix de 
l'Église. 

Contre les protestants, le clergé avait conipïlé 
un Code général de toutes les ordonnances du 
dernier règne. M. le Duc devait le promulguer. 
il l'imprima, le publia (mai 1724), mais non 
dans la forme ordinaire des actes du pouvoir/ ' 
«t sans rapport préliminaire. De plus, secrète- 
ment, il en neutralisa l'article essentiel, article 
meurtrier qu'on avait ajouté, et qui appliqué à 
la lettre eût pu frapper de mort (comme relaps) ' 
tous les protestants. 

Chantilly n'était guère dévot. Les sœurs de 
M. le Duc, galantes et fort légères, dans leurs 
fêtes à la Rabelais, riaient volontiers du clergé. 
Voltaire rimait pour elles. Il leur lit Bélébat 
(ûuré de Gourdimancké). Il eut de M""^ de Prie 
une pension, et plus tard Duverney fil sa for- 
tune en Ini donnant part dans les Vivres. Fort 
unis avec l'Ânglelerre, M™ de Prie et Duverney 
voulaient {en renvoyant l'infante, brisant le ma- 
riage espagnol) faire épouser au Roi une fille de 
Geoi^es, chef des pi-otestanls de l'Europe. 

Duverney, le vainqueur de IjBw, le cliiffreur 
obstiné, le maître de Barème, le rude chirurgien 
de l'opération du Visa, n'était pas un homme 

U.,r,l,z<,.f,G00gIf 



— 9 — (IHfl 

ordinaire. Avec ses trois frères, les Paris, il rem- 
plit, tout lin siècle de son Dctivilé. Montagnard, 
Sialdat, iournisseur, il eul toute sa vie l'air d'nu 
grand paysan, sauvage et militaire. La Pompa- 
dour l'appelait : « Mon grand nigaud. » Au fond 
il aimait les affaires pour les aflaires bien plus 
que pour l'argenl. 11 mania des milliards et laissa 
une fortune médiocre. Nul souci des honneurs. 
Il ne prit d'autres titres que celui de secrétaire 
des commandements de M. le Duc. 

Enfant il avait vu la rouge figure de Louvois, 
idéal de Terreur, et il en avait gardé la tradition 
"violente. Les quatre frères (aubergistes des pas- 
sages des Alpes) partent du grand service qu'ila 
rendent à Louvois lorsqu'en un tour de main 
ils passent notre armée par-dessus les Alpes. 
Leur probité vaillante les fait commanditer par 
l'habile Samuel Bernard', qui les met en avant 

■ L'histoire Je crs giands financiers, plus curieuse que celle des 
mis, est malheureuseniunt bien difficile. — Leur patriarche, iJamuel 
Bernard, a par&itement réussi à dérobvr sa vie et les sources de fa 
fortune éaonne. Homme agréable, trÈs-discret , fils d'un peintre de 
cour, et nouveau converti en 16S5 (V. Haag. France protest.), il vit 
H'ès-rroidement que la Révocation était une affaire. Geui qui fuyaient 
ne savaient coranient vendre, mais ils trouvèrent Bernard, iiitcruié- 
diaire des puissants acquérours; du peu qu'il leur donna, ils fu- 
rent ravis , racdamèrent le Sauveur. Bernard se mit alors k sau- 
ver les armées, atec ses prête-noms, les Paris. Le plus miraculeui; , 
c'est qu'il sauva sa caisse. Du naufrage de 1710, il émergea plus riche. 
Dès lors, dans un repos princier, n'agissant que sous main et par son 
bouillant lluvemey, avec Crozat et autres, il mina le Système, ût le 
Visa pour n'être pas visé. — Il savait parfaitement la puissance de l'a-' 



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(1724) -. 10 — 

dans tes scabreuses affaires des Vivres. Chaque 
printemps l'armée à rtUourdi, mai pourvue, en- 
trait en campagne. Chaque année elle était sau- 
vée, nourrie, grâce aux Paris, par un coup 
révolutionnaire , miracle d'ai^ent , d'énergie. 
L'homme d'exécution était ce Paris Duvemey, 
toujours sur la frontière, et souvent entre les 
armées , déguisé pour mieux voir. Il payait 
comptant, sec et fort, donc était adoré des mar- 
chands, et suivi. Il trouvait tout ce qu'il voulait. 
Une fois, pour l'armée de Villars, il fit sortir de 
terre 40,000 chevaux à la fois. Le dernier coup 
du Rhin, qui fit la paix du monde, appartient à 
Villars, mais aussi au grand fournisseur qui le 
transporta, le nourrit. 

De cette vie d'aventures, de miracles et de coups 
de foudre, Duvemey garda une tête fort chaude, 
et n'en guérit jamais. Sa joie aurait été de pous- 
ser toujours des armées. Et presque octogénaire 
il s'y remit encore dans la guerre de Sept-Ans. 



pinian. Chez lou amie, H*** de Fontaine-Hurtel, it accuailkit et protégeait 
les brillants et hardis penseurs. Ce fut le salon de Voltaire, de même 
que ses SMf-s où parents (les Supin, d'Ëpinay, Francoeur, ele,,) furent 
la société de Diderot. Rousseau, etc. — On connaît les Paris un peu 
pins que Bernard. Leur bisloire, celle de Paris DuTcrney, a été es- 
quissée par Luchct, Rochas et autres. EQe tb nous être donnée, d'aprt« 
des actes di: famille, par le savant et consciencicui professeur de Gre- 
noble. H, Mac*. Quant ù leur origine d'aubergistes desAlpes_ et auï ser- 
vices qu'ils rendirent en faisant passer l'armée, S^inl^Simon date mal, 
mais, je crois, ne se trompe nullement sur le fonds des f;iits. 



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— 11 — (17M) 

En allendanl il menait les affaires militairement, 
fit la guerre contre Law, contre ses théories, ses 
rêves. Hais à peine vainqueur de l'utopie, il de- 
vient utopiste, disons même, révolutionnaire. 

Ce qui est curieux et vraiment de la France, 
c'est que ce grand souffle orî^eux qui fut en Du- 
verney, de projets, de réformes, de brusques 
changements, change aussi M"" de Prie. Elle est 
gagnée, grisée. Elle le soutient et le suit avec cette 
fureur qu'elle a jusque-là mise aux intérêts de 
Bourse. Elle se précipite aux périlleux essais de 
politique hardie oii va sombrer demain cette for- 
tune à peine élevée. 

J'ai dit ses origines et sa terrible avidité. Elle 
procédait de la famine. Le contraste d'une grande 
misère et d'un oi^ueil royal, d'une haute édu- 
cation (sur laquelle spéculait sa mère) l'avaient 
aigrie, envenimée. Au retour de Turin où elle 
avait langui avec M. de Prie, un famélique am- 
bassadeur, elle fut produite ici par une habile 
agioteuse, W" de Verrue', qui y trouva son 

' La femme agioteuse ne date [las de la Régeuce, Âiant la Tencia, 
la Cliaumont, dèj&'Bf'" do Verrue, agiote souï Louis XIY. Au fond, c'é- 
tait un homme, et fort émancipé, ajiant su, vu, enduré tout. Née de 
LuTnes, au àérài Versailles, mariée dans le dévot Picinotit, elle vil 
IjieD le dessous des caiiea. Son mari trouvait fort niauTais qu'elle ne 
TOiilùl pas être maîtresEB du duc de Savoie. Elle obéit, fut reine (et 
captive du Ijran jaloux). Enfin, ennuyée, eicédée, elle s'enfuit, rentra 
■a bien-aimé Paris , non pas dans l'ennui des de Lujnes, mais dans 
une vie Inrge d'nrfaire!:, de spécubtions, de plaisirs. KIte devint un 

Douze, bv Google 



un*) _ 12 _ 

compte. Elle avait l'altrait diabolique que Satan 
donne à ses élus. Elle était enjouée, et tout à coup 
tragique ; d'allure timide et serpentine, puis brus- 
quement hardie. Volontiers les cheveux au vent, 
et quelque chose d'égaré. M""" de Verrue (comme 
elle, à moitié italienne), connaisseuse en beauté, 
y vit une sibylle de Salvalor. 

D'un coup de sa baguette, cette fée delà Bourse 
la mit juste au centre de l'or, pour en pi*endre 
tant qu'elle voudrait. Elle n'en fut pas plus heu- 
reuse. On ,1e sent bien au portrait de Vanloo, oiî 
elle noiis regarde de face, d'un si terrible sérieux. 
Elle a alors sa plénitude. Ce n'est plus la fine 
Italienne, mais la forte beauté, romaine. Est-ce 
Agrippine ou Messaline? L'une et l'autre peut- 
être , avec lin vide immense que i'or n'a pas 
ismpli. Qui comblera l'abîme? les vices mâles. 



rentre. Son hôtel cluît im iiiuïcti. La première, elle osa admirer, iche- 
ter les Hubens, lee Rembrandt (que méprisait tant le grand Roi). Elle 
sentit Titemant la de Prie, un cbantiant César BorgiA, effréné, intré- 
pide, mais sani le froid, le faui des rrais scélérats italiens. R ne allait 
pai moins pour mordre sur H. le Duc, qui était bien usé, qui aimait 
peu les femmes, qui s'ennuyait déjà arec H*" de Resle. Alors, c'était 
la baisse. Hais la de Prie parati, et la bausae est lancée (juillet 1730), 
le TMlige, la furie, ta trombe. Dis que M. le Duc possède ce magiqup 
diamant, la Fortune ellennSme Tienl s'tngoutfrer dans Chantilly. — Lieu 
dangereux, charmé, et propre à faire des fous. Les Coudés étipent tous 
bizarres. Et N" de Prie fut Condé. D'abord comme eux, avide. Puis _ 
féroce (pour eux contre Orléans). Enfin, mortellement libertine. Le 
tout i la romaine. Point bourgeoise (ï la Pompadour). foint vulgaire 
(h la Du BaiTj). 



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— 15 — {iT»4) 

fureur et vengeance? les grands bouleveitie- 
ments? ou Vénus furieuse, l'extermination du 
plaisir? 

Elle passa, sinistre météore, ne fondant rien, 
ne laissant guère, jetant par la fenêtre au besoin 
du combat tout cet or amassé (d'Arg.), n'ayant 
pas moins~manqué, raté sa royauté. Pour elle la 
fortune est moqueuse. Elle l'a fait attendre loi^- 
temps, puis' goi^ée tout à 'coup, mise au pou- 
voir. « Allez ] marchez ! » dit-elle. Et tout est 
impossible. Tout est obstacle et précipice. Plus 
l'obstacle se dresse, plus Duverney et la de Prie se 
lancent contm, comme ces chevaux furieux qui 
se jelent sur les épées. Du premier coup, réforme 
universelle. Us déclarent hardiment la guerre à 
tout le monde. 

L'idée fixe de Duverpey avait été la Compta- 
bilité, la lumière dans les chiffres. L'ordre et 
l'esaclilude qui avaient fait la fortune des Paris, 
il s'obstinait à l'introduire dans la fortune de 
l'Etat. « Colhert le voulut, dit Barème, ne put, 
ne trouvant pas alors de gens capables. » Duverney 
le tenta (1721). En 1724, il osa davantage. Au. 
grand eiïroi de la Mallôte, il livra son grimoire au 
jour, commença l'œuvre colossale de réunir et 
publier les ordonnances de finances (Fermes, Ga- 
belles, Monnaies, Domaines, Chaires, Rentes, Co- 
lonies) en 20 vol. in-folio. L'antre de Cacus en 

■D,a,l,zc.bvG00gIC 



[nw) _ 14 _ 

fi-émil, et les écuries d'Augias se Iroubient Ror- 
riblemenl. Les hauts banquiers, protecteurs des 
Paris, le grand vieux Samuel Bernard, leur père 
et créateur, durent s'indigner. « Et toi aussi, 
mon fils I » 

D'autre part, que pensa la cour, lorsque ce 
Duverney fit un état des Grâces et pensions — et 
ce dans l'ordre alphabétique, de sorte qu'à cha- 
que nom on trouva et on sut. Lumière désagréa- 
ble. Jusque-là un chaos prolecteur couvrait tout 
cela, si bien que tel touchait plusieurs fois avec 
un seul titre. 

Duverney durement ferme aux seigneurs la 
source aisée des dons du Roi , les forêts de 
l'État. Bien plus aisément que l'aident, le Roi 
donnait des bois (sans trop savoir ce qu'il don- 
nait). Plus de permission de couper les futaies 
(25 mars i725). 

La noblesse de cour cria. Mais quelle stupeur 
quand Duverney supprima la noblesse de ville, 
l'oligarchie municipale qu'avait créée Louis XIV. 
Il soumit à l'impôt quatre mille petits rois de 
clochers. Ils avaient acheté presque pour rien 
une mine d'or. R^lée par eux en famille, à 
huis clos, dans une obscurité profonde, la for- 
tune des villes était la leur. État doux et com- 
mode, et vraiment respectable par une durée de 
quarante ans. La foudre tombe. Duverney les 

Douze. bvGoogle 



— 15 — {1734J 

rembourse en renies, et rend au peuple son droit 
d'élection. 

Révolution immense, et qui eût changé les 
mœurs même, recréé une nation. Hélas I c'était 
bien tard. Celle-ci n'était guère en é(at d'en user. 
On ne savait plus même ce que c'était qu'élec- 
tion. Li ville, si paisible, se trouvait dérangée. 
Ennuyeux mouvement. Heureusement, le sage 
Fleury dix ans après rétablit le repos, les mu- 
QÏcipalités héréditaires, le gâchis et l'obscurité. 
Ils purent tout à leur aise tripoter le présent, 
engager l'avenir, lellemeot qu'en 89 la seule 
ville de Lyon devait trois cents millions. 

Nous dirons tout à l'heure les autres impru- 
dences de Duverney, l'essai d'égalité d'impôt, le 
bureau des blés et farines (imité par Tuigot), 
l'oi^anisation des milices (copiée aussi plus lard). 
Il se trouva avoir irrité toute classe. Il périssait et 
il devait périr paiement par le mal, par le bien. 
Les brutalités tyranniques qu'on avait supportées 
des autres (de mauvaises mesures sur les mon- 
naies, sur l'inlérèt), de lui parurent insuppor- 
tables. 

Une étrange défense d'étendre la ville de Paris, 
une ordonnance draconienne sur le petit vol 
domestique parurent (avec raison) ridicules et 
barbares, et blessèrent le bon sens public. 

Un procès maladroit fut plus funeste encore à 

Douze, bv Google 



(ivii) _ 16 — 

lai, à M"* de Prie. Le ministre Leblanc, favori 
du Régent, avait beaucoup gâché el pris dans 
V Extraordinaire de la guerre; plus, laissé l'Élal 
engagé pour quarante millions. Cette caisse de 
l'Extraordinaire, un caphamaum, un chaos, fut 
éclaircie par Uuverney. Il y eut plaisir, il est 
vi-ai. Leblanc était son ennemi, surtout délesté 
par M"" de Prie, qui poursuivait en lui un amant 
de sa mère, coupable (selon elle) d'avoir tué un 
de ses amants (Richelieu, Mém. IV). 

Ainsi, embrouillant toute chose, la folle, dans 
le procès de vol, en mêlait maladroitement un 
criminel. Leblanc, par ordre du Régent, eût fait 
faire certains meurtres. Fable absurde, incroya- 
ble! Que ce prince si débonnaire pour ses enne- 
mis même, eût commandé des crimes I comment 
le croire? On haussait les épaules. 

Elle espérait brusquer, emporter tout par une 
Commission. Mais Leblanc en appela au Parle- 
ment qui évoqua l'affaire. Les Orléans, bien loin 
d'être abattus, au contraire en furent relevés. On 
applaudit le bon jeune Orléans qui allait au Pai-- 
lement soutenir les accusés. On siffla outrageu- 
sement les gens de M"* de Prie, qu'elle envoyait 
si%er, trois ducs et pairs. Le Parlement, quel- 
quefois si sévère, ici tout à coup indulgent, 
emporté par l'opinion, par l'élan de Paris, ne 
voulut voir en cette aflaire qu'erreur, légèreté, 

Douze. bvGoogle 



— 17 — (imi 

irrégularité. 11 ordouna restilulion, consacra la 
réforme de Duverney, ce qui sauva à l'Étal une 
somme de quarante millions. Mais Leblanc et 
consorts furent sauvés et blanchis plus qu'ils ne 
méritaient. Duvemey fut honni, maudit \toar sa 
sévérité. On fil un triomphe aux voleurs. 



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CHAPITRE II. 



OiuLe de H. le Duc. 1725-1736. 



La France est d'autant plus brisée, décou- 
*ragée alors, qu'elle n'est nullement innocente de 
sa ruine. Ce n'est pas seulement Law ou le Ré- 
gent qu'elle accuse, c'est sa propre crédulité, !a 
foi légère qu'elle eut aux utopies. Elle en garde 
longtemps le d^oûl des idées, la teiTeur des in- 
novations et celle même des réformes utiles. Elle 
gît si malade qu'elle repousse et craint les remè- 
des. Mais plus elle se défîe des idées, plus elle a 
tendance à tomber au fétichisme personnel, plus 
elle semble devenir (en plein dix-huitième siècle) 
idolâtrique et grossièrement messianique. Elle es- 
père au miracle, n'espérant plus dans la raison. 
Le mal épidémique des convulsionnaires qu'on 



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— ifl — (nswTao) 

verra tout à l'heure demandant guérison à leur 
diacre Paris, c'est un cas spécial du mal univer- 
sel. Le Sauveur, Guérisseur, le miracle vivant, 
pour la masse c'est l'enfant royal, l'orphelin resté 
seul de sa famille éteinte. Gela attendrit tous les 
cœurs. Ce peuple famélique, lorsque le pain est à 
huit sols la livre, lorsqu'il passe des nuits à la 
porte des boulangers, il est sensible encore ce sin- 
gulier peuple de France, et au nom du Roi il sou- 
rit. La France pour l'enfant avait tous les amours, 
mère, amante et nourrice. Ce rêve lui restait, cette 
poésie, dans sa misère profonde, — l'enfant aux 
cheveux d'or, le Roi. 

Dieu ! si on le perdaitl... Quelles frayeurs dans 
SCS maladies I Les ^lises s'emplissent de femmes 
en pleurs, brûlant de petits ciei^es. Les plus 
pauvres font dire des messes. Dans ce froid et 
terne intérieur (de rentiers ruinés?) que Chardin 
peint souvent, chez la femme si sobre qui nourrit 
l'enfant de ses jeûnes, c'est l'espoir, le rayon... 
Pas un de ces enfants à qui la mère ne dise en le 
couchant le soir : « Prie pour que le Roi vive I » 
En 1722, lorsque convalescent il fut montré au 
balcon des Tuileries, en 1725 quand il parut au 
Sacre, oint de la Sainte-Ampoule et sous la cou- 
ronne de Charlemagne, l'effet fut grand et vrai- 
ment populaire. Exalté au jubé au milieu des fan- 
fares, il parut le petit Joas, comme échappé des 

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(1725-1726) _ 20 — 

morls, et l'on pleura abondamment. Plus en- 
core, quand il fit son miracle royal, touchant les 
écrouelles, passant et repassant dans la loogua 
file agenouillée. 

Il était devenu très-beau, plus fin, plus élégant 
que Louis XIV au même âge, moins alourdi d'Au- 
triche. Pas une femme qui n'en fût amoureuse, 
et ne le dît franchement. En Angleterre, pays des 
beaux enfants, cela fut senti comme en France. 
Son portait envoyé troubla fort les tendres An- 
glaises. 

On est saisi en voyant à la fois cet attendrisse- 
ment universel, auquel l'Europe participait elle- 
même, — et d'autre part le terrible abandon où 
restait cet enfant, objet d'un espoir infini. 

Fleury, comme on a vu, avait éloigné tout le 
monde. Le départ de l'autre Fleury et de l'hon- 
nête Viltement avait fortement averti. On comprit 
qu'il fallait ne pas trop se mêler du Roi. Ses gar- 
diens naturels s'annulèrent, —r- le gouverneur 
Charost qui ne gouvernait rien (homme d'es- 
prit et ami des jésuites), — le discret Saumery, 
sous-gouverneur, — Mortemart, premier gen- 
tilhomme, un brave homme, mais très-obéré, 
qui attendait tout de Fleury. 

Cela fît une maison close. M. le Duc était in- 
quiet, sachant peu (dans son aile Nord, écartée, 
de Versailles) ce qui dans l'aile Sud pouvait se 

dolizccbvGoOglf 



— 21 — (1728-1720) 

tramer cootre lui. 11 lâta Mortemart, lui donna 
cent mille livres (Villars) et ne le gagna pas. Du- 
verney, plus adroitement, alla aux valets inté- 
rieurs (Rich. IV, 138). Ce mot signifie Bache- 
lier, fils du valet de garde-robe, le vrai g<5nie 
du lieu, qui pour trente ans devient valet de 
chambre. Né de bas, d^autant moins suspect, 
et restant toujours là, comme un chat qui cli- 
gne et voit tout, cet homme fin, discret, se 
trouva par moments en mesure de toucher aux 
grandes choses. Fleury eut le royaume et lui 
le Roi. Du métier assez sale qu'il était obligé 
de faire, il n'abusa pas trop. Ici, selon toute 
apparence, ce fut lui qui sauva le Roi. Il avait 
intérêt à ce qu'il vécût, cet enfant, sur la lâte 
duquel il avait fondé sa fortune ; mais, de 
plus, il l'avait vu naître, l'aimait d'instinct et 
d'habitude, s'inquiétait de la situation. 

Fleury laissant aller les choses, et voulant 
attendre l'infante (attendre au moins six ans 1) 
ne voyait pas que d'ici là il irait se perdant, 
mourrait, ou sefait idiot. Souvent il pâlissait. 
Il était maussade et muet. « Il avait un sort 
sur la langue. » Et, signe pire d'un cerveau 
affaibli, souvent il parlait par saccades, comme 
une mécanique, une montre. Cela étonnait, fai- 
sait peur. {Argemon, Ilï, 203, éd. J.) 

Il avait une vie étouffée et malsaine entre 

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(1135-1126) _ 22 ■« 

trois camarades qui représentaient trois intri- 
gues. 

Sous lui précisément dans l'appartement Mon- 
lespan demeurait madattie de Toulouse avec son 
honnêle mari. Mûre, dévote et sucrée, fraîche 
encore, belle et grasse, cette dame eut le pri- 
vilège de rassurer le Roi, fort timide, de l'at- 
tirer même. Dévote, mais bien plus mère en- 
core, par son fils Épernon (fils du premier 
amour), elle voulait conquérir le Roi. Ce fils, 
aimable et tendre (c'était elle-même à quinze 
ans), montait chez te Roi à toute heure par le 
petit degré secret que possédait l'appartement. 

Sans monter, toujours près du Roi, tissait, 
lilait un auti% enfant, le petit Gesvres, neveu 
du beau cardinal de Rohan, si connu pour sa 
peau admirable et ses bains de lait , Rohan 
alors le chef du parti de la Bulle. Gesvres toute 
sa vie fit des ouvrages de femme, de la tapis- 
serie et des nœuds de rubans {Arg.}. Parent du 
célèbre impuissant dont le procès a fait tant 
rire, c'était une vraie petite fille. Mais justement 
par là, par sa passive obéissance, il avait une 
prise très-douce, dont pouvait user le parti. Il 
avait été mis d'abord chez M. le Duc (avant 
M" de Prie). Il passa chez le Roi, et put lui 
remplacer parfaitement sa biche blanche. 

C'était l'uBage dans ces éducations , pour 

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-t- 2S — (1725-1726) 

pendre liardi l'enfant royal, mâle et ferme au 
commanderaenl, de lui donner de tels jouets, 
petits souffre-douleurs. Maïs le Roi cessait d'ê- 
tre enfant. A ce moment d'essor, établir près 
de lui celle créature si féminine, c'était le re- 
tenir dans la vie molle, assise, disons mieux, 
lui couper les ailes. Pour ne rien mettre au 
pis, cet enfant de là Bulle, avec ses habitudes 
monastiques, innocemment pouvait féminiser le 
Roi (qui se mit en effet à filer, à tisser), en 
faire une petite Bile ou un timide enfant de 
chœur. 

L'homme, en cet intérieur, !e maître du l(^is 
chez le Roi et son maître, était son jeune gen- 
tilhomme de la chambre, la Trémouille, plus âgé 
que lui de deux ans, qui depuis onze ne t'avait 
pas quitté. Charmant (dit d'Argenson), hardi, 
mais effréné, il ne cacha rien, fit parade de tout . 
ce que les autres cachent (Marais, nov. 1727). Il 
fit des opéras, s'épuisa, mourut jeune. Alors, 
en 1724, à seize ans, il menait le Roi, en avait 
fait son petit lavori {Marais, juin 1724). 

Maurepas, plus âgé, tout robin qu'il était, et 
méprisé' de ces jeunes seigneurs, paradait et 

' Voltaire le dit d'un trait fort plaisant, torl cjnique, dans une lettre 
de 1725 (septembre). Hais je ne doute pas qu'en 17S4, Uaurepas (mi- 
nistre ï quinze ans et qui alors en a ringt) ne se soit di^jï iotroduil 
dans cetle petite sociélé comme amuseur et corrupteur. — Pour lout 
le reste, nous aïon» l'autorité très-grave de WaraU, celle de Barbier. 

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(i7S5-nM) _ 24 _ 

folâtrail là, avec ses chaDSonnelles, en réalité 
professait. C'est lui certainement, le robîn, qui 
avait enseigné ce que le Roi disait sans cesse : 
« Si veut le Roi, si veut la Loi. )> L'autre doc- 
trine de Maurepas, qu'il enseigna toute sa vie, 
fut l'horreur, le mépris des femmes. Cela n'allait 
que trop à la petite bande. Le Roi dit plusieurs 
fois qu'il ne voulait pas se itiarier. La Trémouiile 
affichait même répugnance. Il se porta hardiment 
adversaire et rival d'une femme, M"' de Charo- 
lais, sœur de M. le Duc, et il lui fit manquer 
le Roi. Elle ne lui pardonna jamais (Rich., 
V, 50-54). 

Purger Versailles, c'était chose honorable, «n 
vrai devoir. Et cela avait l'avantage de démas- 
quer la lâcheté de Fleury, ainsi que le Régent, 
dans une semblable circonstance, en 1722, dé- 
masqua la sottise de Viileroy. Mais l'aiîaire était 
périlleuse pour un demi-régent, qui allait et 
blesser le Roi, et commencer la guei're à mort 
avec Fleury. 

Duvemey, madame de Prie, étaient gens durs, 
hardis, qui ne reculèrent pas. On éveilla Paris 
en quelque sorte, ou prépara l'opinion par des 



Viltars en parlait lout au long avec sa vigueur militaire. Mais il a été 
mnlilé ({Sich., V, 50), Pour le palU page Calviére, même mutilation 
(V. MM. de fioufiiurt. Portraits, II, i 17); il s'arrête avant août 1722. 
ne doDDe ni l'une ni l'autre des deux époques scandaleuses . 



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— 25 — (iTiB-nW! 

exemples rudes in anima mli. L'éditeur de Vol- 
taire l'a remarqué {Beuehot, \, 172). Si l'on eût 
voulu frapper haut, prendre des seigneurs, des 
évêques, on le pouvait. La maison Des Chauf- 
feurs, une académie de débauches , était trop 
fréquentée pour n'être pas connue. Mais on prit 
au plus bas. Un ânier fut brûlé en Grève {Ma- 
rais, mars 1724), et'si vite brûlé que la commu- 
tulion de peine ne vint que quand il fui en cen- 
dres. 

En mni, la police (alors dans la main d'un 
parent de M"* de Prie) fit contre la justice ce 
tour hardi, piquant, de prendre un homme qui 
était sous la protection du chancelier. Homme 
grave, ex-jésuite, professeur, l'abbé Desfontaines, 
un rédacteur du Journal des Savants qui dépen- 
dait de la chancellerie. On le pince, on l'enlève, 
on le met à Bicêlre. Paris en rit beaucoup. Les 
plaignants étaient ramoneurs 

Entre l'ânier brûlé et Des Ghauffours qui 
l'est plus tard, Desfontaines était en péril. Dans 
sa peur, il n'hésita pas d'implorer un homme 
aimé de M"" de Prie, Voltaire, qui à vingt ans 
s'était si hardiment porté contre de tels dé- 
lits Tavocat. de la femme, de l'amour et de 
la nature (1715). Voltaire avait bon cœur, 
Desfontaines venait justement de lui voler la 
Henriade, de l'imprimer à son profit. II ne s'en 

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{1735-1758) — 26 — 

souvint pas. Il cgurut à Versailles*, et s'adressa 
à Maurepas. Ce ministre frivole, créature équivo- 
que qui fort impudemment professait la haine 
des femmes, lui-même assez suspect, ne deman- 
dait pas mieux que d'étouffer l'affaire. Il eût donné 
sans peine une lettre de cachet, qui, en exilant 
l'homme, l'aurait éloigné de la Grève. Pendant 
les pourparlers, juin vient, et le grand coup est 
frappé à Versailles. 

Gesvres, jaloux de la Trémouille, avait préci- 
pité les choses, dénoncé les petits mystères. On 
frappa, mais bien doucement, en rendant seule- 
ment les polissons à leurs familles, exigeant qu'on 
les mariât (comme le Régent avait fait des petits 
Villeroy). I<e Roi n'objecta rien pour le tant aimé 
La Trémouille. Il rit de le voir humilié, marié, 
la Trémouille au contraire trouva le châtiment 
si dur que, huit années durant (et quoi que 
pût dire son beau-père) il tourna le dos à sa 
femme. 

Cet événement fut le salut du Roi. M. le Duc 
l'emmène, change ses habitudes , le tient au 
grand air, au soleil. Bref, il le fait chasseur. I! 
lui donne quarante ans de vie. 

L'affaire, devait, ce semble, perdre Fleury en 
dévoilant sa connivence. Il n'en fut pas aiiîsi. 

< Tout cet» est coiutaté par le remercimenl de Desfnntaines, et araué 
des «DDemis de VoHaire, du safant cl trËs-boslile I^icolardol. 

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— 27 —- {1725-1736) 

On le comprend fort bien par les mots durs que 
dit Marais sur le rôle inf(5rieur et fort triste du 
Roi. Ce fut précisément par là que le mattre 
de ces secrets, Fleury resta fort, immuable, 
ainsi que Bachelier, qui non moins immuable- 
ment resta aussi jusqu'à sa mort. 

Un vieux valet de chambre du duc de Bourgo- 
gne, Bidaut, allant voir un jour l'abbé Viltement 
dans sa retraite, lui parlait de Fleury. Mais il 
se lut d'abord. Pi'essé enfm, il dit tranquille- 
ment : « Sa toute-puissance durera autant que 
sa vie. Il a lié le Roi par des liens si forts que 
le Roi ne les peut jamais rompre. Je vous 
expliquerai cela, si le cardinal meurt avant 
moi'. » 

Le Roi reviendrait-il de celte belle éducation? 
Ferait-il grâce aux femmes? aurait-il quelque 
amour naturel et humain ? Dans les fêtes de 
Chantilly, des dames Irès-charmanies se vouaient 
à cette œuvre. Mais leurs grâces, leur scintilla- 
tion réblouissaient, lui déplaisaient. Il avait 
Tair lui-même d'une fdie bégueule, qui n'y eût 
vu que des rivales. 

Que faire donc? sans doute, ce qu'on a fait 

< Saint-Simon, ctiap. dxix. ^ D'Argenson qui a pu savoir la pro- 
phétie de Yittement par d'autrci voies, l'exprime ainsi : i II eiitia cer- 
tûi lien, certain nœud iHdÎEsoluble entre le roi et le cardiaiJ, doolil 
rÉBulle que S. M. ne pourrait jamais le renvoyer, quelque envie qu'elle 
•a eût, * (O'Arg., éd. lannel, il, 192.) 

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[1726-1728) _ 28 — 

pour la Trémouille, bon gré mal gré le marier. 
L'infante était l'obstacle. Cependant une maladie 
courte et grave qu'il eut (février 1725), tran- 
cha tout. M. le Duc, effrayé et désespéré, jura de 
renvoyer l'infante, et de le marier sur-le-champ. 
Fteury bouda, mais seul. Vitlarset tout le monde 
étaient de cet avis. 

En brisant l'œuvre des jésuites, le mariage 
espagnol, on les ménageait cependant. On prit 
une reine de leur choix. Rohan, évêque de Stras- 
boui^, avait sous la main en Alsace la famille 
du roi sans royaume, Stanislas, retiré chez nous. 
On fit valoir sa fille, fille dévote d'un père si 
dévot que, par plaisir, dit-on, il faisait ses dé- 
votions en robe, en bonnet de jésuite. Cela n'at- 
tira pas, ce semble, les célestes bénédictions. 
Sur la route, la pauvre princesse reçut un dé- 
luge de pluies comme on n'en vit jamais. Mi- 
sère, malédiction, famine. Rien de plus triste. 
Un funèbie convoi. 

Tout retombait sur Duvemey. C'était lui qui 
faisait pleuvoir en touchant aux biens du clergé. 
D'après les idées de Vauban, il voulait lever une 
dîme sur tous, clei^é, peuple, toblesse (faible 
dîme, du cinquantième). Refus universel. Les 
Parlements, les États de province répondent par 
un non furieux. Le paysan reçoit les collecteurs 
à coups de fourche. On eût voulu que Duverney, 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 29 — (l(25.nM) 

au début de l'impôt nouveau, avant d'en rien 
tirer, abandonnât tout autre impôt. 

Les grains sont chers. Quoique l'on donne le 
pain ici à moindre prix, on fait queue, on crie, 
on se bat et il y a des hommes tués. Le bureau 
très-utile créé par Duvemey pour juger des l'é- 
coltes, du mouvement des grains fait crier ; A 
l'accapareur! 

Son beau projet sur la Milice, ses lois (du- 
res, il est vrai) pour faire travailler les Men- 
diants, tout exaspère. Maie ce qui le noie et le 
tue, lui et M"^ de Prie, c'est l'ordonnance des 
pensions, toutes celles du grand Roi suppri- 
mées, celles du Régent réduites, etc. Dès lors 
ils sont perdus, osant à peine encore se mon- 
trer à Vei^aiUes, y rencontrant pai'tout des re- 
gards furieux. 

Pour eux nul appui de la reine, qui elle-même 
a fait à Versailles un parfait fiasco. Quelque 
conle ridicule qu'on nous fasse de la nuit des 
noces, les valets intérieurs voyaient et révé- 
laient ce mariî^e sans mariage. La jeune femme 
de vingt-deux ans, douce et laide et le sachant 
bien, tremblante, quoique fort amoureuse, a peur 
de cet enfant si sec, si froid, qui dort près 
d'elle sans daigner savoir qu'elle est là. 

Bien loin de le ranger, le marii^e n'avait 
servi qu'à l'émanciper cyniquement. Aux levers, 



^cbvGooglc 



(1M»-IM6i _ 50 — 

aux couchers, les amis étaient revenus. Gesvres 
la petite femme, Betz qui gagnait faveur {Riche- 
lieu, V, 120). Délaissée, veuve était la reine, 
sans crédit, à ce point qu'elle ne put seule- 
ment faire avoir le cordon bleu au vieux Nan- 
gis, son chevalier d'honneur. Le Roi même sur 
elle eut des mots ironiques. On parlait d'une 
belle, n dit :■ « Est-elle plus belle que la reine? » 

M"" de Prie était furieuse. Pour elle, Je mau- 
vais magicien qui faisait avorter le mariage, c'é- 
tait Fleury. Un grand coup fut tenté (décem- 
bre). H. le Duc, un jour avec la reine, retint 
le Roi. Fleury attendit plusieurs heures, écri- 
vit, partit pour Issy. Mais cette fois encore 
(comme à douze ans) le Roi se désespère, va 
pleurer dans sa gard&-robe. 

Si lâches étaient les amis de Fleury, la petite 
bande des Haurepas, que pas un ne hasarda d'aller 
parler pour lui. Morlemart, qui pour ses affaires 
avait grand besoin de Fleury, seul osa dire au 
Roi : « Sire, vous êtes le maître. J'irai, si vous 
voulffiî, dire à M. le Duc qu'il vous rende votre 
précepteur. » 

M. le Duc atterré obéit. Aman ramena Mar- 
dochée. Celui-ci doucement put achever sa perte, 
le désarmant d'abord, lui ôtant les deux dogues 
qui le gardaient, Duvemey, la de Prie. 

Elle se tenait à Paris, immobile, résigiiée. 

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— M — (1125-17361 

philosophe (elle t'écrivait à Richelieu). Sa rage 
cependant, ce semble, éclala par un coup. 

Les polissons titrés de la cour n'avaient à Ver- 
sailles qu'une chapelle pour ainsi dire. La vénéra- 
ble métropole de leurs mystères était à Paris, 
dans l'hôtel d'un sieur Des Chauffours (Barbier). 
C'était un homme aimable, de très-bonne fa- 
mille, qui, ruiné, refaisait sa fortune, en prêtant 
sa maison à l'Église non - conformiste. Maison 
d^à ancienne. Outre le conseiller Delpech, maî- 
tre de Sodome à Bordeaux, deux évoques (Saint- 
Âignan, la Fare) y figuraient, et le peintre Nat- 
tier, avec des grands seiguem-s, deux cents adeptes 
au moins. Le lieutenant de police était alors 
Hérault, créé par Iff" de Prie. Elle était à Paris, 
il devait marcher droit. Et, sur le pavé de Paris, 
il y avait un homme qui disait et précisait tout, 
qui perçait le ciel de ses cris, un certain la- 
quais Arbaleste. Pour rendre l'affaire éclatante, 
lui donner tout son lustre, il eût fallu la confier 
au Parlement. Malheureusement M"" de Prie était 
trop brouillée avec lui. Elle ne put que s'en re- 
mettre à la fidélité d'Hérault, qui, avec quelques 
juges à lui, instrumenta dans le secret de la 
Bastille. S'il était fidèle et hardi, avec ce procès 
élastique, pouvant nommer ou plus ou moins, 
il avait dans ses mains Versailles, pouvait porter 
bien haut la terreur et le ridicule (.janvier 1726). 

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(1725-nffljj — 52 — 

De quel côlé seraient les rieursV A Versailles 
Maurepas avait une fabrique de farces, de chan- 
sons, de satires ou calottes. La chance ici allait 
terriblement tourner. Le rire allait monter jus- 
qu'aux grands calotins. On avait ri de Desfon- 
taines, du pauvre jésnite à Bicêlre. Hais la pièce 
nouvelle eût ét^ plus salée. Les fausses Colombines 
et le grand vieux Gassandre n'en seraient jamais 
revenus. 

M"" de Prie avait sous la main l'homme de 
la chose, Voltaire, qui lui faisait des comédies, 
et pouvait lui faire des satires, homme entre tous 
hardi. Il étîHt fort brouillé avec les mignons et tes 
prêtres. Contre les premiers, dès vii^ ans, il 
lança des vers immortels (CourcUimade). Contre 
les prêtres récemment (en 1725), il avait fait à 
Chantilly le Curé de Courdimanche, où lui-même 
joua le vicaire. Sous l'abri des Condés, que n'eût- 
il pas osé, sur le texte si riche du procès Des 
Chauffoure ? 

11 n'y avait pas à perdi'e une minute pour 
écraser Voltaire- €n chevalier, Rohan-Ghabot, 
homme de peu, qui jusque-là était à M"" de Prie, 
et voulait regagner le parti opposé, se chai^ea de 
l'exécution. Le 1" février 1726, il accoste le poète 
au théâtre, et lui cherche querelle. Voltaire le 
cloue d'un mot. Deux jours encore avec persé- 
vérance, autre querelle au foyer, et il lève la 

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— 33 — ',nsô-i7S(>) 

caane; M"* Lecouvieur, qui était là, s'cvaiiouil. 
Ënliii le 4, Vollaire dînant chez M. de Sully, il 
est demandé à la porte, où il trouve Rohan uvec 
quatre coquins qui lui donnent des coups de 
bâton, tt court à l'Opéra où était M™ de Prie, 
court à Versailles se plaindre, à qui? à Mau- 
repas, grand maître des chansons, qui ne peut 
rien pour lui que faire chansonner son afiaire. 
Voltaire rage et cherche Rohan. En vain pen- 
dant deux mois entiers (février-mars). Il ne trouve 
partout que des mauvais plaisants, d'aveugles sots 
qui disent : « Tant mieux ! le moqueur est moqué ! » 

Le 6 avril un Ëiit atroce, horriblement comi- 
que, fit oublier Voltaire, retourna la risée vio- 
lemment contre Versailles. Au salon de la Bulle, 
où récemment Tencin et sa Tencine avaient ma- 
nipulé le chapeau de Fleury, un coup de pistolet 
s'entend. Reste ub cadavre, et tout est inondé 
de sang. La dame avait l'usage de garder les 
dépôts que des amants crédules lui confiaient. 
Elle le fit avec succès pour Bolingbroke, mais 
non pour la Fresnaye, désespéré, ruiné, qui se 
tua chez elle. En se tuant, il laissa de terribles 
explications sur cette tripoteuse, sur sa maison, 
un mauvais Heu. Ce qu'elle alléguait, en effet, 
c'est que l'argent gardé était très-bien gagné, le 
prix de la prostitution. 

Que faire de ce cadavre? Au lieu d'avertir la 



^.bvGooglc 



(l7î5-n2G] — 34 — 

police, de faire lever le corps par l'aulorilé na- 
turelle, la dame avertit ses amis, le premier 
président, le procureur du Grand Conseil, et 
ces magistrats complaisants fourrent le corps à 
Saint-Roch avec force chaux vive, pour détruire, 
pouvoir dire que c'était une apoplexie. Le Grand 
Conseil le dit, croit trancher tout. Mais le vrai 
tribunal à qui appartenait l'affaire, le Châtelet, 
ne se paye pas de cela. Le 10 avril, il empoigne 
la dame. Délivrée à l'inslant par Versailles (Fleu- 
ry-Maurepas) qui la tirent de ces mains sévères, 
la sauvent, la mettent à la Bastille. 

Cependant ce coup-là fut- terrible pour eux. 
Ils rentrèrent sous la terre , s'aplatirent , se 
firent tout petits. Fleury parle de se retirer 
(Rwh., y, 122). Le 20 avril, M"" de Prie écrit 
{Rieh., V, 128) : « Tout est rentré dans l'ordre. 
Je suis plus en repos. » 

Si Hérault, la Police, lui restaient, elle avait 
des chances. Par le procès de Des Chauffours, 
elle eût terrorisé Versailles, mignons, évêques, etc. 
Mais Hérault la trahit. 11 reçut le mot d'ordre 
d'en haut, agit contre elle, il lui prit son Vol- 
taire. Admirable prison de grâce et de vei^eance, 
la Bastille à la fois reçut et la Tencin que l'on 
voulait sauver, et Voltaire qu'on voulait frapper. 
Au bout de quelques jours , on te mit hoi^ de 
France (mai 1726). 

Douze. bvGoogle 



— 55 — (nS6-i7a6 

La de Prie eofonçait. Malade, horriblement 
maigrie, elle-même avait donné une maîtresse à 
M. le Duc. Fleury en profitait. Il disait douce- 
ment à celui-ci « qu'on pouvait s'ananger si 
W de Prie et Duvemey allaient à la campagne. » 
Mot grave. M. le Duc y sentait un mot du Roi 
même, haineux, craintif aussi, n'osant la regar- 
der (RtcA.,V. 149). 

On écarta cette tête de Méduse, le rude Dii- 
verney et leur dangereux satirique. Dès lors, tout 
est aisé ; on peutétouffer Des GhaufTûurs. 

Hérault, avec deux ou trois juges, croque l'af- 
faire à la Bastille. Nul mot des hauts coupables, 
sauf un Tavannes, simplement exilé. Des deux 
jolis évéques de Laon et de lîeauvais, l'un fait 
retraite au séminaire, l'autre en famille avec les 
novices des jésuites. Pour les deux cents cou- 
pables, un seul, Des Cbauffours, doit payer. Le 
Ghâtelet, siu- ce procès qu'il n'a pas fait, va le 
juger. Il y est conduit (25 mai], le 26 au matin 
sur la sellette pour ouïr son arrêt. — Étonnante 
précipitation, exécuté le soirl On paya son si- 
lence. Avant de le brûler, on eut l'humanité de 
l'étrangler d'abord. 

On dira que l'ânier en mars, quftDesfonfaines 
en mai, les favoris en juin, et Des Ghauffoups 
enfin (mai 1726) sont des faits sans rapport?... 
Hais alors pourquoi cette précipitation pour es- 

Douze, bv Google 



(naa-iTM) — 36 — 

camoter Des Chauffeurs, l'étrangler sans qu'il ait 

le temps, le moyen de parler? 

Tout est fini. Versailles est rassuré. Plus de mé- 
nagement pour la de Prie, pour Duverney. Les 
créatures de celui-ci, ses ministres, font sans lui 
les plus graves opérations de finances. 11 l'apprend, 
il écrit à W^ de Prie qu'il faut revenir ou périr. 
Chose assez curieuse, Fleury hii-mème par des 
amis engage la dame à revenir. Vrai moyen de la 
perdre, de vaincre l'hésitation du Roi. Son horreur 
(ou sa peur) de M"' de Prie, s'il se retrouvait de- 
vant elle, devaient abréger tout et le décider à agir. 
Elle arrive comme un ouragan, d'autre part Du- 
verney revient et parle en maître. Le Roi est 
interdit. Fleury n'en tirant rien, tombe aux pieds 
de M. le Duc, le conjure de rester en chassant 
M"' de Prie {Rich., V, Ul). Impossible. Elle 
pèse, et malgré tous reste à Versailles. Le Roi 
alors, timidement, en caressant M. le Duc, se 
sauve à Rambouillet (chez d'Épemon et la ma- 
man Toulouse), mais décochant derrière le trait 
mortel, uu mot qui met le Duc à Chantilly 
(11 Juin 1726). 

Le 12 juin, au matin, les vainqueurs travail- 
lent ensemble, Fleury et Maurepas {Bich., IV, 
155), le cardinal d'accord avec les camarades, 
la garde-robe avec la sacristie, les nouveaux 
rois, la Cour, l'Église. 

Douze, bv Google 



— 57 — (nas-nse 

Ajoutons y ]a Banque. Fleury en était assuré. 
Le redoutable coi^s des vieux mallôtiers du grand 
Roi, et la recrae nouvelle des agioteurs du Ré- 
gent, voyaient avec indignation un des leurs, un 
financier même, Duverney éclairer les comptes, 
trahir les mystères de finances. Ils traitent avec 
Fleury. Plus de Régie; partout les Fermiers gé- 
néraux. Fleury leur laisse Varriêré. Petit mot! 
grande chose ! Ils empochent cinquante-six mil- 
lions. 

Pour brusquer ce traité, il était nécessaire 
que personne n'éclairât Fleury, que Duverney 
ne pût lui écrire une ligne, que le vieil igno- 
rant sans s'en douter fondât les hautes dynasties 
financières qui ont mangé la France un demi- 
siècle. Duverney est mis au cachot. On le tient 
dix-huit mois scellé dans la Bastille. Cent com- 
mis sont chaînés d'éplucher son Visa. Et l'on 
ne trouve rien. Un absurde procès contre lui et 
Barème ne produit encore rien. On voit, non 
sans surprise, que sa fortune est peu de chose. 
Cependant M"" de Prie, M. le Duc, étaient per- 
sécutés avec ces petits soins de haine dont les 
prêtres ont seuls le secret, A ce Condé, à ce chas- 
seur, l'homme de la forêt, on interdît la chasse. 
Il tombe dans un tel désespoir qu'il a la plati- 
tude de demander giùce à Fleury par Gesvres, 
un des amis du Roi qui l'ont chassé. Son néant 

Douze, bv Google 



(«25-1798) _ S8 — 

apparut. Son âme était partie avec M*" de Prie. 

Celle-ci dut vivre à Gourbépine, dans l'ennui 
d'un désert normand. Elle avait étalé d'abord un 
admirable stoïcisme. Au fond, elle se mangeait 
le cœur, et ne pouvait pas le cacher. 

Jamais lion ni t^re en sa cage ne s'agita 
tellement. Elle enrageait et faisait des chan- 
sons. Elle espérait mourir, et, dans les derniers 
temps, elle avait essayé de se tuer par un furieux 
libertinage. En vain. Elle n'y avait perdu que sa 
santé, sa fraîcheur, sa beauté. In euctremis elle 
gartlait encore dans son désert un amant, une 
atnie. Celle-ci , très-maligne , très-corrompue , 
vraie châtie, était M"" Du Defiand, et, parmi 
les caresses, les deux amies se griffaient tout le 
jour. L'amant, jeune homme de mérite, s'obsti- 
nait à l'aimer, toute méchante qu'elle fût. Elle 
avait séché sans retour, et sa dernière punition 
était que par l'amour elle ne pût reprendre à la 
vie'. L'orgueil la dévorait. Elle ne voulait plus 
rien que mourir à la Romaine, à la Pétrone. 
Trois jours avant, elle jouait encore la comédie, 
appril et débita trois cents vers. Elle donna au 
jeune homme un diamant (pas trop cher, pour 
ne montrer nul attendrissement, nulle faiblesse 
de cœur). Elle lui dit : « Va-t'en à Rouen pour 
affaire. Ne me vois pas mourir. » Lui parti, pour 
farce dernière, elle fit venir son curé, bouffonna 

Douze. bvGoogle 



— 3^ — (i7a-n»} 

ta confession, puis but un poison violent. Elle 
eut pourtant, dit-on, beaucoup de peine à mou- 
rir, Bouffiit cruellement, se tordit. 

Un faux ami, le duc de Bouillon (beau-père 
de la Trémouiile qu'elle avait chassé de Ver- 
sailles), vint juste à point. Heureuse oocasion 
de faire sa cour à Fleury, au clei^é. Il décrivit 
comment était morte la réprouvée, dans quelle 
torture d'enfer, avec des cris qu'on entendait 
au loin. Histoire invariable qu'on avait déjà 
faite pour la du^ease de Bori. 

Quelque sévérité que dœve l'histoire à ce ty- 
ran femelle, c'est un devoir pourtant d'avouer 
la vigueur qu'elle mit à soutenir Duverney, ses 
tentatives hardies. Ce rude gouvernement, tout 
violent et cynique qu'il fût, eut des instincts de 
vie que l'on put regretter dans la torpeur mor* 
telle de l'asphyxie qui suit, sous la pesante 
robe qui couvrait nos vampires, jésuites et fer- 
miers généraux. 

La de Prie valait mieux. Dans aes vices 
odieux, elle imposait pourtant. Impure et fu- 
rieuse, chose bizarre, on l'aima jusqu'au bout. 
Un des meilleurs hommes de France, Ai^enson, 
jeune alors, avoue qu'il en fut fasciné. Celait 
un serviteur zélé des Orléans, donc opposé à la 
de Prie. Esprit libre, utopiste, membre del'En- 
tre-sd, le club de l'abbé de Saint-Pierre, rêveur 



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.1195-172(11 _ 40 — 

non moins que lut, amoureux de la France, 
des libertés de l'avenir, il était en tout sens 
loin de cette femme. Il se tenait fort en arrière, 
craignait son propre cœur, se défiait de la tra- 
gique fée. Un malin, celle-ci, lui donnant au- 
dience, l'admet à l'italienne au lieu mystérieux 
de sa toilette intime, comme un amant ou un 
ami. Elle penchait alors vers sa chute, elle était 
nu plus fort de sa lutte désespérée. Maigrie 
déjà, pâlie d'un feu morbide, elle était belle 
encore, belle de son audace, de sa crise, de la 
mort prochaine. D'Ai^enson fut touché. Un autre 
eût profité. Il tomba à genoux... Et la philoso- 
phie fit hommage à Satan. Le siècle, trouble 
mcore, en cet ange du mal saluait cependant 
comme un génie d'orage, la volcanique écmne 
otl souvent la Nature prélude à ses enfante- 
ments. 

Argenson veut en rire, ne peut. Il veut être 
léger, ne peut'. Ou voit pai' ses aveux à quel 
point un baiser (et sans autre faveur) le lia, 
le retint. Il ne la quitta pas dans sa métamor- 



* Ce combat de deui suntiments est curieux i obserrer dana les . 
deui édilîona de 1858 et 1860. La scène est sabhutique. obscène. El ce- 
pendanl comment la su)ipriiner? Le vénérable M, d'Argenson, si Ternie, 
si honnête, dans l'édiliun qu'il a faite des Jli'uioires de «on grand-oncle, 
n'a pas eu celte raine pudeur qui Tau^ise Initte ÎUéc de i'i'poque. Éilt- 
lion Jannet. I, 205. 



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— 41 — inawiw 

phose (où elle devenait un cadavre), il en gardi^ 
pilié; il la conseille. En vuin. Et maudite de 
tous, pour lui elle est encore : « La pauvre 
M'"' de Prie. « 



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CHAPITRE 



Esprit gaenief et prOTocation da clergé. — 
Espagne, -1726-1727. 



Le clei^é avait reconquis au dix-huitième siècle 
ce qu'il eut par deux fois au dix-septième, la 
royauté du prêtre. 

Un cardinal régnait, et avec moins d'obstacles 
que Richelieu ou Mazarin. Le plus facile des 
maîtres, un enfant. Point de Fronde. Un peuple 
las, courbé, aspirant au repos. 

IjC paresseux Fleury et les fins du clergé ne 
voulaient qu'engourdir, mettre à tout la sourdine, 
éteindre le jour et le bruit. Mais la grande masse 
cléricale en France et en Europe, un grand 
monde imbécile, en se voyant si fort, méprisait 
l'art trop lent des doux étouffements, voulait 
le fer, le feu, contre leurs ennemis. 

Douze. bvGoogle 



— 45 — {iiâô-iMli 

Derrière ce vain drapeau, la Bulle, qu'on met- 
tait en avant, ils avaient deux idées fort sérieuses 
qui les travaillaient : 1* ils avaient vu par Law 
et Duvemey que, sous forme de vente ou d'im- 
pôt (n'importe comment), on en viendrait aux 
biens d'alise; â* ils voyaient le respect pwdu, 
la société attentive aux scandales ecclésiastiques. 
En Italie, oîi l'on en rit, la facilité générale 
permet et couvre tout. En Espagne, respect pro- 
fond. L'Espagne restait l'idéal. En ce grand 
royaume dépeuplé, dans ses villes isolées (cha- 
cune entourée d'un désert], on pouvait fort com- 
modément imposer, contenir les langues et les 
esprits, brûler ici trois juifs, quatre maures, 
deux sorcières. Le peuple, édifié de ces lugubres 
scènes, gardait la crainte du Seigneur. 

Toute autre était la France, et ce n'était pas 
sans danger que les ambitieux (un Tencîn, un 
Tressan, qui visaient le chapeau) poussaient aux 
moyens de Terreur. On a vu que Tressau, l'au- 
mônier du Régent, avait écrit, dressé le grand 
Code de la Dragonnade, le recueil des deux cents 
ou trois cents ordonnances contre lea Protes- 
tants. M. le Doc subit ce Code (14 mai 1724), 
à l'étfturdi, sans voir deux terribles articles qu'on 
y avait glissés (\. Lémontey, Rulhière, Males- 
herbes). 
Tout nouveau converti, sur un mot du curé, 

. D,a,l,zc.bvG0OgIe 



(nawTïi) _ 44 _ 

est déclaTé rda/ps; donc il peut être mis à 
nufft, ses biens vendus, ses enfants ruinés. Qui 
peut dire la peur des familles, de la mère, de 
l'épouse, el leur craintive dépendance, le père 
étant sous le couteau I Article atroce. Mais la 
suite est immonde. Le curé entre seul dans les 
maisons (non plus accompagné, comme l'ordon- 
nait Louis XIV); il les visite sans témoins, et 
prend les personnes une à une. négociant en 
maître, et faisant son marché avec une femme 
tremblante qui croit voir son mari perdu ! 

Des deux articles, l'un (si meurtrier) épou- 
vaiila. M. le Duc défendit d'y avoir ^rd. L'autre, 
honteux, subsista six années (1750). Nombre de 
familles s'enfuirent, contèrent partout ces muelles 
horreurs, parfaitement étouffées ici. Tout le Nord 
s'indigna, et d'autant plus qu'alors, au bout op- 
posé de l'Europe, la voie du sang criait en Po- 
logne contre le clergé. 

La mort de dix pCTSonnes exécutées à Thoni 
fit un éclat immense et de conséquence infinie. 

Dix têtes I qu'est-ce cela près des Saint-Barthé- 
lémy, on des tueries du duc d'Albe, ou des 
égorçements de la guerre de Trente-Ans? Eh 
bien, un fait terrible el inouï eut lieu. Ces dix 
têtes jamais ne purent être enterrées. Elles res- 
tèrent cent ans sur la terre, et elles ont changé 
le monde. D'elles vint l'affreux malentendu qui 

DiailizccbyGoOgle 



— 45 ■— (nw-iisj) 

tua la Pologne et (malheur exéci'able) exhaussa la 
Russie' ! 

Les Polonais avaient sous leur proteclion une 
ville marchande, celle de Thom. Ville, certes, 
non méprisable ; c'est la ville du Ëimeux traité 
qui fit les libertés du Nord, c'est la ville de Go- 
pernik. Les gens de Thorn, quand ils s'affran- 
chirent des moines militaires, et se réfugièrent 
sous les lances de la Polt^e, obtinrent du 
noble peuple un privilège très-grand : de vendre 
sans payer de droit dans toute l'étendue du 
royaume. Ce peuple, généreux, d'admirable hos- 
pitalité, recevant tous les exilés, était le seul qui 
eût écrit la tolérance dans ses lois (Pacta con- 
venta). Tout son sénat alors (moins un membre) 
était protestant. Les choses terriblement changè- 
rent, lorsqu'au dix-septième siècle les Suédois 



< Jamais erreur ou crime Juiliciaire nu ou une telle |jiinitioa. 
La France, hélas! roua Calas et le chevalier de la Barre, en plein 
dii-huitiètnc siècle. Qui n'u pccbé? Quelle naûoa n'a eu ï déplorer 
quelque odieui arrêt de ses juges ? Par un sort singulier, seule lu Po- 
Idgne fut punie. — L'eicelleote Histoire de Pologne, par Ladislas Hic- 
kiewtcz {1865), eipose très-bien cette affaire. J'avais de plus sous les 
yeui une l'elation polonaise que M. Jean Hickiewia a bien voulu me 
traduire (fl^ctb historiques. Pose», 1845;Sprawa Toruuska). Enfin la 
rcbtion prussienoe, Irès-claire et très-impartiale de Jablonski, TItom 
affligée, 1TS6. Ces docuaients catholiques et protestants concordent 
pour tout l'essentiel. Le précieux petit livre, Thorn affligée, existe 
ici dans la Bibliothèque polonaise de Paiis (lie Saint-Louis). Vénérable 
bibliothèque , oii tant de choses perdues en Pologae se retrouvent en- 



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inm-xm) — 46 — 

prolestantï) envahirent Irois fois la Pd(^e. Bles- 
sée en son orgueil, elle fut presque entière ca- 
cathotique. Très -difficilement les jésuites s'y 
étaient introduits, mais ils y réussirent. Ils ten- 
tèi'ent les familles par les humanités, l'éducalion 
française, et peu à peu ils eui-ent les enfants 
des seigneurs. Les belles Polonaises se prirent 
fort au roman dévot. Hardies, chimériques et 
charmantes, comme elles sont, elles emportèrent 
tout. La galante Pologne mit la femme sur son 
drapeau. La Vierge volait aux batailles en tête de 
sa cavalerie. Cependant les villes marchandes, 
allemandes de fonds, Thorn, Dantzig, etc., n'eu- 
rent rien de ces folies, restèrent fort protestantes, 
et fort suspectes d'aimer l'étranger protestant. 
Les jésuites parurent faire une œuvre polonaise 
en s'y introduisant, — rien d'abord qu'un petit 
jésuite pour aider tel curé, puis deux, puis une 
école, un collège, pour élever déjeunes nobles. 
Ceuï-ci, fiers jeunes gens, escrimeurs, querel- 
leurs, se moquant des marchands de Thorn, pa- 
radaient répée au côté. Minorité minime, ils 
trouvaient beau de faire procession avec leur 
Vierge, de tenir le pavé contre un grand peuple 
luthérien. Tout ce que firent les jeunes protfô- 
tants, ce fut d'enfoncer leur chapeau. On les leur 
jette à terre (juillet 1724). Les Jésuites ont ce 
qu'ils voulaient. Le magistrat ayant arrêté un pro- 

Douze. b^Goog le 



— 47 — (ii»-i7i7i 

vocateiir, ils osent en taire autant, comme s'ils 
eussent été magistrats. Plus, la bande guerrière 
(les écoliers armés tombe sur les gens qui regar- 
daient. Des hommes forts se trouvaient dans le 
peuple, un charpentier, un maçon, un boucher. 
Ils forcent le collège, enfoncent et cassent tout, 
tables et bancs, deux autels. La Vierge que- 
relleuse qui a fait la bataille, est traînée, punie, 
mise au feu. 

Mais cette Viei^e, c'est le drapeau de Pologne I 
Outrage national!... Les jésuites à cela ajoutent 
un argument terrible : que si Louis XIV a bom- 
bardé, écrasé Gênes pour avoir outragé Sa Ma- 
jesté humaine, à plus forte raison la Majesté 
divine outnigée doit écraser Thom. Elle exige 
là mort des coupables, des magistrats même. 

G^a fit impression. Cependant le haut tri- 
bunal trouvait que la mort, c'était trop. On 
dit à plusieurs membres qu'ils n'avaient rien 
à craindre, qu'on ne pouvait pas faire la chose 
qu'autant que les jésuites jureraient, ce que 
des religieux ne peuvent en affaire criminelle. 
Invité à jurer, le jésuite recteur s'excusa, par 
ce mut du droit canonique : « L'Ëgtise n'a soif 
de sang. » Maïs il fît signe à un frère de son 
ordre, qui n'était pas profès encore, de se 
mettre à genoux et de jurer pour lui. Auti'e 
on paya six coquins, non bourgeoia 



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lllM 1727) _ i8 — 

de ta viUe, qui jurèrent loul ce qu'on voulut. 

Le Roi ^wuvait faire grâce. Mais ce Roi toujours 
gris (c'était Auguste rAllemand) n'osa faire grâce 
aux Allemands, grâce d'une insulte faite au dra- 
peau polonais. Il en sauva un seul, et but un 
coup de plus. Donc les jésuites purent agir à 
leur aise. La mort leur parut peu. Ils tinrent 
longtemps la proie entre leurs griffes, les lan- 
cinant jusque sur l'échafaud d'instances et de 
chicanes pour les faire mourir catholiques (dé- 
cembre 1724). 

Avant l'exécution, la Prasse était intervenue, 
avait menacé même, fait approcher des troupes. 
Imprudence qui hâta les choses. On rit de cette 
petite Prusse, de son roi, le grand grenadier. 
On rit de la petite Suède, épuisée, alors un 
néant. Cependant la grosse Angleterre pnt aussi 
la parole, et le Hanovre, et le Danemark, et la 
Hollande, et la France même (du duc de Bour- 
bon). Tout cela grave, immense, mais lent, sans 
action. Que fût-il advenu si les protestants de 
Dantzig et de toutes les villes avaient aussi versé 
le sang? Rien de tel n'arriva, et la chose resta . 
tout entière. Pour le malheur de la Pologne, les 
jésuites eurent le dernier mot. 

La parfaite ignorance de ce parti téméraire le 
lançait dans les aventures. Trois mois après l'af- 
faire de Thom, il tnenace, il provoque l'Angleterie 



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— 49 — [n26-l7«) 

el la France, renouvelle à Madrid le plan d'Albé- 
roni, — mais plus fou, croyant celle fois se ser- 
vir de son ennemi, s'armer de l'épée de l'Autri- 
che {ami 1725)1 Cela décida l'union de tout le 
monde protestant [aUiance de Hanovre, septem- 
bre). 

J'ai dit le bizarre intérieur de la cour de Ma- 
drid, le Roi, un demi-fou, et les furies de la 
Famèse. Nul plus honteux spectacle. C'est à la 
médecine beaucoup plus qu'à l'histoire qu'il ap- 
partient de l'expliquer. Le Roi, de faible esprit, 
qui eût dû être ménagé, était sous la main de 
deux femmes criardes , insolentes , grossières 
(comme les basses classes d'Italie), — i'assafeta 
(femme de chambre) qui régnait, menait tout, — 
et la reine, non moins ignorante, violente, em- 
portée, sans scrupules. Pom' aller à leurs fins, 
iaire obéir le Roi, elles tendaient horriblement 
la corde par les excès de vin, les épices, et le reste. 
Elles usèrent sans mesure de cela. Et la reine 
eut trois r^ues. Après celui de femme, de 
grossesses, de fécondité, elle le tint par les 
hontes secrètes (dont plaisantait Albéroni); et, 
en dernier lieu, quand il fut tombé à l'état ani- 
mal, ne changeant plus de Hnge, velu, avec des 
griffes, d'autant plus aisément elle eut un règne 
de geôlier. 

Et tout cela devant les confesseurs. La reine 



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(H«-17Î7) _ 50 — 

en avait un qui faisait ses af&iires et écrivait pour 
elle, digne d'elle (on en a des lettres. V. Mont- 
gon), un sot, frère coupe-choux, qui écrivait 
comme un portier. Celui du Roi, tout autre, es- 
pagnol, le P. Bermudez, dur et profond jésuite 
qui ne désirait rien que l'extermination des jan- 
sénistes, brûlait de le voir à Versailles. Autant 
ta reine poussait vers l'Italie, autant le Roi ai- 
mait , regrettait , désirait la France , pour la 
France elle-même, non pour la roputé. 

Le Retiro, l'Escurial, S. Udefonse, étaient les 
vrais châteaux des soi^es. Du plus haut au plus 
bas, tous rêvaient et politiquaient. Les confes- 
seurs aux entre-sols, les grands, les majordomes, 
les valets dans les antichambres, sans cesse re- 
faisaient la croisade et renouvelaient l'Armada. Les 
cuisiniers marmitonnaient l'Europe. Lieu admira- 
ble aux intrigants, aux charlatans dévots. Un 
aventurier , Riperda , Hispano - Hollandais , qui 
pour les affaires de commerce avait stylé Albé- 
roni, vient un matin, est touché de la Grâce et se 
fait catholique. Même farce de l'abbé Monlgon qui 
vient exprès de France pour admirer de près la 
sainteté du Roi, et, s'il le faut, se faire moine 
avec lui. 

On savait que Philippe voulait alors passer en 
France (janvier 1724). Voyant le Régeot mort, 
l'enfant très-chancelant, il faisait ses paquets. La 

L ,l,z<..t,C00gIf 



— 51 — .,n»-ilS7) 

reine avait baissé. Bermudez l'emportait. On lai- 
sait foire au Roi une chose extraordinaire, quitter 
le trône sur l'espoir d'en avoir un autre. Il croyait 
rassurer l'Europe par un semblant d'abdicaUon, 
gouverner par son fils. Il avait ramassé une 
bonne somme pour le voyage et se tenait le 
pied dans l'étrier. Tout manqua. Le jeune roi 
d'Espagne mourut. Son père fut condamné à re- 
prendre le trône. 

Dans leur courte retraite, le roi, la reine avaient 
fort écouté le hâbleur Riperda, nouvel Albéroni, 
qui mena la reine d'Espagne comme l'ancien Al- 
béroni menait alors à Rome la reine d'Angleterre, 
femme du Prétendant. Leur plan était le même, 
toujours le vieux roman jésuite, ramener le 
Stuart, catholiciser l'Angleterre, et par elle le 
reste du monde. Coup manqué tant de fois. 
Mais tout parut possible, dans l'aveugle fureur 
où les jeta le renvoi de l'infante (avril 1725). Se 
venger de la France, frapper l'Anglais, changer 
la face de l'Europe I tout fut aisé. Gomment? 
Riperda s'en chargeait. « 11 soldait l'Empereur, 
vieil ennemi, mais nécessiteux ; il lançait sur 
la France son invincible prince Eugène, pen- 
dant que la flotte espagnole, aidée des vaisseaux 
russes, menaçait l'Angleterre. Geoi^s, serré de 
près, effrayé, ne pouvait guère manquer de rendre 
Gibraltar. Faiblesse impopulaire, qui irritait suti 

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(nîO-l7-J7) — 52 _ 

peuple, et lui coûtait le trône. Le Prétendant 

rentrait sans coup férir*. 

« Un mariage unissait à jamais les deux gi-ands 
princes catholiques, l'Espagnol, l'Autrichien. Ce- 
lui-ci n'ayant qu'une fîlle pour héritière, il la 
donnait à Don Carlos, pour dot Vem^fe «FAu- 
triche et même (on peut gager) VEmîfire. » 

L'Empereur fut bien étonné delà proposition. 
Mais comme Riperda arrivait les mains pleines, 
et prêt à jeter les ducats, on fit bonne conte- 
nance. On lui donna espoir. Caché trois mois 
dans Vienne, il achetait les ministres un à un. 
Et l'Empereur aussi recevait. Seulement il trou- 
vait le traité un peu dur, « Tout était pour l'Es- 
pagne. » Riperda insistait en faisant espérer qu'on 
suivrait le grand plan d'Eugène : le démembre- 
ment de la France (Coxe, ch. xxxvn), qui don- 
nait à l'Autriche la Rourgogne et tout l'Est, ce 
qu'avait eu Charles le Téméraire. 

A Vienne, comme à Rome, à Madrid, la femme 
dominait. L'Empereur Charles VI dépendait de sa 



' Gomme pour augmenter à |>laisir les diffîcultég, ils arborent le 
drjpeau jésuite. Le Prétendant nvait eu le bon sens, pour tranquilliser 
les Anglais, d'aioir un conseil protestant. De Madrid et de Vienne, on 
le gronda. Sa femme, ardente Polonaise, que dirigeait Albéronî, fit 
comme la Famèse; elle le prit par l'alcAie et le lit, se mit dans un 
couvent, jusqu'ï ce qu'il quiilât ses prolestants, montrant bien que ïat- 
Ëire serait touto religieuse, la conversion forcée de l'Angleterre. Par 
li il se brisait lui-même. Il blessait sans retour tous les protestants 
jaedtites (lordMaltOn). 



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— 55 — (i7M-na7i 

belle épouse. Elle avait horreur de l'Espagne, et 
encore plus sa jeune fille qui voulait un iils de 
Lorraine. Il venait de faire celle-ci son liéritière 
par un acte fort irr^lier (Pragmatique) pour 
lequel il mendiait l'appui de chaque puissance. 
Il avait besoin de l'Europe pour celle succession 
illégale, donc était fort loin de la guerre (Vil- 
lare, 329) et n'écoutait l'Espagne que pour lui 
tirer ses ducats. 

Mais il fautdes ducats. Riperda n'en a plus. La 
comédie finit. Il tombe honteusement. « La reine 
ouvre les yeux sans doute? » Point. Elle extra- 
vague encore plus. « L'Espagne à elle seule suffît 
contre l'Europe. Si seulement la France n'agit 
pas, nous l'emporterons. » Heureusement M. le 
Duc n'est plus, Fleury est maître. De Madrid 
on envoie l'équivoque abbé Montgon. La reine 
(sans ^rd aux volontés du Roi) veut qu'à tout 
prix Montgon gagne Fleury, se conûe à Fleiuy, 
lui livre tout, s'il faut, pour obtenir de lui trois 
mois d'inaction, le temps d'emporter Gibraltar. 
Car, Gibraltar pris, Georges tombe et le Stuart 
succède (dans sa folle imagination!). 

Ce qui est merveilleux, c'est que ce roman ri- 
dicule, présenté à un homme aussi froid que 
Fleury, ne fut point du tout rejeté '. Il n'eût osé. 

* Personne n'a eu In patience de lire les cinq volumes de Montgon. Il 
esl trfs-inslniclif pour qui sait le comprendre. Il montre : 1* l'oppo- 

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(tTSo-tiaîi — r>4 — 

Ses maîtres, les chefs tilU-amonlains, lenaient 
rrop fortement à la chimère du Prétenttanl. II 
accorda ce que voulait la reine. Le ministre 
eût dit Non, mais le prêtre dit Oui. Toat 
en doutant que l'affaire fût aisée, il accorda du 
temps. Â r^ret. Il dit à Nontgon : « Seulement, 
je vous prie, dites au confesseur de la reine 
l'embarras où je suis. Nos préparatifs peuvent 
bien sauver un peu les apparences. Mais tout ce 
jeu ne peut durer longtemps. » 

Les vieux militaires espagnols déclaraient le 
si^e impossible ai l'on n'avait la mer, que l'An- 
gleterre tenait par trois énormes flottes. L'Au- 
triche le blâmait, et loin d'aider l'Espagne, elle 
travaillait contre elle en Italie. Les agents jaco- 
bites qui de Rome allèrent en Ecosse pour tâter 
le terrain, trouvèrent tout impossible. L'évidence 
élait telle que le pauvre Roi même demandait à 
la rsine pourquoi elle exigeait cette vaine effu- 
sion de sang. II en avait horreur, horreur des 

âtion du roi et de la reine. Le rat l'enToie pour qu'il réveille ses par- 
tisans, rallie H. le. Duc, etc. La rebe t'envoie pour obtenir i tout prii 
de Pleury la temps de prendre Gibraltar; pour cela il faut que l'abbé 
achète la confiance de Fleurj, mémo en lui rapportant tout ce que dit 
M. le Duc. le pauvre Honlgon n'eût Jamais osé une telle trahison qui 
ne lui proQtait en rien sans l'ordre de la reine d'Espagne î qui elle pro- 
fitait visiblement. — 2° Hontgon révâle ce (ait curieui que Fleury 
n''o*ait refiiser à la reine d'Espagne, au grand parti jésuite, le tempB 
de prendre Gibraltar, et mèoie de soulever l'Ecosse, de lancer le Pré- 
tendant. Il louvoyait, trompait alors Walpole. 11 était prÊlre, et pas en* 
core Anglais. 

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— 55 — (nse-iiîT] 

intrigantii qui, pour remplacer Riperda, la ser- 
vaient dans sa furie folle. Il refusait tout travail 
avec eus. Alors elle le persécuta. Elle lui sup- 
prima la consolation religieuse, en lui chassant 
son confesseur. Elle lui supprima ce qui était sa 
vie, le rapport conjugal. Torture bizarre. Par les 
poisons d'amour, elle le mettait hors de lui, 
refusait. L'effet en fut teirilide et imprévu. Il de- 
vint Irès-lucide, accablant de raison. Il dit oe 
que dira l'histoire, qu'elle était l'assassin du Rui, 
dn peuple. Et il la châtia rudement. Épouvantée 
de lui v(»r le bon sens revenu, elle pleura, 
pria. La nature, l'habitude lui rendirent Tascot- 
dant. Mais il la connaissait et il la méprisait. 
Lorsque très-lâchement elle faisait semblant d'ai- 
mer le fils du pranier lit : « Oh I la fausse, la 
fausse Italienne ! » dit-il avec un rire amer. 

L'échec de Gibraltar, l'abandon de l'Emp^^ur 
(51 mai] ne la corrigeaient pas. Par la moH du 
roi Georges, elle espérait encore que tout pour- 
rait changer, s'obstinait à rester armée, usant 
l'Espagne jusqu'aux os. Le Roi s'en mourait de 
remords et voulait abdiquer, ce qui eût renversé 
la reine avec ses Italiens, rendu l'Espagne aux 
Espagnols. Rien de plus sage. Mais la reine y 
pourvut. Elle changea Ifê clefs et les serrures, 
le tint sous les verrous. Dans" quel état réel 
éuit-il? qui l'a su jamais? Enfermé et gardé, il 

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(i7!8-H31) _ 56 — 

protestait pourtant de la seule façon qu'il pou- 
• vait, ne faisant plus sa barbe, n'entendant plus 
ta messe. La reine en était inquiète. Elle fit la 
dévote et la bonne Espagnole, jusqu'à prendre 
la robe franciscaine, la robe des Mendiants. Gela 
dura huit mois au moins, en 1728. 

Un jour enfin, sachant que Louis XV était re- 
levé de maladie et notre reine enceinte, il se fit 
scrupule de son deuil, lorsque la France était 
en joie, et comme bon Français, comme parent 
désintéressé, il se leva, se fit la barbe, se montra 
gai et doux. La reine désirait ardemment qu'un 
nouvel enfant prouvât leur union et le fît croire 
libre. Elle y réussit en effet (17 mars 1729), elle 
conçut, et comme elle avait fait im vœu à saint 
Antoine si cela arrivait, elle nomma sa progéni- 
ture Antoinette. 

Tout s'était aiTangé par les intérêts domesti- 
ques qui seuls toucbaienl les rois. 

L'Empereur, bon père de famille et docile à 
sa femme, ajourna ses plans de commerce qui 
irritaient l'Anglais, et il eut ce qu'il voulait 
pour sa fille, la garantie qu'elle serait son héri- 
tière au mépris des droits électifs de tant de peu- 
ples et des lois de l'Empire (31 mai 1727). 

Georges il n'est pas moins mené, fort douce- 
ment, par sa Caroline, fine, patiente, qui pour 
favorile a pris la maîtresse de Georges. Pour bien 

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— 57 — tn!6-17TI) 

consolider la maison de Hanovre, elle lui fnit 
garder le ministère Walpole, qui répond de la 
France, et de la mécanique qui fait voter le 
Parlement (juin 1727). 

Pour la reine d'Espagne d'avance elle est 
domptée par la famille. Walpole la corrompt 
par Carlos, l'enfant futur roi d'Italie. Ne pou- 
vant conquérir, convertir l'Angleterre, elle subit 
l'amitié hérétique qui la conduit à ce but désiré 
(9 novembre 1729). 

Toute cette basse politique de famille et de 
femme, de nourrices et de nourrissons, d'arran- 
gements domestiques , intérieui"s , était au fond 
fort claire, nécessaire et fatale. Œuvre de pure 
nature, non de diplomatie. Par une dérision 
singulière de la fortune, le plus oisif de tous, 
Fleury, panU le centre de l'action européenne, 
l'arbitre et l'auteur de la paix. 

Walpole y fît beaucoup. Il avait intérêt à ren- 
3re Fleury important. Son frère, le Jeune Ho- 
race Walpole, lorsque Fleury se retire à Issy, va 
le voir, reste son ami. Georges II arrivant, les 
Walpole usent de Fleury, le font parler pour eux, 
disent au nouveau roi : « Par Fleury nous tenons 
la France. » 

L'Empereur, ne cédant qu'à son intérêt do- 
mestique, parut condescendre à Fleury, à son 
envoyé Richelieu, au pape, à la médiation de 
Rome et de Fleuiy. 

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(1796-1727) — 58 — 

Nous aTons vu que ce faux politique, un 
prêtre au fonct, louvoya au moment où la prê- 
traille jacobite croyait entamer l'Angleterre. 11 
donna le délai que l'Espagne voulait pour la vaine 
entreprise qui hasardait la paix du monde. Elle 
se fit pourtant, se refit, cette paix. Fleury en 
eut la gloire, triompha d'une affaire que tous 
avaient voulue et qui s'arrangeait d'elle-même. 

L'histoire trop ïàsément accepte ce triomphe. 
Il faut en croire plutôt son bon ami Horace Wal- 
pole, selon lequel il fut ignorant, incapable aux 
affaires de l'Europe. Pour celles de la France, 
Don-seulement il les ignorait, mais ne voulait 
pas les apprendre, éloignant avec soin tous ceux 
qui avaient eu part aux af&ires. Torcy, Noailles 
lui auraient dit les choses, SainIrSimon les per- 
sonnes. Les gens des deux Visa, Fagon, Rouillé^ 
Barème, lui eussent éclairé le monde de finance 
auquel il se fia si sottement. Du personnel di- 
plomatique il écarta les gens habiles et fins de 
la Régence, mit des sots à la place, des prélats 
imbéciles qui ne savaient rien que la Bulle. 
Villars dit et répète qu'on se moquait de nous. 

a D'oiî vient, dit Louis XY à la mort de Fleury> 
qu'il n'y a plus d'hommes eu France? » En tous 
les rangs marquants Fleury avait fait le désert. 



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CHAPITRE IV. 



« Les villages fondent partout et viennent h 
rien... On abandonne les campagnes pour se reti- 
rer dans les vilks. » {Ârgensony sept. 1732; 
I, 145, édit. 1859). 

Mot d'un mécontent, d'un frondeur, dtra-t-on. 
Villars, un de nos gouvernants, et membre du 
Conseil, dit justement la même chose (p. 359, 
édit. 1859). 

Que veut dire ici Sismondi en affirmant sans 
preuves : que le travail reprit, que, par la mor- 
talité même, le travailleur plus rare fut mieux 
payé, etc.? Pure hypothèse. Pas un fait à l'appui 
dans les écrits contemporains. 

Pour les campagnes , c'est absolument faux. 



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{\-m-nw) _ 60 — 

Pour les villeSj peu exact encore. Les ouvriei-s de 
luxe, qui sont toujours un petit nombre, travaillè- 
rent pour les enrichis, décorèrent dans un goût 
charmant les splendides hôtels des Fermiers gé- 
néraux. Hors de là, nul appel à la production. 
Les cinq cent mille familles qui à Paris ont subi 
le Visa, l'autre demï-million qui en province eut 
même ruine , tous ces gens ruinés ont-ils pu 
réparer si vile pour encourager l'industrie ? 
Et le gouvernement agit bien moins encore. La 
France sous Fleury offre ce spectacle curieux d'un 
grand État inerte, qui, loin d'édifier, n'achève 
rien, ne répare plus, ne met plus une pierre à la 
muraille ruinée, pas une planche aux vaisseaux 
de guerre ; nul souvenir des ports, arsenaux, ci- 
tadelles. Nul travail. Un vaste silence. 

Une chose peut tromper , c'est que les villes , 
énormément grossies sous le Système, loin de di- 
minuer, continuent d'engouffrer la i'oule. Et pour- 
quoi s'^ réfugie-t-on? Le village est inhabitable. La 
ville, un abime inconnu, est (vue de loin) une lo- 
terie^ là peut-être on aura des chances, tout au 
moins ia misère plus libre; l'atome inaperçu se 
perdra dans la mer humaine. 

Fleury, fort judicieusement, avait mis les finan- 
ces aux mains d'un ignorant dévot. Son contrôleur 
Desforts (qui même ne savait pas compter, comme 
le montra sa loterie de 1729), fit un traité de 

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— 61 — (1787-1729) 

dupe avec les Receveurs et Fermiers généraux. 
11 ne savait pas que (par l'ordre qu'établit Duver- 
ney) la Ferme valait deux fois plus; il fut ravi 
d'une légère augmentation. contentait Fleury 
par des économies de deux, de trois -cents livres, 
et il lâcha la France aux Fermiers généraux pour 
y fourrager par millions. Ce que Louis XIV, en 
guerre contre l'Europe , était obligé de souffrir, 
on le vit en pleine paix pendant le dix-huitième 
siècle. La Ferme continua d'avoir sur le pays une 
armée de commis, d'huissiers, de recors et d'ar- 
chers. 

Avec leur bail fort coiul, de cinq années, un 
ministre un peu ferme eût pu fort aisément les 
tenir d^ndants. Avec la Cour des Aides qui 
jugeait en dernier ressort, il pouvait faire pour- 
suivre et punir les abus, faire constamment sentir 
aux Fermiers la main de l'Ëtat. Mais rien de tout 
cela. CedousD gouvernement laissa aller les choses. 
Chaque perception fut une guerre, la guerre au 
Set, la guerre au Vin, etc. Les acheteurs du Sel 
sont comptés et forcés, marques à sept livres 
chacun (sans les salaisons , douze en tout). Qui 
n'achète, à l'amende I Qui ne paye, aux galères I 

Des provinces soumises à la Ferme la conta- 
gion fiscale gagnait les provinces voisines (Boisg. 
Détail). Des pauvres insolvables la pauvreté ga- 
giuiit \e& gens aisés qui payaient à leur place et 

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(m7-ns9) _ 62 _ 

devenaient pauvres à leur tour. Celle cruelle soli- 
darilé fit ftiir les champs, courir aux villes. Paris 
devint un monstre. On disait (au hasard) qu'il 
contenait 800, 1,200, 1,500 mille âmes ! Tristes 
âmes vivant pauvrement, plutôt mourant de faim. 
Paris , serré ^lar la défense insensée qu'on fit 
de bâtir au dehors, vomissait le trop-'plein dans 
un camp mis^ble, un Paris de toile et de plan- 
ches, de pisé et de boue qui couvrait la banlieue. 
La ville, cependant, étranglée, croissait en hau- 
teur. A cinq, six, sept et huit étages, montaient 
les combles et les mansardes, mal fermés au 
vent, à la pluie. Celle-ci , distillant le long des 
murs verdâtres , de plomb en plomb , par les 
carrés fétides , faisait des noirs étages infé> 
rieurs de véritables puits. Qui dira l'horreur 
des soupentes où l'on couchait les apprentis? 
La boutique, antre humide où tout suintait, 
présentait au comptoir , fixée et sédentaire , la 
femme pâle des tableaux de Chardin, dans sa 
robe de toile, le dos contre ce mur mouillé. 
Faible , très-faible nourriture. Deux dioses ont 
serré sa ceinture , l'octroi croissaut et la rente 
réduite. Petits marchands, petits bourgeois, à 
force de sobriété, ils avaient un peu épai^né. 
Et c'est su* cette épai^ne que les Ordonnances 
ont frappé. C'est de Fleury qu'ils ont le coup de 
grâce. En réduisant certains impôts qui ne 

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_ 6S — (1121-1729) 

rapportaient guère, il achève, il assomme le ren- 
tier (c'est-à-dire Paris). 

La misère morale n'est pas moindre. Le grand 
Roi éblouit. Le Régent amusa, leurra de vain 
espoir. Ici ni espoir ni pensée. Un gouvernement 
platj triste, enmiyeux, oii le jour vide et long dit 
Rien, — et le jour suivant Rien, — aussi mono- 
tone que la pluie dans la maussade petite cour. 
Qu'en cet ennui, ce vide et celte mort, une étin- 
celle ait lui, — qu'en cet entr'acte misérable où 
tout est snspendu, oîi la pensée du siècle n'appa- 
raît pas encore, — il y ait eu un mouvement, ce 
fut à coup sûr un bienfait. Il serait dur, injuste, 
de le méconnaître et le mépriser. 

Il faut noter d'abord d'après les dates une 
chose trop peu remarquée. La fièvre de supersti- 
tion qui gâta bientôt tout cela n'en est pas le 
point de départ. Ce fut un mouvement de jus- 
tice , de raison indignée , de conscience , une 
réaction de liberté, qui donna le premier élan. 

La persécution commença (1727), l'indignation 
suivit. Au fanatisme faux elle en opposa un sin- 
cère (1728), qui s'exaltant devint délire, folie 
(1729), et plus tard folie dépravée. 

Ce pauvre peuple ne bougeait pas du tout. 
Personne n'avait envie de guerre. Mais les ultra- 
montains avaient intérêt à la faire, à exploiter 
leur rare avantage (un cardinal roi). Du plus 

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ii7ai-n28| _ 64 _ 

haut au p]us bas, ils avaient le gouvernement, 
les moyens de la tyrannie. Elle s'organisa par 
trois hommes sans foi et sans opinion. — Hé- 
rault, le lieutenant de police, leur fit un livre 
universel qui comprit la population, nota cha- 
cun, et le mit à su classe, ou bon, ou neutre, 
ou appelant. Les neutres mêmes étaient suspects. 
— Les appelants, livrés à la Justice, la trouvèrent 
âpre, active, dans Chauvelin, nouveau Garde des 
sceaux, homme de grande porlée, mais Irès-fauz, 
au fond parlementaire , qui conquit sa grandeur en 
écrasant le parlement. — Désignés par Hérault, 
atteints par Chauvelin, les victimes tombaient an 
geôlier, au fils de la Vrillière, S. Florentin, mi- 
nistre des prisons. Ils y tombaient souvent pour 
l'oubli éternel. Deux fois on y entre en ce siè- 
cle, et deux fois on y trouve des prisonniers 
tellement oubliés, qu'on ne peut savoir même 
pourquoi ils furent mis là dedans. 

Voilà la mécanique. Quels sont ceux qui vont 
en jouer ? Sauf Bissy (un bigot étroit, dur et sin- 
cère), tous avaient droit de figurei* en Grève. — 
Le centre était Tencin, et le fameux salon où 
maritalement il figurait près de sa sœur; lupa- 
nar de l'agiotage, que tous avaient sali, que la 
Fresnaye inonda de son sang. — Lafiteau, le 
fripon, que Dubois, pour punir ses vols, dé- 
porta, fit évêque dans un méchant coin de Pro- 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 6i) — ^1127-1720) 

veiice. — Les mœurs ni Iramou laines écialaienl 
dans Rohan, cardinal femme, fier de la peau des 
rousses qu'il tenait de sa mère Soubise, impu- 
demment coquet, étalant sa beauté dans ses bains 
italiens. Encore plus celte école marquait en 
deux mâles effrénés, les évêques de Laon et de 
Soissons, deux échappés de Des Ghauffours. 

Avec de tels Pères de l'Église, la Terreur s'es- 
saya, d'abord dans un coin de la France. Ten- 
cin, arcbevêque d'Embrun, fait chez lui un Con- 
cile, « ordonné par le Roi, » et par précaution le 
Roi « défend aux Pères de sortir de la ville sans 
sa permission. » Les évêques une fois enfermés 
là, on leur livre un des leurs, un évêqne de quatre- 
vingts ans, le vénérable Soanen. Sans l'écouter, 
on le condanme, on l'aile en Auvei^ne, aux 
froides montagnes, oiî il meurt. Gela s'appela 
le Brigandage d'Embnm (1727). 

Le second meurtre est celui de Noailles, vieil 
archevêque de Paris. 11 avait réclamé contre Em- 
brun avec douze évêques. On l'obsède, et il se 
rétracle. Puis, il revient à lui, il rétracle sa ré- 
Iractation. Enfin dans ce vertige du flux et du 
reflux, ballotté, batlu, imbécile, il adopte la Bulle 
et meurt. Le siège de Paris passe aux mains d'un 
des plus forts mangeurs de France. 

Toute autre est la voie janséniste, très-digne 
de rt'spect. Moderne à son insu, en invoquant la 

Kl. t> 

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(im-nsB) _ 66 — 

Grâce, le vieux dogme de saint Augustin, elle est 

pourtant l'essai des libertés nouvelles, l'appeï à 

laconsdmce. 

La dureté et le petit esprit qu'ils montrèrent 
trop souvent ne peuvent faire oublier cela. 
Plusieurs furent de vrais saints. L'un d'eus , 
l'évêque Vialart , fut opposé aux Dragonnades. 
Leur diacre, le bienheureux Paris, un pauvre 
homme, était doux, humain, de charité sans 
bornes, laborieux, vivant de son travail. Notez 
qu'avant sa vie mystique, il avait accompli tous les 
devoirs de l'honnête homme, fils soumis et obéis- 
sant, frère admirableyjui ne se retira qu'après avoir 
marié, établi son cadet, etc. Jeûnant trop (pour 
donner aux pauvres), il devint plus qu'à demi 
fou. Il avait pour sa thébaïde une loge de plan- 
ches dans une cour humide du quartier Saint- 
Marceau, oii jeune encore il mourut de misère 
(1" mai 1727). 

Dès l'été, des malades vinrent se traîner sur 
son tombeau. Tels guérirent par leur foi, l'excès 
de leur émotion, mais guérirent de la vie, mou- 
rurent. Un simple monument, table de marbre 
noir, à un pied de terre, fut dressé avec autori- 
sation de Noaiiles parle frère, M. Paris, conseiller 
au Parlement. On se glissait sous cette table, 
jKiur prendre de plus près la vertu de la terre, 
ou on en avalait un peu. Les malades (femmes ou 

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— 6ï — iim-1129) 

demoiselles pour la plupart), de plus en plus 
émues, exallées, et trop faibles pour y garder leur 
lêle, y eurent des crises de nerfs, des accès hys- 
tériques, se crurent guéries au moment même. 
Mais tout cela n'arriva au délire que plus lard , 
lorsqu'on leur prit leurs prêtres , lorsque ces 
pauvres créatures furent effarées et folles de la 
cruelle persécution. 

On ne peut lire sans intérêt le livre étrange de 
Carré de Montgeron : Vérité des miracles du 
bienheureux Paris. Il est fort instructif. L'his- 
torien et le médecin y trouvent le précieux ta- 
bleau, exact et véridique, des misères et des 
maux d'alors. Pour les guérisons, les miracles, 
ce sont les mieux prouvés qui furent jamais. 
Sincérité parfaite, nombreux témoins, oculaires 
et honnêtes, sérieux examen des savants, rien 
n'y manque. Maître dans tant de choses, le dix- 
huitième siècle est le maître en miracles. Il ob- 
serve, analyse, de manière à nous faire conclure 
que ces faits très-c&'tains sont, non au-dessus de 
la nature, mais de nature jusque-là peu connue 
[qu'on dirait aujourd'hui magnétique ou som- 
nambulique). 

Ces guérisons, la plupart, sont fort simples. La 
créature qui vit dans l'ombre des petites rues, de- 
mi-percluse, enflée, fiévreuse, ses amies l'entraî- 
nentau voyage lointain de Saint-Médard, près le 

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inai-iTM) _ es _ 

Jardin du Roi. Supiême eiforl. \ an'iveta-l-elle? 
Impossible. El cela se fait. Que dis-je?Ëi]e en fait la 
neuvaine. L'effort même, l'air et le soleil, lui ravi- 
vent lacirculalion. Ajoutez-y la vive émotion de voir 
ce lieu, la sainte tombe, les gens déjà guéris, et la 
joie de ce peuple, cette compassion mutuelle, et 
ces larmes de fraternité'!... Elle est guérie, ne 
sent plus rien. Pour longtemps? Non, peut-être. 
Mais ce touchant spectacle sera le bonheur de ses 
jours. Le soleil qu'elle vit sur celle foule, et sur 
ce marbre noir, il la suivra partout. Son soleil, 
elle Ta maintenant, son église. Qu'on lui ferme 
l'église, que ses prêtres enlevés lui manquent, 
en ce besoin, elle serait son prêtre elle-même. 
Contre l'autorité, elle aurait la voii intérieure. 
La voix, dirons-nous de la Grâce ? ou la voix de 
la Liberté? 

Peu apLcs ces miracles commence un vrai mi- 
racle (23 février 1728), la mystérieuse publica- 
tion des NouveUes ecdésiastùpies , journal insai- 
sissable qu'on poursuit en vain soixante ans. 
Miracle de courage, de discrétion, de probité. 



' Scène atlendriesantc, et nullement ridicule, dans les belles gra- 
vures dn livre deMontgeron. Le portrait de Paris, qu'on voit en tèle, 
est admirable de vérité. Ignoble vérité, mais douloureuse, qui inspiru 
le dégoût, et bioD plus la pititj. Les légeDdes de guérisons sont tm- 
intéressantes. Toutes ces créatures iimocentes et crédules, niuludes la 
plupart à force du vertus, touclient infiniment. Pauvre, paui'e peuple 
do Frauce ! 



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— 69 — (1731-1729) 

Sous l'œil de la Police, ce journal s'écrit et s'im- 
prime, se distribue dans loul Parts, et jusqu'à la 
Révolution (1790). Pas un traître en soixante ans. 
Rien de plus honorable, rein ne prouve mieux que 
c'était le parti des honnêtes gens. ,0n dit qu'un 
vieux prêtre intrépide, Jacques Fontaine de Ro- 
che, osa le commencer. Où l'imprimai t-il ? On 
ne sait. Dana un bateau? On le suppose. Un sys- 
tème très-ingénieux de distribution fut trouvé, et 
il a été le modèle de maintes sociétés secrètes. 
Celle-ci était si Hardie, si sûre d'elle, que dans la 
voiture même du lieutenant de Police elle faisait 
jeter le journal poursuivi. 

La connivence générale de Paris (Barbier, 54) 
aidait beaucoup sans doute. C'est l'instinct na- 
turel ; sans bien savoir la question, on se sentait 
pour les persécutés. Cela gagna. L'esprit d'oppo- 
sition s'étendit par le Jansénisme, et par la 
Franc-Maçonnerie , qui d'Angleterre se répandit 
bientôt '. Ces ruisseaux devinrent fleuves, et, le 
torrent philosophique s'y joignant, ce fut une 
mer. Rien moins que la Révolution. Les Nmi- 
veUes ecdésiasliques cessent en 90. En 91 ouvre 

'J'en trouve la première mention en 1735 (Léraontey, II, 390). 
Voir aussi : Les loupers de Daphné et les dortoirs de Lacédémone. 
(Brochure écrile en 1753.) Les dames y obsèdent leurs maris el leurs 
amants pour qu'ils leur révèlent les mystËres de la Franc-Maçonnerie. 
— Le journal de M. de lujnes parle un peu plus lard des Freemas- 
sons. 1757. 

D,=,i,z..f, Google 



(n27-Ha9) _ 70 — 

le Club des Jacobins. Ceux-ci dans leur biblio- 
thèque n'avaient nul ornement que la pancarte 
où l'ingénieux mécanisme de la distribution du 
journal janséniste était représenté. 

Le jansénisme seul était un grand parti, une 
armée qui comptait des nuances très-différentes. 
Bien loin des exaltés de Saint-Médard étaient nos 
honnêtes universitaires, les recteurs, Vittementle 
désintéressé ; Coffin qui créa l'instruction gra- 
tuite ; Rollin dont le nom seul est un complet 
él<^e. Ajoutons-y les maîtres et professeurs de 
l'auslère maison de Sainte-Barbe', une solide fa- 
brique d'hommes, qui, contre la maison équivo- 
que de Lonis le Grand et ses ragoûts douteux, 
donnait le pain des forts. De là sortaient des ca- 
ractères, de sérieux esprits, pour le barreau et la 
jurisprudence, jansénistes, mais fort largement, 
comme Marais, notre bon chroniqueur. De là aussi 
ces docteurs de Sorbonne qui, et contre la persé- 
cution et contre le courant du siècle, fermement 
s'efforçaient de garder le gallicanisme. Cinquante 
^u%nt le courage de protester pour Soanen, l'hon- 

* Un espiit dee plus fermes du temps et des plus lumineui, 
H.Jules Quicberat, dont les cours ont fondé la vraie critiquedes arts du 
ilojen ïge, n'a pas craint de deecendre i l'bistoire d'un collège. Rare 
exemple aujourd'hui. 11 a Eait un chef-il'iMiire. Ce livre, spécial en ap- 
parence, est d'iolérèt tris-général; c'est l'histoire des méthodes, sou- 
vent l'histoire de* mœurs, celle de l'honnête résistance qui, par l'eaisei- 
^ement , maintint chez nous la dignité modeste , la pureté des 
caractères. 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 71 — (llM-il») 

neuf d'être enlevés, de penpier les plus dures 
prisons, l'élouffement brûlant du château dlf, la 
froide horreur de Saint-Michel on Grève, glacé de 
ses vents étemels. 

Ces duretés exaltèrent, lancèrent le fanatisme. 
Eu fermant son théâtre, lepetitcinietière (1752), 
lui ôtant le grand jour, on te jeta dans l'ombre 
infiniment plus dangereuse. Ces créatures ma- 
lades, qui en public avaient des attaques hysté- 
riques et des convulsions, dans les sera^ts abris 
qu'on les obligea de chercher, suivirent la pente 
naturelle d'une religion de la douleur où l'inno- 
cent expie pour le coupable. Phis Versailles se 
souilla, plus ces martyrs aveugles cherchèrent 
des pénitences. Aux iacestes persévérants et so- 
lennels de Louis XV répondirent les cruciriemeuls 
des pauvres filles jansénistes. Par de cruels sup- 
plices , acceptés , implorés , elles appelaient la 
Grâce, détournaient le courroux de Dieu. 

Les chrétiens ignorants qui ne connaissent pas 
l'histoire des temps chrétiens, et pas davantage 
leur dogme, ont dit que ces fureurs, la faim et 
la soif des souffrances, étaient perversion, dévia- 
tion du vrai christianisme. A tort. Qu'ils lisent 
donc les l^endes. Tous les saints leur diront que 
la douleur, que l'amour de la mort ^ en est l'es- 
prit et la vraie voie. 

Si des fourbes, des intrigants , plus tard se 

;!,a,l,zc.bv Google 



(1737-1729) — 72 — 

mêlent aux jansénistes, on n'en doit pas moins 
dire qu'en masse ils furent de vrais chrétiens. 
El malheureusement ils en avaient l'intolérance. 
Sous le Régent (1721), d'Aguesseau, faible jansé- 
niste, gronde les intendants qui ne répriment pas 
les protestants. Un très-honnête évêque, un jan- 
séoiste au&tère, Golbert, qui quarante ans durant 
résista aux ultramonlains, n'en est pas moins 
hostile aux réformés, ennemi acharné et violent 
du a lolérantisme » (Corbière, 548). 

Comment ces jansénistes ne sont-ils pas tou- 
chés du surprenant spectacle que donnent alors 
nos protestants? 

Le formalisme de Genève , ayant tué l'es- 
prit de prophétie et l'élan des Gévennes, dans 
un parfait esprit de paciSque obéissance, An- 
toine Court restaura nos églises. La loi féroce 
qui pendait les pasteurs n'arrêta rien. Un sémi- 
naire fut formé à Lausanne pour fournir des vic- 
times aux dragons et aux juges. Étrange école de 
la mort, qui, défendant l'exaltation, dans un mo- 
deste prosaïsme, sans se lasser, envoyait des mar- 
tyrs et alimentait l'échafaud. En lisant ces lé- 
gendes trop vraies', on est saisi d'élonnement et 



* Il Taut In tire chm HM. Coqoeral, Peyrat, Hoag {France protest.), 
Head [Bulletin, etc.). Pour la circûnstance si grave, m propre i user 
l'tme, de l'iiiuende levée jour par jour, je l'ai lrouTt'>e ilan^ l'eicellenle 
histoire de H. Cort)i&re, Église de Montpellier. 



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— 75 — (i-m-iîaii) 

de douleur. Il y a là cent romans admirables dans 
la vie du pasteur errant (Court, Roussel, D^a- 
bas , Rabaud , etc.) Le jeune homme s'en va 
de Lausanne, laissant sa jeune épouse (ohl les 
filles héroïques qui épousent ainsi le veuvage], 
pour vivre désormais sous le ciel, de roc en roc, 
toujours fuyant, caché. Ni feu, ni toit, la vie de 
la bête sauvage I Le plus fort, c'est qu'ils gardent 
un grand esprit de paix, empêchant les révoltes 
et sauvant qui les assassine I 

Avec cela, quelque touché qu'on soit, on est 
tenté pourtant de faire avec respect une de- 
mande. 

Des longues servitudes des Juifs, leurs livres 
ont suigi, des chants parfois sublimes. Gomment 
n'est-il sorti rien de tel de nos martyrs du Lan- 
guedoc ? 

Dure questionl Et en la faisant, je me la repro- 
chais. Elle me restait presque à la gorge. L'his- 
toire inexorable est ma maîtresse pourtant, ei elle 
veut ici que je parle. 

Ce qui a ou séché ou faussé les esprits, là et 
ailleurs, c'est l'imitation de la Bible, la lourde 
servitude d'un livre appris par cœur, et si loin de 
nos mœurs. Deuxièmement, l'effort contradic- 
toire de l'école anti-prophétique, étouffant aux 
Cévennes l'esprit de la contrée, dnl stériliser nos 
martyrs. Un problème insoluble leur*fut posé par 

Douze, bv Google 



{il-n-iTiS) _ 74 — 

eséwles officielles, d'obéir n'obéissant pas, de 
reculer en avançant, d'employer la moiliéde leur 
force à contenir l'autre. Bizarre effort où la con- 
ception, l'engendrement ne se fera jamais. 

Ils ont droit de répondre qu'en cela ils furent 
vrais chrétiens. Au chrétien résolu qui va jus- 
qu'au bout *de son d(^me (méthodiste , piétiste^ 
janséniste, n'importe), quel est le fonds du fonds ? 
c'est l'incessant suicide, la mort du moi, de sa 
nature, et non-seulement de ses vices, mais de 
ses puissances même, l'estinction du propre 
genim. 

Suicide aidé parfaitement par le genre de per- 
sécution employé sons Fieury. Les exécutions 
exaltaient ; chaque ministre mis à mort faisait 
Faire une complainte. Mais les honteuses vexations 
de la famille, les secrètes misères de la femme 
obsédée (1724-4730), abattaient, énervaient l'es- 
prit. Le système d'amendes incessantes qui fut 
établi en 4728, fut dans les contrées pauvres, 
chez le paysan si serré , une tentation conti- 
nuelle de faiblesse. « La paroisse oii une assem- 
blée avait eu lieu, dut payer cinq cents livres. » 
Somme trop faible, dit Fieury, qui l'a^ava. La 
famille, de plus, qui n'envoie pas son enlant au 
curé , doit payer tant d'amende. Amende qui 
n'est plus, comme autrefois, levée par an, mais 
levée chiupte Tmns. Rien de plus propre à user 

Douze. bvGoOgIf 



— 75 — i\m llM; 

l'âme, à tenir inquiet et chagrin le travailleur 
nécessiteux. Toujours, toujours payer, ne penser 
qu'à cela ! Misérable existence, dure, sèche et 
contractée, calculée à merveille pour l'amaigris- 
sement de l'esprit. 

Si nos protestants demeurèrent une élite en 
beaucoup de sens, ils le durent à leurs échappées 
hardies dans le désert, à l'austère poésie des bap- 
têmes et des mariages accomplis sous le ciel, et 
contre lesquels les évêques en vinrent, comme on 
verra, à, appeler l'épée, le gouvernement mili- 
taire (1758). 

Cruel combat. Mais la jeune étincelle qui de- 
vait recréer le monde ne pouvait sortir de cela. 
Des protestants, des jansénistes, maigre tant de 
vertus, d'efforts, de ces derniers chrétiens , ne 
pouvait nous venir notre émancipation à l'égard 
du christianisme. Il y fallait l'esprit décidément 
contraire, que le temps souveiain amenait invin- 
ciblement. 



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CHAPITRE V. 



Vidlaire. ~ H'" Lecouvreur. - 



Voltaire dit qu'il resta près de deux ans en 
Angleterre (de mat en mai, ou à peu près, 1726- 
1728). Déjà célèbre ici, il se trouva là-bas 
absolument |>erdu. H n'y eut que déceptions. 
I) y apportait 20,000 livres en un billet qui 
ne fut pas payé. La protection de Bolingbroke, 
sur laquelle il comptait, ne pouvait que lui 
nuire, dans la lutte impuissante que l'illustre 
étourdi soutenait par la presse contre l'adroit 
Walpole, heureux et triomphant ministre qui ré- 
pondit à tout par des succès. Voltaire fut trop 
heureux d'accepter un abri que lui offrit gé- 
néreusement un marchand, M. Falkener, dans la 
fort triste solitude de la campagne de Londres. 

Douze. bvGoogle 



— 77 — fnsM-nrfli 

I! espérait sortir de celle position ennuyeuse par 
l'cclal de sa Henriade, qu'il édita avec luxe el 
dépeuse. Mais pourquoi les Anglais auraient-ils 
accueilli un poëme où le héros finit par se faire 
catholique ? On sait d'ailleurs combien ce pays, 
en réalité, est fermé aux littératures étrangères. 
U Henriade inaperçue ne valut à l'auteur que 
quelques guinées de la reine '. 

Grand contraste avec l'accueil que trouva Mon- 
lesquieu en 1729. Amené par lord Gheslerfield 
dans son propre yacht, caressé des Walpole, 
comblé par la savante reine, conduit par les 
lords aux deux Chambres, il vit tout })ar leurs 
yeux, jugea, admira tout sur leur parole, revint 
demi-Ai^lais, n'ayant vi&ii aperçu du fond réel 
des mœurs, el formulant de confiance le très-faux 
idéal de ce gouvernement qu'il donna dans PEsprit 
des lois. 

Grand bonheur pour Voltaire de n'être ainsi 
gâté, mais négligé plutôt. Il garda son bon sens. 



■ H. NicoUrdot établit cela pariaitement contre l'epinioD c 
Ménage et finances de VoUaire, p. 5b. Cet ennemi acharné de Voltaire, 
qui accueille contre lui tous lee libelles du lempis, a pourtant éclairci 
fort bien certaiiia points de détail. Chose curieuse : ï la fin de ce gros 
livre si hostile, ii donne saos s'en apercevoir ce qui justifie te mieux 
Voltaire, ce qui explique et fait excuser ses bizarreries : la situation mo- 
bile, précaire, où il vécut, la misérable incertitudK où il était du len- 
demain, entre la Bastille et l'exil, les innombrables pseudonymes qu'il 
élait obligé de prendre, les terreurs de ses libraires, la lâcheté des cri- 
tiques qui tous se mettaient contre lui. fiicolaràol, p. 335-547. 



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((728-1150 - 78 — 

Il vit peu, mais vil bien. Il vil d'abord les hauls 
côlés de rAngleterre, qui sonl bien moins anglais 
qu^hummm ; il vit Newton, Shakespeare, Il était 
depuis quelques mois en Angleterre lorsque New- 
ton mourut et qu'on fil, avec de prodigieux bon- 
neui-s , son triomphant œnvoi à Westminster 
Rien de plus grand, rien qui glorifiât davantage la 
sagesse anglaise. Il ta sentait partout dans la di- 
gnité libre des mœurs, des babiludes, la tolérance 
limitée (mais plus grande que partout ailleurs), la 
raisonnable estime du travail, de ractivité. L'hôte 
de Voltaire, Falkener, simple marchand de Lon- 
dres, fut ambassadeur en Turquie. 

Il sentait tout cela, et n'en était pas aveuglé. 
Quelques pages datées de 1727 montrent combien 
ses impressions étaient nettes et pour le bien et 
le mal. Il entrevit fort bien les contradictions dis- 
cordantes qui frappenten ce grand peuple. Que 
doit-il aux déistes anglais ? Au fond, moins qu'on 
ne dit. Il relève bien plus de nos libres penseurs 
du dix-septième siècle, de la tradition des Gas- 
sendistes, Bernier, Molière, Hesnault, Boulainvii- 
liers, etc. 

Il resta tout FVançais, et ne pouvait vivre qu'en 
France. Il devait rentrer à tout prix. On ne sait qui 
il employa. Il fallait réussir auprès du petit Maure- 
pas, alors ministre île Paris, un athée valet des jé- 
suites, qui souvent fit semblant de protéger Vol- 

L ,l,z<..t,C00gIf 



— 79 — (1728-1730) 

taire, l'aimant peu, l'enviant, le sentant supérieur 
dans son propre genre Maurepas (la satire, l'épi- 
gramme). Il le laissa rentrer en France, non à 
Paris. Du moins la première lois que nous aperce- 
vons Voltaire, c'est chez un perruquier de Saint- 
Germain en Laye, où très-probablement il reste un 
an, caché ou à peu près. Pendant tout ce temps, 
rien de lui. Pas une œuvre. A peine une lettre. Ce 
grand silence indique à quelles dures conditions 
il élail rentré. La Henriade même, revenant d'An- 
gleterre, ne fut que tolérée. Et quarante ans du- 
rant elle ne fut vendue qu'en gardant son titre de 
Londres. 

Dans quelle situation est alors la littérature? 
dans un funeste entr'acte qui ne dure guère 
moins de douze ans '. Elle est alors plus que 
stérile; elle semble détournée de son but. Elle 
évite et semble oublier U^rande, la profonde 

' Ce temps de réaction, de décenr-e. esl caractérisé par le sacrifice 
et la luort de la pauvre A'issé. Fidèle esclaTe de son indigne maître, 
jiuqu'â 83 mort en 1723, fidèle encore à la non ninns indigne Férîol 
(sœur de la Tencîn). elle a faibli en 1724 de pure recnnnaiasance et 
pour récompenser celui qui Tnima toute sa vie. Hais sa noble nature lui 
liiit craindre de l'épouser ; elle ne se croit pas assez pure, elle craindrait 
de le faire baisser, dan ce retour aux bonnes mœurs. Les grandes 
dames la troublent, aggravent sea scrupules. Elle languit, elle meurt de 
ce cMnbat. Elle refuse jusqu'au bout le bonbeur. Et elle fait deux in- 
fortunés. A.h ! quelle fia pathétii(ue, et qu'on en veut à ces prudes qui 
l'ont tuée! Rien, rien de plus louchant que la terreur du chevalier, en 
la «ojanl ver» sa fin, la cour bumble, tremblanle qu'il fait ï tout ce uni 
l'entoure, mémo aux animaux domestiques, i lavache qui donne du lait 
à h malade. Cela arrache les larmes. 

Douze, bv Google 



UTiH-W^ii) — 8(1 — 

(juetiliuu où est la destinée du siècle, la quei>tioii 
religieuse, posée dans les Lettres persanes avec 
tanl de force et d'éclat. Lui-même, le héros, le 
prophète Montesquieu a peur de lui-même. 11 re- 
devient m. le président de Montesquieu. 11 rentre 
dans la société, au monde des honnête geus. 11 
rélracle ses Lettres pour être de l'Académie, les 
offre à Flcury corrigées (1728). 

Celui-ci n'en voulait pas plus. Uue littérature 
amortie et faussée vaut mieux que le silence pour 
un pareil gouvernement. Fleury trouvait fort bon 
que le café Procope, sous l'aveugle La Motte, traî- 
nât le débat éternel entre les Anciens et les Moder- 
nes. Il trouvait même bon que la petite réunion de 
l'Entresol, tenue par l'abbé Alary, jasât un peu des 
affaires de l'Europe, des rêves de l'abbé de Saint- 
Pierre. Utopies sociales qui s'écartent toujoui'sdu 
grand nœud social, de l'intime question où se re- 
lient les autres. Fleury s'en amusait, recevait vo- 
lontiers le rapport qu'Alary lui en faisait chaque 
semaine (D'Ai^enson). Tolérance admirable. Mais 
toute pepsée vraiment hbre avait été frappée, dé- 
couragée. Le grand critique Fréret, ayant touché 
l'histoire de France, avait tâté de la Bastille. U 
se le tint pour dit, s'écarta au plus loin, dans la 
chronol(^ie chinoise, etc. En 1728, l'essor du 
jansénisme aigrit cruellement la Police. Contre 
la librairie, l'imprimerie, elle s'arma d'une atroce 

Douze. bvGoogle 



— 8t — (I7as.!73l)) 

orduniiaitce. Pour une page non autorisée, .con- 
fiscation, carcan, galères ! 

Vollaii'e, à Saint-Germain, se trouva solitaire 
plus que dans la campagne anglaise, ne pou- 
vant publier, muet. Cette année 1728 de grand 
silence (unique dans sa vie) iui profita beau- 
coup. Ce qui jusque-là le tenait inférieur, lé- 
ger, faible, c'était la vie du monde, le besoin 
des petits succès, là il rentra en lui, et il fît 
pour lui-même (sans espoir d'imprimer) une 
chose tout à fait libre et forte, sa critique des 
Pensées de Pascal. Une note de lui nous dît 
qu'elle est de cette année. Il n'a fait rien de plus 
vif, rien qui aille plus droit au but. U ne s'a- 
muse pas, comme il fît trop ailleurs, à jouer 
tout autour de la grande question, à critiquer 
les accessoires. Sans jaser, ricaner, — sérieuse- 
ment, d'une pince d'acier et d'une invincible 
tenaille, — il serre à la racine l'arbre qui nous 
lient dans son ombre. 

Quand on voit avec quelle faiblesse la plupart 
des critiques se sont approchés de Pascal ', quel 



' J'en excepte un, H. HaTel, s|)ëcialcineat dans sa durnière édition, 
iidmîrabtetranùl.fortetdëâmtif {Commentaire, tilc.,ii6è). Wt.tjoa- 
sio et depaugère araitint resliliié le teite (1K45-1S44). H, Sainte- 
Beuve avait marqué d'ime maio fine et sûre la place de Pascal dane 
Port-Royal et dans le siècle. Ces illustres critiques regardent pourtant 
du deiiors. Et Bavet a vu du dedans. Comment wU? H tieot de non au- 
teur; il a à coeur ces qi'estiocs. il s'inquiète sérieuseraeitt de ces bniti» 



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tms-iTSii) — «- - 

limide respect, on sait gré à Vollaîrc de sou terme 
bon sens, si simple, et si lucide. Sa familiarité 
hardie (noble ici, point cynique) est d'un homme, 
d'au esprit vraiment libre, qui ne s'étonne jMjint 
devant l'insolente éloquence, ne respecte que la 
raison. Il est ferme et point dur. Son petit livre 
(grand de sens et d'effet) se résume en trois mots, 
simples réponses à Pascal : 

« L'homme est une énigme. » Non. On le com- 
[wend très-bien dans l'ensemble dont il fait partie. 
Mais quand il serait une énigme, ce n'est pas en 
tout cas par l'inexplicable qu'on t'expliquera. — 
Il est déplacé f dégradé. Non. Il est à sa place 
dans la nature. — Il naît injuste. Non. Et il n'est 
pas justifié ^v l'arbitraire injuste, par la faveur, 
la Grâce. 

« Esiril hmrem'i » Question plus diflicile. Là 
sans doute Pascal avait chance d'embarrasser Vol- 
taire, de faire tremblei' sa plume. Cette année était 
sombre. Sa ^>auvreté et son mutisme Tattrislaient 
fort. De la cbambrelte du perruquier de Sainl- 



^roblùiiics lie lï vie liuuiaine. (Ju'it coiuiueDte ou discute, on imot bieu 
qu'il le t'ail pour lui-mâme plus que pour le pidtlic. Rien qu'en lisant ce 
conunentaii'e, sans l'avoir tu, on le peindrait, avec sa jeune austérité, 
cette 3pro et virginale candeur, uetle exigence ardenle de lumière et 
de justice. Il et\ intéressant de voir un esprit qui procède surtout de 
antiquité et du siècle de Louis XIV, hors de la mêlée d'aujourdlmi, 
par l'elTet seul du progrès intérieur, et de »a force solitaire, marcher 
•iaas réuiaiidpatioii. 



bv Google 



~ 8S — (iï3»-n3«) 

Germain il dit à Thieriot : « Ma misère m'aigrit. 
et me rend farouche. » Une lettre très-mâle, de 
son anglais Falkener', contribua à le raffermir, à 
lui faire croire que l'on peut être heureux, el que 
même la plupart le sont. S'élevant au-dessus de 
sa situation, il dit fortement à Pascal qui entre en 
désespoir de la misère de l'homme : « Vous wu*, 
trompez, l'homme est heureux. » 

Mais si le bonheur pour chaque être est de 
suivre sa destination, quelle est vraiment celle de 
l'homme? Que répondra Voltaire? On croirait 
volontiers, d'après ses vanteries d'épicuréisme, 
qu'il va répondre : le piUmir. Non. Notre bul, 
« c'est Vaetion. » 

« L'homme est né pour l'action, comme le feu 
tend en haut, la pierre en bas. N'être point 
occupé, ou ne pas exister, c'est même chose. » 
(T.XXXVIl, p.57, n'aS). 

Mol grave, et d'autant plus que la vie entière 
de l'auteur en est la traduction. Jamais pareille 
activité. Et ce travail immense, il sut le soutenir 



' «En IJBaiituutte réfleiiui, je reçois uiiu leltru d'uu ikmes amis qui 
demeore ditu un pays fort éloigné. ■ Je suis ici comme tous m'avez 
luué, Di plus gai. ni plus Iriste, ni plus riche, ni plus paurre, joui»- 
sanl d'une santù parfaite, aiunt tout te qui rend In vie agréable; sans 
ntutir, sans avarice, sans ambition et sans eniie. El tant qui: l'ela du- 
rera, je m'appellerai hardiment un homme très-bciireui. » Plua lird, 
Vollaii'C iijoutc en note : • Sii leltn: est •!<' I7'JS. - É<\. Bcudml, 
t. XXWll, p. l(i. 



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.niB-n:oi — 84 — 

par une subriélc plus qu'ascclique, duLiuaiil ou 

lout très-peu aux plaisirs qu'il vanta le plus. 

a Agissons. >> Mais comment? lorsque l'aclivitc 
de tous côtés rencontre un mur? 

Cet esprit clairvoyant distinguait aisément que 
dans une telle société le despotisme avait lui- 
même un despote et un maître, la richesse, que le 
fjDuvoir faisait sa cour à un pouvoir plus haut, 
l'argent. — En revanche, dans la sei-vilude uni- 
verselle, le pauvre est deux fois serf. Sur sa tèic 
s'appuie ta société de tout son poids, l'écrase et 
Tavilil, et fait qu'il s'avilit lui-même. La littéra- 
ture indigente offrait un aspect déplorable. Si 
CoUetet au siècle précédent « cherchait son pain 
lie cuisine en cuisine » (Boileau), il n'avait pas la 
mise et la tenue coûteuses que dut plus tard avoir 
l'homme de lettres, vivant dans les salons. Au 
dix-huitième, Aliainval, un auteur estimé dont 
on joue et rejoue les pièces, reçu partout, est ce- 
pendant si pauvre, que, n'ayant aucun gîte, il 
couche dans les chaises à porteurs. Cet excès de 
misère et le parasitisme qui en était la suite natu- 
relle, faisaient que l'on traitait les auteurs fort lé- 
gèrement. La Tencin, sans façon, à ses habitués 
pour étrennes donnait des culottes. 

Voltaire avait perdu ses pensions. Des 4,250 li- 
vres de rente qu'il eut à la mort de son père, les 
léiluclions successives (et celle récemment de 

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— 85 — [n2fi-nso 

Fleory) diiront emporlei- beaucoup, oulrc les ban- 
(jucroulcs qu'il essuya. S;i Hem'îade l'Ac\\c\a. Kl 
quand pourrail-il vendre un livre? il l'ignorail. 
Les libraires effrayés auraient-ils acheté? En at- 
tendant, il préparait, écrivait ses Lettres anglaises. 
11 expliquait Newton. C'est par là justemeni 
(chose imprévue, bizarre) que sa situation chan- 
gea. 

Û venait le soir à Paris, consultait les Newto- 
niens. Ils n'étaient guère que trois qui osassent 
lutter contre Descartes et sa physique (une reli- 
gion nationale), contre la lourde autorité de l'Aca- 
démie des sciences, il y avait un enfant de génie, 
le tout petit Clairaut. Un officier de Saint-Malo, 
Iranchanlj dur, excentrique, Mauperluis, reçu ré- 
cemment à la Société royale de Londres (4728), 
et qui bientôt ici (1731) fut le chef du café Pro- 
cope. Un homme enfin fort agréable, esprit uni- 
versel, brillant, un peu léger, La Condamine. Un 
jour qne celui-ci soupait avec Voltaire, il riait de 
l'ignorance du sot Contrôleur général Desforts 
qui, pour éteindre les billets de l'Hôtel-de-Ville, 
venait d'ouvrir une loterie où, par un calcul 
simple, on pouvait gagner à coup sûr. \oltaire 
avait de ces billets; il fut frappé, profita du cal- 
cul, et y gagna 500,000 francs. Le Contrôleur fut 
furieux, plaida, mais il était en baisse, bientôt 
remplacé. Il perdit, el Voltaire, dès ce jour fut 

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(1798-1730) — 86 — 

riche, émancipé, libre du moins, s'il ne pouvait 
éia-ire en France, de vivre en Hollande el par- 
tout. Heureux coup de fortune qu'il dut réellement 
à sa foi, à l'amour des sciences. Newton, on peut 
le dire, 6t la liberté de Voltaire. 

On ne voit pas qu'il ait joui beaucoup de celte 
fortune. Sa vie si occupée et absolument céré- 
brale le rendait fort peu sensuel. Il n'était point 
avide. Quand le Régent lui donne pension, il 
partage avec Thieriot. Et même en Angleterre, où 
il est si gêné, il songe à cet ami, lui fait toucher 
ceci, cela. Souvent très^énéreux, et parfois très- 
serré, il fut pour ses adirés quelque peu mania- 
que, comme ceux qui ont commencé par être 
)>auvres el s'en souviennent. 

Il put revenir à Paris, mais s'établit encore 
dans un quartiei quelque peu écarté, rue de Van- 
girard, assez près cependant de la Comédie fran- 
çaise. Il voulait y rentrer, mais par une vieille 
pièce, par la reprise d'Œdipe. Il avait pour jouer 
Jocaste une actrice admirable, son amie. H"' Le- 
couvrenr. Rare personne, admirée, adorée, cl 
bien plus, estimée. Dans Houime et Junie, Pau- 
line ou Gomélie, c'était plus qu'une actrice; 
c'était l'héroïne elle-même. Un spectateur disait 
en sortant : « Vai vu une reine entre des comé- 
diens. » Elle eut un vrai génie, libre du chant 
monotone qu'enseignait Racine à la Ghampmeslé, 

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— 87 — (l728-ns(l; 

libre de l'emphase ampoulée qui plaisait à Vol- 
laii'C. La première sur la scène elle pai'la de cœur, 
d'élan vrai el d'accent tragique. Quand elle débulii 
ici (à vingt-sept ans), tous furent ravis, troublés. 
Ues jeunes gens devinrent fous d'amour. 

Il lui advint (en 1724, ayant trente ans déjà) 
une extraordinaire aventure que n'ont guère les 
actrices, celle d'être la Minerve ou le Mentor 
d'un Télémaque, d'avoir à former un héros. Du 
Nord lui tombe ici certain bâtard de Saxe, Mau- 
rice, (ils du roi de Po1(^ne Auguste. Il avait déjà 
fait la guerre. Il avait eu la chance d'avoir vu face 
à face le vaillant, le terrible, qu'on n'osait regar- 
der, le suédois Charles XII, d'avoir dans son œil 
bleu pris cet éclair de guerre qui lui resta tou- 
jours, lui fut une auréole, trompa sur son génie 
réel. Ce rude enfant ressemblait peu à nos mar- 
quis d'ici. Suédois de mère. Polonais d'habitude, 
il était spontané bien moins qu'il ne semblait; il 
fui surtout reître Allemand*. Il était né au pays 
des romans, dans ces bouleversements où Charles 
et Pierre, deux ours, roulaient sceptres et cou- 



< rfoinbre de dociimenls récetnment publiés nous font connattre Mat>- 
rice dans Icdeniier détail. H. SainMlenéTailliDdiereii a tiré tmeibrl 
helle biographie, savanle, curieuse, inlci'CKsante (Revue des Deux 
Mottdes, 1S64). Seulement il me semble un peu trop TaTomLle i ce 
liéros de «econd ordre ijue la fortuno a tant favorisé, exagéré, surraii. 
Ses Rêveries, tout à la fois pédanlesques, exc«)triques. sont un liv)'t> 
moins que médiwn-. 



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(nî'-nM) _ as — 

Formes, oii loiU «^larl itossîUlc « Pourquoi pas 
lui? pourquoi pas moi? » Dans les trois cents bâ- 
tards du roi Auguste, celui-ci, effréné, visait tout, 
les trônes et les femmes, vaillant, brutal, avide. 
La vieille duchesse de Courlande, les Anne, Éli- 
zabelli, les sanglantes catins deBussie, tout lui 
efit été bon. Mais pour ces grands mariages impé- 
riaux, )c rustre et le soldat avait un peu besoin 
de poli extéiieur, de prendre les grâces de la 
France. La pauvre Lecouvreur servit à cela. 
Elle fut à la fois précepteur et mère et maîtresse. 
Si elle gagna peu pour le fond, au moins pour le 
dehors elle polit la nature grossière, tâchant de 
lui donner un peu de sa noblesse et des formes 
i-oyalesqui en elle étaient naturelles. 

Il crut un moment réussir, épouser celle de 
Courlande. Point d'argent pour partir. M"* Le- 
couvreur vendit ce qu'elle avait, argenterie, dia- 
mants, lui en donna le prix. Un moment il se 
enil 'maître de la Courlande. Son père s'y op- 
posa, autant que la Russie. De )à mille aven- 
tures, mille dangers. Il échappe. Mais le voilà 
fameux, le Roland, le Renaud, le héros de» 
chimères, un nouveau Charles XII, avant d'avoir 
rien fait. Madrid pensait à lui pour sa folle Ar- 
mada, pour mettre le Stuart dans I^ndrcs. La 
cour de Stanislas (et la reine de France?) pensait 
à lui pour la Pologne, pour y renouveler Cliar- 

D,a,l,zc.bvGÔOgIe 



— 81t — (1798-17:^0; 

les XII et Giislavc, en chasser l'Allemand. Miiii- 
rice en voulait à son {lère, qui lui ill manquer sa 
forlune, qui le blAmait d'aller en galopin s'offrir 
aux reines pour être refusé. 

Les gens d'ici qui le laïujaieiit et voulaient s'en 
servir, avaient pris trois moyens. On le vantait aux 
darnes comme égal de son père en force infatiga- 
ble. On occupait de lui le peuple de Paris par 
un certain bateau, qu'il avait inventé, disait- 
on, qui allait, venait sur la rivière, et que 
les badauds regardaient. Quoique fort peu 
lettré, on en fit un auteur. On préparait ses 
RêveiHes (pour l'autre année 1731). Il semble 
s'y offrir pour détrôner son père, disant « qu'il 
prendrait la Pologne en deux campagnes au 
plus, sans qu'il en coûte un sou. » 

Il sera roi ou czar ! Quelle joie, mais quelle 
inquiétude pour M"" Lecouvreur. Il est à elle, 
son œuvre, c'est elle qui en lit un Français. 
Mais hélas ! elle n'est qu'une comédienne. Et 
(chose pire) elle a trente-neuf ans, la beauté, 
il est vrai, douloureuse et tvagiqui! du portrait 
si connu, et les célestes yeux pleins de sublimes 
larmes qui toujours en feront verser'. A foi-ce 



* Elle devait kiImt temblemeot lee cœurs, les transformer, changer 
les bêtes en hommes, (lour avoir fait faire un tel portrait au faible et 
iiiàliatTe Coviirl. C'est la belle gravure où il la représente dans li> ràlr< 
lie Comélie. en pleurs et l'urne Jaiir les mains, lin artiste inspira, s'il 



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(1728-1730 —so- 

dé tendresse, ayant trop l'ait la mère, elle est 
bien moins l'amante. Maurice est disputé entre 
les grandes dames, très-haineuses pour la Le- 
couvreur. Elles n'auraient osé la siffler, mais, 
du haut de leur i-ang, dans leur loge, à leur 
aise, elles pouvaient l'insulter du visage, lui 
lancer te mauvais regard. 

Le droit du comédien, c'est d'endurer l'ou- 
trage. Notre actrice ne s'en souvint plus. Un 
jour qu'elle jouait Phèdre, elle voit sa rivale, 
M"" de Bouillon. Au lieu de se troubler, son 



en tul, notre premier sculpteui, Préaull, m'a affinné qu'il ne savait pas 
nn mot de l'hisloire dn M"* Leconvreur quand il vit cette gravure. II l'n 
fut très-troublè , épri», s'en empara iTidcnient. C'est plus qu'une 
leuvre d'art. C'etit comme un rSve de douleur, une de ces reuconlreE 
qu'on regrette avec une personne uniqne qui ne reviendra plus, dont 
on est séparé par la malignité du temps. — On sent dans cdle^n une 
chose fort rare, qu'en elle beauté vienl de bonté. — Cette bonté esl ado- 
rable dan^ la lettre qu'elle écrit i madame Fériol, mère ded'Argental, 
qui craignait eitrèmemait que son fils, éperdument épris, n'épousât, 
t't qui voulait plutôt le perdre, l'envoya mourir aux colonies. M"* Lecou- 
vraur lui parle avec un tendre respect, une effusion cbaifliante {qu'elle 
ne méritait nullement). La pauvre comédienne, trop humblement, fait 
bienbonmarcbcd'elle. Elle fera absoJumenC (ouf pour calmer cet amour 
d'un «nfanl, l'empéchcr d'aller jusqu'au mariage. FJle aimait trop Mau- 
rice, et d'Argental ne fut gu^ qu'un ami . mais assidu, trës-teedre. 
De l'avoir approcbée, il resta l'homme bon, aimable, charmant, celui que 
Voltaire appelle f son ange, • Elle le 6t son légataire universel, afin 
qne le peu qu'elle avait pissftt Ji bos deui filles plutôt qu'ï des parents. 
D'Argental , en très-galant homme, exécuta eiactement sa volonté, et 
cnlma les parents en leur donnant du sien une somme de vingt milk' 
lïancs, Vof. la bonne notice que Lémontey (Œuvres, III, 351) a bile 
d'aprëe lescmitemporains, Aïssé, Annillon. Allaintal et les précieux pa- 
piers de d'Argental, 



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— 91 — (IIM-ITM, 

cœur gonflé gramlil. Elle s'avance, el d'un geste 
intrépide, file lui lance les lerribles yei's : 

... Je ne suis point do ces Temnies hardies 
Qui portant dans le crime une tranquille paix 
Ont au se faire un fnmt qui ne rougit jamais. 

Le public se retourne, regarde dans la loge, 
voit la dame, approuve, applaudit. 

Le nom de Bouillon est sinistre. Il rappelle 
cette Mazarine, si suspecte de poison, qui, par 
l'assurance, l'audace, se tira fièrement de l'af- 
faire de la Chambre ardente en 1682. lia Bouillon 
de 1750 (née Lorraine) n'est pas moins suspecte. 
Le judicieux Lémontey trouve l'accusation vrai- 
semblable. En effet, qu'après cet outrage public, 
une princesse, apparentée à tous les rois, n'ait 
jMS cherché à se venger, c'est ce qui n'a nulle 
îtpparence. 

Peu après, un galant abbé ofîre à M'" Le- 
cûuvreur des pastilles, dit-on, empoisonnées. Puis 
(juillet 1729) un peintre en miniature, qui par 
son art entrait chez les femmes de cour, l'avertit 
que les gens de la duchesse de Bouillon ont 
voulu le gagner pour qu'il lui donnât du poison. 
Geofiroi, l'apothicaire célèbre, l'analysej n'ose 
dire qu'il n'est pas du poison, dit que la dose 
n'est pas forte. Le peintre inspirait confiance. 
Que gagnait-il à donner cet avis? rien que de 

Douze, bv Google 



I17!8-n3«) __ 92 _ 

se créer une ennemie morlelle, très-puissante, 
ayant derrière elle tous les puissants, toute la 
Cour. La police fera-elle enquête ? essayera-l-elle 
d'arrêter les coupables? Non, c'est le peintre 
qu'elle an-êle, qu'elle met durement à Saint-La- 
zare. Mais il résiste, ne se rétracte pas. 

M"' Lecouvreur se plaint et réclame pour lui. 
En vain. Elle se sent perdue. Elle sent qu'on 
ira jusqu'au bout. Chacun croyait aussi qu'elle 
avait peu à vivre. Piron, qui lui avait donné un 
rôle dans une pièce nouvelle qu'il allait faire 
jouer, le retire prudemment la voyant en dan- 
ger. 

. On ne voit pas Maurice à ce dernier moment 
chez M"' Lecouvreur. Où élait-il? Celle maison, 
déjà solitaire (l'ancienne maison de Racine, rue 
des Marais), elle n'est plus hantée que de deux 
hommes, deux amis, Voltaire, d'Âi^ental. Avec 
eux elle fait ses derniers arrangemeuts. Elle ma- 
rie sa fille à la hâle. Elle sait parfaitement qu'elle 
<sl dans un monde sans loi, n'a nulle protection à 
attendre. 

Contre une femme de théâtre, on ose tout alors; 
et la protection de la Cour, on ne la sent que 
par l'outrage. Les gentilshommes de la Chambre, 
à leur phiisir, cassent ou châtient l'actnce. Pour 
rien, jetée an For-l'Évêque ; parfois même en 
correclion. Sous Fleury, le doux, le décent, un 

Douze. bvGoogle 



— 05 — ',ITJ8-I750) 

l'iiil abominable avait eu lieu tout récemment. 
Deux jeunes sœurs (nobles, Espagnoles), les Ca- 
inargo, toutes petites, débutent dans la danse. 
L'aînée, un enfant de génie, du premier |)as 
transfigura son art. En plein triomphe, ces pe- 
tites mei-veilles disparaissent, sont cachées deux 
ans ! La Police ne veut s'informer. Elle n'osera 
aller sous l'ombre noire de Saint-Gervais, aux 
sales petites rues, à l'hôtel de Sodôme, où les 
tient un mignon du Boi. Las d'elles, il les lâ- 
che, et l'on lit. 

Ce feit en dit assez. Si M"" Lecouvreur n'eût 
péri, elle eût eu quelque outrage pire. Elle ha- 
sarda encore de jouer, pour Voltaire, sa Jocaste, 
la mère amoureuse. Elle joua le 15 mars, et le 17 
fut prise d'effroyables douleurs, de dîan'hée mor- 
telle où passa tout son sang. Le 20, elle expira. 

Mais auparavant elle refusa fort nettement les 
secours ecclésiastiques. Écoulons d'Argental, le 
témoin oculaire : « Le jour de sa mort, un vicaire 
de Saint-Sulpice pénétra dans sa chambre : « Je 
« sais ce qui vous amène, monsieur l'abbé. Vous 
« pouvez être tranquille ; je n'ai pas oublié vos 
« pauvres dans mon leslament. » Puis dirigeant le 
bras vers le buste du maréchal de Saxe : « Voilà 
« mon univers, mon espoir et mes dieux '. » 

' 11 mhM |Ki3s'iii(tigner,si cette klbrluiiée, luut à iafois aminlc et 
mère, put délirer ainsi, dire csUe parole excessive. Bien des femmes, 



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;twg.n3«) — a4 - 

Elle ne demandait nallemenl k sépulture 
chrétienne ni les prières des prêtres, mais sim- 
plement la terre que Dieu accoi'de à tous. L'ad- 
miration publique, l'amitié et l'estime lui au- 
raient fait un monument. Comédienne du Roi 
el membre du théâtre qu'il couvrait de son nom, 
pouvait-elle être abandonnée à la proscription du 
clei^é? Fleury fit dire par Maurepas, ministre de 
Paris, que cela regardait le curé, Farohevêque. 
« Et s'ils refusent? » — « Point de bruit. » 

Le curé est Languet, fameux par SaintrSulpioe, 
frère du Lnnguet de Marie Âlacoque. Et Farchevê- 
que est Vintimiile, qui tout à l'heure officiera 
pour le faux mariage qui donne sa nièce à 
Louis XV. 

Les amiS; en présence de la pauvre dépouille, 
sont fort embarrassés. Mais il fant bien prendre 
un parti. Un parent loue deux portefaix, — et 
cette reine de l'art, la noble Gomélie, — disons 
mieux, la femme adorée, désintéressée, géné- 
reuse, tendre, de si grand cœur I — on la roule, 
on en fait un paquet, qu'emportera un fiacre, la 
malpropre voiture qui, dans ce mois de mars, 



toute Dière. en dinietit autant si elles osûeul. Durement raTalêu <su Uul 
de choses (V. le mol insultant de?élenhonu^. Sainie-Batve,Caus.]), 
elles'étaittouleaaiiereliiTiie par l'amour d'un liijros. Cornaient s'étonner 
qu'elle s'en rûtfait une religion? Religion uns douta uou catholique. Le 
clergcnclui devait liun. Maisl'Ktat ^mi^mtni, l'arù elle public. 



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— j)ô -- {nsB-nsoi 

cahote les amours paiisagers, Tivressu et les re- 
lours de bal. 

Les chiens, les protestants, étaient enterrés aux 
chantiers. Dans un quartier désert alors, au coin 
des rues de Bourgogne et Grenelle, un chantier se 
trouvait. 11 était fermé à celte heure. Mais com- 
ment revenir et où aller? L'unique expédient lût 
d'écarter la borne du coin, et de mettre dessous 
le corps. Sale et infâme sépulture, que rien ne 
signalait, qui, jusqu'à la Révolution, resta là, re- 
cevant l'ignorant affront du passant'. 

Par la petite histoire que j'ai contée plus haut, 
on a vu avec quelle insouciante gaieté Paris pre- 
nait toute aventure des femmes de théâtre. Hais 
M"" Lecouvreur était quelque chose de plus. Elle 
était du monde même et de la société, une amie 
des plus estimées , spécialement reçue , adoptée 
de la marquise de Lambert (esprit, raison, vertu). 
l<econp fut très-sensible, et la douleur imiverselle. 

Beaucoup, rentrant en eux, virent ce que jus- 



■ Jetée k la burne, Sk l'insulta , clin n'eut de réparation que peu 
avant h Révolution. On mit au coin de rue uiie pluque de marbre noir, 
<|ue les propriétaires ont ej plus tard la hardiesse de retirer et de 
s'approprier. Elle sera remise au jour de la Justice, 1c jour où l'on po- 
sera la grande question trop ajournée : Comment le clergé est-il inaiire, 
Hialgt^ la loi, de tout ce qu'avait la Commune, de la police des enter- 
rements (aujourd'hui encore partout , sauf les grandes villes) , des sé- 
pultures et cimetières de camp.tgue, du droit de cloche essentiellement 
communal au uiojen-3ge, etc.? — iVous l'elombons à 1» iiioit Si>us h 
umn de veux qui nous maudirent toute la vie. 



^cbvGooglc 



I72K-n:0) _ 9fi — 

que-làils iic rcinai'qimienl pus, que, comme elle, 
ils étaient de ccrlaine paroisse, de cette libre 
église, qui n'était i>as bâtie. 

Quelques vers de Voltaire qui coururent raa- 
uuscrits, faible cri de douleur, appel à la pîlié, 
n'osaient dire lu piqûre anière, l'indignation se- 
cfcle et d'aulaiil [ilus profonde. Chacun sentit que 
dans la mort, cet aflmnchissement naturel, — là 
même on était seif encore. 



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CHAPITRE VI. 



Louis XIV aurait frémi lui-ntêiue, s'il eût 
vu ce que fiit sous Louis XV le pouvoir du 
d^é. 

Il est l'Etat et le gouvernement. 11 impose 
comme loi du royaume la Bulle qui lui soumet le 
Roi (avril 1730). 

Ce Roi, qui a vingt ans, qui est époux et père, 
et qui vient d'avoir un dauphin, non-seulement il 
le tient ea tutelle, mais le met sous sa clef (sep- 
tembre 1730). Rien de tel ne se vit depuis les 
rois tondus, Louis le Débonnaire. 

Notez que je dis le clei^é plus que Fleury. Le 
vieil homme de soixante-quinze ans, hésitant et 
-timide, et qui u'avail monté que par la lâcheté, 



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(«Sft.l7M) — 98 — 

n'entra dans Jes mesures violentes, que con- 
traint et forcé. Son vieux valet de chambre 
Barjac disait naïvement (parlant des papistes en- 
ragés) : « Si nous né les lâchions, ils nous dévo- 
reraient nous-mêmes. » Grondé et menacé par les 
chefs, par Rohan, dont il était le plat flatteur, 
Fleury craint encore plus la basse influence 
d'Issy, de Couturier, son directeur d'alors, chez 
qui nous te voyons aller à chaque instant con- 
sulter, prendre le mot d'ordre. 

Le 5 avril, au milieu des fanfares, d'un grand 
appareil militaire, on amène le Roi au Parlement 
pour faire de force enregistrer la Bulle. Et cela au 
moment où les Romains avaient eu l'insolence de 
canoniser Grégoire VU, celui qui marcha sur les 
rois et mit l'Empereur en chemise. 

Mesure outrageuse à la France, provocation 
directe au Parlement, gardien du droit royal. On 
comptait bien l'exaspérer, lui faire reprendre 
étourdimenl son vieux rôle révolutionnaire, le 
jeter dans la rue pour Caire devant le peuple les 
grandes processions de la Fronde qui effraye- 
raient le Roi, Fleury, et, de la peiu', leur 
ferait du courage pour supprimer le Parle- 
ment. 

Le Roi, sec et altier, muet, fil par 'son chance- 
lier l'aveu du bon roi Dagobert : « qu'il n'enten- 
dait lien faire qu'acte de piété, que la Bulle 

Doiizccb, Google 



— 39 — (Ifto-ITM; 

ayant force et autorité d'elle-même, le Roi ne ia 
hii dormait pas. » Le Parlement frémit de cette 
abdication du Roi au nom duquel it rendait la 
justice. Un magistral de quatre-vingt-six ans, 
devant la jeune idole, s'agenouilla, voulut parler. 
On le fil taire. De deux cents voix, on n'en eul 
que quarante, et le chancelier proclama ces qua- 
rante pour majorité. 

Peu après, en septembre, le Roi plus bas en- 
core, tombe. C'est la personne royale qui mainte- 
nant est avilie. 

Ce Roi, jolie figure de fille (insensible, glacée), 
était moins scandaleux alors. Cinq ans durant il 
fiit un mari régulier, froidement régulier, sans 
pitié de la reine. Toujours, toujours enceinte. Au 
30 août 1730, après deux grossesses en vingt 
mois, elle gisait. Et le Roi était seul. De là plu- 
sieurs intrigues. La vieille M"' la Duchesse eût 
voulu faire sauter Fleiiry, et remonter son fils 
M. le Duc en foumissant sa bni au Roi. 

Mais Fleury s'en doutait. 11 soupçonnait moins 
l'autre intrigue. Son ministre de confiance , 
Ghaiivelin, homme à projets hardis, eût voulu 
nous tirer du néant, feire du Richelieu contre 
l'Autriche et l'Angleterre. En dessous il créait 
un parti de la guerre que Villars en dessus prê- 
chait ouvertement. Ce sournois Cbanvelin (Gri- 
senoire, comme on r^^pelait) ima^iua d'esca- 

Doiizccb, Google 



(Jiso-iîsn — iOO — 

moler le Roi par t'iaOuence des petits camarades, 
que l'on nommait les Marmousets. Comme neveu 
de l'ami de Fleury, du cardinal Rohan, le petit 
Gesvres, peu suspect, restait là à tisser ses jolis 
ouvrages de femme oii le Roi s'amusait (Villars), 
et très-volontiers il tissa le filet pour prendre 
Fleury. Un mémoire fin, adroit, respectueux (ter- 
rible contre lui) est dans les mains de Gesvres, 
qui le cache pour donner envie. Le Roi l'entrevoit, 
le lui prend. Il voit, non sans terrem", « que 
Fleui-y, par son imprudence, mène les choses à la 
guerre civile. » Il en est si frappé qu'il copie le mé- 
moire. Seulement au coucher il l'oublie dans ses 
poches, oiî Rachelier le trouve. Il le porte à Fleury. 
Deux choses étaient dans cette affaire, l'une 
fort l^itime, que le Roi vouiftt s'éclairer, — 
l'autre obscure, assez triste, que le Roi à vingt 
ans, subît de nouveau l'influeuee d'amis déjà 
notés et punis ))our leurs mœurs. Fleury le 
prit par là. Le Roi fut altéré. Après avoir menti, 
nié, Fleury le menaçant, lâchement il livra 
Gesvres, il trahit Ëpernon, signa leur exil pour 
deux ans. Sa peine, à lui, fut qu'il perdit tes 
clefs de son appartement. Fleury lui change ses 
serrures et fait faire d'autres clefs qu'il donne à 
ses petits espions. L'espion ordinaire Bachelier 
est solennellement récompensé. Tout en restant 
valet de chambre, gardien du Roi, il devint un 

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— loi — M73«-n311 

seigneur, intendant île Marly, de Trianou, etc. 
Le Roi ne souffla mot, vécut aussi bien avec 
lui. 

Villars fut étonné (1731) de voir tombé si bas, 
si ennuyé, si faible, ce jeune homme de vingt et 
un ans. Flenry, à soixante-quinze, par contraste, 
sort des habitudes modestes qu'il eut toujours. On 
se presse chez lui, chez son valet Baijac qui dis- 
tribue les places, qui fait des fermiers généraux. 
La cour entière, le soir, s'étoufTe au coucher de 
Fleury. Le voilà roi, ce semble. Notre drapeau, 
du blanc, passe au noir. La soutane devient le 
drapeau de la France. 

Et qu'en dit l'Europe? Elle en rit. Notre amie 
l'Angleterre ne nous consulte plus. Elle nous 
laisse là seuls, s'arrange avecTAutriche. 

« Faible gouvernement, mais modéré et doux? » 
Erreur. Sous lui s'aggrave la ten-eur protestante ; 
te clei^é veut que sous le mol rdaps on atteigne, 
on ei^lobe un peuple tout entier, désormais pas- 
sible de mort; et toujours dans Tangoisse, voyant 
sa mort, sa vie, dans les mains des curés (1730, 
Lemontey, II, 152). Ce doux gouvernement a 
détruit la Sorbonne (en enlevant quarante-huit 
docteurs), a détruit Sainte-Barbe, a étouffé la 
pressequi, depuis les rigueurs de 1728, nesoufDe 
plus. Du plus haut au plus bas, on li^t tout, 
rien ne peut percer. On a parfaitement étoupé 

Douze, bv Google 



jusqu'aux feules par où pourrait venir un son, 
une lueur. Sécurité parfaite. 

Mais juste en ce moment, du plus loin, du 
plus bas, part un cmel couj) de siffla! 

La France a des momenl^s bien dangereux oiî 
le rire lui écbappe. On l'a vu en Révolution. La 
mère de Dieu fit crouler Robespierre. Et soixante 
ans avant, la Gadière blesse à mort la puissance 



Auxmiraclesdes jansénistes, les jésuites avaient 
répondu : « Ce ne sont pas de vrais miracles. On 
n'en fait qu'avec la doctrine. On en fera... Espé- 
rez, attendez. » 

Il s'en fit. De Toulon, d'Aix, de ta bruyante 
Provence, aux rieurs de Paris une nouvelle ar- 
rive. C'est un miracle... des jésuites (août 1751, 
Rarbier.n, 179, 192). 

Miracle I un vieux jésuite, disciplinant son éco- 
lière, M"* Cadière de Toulon, la transfigure. Elle 
est stigmatisée à l'instar de Notre-Seigneur. Le 
sai^ dégoutte, et surtout de son front. On croit, 
ou fait semblant. Nul n'ose examiner. 

Miracle ! la grâce est féconde. L'ange de Dieu, 
Girard, a beau être vieux, laid, lin matin la sainte 
a conçu, et non-seulement elle, mais d'autres 
sont enceintett, de toute classe, marchandes, ou- 
vrières, dames. La grâce ne tient compte de la 
qualité. 

Douze. bvGoogle 



_ 40ri — (173(M7niS 

Girard est-il un ange? Les jànsénistâs jurent 
que c'jesl un diaUe, que ses galanU succès, sur- 
naturdls, sont ceux d'un noir sorcier. C'est en- 
core Gauflridi, que Ton vit en 1610, et que brûla 
le Parlement. Serrés de près, les jésuites répon- 
dent que^ si le Diable est là, il est dans la Ga- 
dière qui a ensorcelé Girard. 

Les deux partis jurent pour et contre. La Pro- 
vence se divise avec fureur, tout l'emportement 
du Midi. Le concert le plus dissonant, un en- 
ragé charivari de farces, de chansons, éclate. Et 
Paris fait écho avec un rire immense. Dans cette 
affaire burlesque, un terrible sérieux était au 
fond, une question vraiment politique. Le roi 
d'alors étant le prêtre, son avilissement est l'au- 
rore de la liberté. Ne vous étonnez pas de voir en 
ce procès à Aix, à Marseille et pai'tout , ces as- 
semblées de tout le peuple par cent mille et cent 
mille que vous ne reverrez qu'au triomphe de 
Mirabea u 

On avait ri d'abord, mais bientôt on fréniîl 
(septembre 1751), en apprenant cpie les jésuites 
couvraient le crime par le crime, qu'à Aix même 
et au Parlement, les gens du Roi proposaient 
« d'étrangler... «Girard sans doute?... Point du 
lout... sa victime! 

Voilà ce qui souleva le peuple, et fit ces grands 
rassemblements. La pitié, le bon cœur, t'Iiuma- 

Diailizc^bv Google 



(nai-nsi) — lit4 — 

nité s'aruièrenl. Les pierres, au défaiitd'liommes, 

se seraient soulevées! 

On se demande comment, sous ce sage Fteury 
qui craignait tant le bruil, les choses purent al- 
ler jusque-là, comment dès les commencements 
on ne sut étouffer l'acre. C'est là le miracle réel, 
que sous ce gouvernement de ténèbres la lumière 
ait jailli, monté d'en bas. en perçant tout obsta- 
cle. Cela tient justement à ce que les jésuites, 
étant si forts, crurent à chaque degré du procès, 
pouvoir en rester maîtres. Mais l'affaire échap- 
pait, montait toujours plus haut. Elle se développa 
lumineuse et terrible, comme à la lumière élec- 
trique, montrant dans ses laideurs, dans ses par- 
ties honteuses, l'autorité Tenante, si fîère, et 
qu'on vil par le dos. 

Révélation très-forte, laidement instructive, ne 
portant pas sur un fait singulier, mais vulgaire et 
banale. Que Girard abusât d'une pauvre inno- 
cente, d'une petite fille malade, dans ses crises 
léthargiques', cela n'apprenait rien. Ce qui en dit 
beaucoup sur les liicilités libertines du jargon 



* Elle ëtait fort intêressinte. un enrint maladif, ipie le lice eftt 
dA éprgner. Dans mon livre da la Sorcière j'ai suivi pas à pis la 
Procédure du P. Girard et de la Caiière (Aii. in-folio, 1755). Le!! 
jésuites ne peuvent ta récuser, puisqu'elle fut imprimé soi» un gau- 
verneraent i eux et sous leurs yeui. L'in-lS (en 5 volumus), imprima à 
\i in£me époque, ajoute (le*; pifwvs curinii'ipî. l^s rteiu T'iciieili sont 
(KCM«aire$ et se romplétenl. 



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— lits — (nso-nr.fi 

myslique, c'est qu'un jésuite vieux, laid, en six 
mois eût gagné si aisément ses pénitentes. Toutes 
enceintes. On connut la direction. 

On connut les couvents. Girard les savait bien 
discrets, puisqu'il voulait y cacher ses enceintes 
(comme on a vu plus haut Picard, directeur de 
Louviers). Le couvent d'Ollioules, où il mit la Ca- 
dière, montre à nù ce qu'ailleurs on eût vu tout 
de même : une abbesse fort libre ; des dames 
riches, utiles à la maison, fort gâtées, servies par 
des moines ; ces moines effrénés jusqu'à souiller 
les enfants qu'on élève ; la masse enfln, pauvre 
troupeau de femmes, dans un mortel ennui et 
des amitiés folles, douloureuse ombre de l'amour. 

La justice ecclésiastique apparut dans son jour. 
L'évêque de Toulon, grand seigneur bienveillant 
qui un moment défendit la Cadière, eut peur, 
quand les jésuites lui reprochèrent certaine chose 
infâme. Et, dans sa lâcheté, il se mit avec eux. 

Le juge de l'évêque, faussant tout droit, en- 
traîna, subjugua rhomme même du Roi, le lieu- 
tenant civil, qu'implorait la victime. Us écoutè- 
rent, comme témoins jusqu'à des femmes en- 
ceintes de Girard. Leur greflier alla eiïrayer les 
religieuses d'Ollioules, disant que si elles ne par- 
laient comme on voulait, la torture les ferait 
parler. 

Effmnlei'ie trop forte. Une plainte est portée 

Douze, bv Google 



« pour subonialion de témoins. » fjes jésuites 
pouvaient avoir un arrêt du Conseil qui évoquerait 
tout à Versailles, ils craigoirenl Paris, le grand 
Jour, espérèrent abréger avec deus commissaires 
de leur Parlranenl d'Aîx. Le faible d'Aguesseau, 
chancelier, fit ce qu'ils voulaieul. Ces commis- 
saires qui d'Aix, vinrent h Toulon, allèrent tout 
droit loger chez les jésuites avec Girard. De 
soixante témoins qu'appelait la victime, ils n'en 
daignèrent entendre que trente. El cependant les 
simples réponses de la fille étaient si accablantes, 
si terribles de vérité, que ses geôlières, les bar- 
bares Girardiiws, la forcèrent de boire un breu- 
vage qui, pendant trois jours, la rendant idiote, 
la fit parler couti-e elle-même. Deux hommes 
mti'épides manifestèrent le crime. L'affaire alla 
'au Parlement. 

Toute la belle société à Aix était pour tes jé- 
suites. Les grandes dames se confessaient à eux. 
Girard, fort à son aise, établit qu'il n'avait fait 
que suivre les pratiques de la haute mysticité. 
Que le confesseur s'enfermât avec sa pénitente et 
la disciplinât, c'était son droit et son deyoir. 
L'ignorance seule des laïques pouvait disputer 
Jà-dessus. Ce qu'on pouvait trouver d'indécent 
ou d'impur, était recommandé, comme effort 
d'humilité obéissante, brisement de l'oi^eil et 
de la volonté. Sans l'ecourir aux anciens livres, 

Douze. bvGoogle. 



il pouvait fiUester le grand livre à la mode, livre 
de cour, dédié à la reine de France, écrit par un 
évoque et approuvé partout, la Vie de Marie 
Alacoquê (in-4% 1729). L'obéissance e&l à chaque 
ligne pn^érée à toute vertu. Jésus y dit lui- 
même : « Préfère la volonté de tes. supétieurs à 
la mienne » (Languet, p. 46, édit. de 1799). Et 
ailleurs : « Obéis-leîtr fdutôt qu'à moi. » (iaor 
guet, 120). — C'est-à-dire : Obéis au prêtre 
contre Dieu. 

Hais quand il serait vrai, disaient les grandes 
dames de Provence, que ce bon P. Girard lui eût 
fait tant d'honneur que d'avtHr avec elle certaines 
privautés, elle était bien osée, de manquer à son 
Père, à l'ordre des jésuites. C'était un monstre 
à étouffer. 

Le Parquet y conclut : « A ce qu'elle fût pendue 
et étranglée à Toulon sur la place du couvent Ae& 
Dominicains. » Plus, une poursuite criminelle con- 
tre ses frères qui l'ont soutenue. Plus, l'avocat, 
nommé d'office, qui l'a défendue par devoir, pour 
obéir au Parlement, il sera poursuivi aussi ! 

Seulement, pour l'étrai^er, il eût fallu une 
bataille. Tout le peuple courut à sa prison, criant : 
« N'ayez pas peur, mademoiselle ! Nous sommes 
là, ne craignes rien. » 

Sur cela un recul, violent, dans le Parlement. 
Les jansénistes y sont encouragés, et plusieurs 

Douze, bv Google 



magislrals déclarent Girard digne de moH, ~ 
bien plus, digne du feu. Ëxagéralion inaladroite 
qui le servit plutôt. Les jansénistes, en le faisant 
sorcier, en voulant voir partout le Diable dans 
l'aflaire, se rendirent ridicules. Les tofôrante fai- 
blirent, inunolèrent la justice, plutôt que de brûler 
un homme. Au jugement (octobre 1731), douze 
prononcent ta mort de Girard, douze ^absolution. 
Le président fait treize. Il est absout. 

On faillit mettre en pièces et Girard et le pré- 
sident. 

L'hypocrite ju^ment disait « que la Cadière se- 
rait rendue à sa mère. » Et en même temps, on 
la traitait en calomniatrice. Elle payait les dé- 
pens du procès, et ses mémoires étaient brûlés 
par la main du bourreau. 

Bmdue? il était impossible de la ramener à 
Toulon, où elle aurait eu un triomphe, où on 
brûlait Girard en efBgie. Nulle trace de la pauvre 
fille ne peut être trouvée depuis. Quand on songe 
que les jésuites firent persécuter, exiler ceux qui 
se déclaraient pour elle, on ne peut pas douter que 
leur infortunée victime, qui malgré elle les avait 
l'ait connaître, n'ait été enfermée dans quelque dur 
couvent à eus, et scellée sous la pierre, dans un 
mortuaire in pace. 

Elle n'en rendit pas moins, par son procès, 
im immense service. On comprit dès lors à 

Douze. bvGoogle 



— 109 — (iîM-nsi) 

merveille pourquoi le clergé s'agitait, avait tel- 
lement impatience de se débarrasser des jus- 
tices laïques. Dansée Parlement d'Aix, si favora- 
ble aux prêtres, qui dès François V lit le mas- 
sacre des Vaudois, qui, dans l'affaire récenle, 
blanchit Girard et flétrit la Gadière, dans ce Par- 
lement même ta lumière avait éclaté. La Justice, 
en ses formes, ses enquêtes, interrogatoires, est 
essentiellement indiscrète. Le monde de la Grâce, 
de la nuit, du silence, a horreur de cela. Tout 
contact avec la Justice lui semble une p&'sé- 
cution. 

Grande était sons Louis XIV l'indulgence dont 
jouissait le prêtre. On voulait seulement qu'il 
fût un peu décent. I^e monde trouvait bon qu'il 
eût une amitié Intime, comme un demi-mariage. 
Quand l'archevêque Harlay, décrié pour ses cou- 
turières, prit une amie sorlable, une veuve, une 
duchesse, il ramena l'opinion. Le cardinal Bonzi 
à Toulouse adorait (et payait) M"" de Ganges. La 
perdant, il mourut, et on le plaignit fort. Au 
plus haut du clei^é, le grand Bossuet lui-même 
eut, sans trop de mystère une amie, de trente 
ans plus jeune, qu'il protégeait (de crédit et d'ar- 
gent) {Floquet). 

Le dix-huitième siècle n était |)as plus sévère. 
Nos philosophes, largement indulgents, dis|K!U- 
saient le clergé de soutenir cette gageure d'un 



miracle impossible. Aux feiblesses du prêtre, ils 
af^liquaicnt leur ntot, leur commode fonnule : 
Retour à la nature. L'affaire de la Gadière, à ce 
tolérantisme opposa la réalité ; VAntirnattire bar- 
bare, reioentricité libertine, le sauvage égoîsme, 
le rot impitoyable et tout à coup féroce pour étouf- 
fer, enfouir, ensevelir. 

Betour à hitu^re? à l'amoarf Point du tout. 
Sous l'oi^acil ntoo&trueux d*uu miracle de pureté, 
on entrevit un monde ei de fangeux mystères et 
de aimes muets. On devint curieux de ces jardins 
murés, si bien clos, des couvents. On devina 
fort bien qu'ils gardaicmt quelque chose. Us pa- 
raissaient funèbres. De nos jours, ceux de Naples, 
ceux de Vienne, ^cAogae, tout récemment ont dit 
pourquoi. 

Que fùt-il arrivé si de vrais magistrats, com- 
prenant leurs devoirs, avaient avec la Loi pénétré 
ces clôtures, sondé ta terre sacrée, lui eussent ar- 
raché ses secrets, évoqué ce grand peuple des en- 
fants morts avant de vivre, ces petits os blanchis 
que nous retitiuvous maintenant? Jusque-là le 
clei^é était ai haut, que le juge devant ces mu- 
railles, passait discrètement et sans lever \es 
yeux. Mais enfin la Justice, l'Humanité, grandis- 
saient en ce monde. Fleury ne pouvait toujours 
vivre. Et après lui peut-être, un des hardis jan- 
sénistes du Parlement eût pu monter- cette àiorme 

Douze. bvGoogle 



— m — (1730-1731) 

apostume, cette guppuralion souteii'aine des bas- 
foods ecclésiastiques. 

Fiévreux de cet abcès, le clei^é s'agitait, le 
clergé se hâtait, se précipitait sans mesure. Seu- 
lement, ce grand coup d'octobre 1751, l'aiïaire 
de la Cadière, le montrait trop, constatait qu'en 
mantconire les Parlements, la justice laïque, très- 
manifestement il voulait supprimer les censeurs 
de ses mœurs, el s'assurer les douces libertés 
d'Italie, sécurité, impunité*. 

Maintenant si le Roi défend aux Parlements 
de s'occuper en rien des affaires ecclésiastiques, 
on comprend Tinté-êt que le clei^é y a. On rit. Les 
cbansoDS courent. Dans la rue, tout jésuite qui 



< Ces liberU» éclatent dan» les enquêtes que fil Taustère et pieux 
êrêque SdpioR Ricci {V. nés Mémoires, éd. de H. Potter). Hais elles 
existaient même on Franco dans les hautes el nobles abbajes. Le véné- 
rable M. Lasteyrie avait vu aTec étonnemeDl celte de l'abbaje de Pan- 
Ihëniont k Paris (Uisleyrie, Confeaion]- C'était bien pis au loin, sur- 
tout dansleHidi, tout se passait publicpiement. Le noble chapitre des 
chanoÛKs de fignans, qui avait l'honneur d'être représenté aux Ëtat^ 
de Provence, ne tenait pas moins riËremenl à la possession pubfique des 
religieuses du pays. Ils étaient seize chnnoineB. La prévale, en une seule 
année, reçut des nonnes seize déctaralious de grossesse [Rùloire ma- 
nuseritede Besse, parH. ReBouXjComniomquée par N.TIiouron). Celte 
publicité avait cela de bon que le crime monastique, l' infanticide, dut 
Htf moioR commun. Les religieuses, soumises ï ce qu'elles cunndt- 
raient comme une cbarge de leur «Stat, au prix d'uue petite honte- 
étaient humaines et bonnes mères. Elles sauvaient du moins leurs en- 
hnls. Cdles de Kgnans les mettaient en nourrice chez les pajians, qui 
les adoptaient, s'en servaient, les élevaient avec les leurs. Ainsi nombre 
d'agriculteurs sonlconnusaujourd'hui même pour enbnlsdcla noblesse 
ecclésiastique de Provence. 



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nôo-nsi) — H2 — 

passe, est suivi de ce cri : '< Girard ! voilà Gi- 
rard 1 » Si l'on ne crie, on clianle les airs an- 
ciens et populaires de la sainle béquille du bon 
Père Bamabas, ce capucin fameux, prêcheur zélé 
des filles, qui, surpris, leui' laissa ce gage. Taba- 
tières, babils, meubles, tout est à la Cadière, 
tout est à la Béquille. Et nul obstacle à ce toiTenl. 

Les fureurs du clei^é montent au comble. Ayant 
reçu le coup dans les reins, affaibli, il est plus 
violent, et s'affaiblit encore. En 1752, lorsque 
(e Parlement appelé chez le Roi, condamné au si- 
lence, n'obtient qu'un mot dur : « Taisez-vous! w 
— lorsque le vieux Pucelles, à genoux, pose aux 
pieds du Roi l'aiTèt de résistance, — lorsque enfin 
ce papier remis au singe Maurepas est par lui 
mis en pièces, — la scène est odieuse, m*ais bien 
plus ridicule encore. 

En vain, au 18 août, le clergé se décerne par 
la bouche du Roi l'objet de tous ses vœux, Van- 
nulation du droit d^appd qu'avait le Parlement 
en abus ecclésiastiques. Rien ne sert, ni exils, 
ni prisons, ni enlèvements. Ceux qu'on enlève 
sentent qu'ils ont avec eux tout le peuple. Et 
c'est Versailles qui cède. En décembre, il recule. 
Il abandonne (sous forme de sursis) ce que le 
1 8 août il a accordé au clei^é. Celui-ci est vaincu. 
Il reste pour loujoui's soumis aux justices laï- 
ques. 

Douze. bvGoogle 



— lis — (1730-1:31) 

Il manqua pour toujours ce qui fut son grand 
but secret, son tribunal à lui, dont le plan exis- 
tait déjà tout préparé. Les papiers Maurepas en 
ont eu la copie \ 

Ce point là est acquis el pour l'éternité : le 
clei^é perd l'espoir de retourner au moyen fige, 
de se refaire son propre juge. L'œil de la Justice 
est sur lui. 

Pour la royauté, il la garde, à la honte du Roi, 
de la France. 

Ridicules au-dedans, ridicules au dehors, nous 
sommes l'amusement de l'Europe (yiUars). 

Quelque faible, caduc, que puisse être ce gou- 
vernement, il va et il ira de même. La mécanique 
est montée de fa^n que, sans une secousse vio- 
lente*qui la détraque brusquement, il n'y a nul 
espoir d'arrêter. La guerre seule aurait chance 
de rompre ce déplorable engrenement. 

Ghauvelin dit franchement à son jeune ami 
d'Argenson la secrète pensée du moment : « Il a 
fallu tenter la guerre... Nous devenions trop mé- 



' Voir Mémoires Uaiirepas, H, 200. — t La cour à%\\se, 
dit Grimaudet, c'est la porle de derrière , la fausse porte, la poterne 
de U justice, moyen d'impunilé pour loua leii sacripanlf >. — Dnm Ro- 
ger, Anjou, 420. - BonnemÈrc, Pni/wns, 11, 1S2. 



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{n33-(753l 



CHAPITRE VIII. 



Zaïre et Cluries XII. — La guerre. — 1133-1755. 



La dcTise- légère qu'un chevalier jadis portait 
sur son écu à travers les batailles : « GhanPd'oi- 
seau 1 » c'est celle que la France, parmi tant de 
misères, gardait le long de son histoire. A ce pre- 
mier réveil de i755, quand l'Europe la croyait 
morose, épuisée et glacée, elle se lève guerrière et 
rieuse, avec la chansonnette du pacha français 
Bonneval, et autres petits airs, que nos pères ont 
chantés jusqu'à la Marseillaise. C'était bien peu de 
chose. Mais, de rhythme et d'élan, ces airs n'en 
furent pas moins aux soupers, aux combats, de 
vraies marseillaises inspirées. 

La France d'aujourd'hui, qui pose et se croit 
grave, ne comprend même plus comment c'était 



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— 1 1 5 — (1753-17531 

chanté. Elle serait tentée de n'y voir que l'ivresse. 
Mais les voix avinées n'ont pas ces mélodies. Les 
buveurs d'eau, les sobres, les maigres s'en gri- 
saient. Deux choses en font l'accent qui ne sont 
pas vulgaires. C'est chant d'oiseau moqueur, risée 
des vieilleries. De plus, chant de l'oubli, celui de 
l'alouette qui plane insouciante, se rit de la vie, de 
la mort. 

Aux colonies lointaines, nos Frances étrangères, 
plus émues que nous-mêmes, dans ces chansons 
rieuses ressentaient la patrie. Nos coureurs de 
bois qui passaient presque nus sous le ciel l'hiver 
du Canada, les dansaient avec l'Iroquois. Nos gens 
de Saint-Malo, fiers officiers, corsaires, quand 
soufflait la tempête, lui sifflaient ces rfefrains. Nos 
soldats, tout à coup si brillants dans la guerre 
qu'ils n'avaient jamais vue, quand quinze cents 
Français attaquaient vingt mille Russes, pour 
eau-de-vie avaient ces petits chants moqueurs qui 
font rentrer la mort dans les rangs ennemis. 

Vollaire, sans perdre temps, nous fit le Char- 
les XII, vrai livre de combat. Mais le livre vi- 
vant, c'était ce français-turc, Bonneval, qui, di- 
sait-on, transformait l'empire Ottoman '. Il était 



< Le piiDcede Ligne, dam sa dianmnte notice sur BaiuieTal(éditioii 
Birbier, 1817), va jiuqu'l dire que c'âlait uD bomme de génie, le 
n'en dirai» pai tanl; mais, pfnr Tesprit, Taudaco, la braioure, le 
COU]) d'onl rapide en milte cba>es, c'est te Français peut-èlre le phn 



:t:b,_GoOg[e 



(iTM-nsS! — 110 — 

l'entretien, lal^endedu temps. Plusieurs allaient 
le joindre joyeusement, voulaient se faire Turcs. 
On connaîl son histoire bizarre, tragique, origi- 
nale. Dès douze ans, sur mer, à la Hogue, à tous 
les combats de Tourville. Puis soldat de Vendôme. 
Magnifique en bataille et la stupeur de l'ennemi. 
U ravit jusqu'au froid Eugène, saisit d'admiration 
les Turcs à Pelerwaradin. Pour son malheur il 
ignorait que le vrai roi moderne est le commis. 
Une lettre insultante des commis de Versailles 
l'exaspère. 11 déclare la guerre au Roi et passe à 
l'Empereur. Mais c'est bien pis à Vienne. U y 
trouve les commis d'Eugène, lourde canaille alle- 
mande, insolente, hypocrite. Cette grosse Vienne, 
bigote et barbare, ne supporte pas un rieur que 



Français qui fui jamais. Presque tontes les biographies onl indignement 
déGguré sa vie. Daoi la seule bonne, celle du prince de Ligne, ontroure 
aiec ses jolies lettres, celles de sa femme (une Binon), qui sont adora- 
bles. Quand il revint à Puis sous le Régent, on le marin. Mais le len- 
demain il apprit que Belgrade était eu péril, cernas, qu'il j aurait 
bataille. 11 partit, et il n'est jamais revenu. On ne lui pardonne pas 
quand on lit les lettres de la petite femme , innocente visiblement, 
Irès-Terlueuse, qui pendant douze ans le rappelle, le supplie, avoue 
humblement, naïvement, qu'elle se meurt de ce veuvage. Il ne pou- 
vait guère retenir. 11 ebt étoufTé sous Fleurj. Mais peu à peu sa pas- 
Eioii pour la France alla augmentant, Faccabla, Quand U était seul, ii 
s'biibillail à la française. Et un jour qu'un ami l'avait invité, une vir- 
tuose italienne ajant malheureusement chanté im air français, cet 
homme d'acier éclata et fondit en larmes. — Je ne connais pas de 
livre plus joli que cette notice. On imprime tant de romans fades, et od 
ne réimprime pas des choses vi'aies, bien plus romanesques, 'comme la 
Vie de BmTieviU, le Procès de la Cadiére, etc. 



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— tl7 — ("SS-n33 

jamais on ne vil au cabaret ni à la messe. Plus, 
Français obstiné, qui dans cette miiison d'Eugène 
si haineuse pour nous, à chaque instant tire l'épée 
pour la France. Cela le perd. On le poursuit à 
mort, jusqu'au milieu des Turcs où il cherche un 
asiie. Croira-t-on bien ici que notre ambassadeur 
de France, loin de protéger un Français, eût voulu 
que les Turcs livrassent leur hôte aux Allemands? 
On sent bien là la main du prêtre, de Fleury, 
bon Autrichien, et bas valet de l'Empereur. Cela 
se passe en 1729. On peut prévoir déjà ce que 
fera bientôt le vieux tartufe. 

Le mal de Bonneval, c'est d'être trop Français. 
Le voilà à Constantinople qui remue le monde 
pour nous. Réveiller les Turcs, la Suède, rembar- 
rer la Russie, anéantir l'Autriche, c'est-à-dire 
faire revivre les peuples qu'elle étouffe (Hoi:- 
grie, etc.), c'était l'idée de Bonneval. C'était celle 
des Bellisie ici. Beaucoup de bous esprits, Chau- 
velin, d'Argenson, prenaient fort à cela. Bonneval 
n'était point un rêveur, mais très-positif. Il com- 
mençait par le commencement, créait à la Tur- 
quie ce qu'elle avait trop négligé, une redoutable 
artillerie. Il savait le fort et le faible des armées 
de l'Autriche, la caducité idiote de cette maison 
qui s'éteignait. 

Le parti de la guerre, chez nous, n'était pas 
ridicule. S'il le devint, c'est qu'il eut dans Fleury 



^cbvGooglc — 



(1752-1753) — 118 — 

l'obstacle insurmontable, par qui tout était im- 
possible, tout avortait et tournait de travers. 

L'organe principal du parti c'étaient les petits- 
fîls de Fouquet, les Bellisle, intrigants si l'on 
veut, mais qui gavaient beaucoup, qui avaient 
beaucoup vu, esprits vastes, qu'on eût proclamé 
des génies si la fortune n'avait été contre eux. 
Fortune? hasard? Non pas. La Irès-fixe influence 
de la vieille soutane qui, de Versailles, paralysait 
la France. 

Voyons si leurs affirmations étaient aussi lé- 
gères, aussi chimériques qu'on a dit. 

1' Ils affirmaient, avec Villars, qu'ici on naît 
soldat, qu'après vingt ans de paix, le Français 
rentrerait aux combats aguerri. Cela se trouva 
vrai, non-seulement dans les attaques, mais dans 
les résistances, quand en Italie, par exemple, 
ils soutinrent tout un jour l'orage de la cavalerie 
de Hongrie et la masse écrasante des cuirassiers 
de l'Empereur. 

2° Ils disaient l'Autriche au plus bas, très-peu 
solide en Italie. Et cela se vérilîa. En Allemagne 
même et pour sa défense directe, l'Autriche n'eut 
que soixante mille hommes. Nous en avions cent 
mille. Eugène usé, vieilli, regarda, n'agit point. 

On objectait vainement les succès de l'Empe- 
reur sur la Turquie, ses conquêtes de Passarovritz. 
Choses antiques, et de quinze années. Tout était 



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— H9 — (1731-1133) 

changé, et la chance retournëe. Il y parut bien, 
lorsque plus tanl la Turquie relevée (en 1739), 
seule, sans la France, reprit rascendant sur l'Au- 
triche et lui arracha la Servie. 

Fleury restant, tout était impossible. Fleury 
partant, tout se pouvait. II tenait fort. Pour l'ar- 
racher de ta, il fallait préalablement une chose 
bien difficile : que, par quelque coup imprévu, le 
Roi, ce serf de l'habitude, y échappât, sortît du 
cercle où était enfermée sa vie. 

Beaucoup le disaient nettement : « Rien à faire 
s'il ne prend maîtresse. Contre la vieille femme 
Fleury, il en faut une jeune qui donne un peu de 
cœur au Roi. » 

Le moment était singulier. Excédé dcssotlisesj 
des disputes emiuyeuses, le public leur tourna 
le dos. Une génération toute nouvelle depuis 
Louis XIV était venue, des hommes de l'âge du 
Roi, de vingt ou vingt-cinq ans qui voulaient du 
nouveau. Ce qui fut neuf vraiment, c'est que, 
pour un moment, le froid plaisir ne fut plus à 
la mode. L'esprit galant céda. On crut aimer 
vraiment. On fut amoureux de l'amour. 

Les arts lyriques nous menaient à cela. Leur 
réveil fut la danse vers 1728, la mimique pas- 
sionnée. Tout fut changé quand la noble élégance 
de la Salé fat remplacée par la figure étrange de la 
fée du Midi, la romaine-espagnole, la Gupi-Ca- 



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(1733-1733) — 120 — 

margo. Sous elle, le théâtre brûlait. On ne sait 
quelle force ardente et sombre était en cette per- 
sonne laide qui troublait les cœurs, rendait fou. 
Elle élait malheureuse, et à chaque instant en- 
levée. 

La musique suivit, et l'on en fit partout. Contre 
le vieux Lulli, qui rappelle trop Louis XIV, sui^l 
l'austère Rameau, qu'on appela Newton de la mu- 
sique. Voltaire lui fait Samson. On chante l'opéra 
dans les brillants salons des Fermiers généraux, 
chez La Popelinière et l'aimable Deshaies, sa 
muse. Chez Samuel Bernard et son amie, M""' de 
Fontaine Martel, leurs filles de beauté renommée 
^M"" Dupin et mylady Kingston) avec Voltaire 
jouaient la tragédie. 

C'est dans cette atmosphère de femmes, dans 
cet air chaud d'art et d'amour, qu'il trouva 
une perle, la première chose humaine qu'il eut 
pu faire encore. Il sent, à trenle-sept ans, son 
cœur. Au printemps (1752), un moment échappé 
à M"' Fontaine Martel, seul à Arcueil chez M" de 
Guise, en vingt-deux jours il fait Zaïre. 

« Pièce chrétienne, » dit-il. Mais le vif intérêt 
est pour un musulman, le noble et touchant Oros- 
mane. Le pacha Bonneval avait mis les Turcs à 
la mode. Orosroane n'est pas aussi ridicule qu'on 
a dit. C'est le Saladin de l'histoire, chevaleresque 
et généreux. S'il est Français, d'autant plus il 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 121 — (i73M753) 

nous louche. 11 esl nous, et on esl pour lui (plus 
qu'on ne serait pour un Maure, coDune Othello), 
Les chrétiens discoureurs, Néreslan, Ghâtillon, 
déplaisent furieusement au puhlic ; ils viennent 
à contre temps. On enverrait au diable bien volon- 
tiers ces fanatiques. Bref, le drame, avec ses ser- 
mons, ce verbiage qui ne trompait personne, pour 
l'effet esl anti-chrétien. 

La pièce n'est pas forte, mais charmante, au 
point du public, juste au point des acteurs, de 
l'actrice qui fit Zaïre. M"' Gaussin n'eut pas 
les dons sublimes et puissants de la Lecou- 
vreur. Elle était faible, douce, timide. Elle annon- 
çait quinze ans (à vingt). Elle excellait au simple, 
et dans l'adorable ignorance (par exemple dans 
l'Agnès de l'École des femmes). C'était réellement 
une excellente créature, fort désintéressée, d'un 
bon cœur, faible et tendre. C'est pour elle que 
pour la première fois entre ce mot dans notre lan- 
gue ; « Avoir des larmes dans la voix. » 

Tous en eurent, au moment où Orosmane vaincu 
dit ; « Zaïre, vous pleurez ? » Ce mot et quelques 
autres eurent un incroyable succès d'émotion. 
L'âme française, un peu légère, mobile et refroidie 
par le convenu, l'artificiel, semble à ce moment 
gagner un degré de chaleur. 

L'amie chez qui logeait Voltaire, l'amie de tous 
les gens de lettres, M°" de Fontaine Martel, très- 

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(1733-1735) — 122 — 

malade, mourante, s'obstinait à aimer encore. 
En mourant, elle dit ; « Ma consolation est qu'à 
cette heure, je suis sûre que quelque part on fait 
l'amour. » 

Paris agissait sur Versailles, l'Equateur sur la 
Sibérie. Le Roi, qui avait vingtrdeux ans, reste- 
rait-il tout seul hors de ce courant général? On 
aurait pu le croire. Ses tristes habitudes d'enfance 
semblaient l'avoir séché, l'avoir rendu impropre 
à jamais à l'amour. Son plaisir, dès qu'il fut un 
peu grand, n'était pas d'un cœur gai, d'une bonne 
nature ; c'était de faire le maître et de tenir école, 
d'user avec ses écoliers de sévérités libertines 
{Maurepas). Marié, presque malgré lui, comme 
on a vu, it fut six mois sans voir qu'il avait une 
femme. Elle avait vingt-deux ans, lui quinze. Elle 
n'était pas belle, mais très-charmante. 11 ne faut 
pas la voir au triste portrait de Versailles, mise en 
vieille, dans ce grand fauteuil, mais à cheval, où 
elle était très-bien ^ . Elle était tout à fait son 
père et si aimée de lui que sa mère en était ja- 
louse. Elle avait l'air un peu garçon [Hénatdt), 
d'un enfant bon et doux, et de petit esprit. 
Mais jamais cœur de fille ne vint au mariage 
plus amoureux, plus tendre. Le roi de France 
avait été son rêve; on lui avait prédit qu'elle l'au- 

* Ce qui le prouie, c'est que les niaitresses oe voulaient pas qn'ellt 
suivit le roi à la charae en amazone. Argensoui il, 5f), J. 

Douze, bv Google 



— 123 — (173Ï-1733) 

rait. Il fat le ciel pour elle. Stanislas avait tu en 
ce bonheur étrange un miracle de Dieu. Passage 
étonnant, en effet, de la mendicité au trône. Elle 
arriva, on peut dire, nue, sans chemise (on lui en 
donna), attendrissante de pauvreté, d'humilité, 
mais de timidité extrême. Cette grande fille, inno- 
cente et tremblante, près de cet enfant vicieux, ne 
fut longtemps pour lui qu'un autre camarade, 
moins rieur, plus soumis *. Le but du mariage 
était manqué. On s'en prit à ia reine. Elle l'ai- 
mait trop pour le changer. Elle était si faible 
pour lui, que, quand il fut malade, on crut qu'elle 
moun'ait elle-même. 

La crainte de la mort, la peur dévote agissant 
sur le Roi, le réforma. Elle devint enceinte; mais 



' Les jéiuiles voudraient nous faire croire que leur sévérilé e: 
A»ns U confession aurait donné des scrupules i la reiae sur les caprices 
du Roi. A ({ui feront-ils croire cela? Tous les confesseurs de ce temps 
imposent & l'ëpouee l'obéissance illimitée. Projart dit qu'on eut tort de 
dire que la reine éluit prude, décourageait le Roi. Avec toute sa dé- 
Tolion, elle seroblati avoir àes instincts sensuels. Elle aimait les comé- 
dies libres {Vie de Rich., l, 553), écoutait parfois valonliers certains 
propos inconvonanla (Arg., 1. 234.) 

Loin d'ébigner le Roi, ce fut plutât par l'eicËs de la complaisance 
qu'elle l'enleva aux amitiés honteuses, amenda ou cacha ses vices. 
A son retour de chasse, ou après ses soupers des petits cabinets, il 
était très-aveugle (jusqu'à prendre la première venue). Plusieurs fois 
il tomba du lit (De Luynes). Parfois aussi la reine (souffrante 
d'inGmiités précoces) se levait, gapait temps, prétextant quelque 
*chose, disant chercher son petit chien, etc. Hais tout cela fort tard, 
quand elle fut à bout et malade, quelquefois si inconunodée que, 
d'un appartement h l'autre, elle allait en diaîse à porteur. (De 
Luyms-) 



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(1732-1755) — 124 — 

elle avait été si durement médicamentée par les 
sols médecins qui croyaient décider la chose, 
qu'elle commença par avorter. De là une succes- 
sion de couches pénibles , et coup siu- coup. Le roi, 
dans sa froideur, était d'une régularité impitoyable. 
D'Ai^enson dit : « Il lui fit sept enfants, sans lui 
dire un mol. » 

Ce fut, je crois, vers 1752 (après deux gros- 
sesses en vingt mois), qu'elle eut la triste infir- 
mité dont parle Proyart, une fistule. Quel mar- 
tyre pour la pauvre dame qui avait peur de 
rebuter, qui avait peur de refuser ! Et son amour 
croissait. Ses enfants, presque tous des filles, 
étaient son image même. Le roi y fut pour peu. 
Plus il était froid, sec, plus elle y donnait de son 
cœur. Elle eut (1731) une enfant qui n'était que 
flamme, oît l'ardeur polonaise apparut tout en- 
tière, la véhémente Adélaïde. Au moment de Zaïre 
(août 1752), quand on ne parlait d'autre chose 
que de l'attendrissante actrice, la reine fut en- 
ceinte d'une enfant qui avait ces dons, la très- 
douce M"" Victoire. Mais l'enfant , faible et 
molle, marquait assez combien la mère s'af- 
faiblissait. Si, malade plus tard, au hasard de 
sa vie, elle redevint encore enceinte, ce ne fut 
qu'un malheur. Deux U'istes avortons, scrofu- 
leuï, cacochymes, que leur père appelait Chiffe 
et Graille, augmentèrent le d^ût du Roi. 

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_ 135 — (1132-1733) 

Revenons. Pendant la grossesse pénible dont 
naquit M"* Victoire, la reine élant'sans doute trop 
affligée par la nature, le Roi se trouva seul, hors 
de ses habitudes invariables. Situation nouvelle et 
impossible. Bachelier, vivant là, voyant tout, 
avertit Fleury. Il y avait péril en la demeure. 
Fleury n'ignorait pas que les princesses de Condé 
avaient toujours serré de près le Roi. Pour leur 
tiermer la porte, il fallait une femme. Il demanda 
conseil à la Tencin. 

Il n'agit pas non plus sans consulter son ora- 
cle d'issy, le rude Couturier, son nouveau di- 
recteur. Mais les rudes sont doux au besoin. « Un 
petit mal pour un grand bien, » c'est la r^le 
en casuistique. Quel bien plus grand que de 
garder le Roi sous la main de Fleury, c'est- 
à-dire de relise? tJne femme fut achetée pour 
le service du Roi. 

C'était une demoiselle de Nesle, M""' de Mailly, 
une dame de la reine. Son mari ruiné, para- 
site, n'allait qu'en fiacre et vivait de hasards. 
La personne n'était pas jolie, une grande brune, 
maigre (Italienne du sang paternel), excellente 
du reste, honnête et trè&-respectueuse, discrète, 
qui rougirait plutôt, ne triompherait pas de sa' 
honte. 

La pauvre femme n'rai avait nulle envie. Son 
mari le voulut et reçut vingt mille francs.. Elle 

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(IWÎ-n33( — 126 — 

alla grelottante (décembre 1732) dans un entre- 
sol de Versailles. Rien de plus glacial en tout 
sens. Les misérables vingt mille francs, mangés 
sur l'beure par le mari, elle expliqua au Roi sa 
pauvreté. Mais le Roi aussi était pauvre, et il 
n'aurait osé demander à Fleury. Ce fut par Chau- 
velin, et sur les fonds de la Justice, que très-se- 
crèlement il tira quelque argent. Tout fut r^lé 
ainsi : mille francs par rendez-vous^ c'est-à-dire 
deux mille par semaine, au total cent mille fiancs 
par an. 

Ce ladre de Fleury, qui, avec vingt mille francs, 
croyait pourvoir à tout, fut attrapé par Ghauvelin, 
qui naturellement prit un peu d'influence. Depuis 
loi^temps il cheminait sous terre^ isolé de la 
cour, livré tout au travail et trompant d'autant 
mieux. Dès lors certainement il put 3^ un peu 
par la Mailly, reconnaissante, d'ailleurs trè»-bonne 
et qui aimait la r^ne, qui connaissait ses vœux 
pour que son père redevint Roi. La reine courti- 
sait fort Villars, le grand prêcheur de guerre. Elle 
ignorait absoltunent l'action sourde de Chauvelin, 
et encore plus cet entresol. Mais les effets paru- 
rent. Sans que le Roi sortît de son mutisme, on 
voyait aux Conseils qu'il était fort changé, qu'il 
arrivait tout prêt à croire Villars plus que Fleury. 
Chaque jour le vieux maréchal parlait plus haut, 
Fleury plus bas. 

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— 127 — (1Î32-1733) 

Dès février 1753, s'était posée la grande affaire 
européenne. Auguste II mourant, Villars contre 
Fleury soutient que Stanislas n*a pas abdiqué, 
qu'il est roi. Fleury traîné, forcé, ne put plus ré- 
sister au courant. 11 crut sage de complaire, de 
lâcher la main. Le Roi, fort de Villars, de la 
jeune noblesse, de tout Versailles enfin, le 
17 mars (chose inouïe), parla, et devant les am- 
bassadeurs ! Il dit que la Polc^e avait droit de 
choisir, « et que lui, roi de France, il soutien- 
drait l'élection. » 

Élection aidée de présents d'amitié. Fleury, en 
gémissant, se laisse tirer un million. L'Assemblée 
vote bien, très-honorablement (mai) qu'dle ne 
choisira pour roi qu'un Polonais, ce qui exclut 
Auguste, fîls du mort, l'Allemand, le candidat 
des Russes. Fleury, non sans regret, s'arrache 
de nouveau trois millions. Cependant l'Empereur 
dès le 21 mars avait impudemment parlé avec 
mépris du droit d'élection. On avait répondu d'ici 
avec hauteur. 

L'honneur était en cause, la guerre presque 
certaine. La chute de Fleury paraissait infaillible. 
Espoir de libertél Voltaire guettait cela, regardait 
Ghauvelin et l'émancipation prochaine. Celui-ci 
dans son double rôle, entre Fleury et le public, 
n'osait être indulgent, mais il clignait de l'œil, 
voyait, ne voyait pas, menaçait et laissait passer. 

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(1134-1753) — 128 — 

La queslion était de savoir si Voltaire aurait joui- à 
lancer ses Lettres anglaises. Lorsqu'enl730, les 
Marmousets crurent faire sauter Fleury, Voltaire 
écrit à Thieriot, alors à Londres , qu'on peut 
donner ces Lettre en anglais. Puis : « Attendons 
encore. » Cependant l'immense succès de Zaïre et 
de Charles XII l'encouragea à faire imprimer en 
français, à Rouen, chez Jore, libraire du Char- 
les XII, — imprimer et non publier, attendre le 
moment. La guerre qu'on prévoyait lui parut fa- 
vorable pour lâcher son oiseau à Londres; j'en- 
tends l'édition anglaise. Pour la française, il 
ne faisait pas doute qu'il n'y eût un orage, 
que Chauvelin ne Ht au moins semblant de le 
poursuivre, et qu'il ne fallût d^uerpir. 11 était 
prêt, il perchait sans poser. Déjà il étendait ses 
ailes, de façon que le livre s'envolant de 
Rouen, l'auteur s'envolât de Paris. Il passa une 
année dans ces fluctuations, souvent malade et 
rimant dans son lit une mauvaise pièce nationale 
(sa faible Adélaïde). Il disait en juillet : « Atten- 
dons. Dans deux mois j'imprimerai ce que je 
voudrai. » 

Vers août et septembre en effet, selon cette pré- 
vision, Fleury fut au plus bas, et au plus haut 
le parti de la guerre dont la France attendait son 
émancipation. Bellisle et Villars l'emportèrent. 
Tout le conseil fut entraîné et jusqu'au duc 



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— 129 — (lîsï-nss) 

d'Orléans, personnage dévot el demi Janséniste, 
qui avait horreur de la guerre, et qui convint 
pourtant qu'engagés à ce point, on ne pouvait 
plus reculer. 

Gela donna courage à Ghauvelin, qui , sous 
forme modeste, affectant de ne faire que suivre 
l'élan général, agit très-fortement. I) prépara, 
signa le 26 septembre le traité de Turin avec 
l'Espagne et le Piémont pour chasser d'Italie l'Âu- 
tnche. 

Le Piémont âmt avoir le Milanais. Et il nous 
cédera la Savoie? point débattu longtemps. La 
France magnanime n'insiste point pour avoir la 
Savoie ; elle se croit payée si elle chasse l'Autri- 
chien d'Italie. 

Des deux infants dJEsyagne, l'aîné Carlos pren- 
dra les Deux-Siciles, Philippe la Toscane, Parme 
et Plaisance. 

L'Espagne nous payait des subsides, fournis- 
sait de l'argent. Cela parut calmer Fleury. 

Une nombreuse armée, occupant la Lorraine, 
sous Berwick, marche à l'est, et doit franchir le 
Rhin. 

Notre armée d'Itahe, sous Villars, va passer 
les Alpes; 

Et dans Brest une escadre se prépare sous 
Duguay-Trouin. 

Tout cela toléré par Fleury, malveillant. Et 

»).' 9 

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{1132-1733) — 130 — 

tout au nom du Roi, qui même avant la guerre^ 
déjà occnltement est fort refroidi par Fleury. 

Mais la France allait d'elle-même, marchait 
seule un moment à l'envers de la royauté. 



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CHAPITRE IX. 



La guerre. — Fleury elWalpole. 1735-173S. 



Fleury et les Walpole n'avaient pu empêcher la 
guerre. 11 s'agissait pour eux de l'entraver, de la 
faire avorter, d'en limiter les résultats. 

Trahir les Polonais encouragés et compromis 
par nous, surtout sauver l'Autriche, au moment 
imminent de sa destruction, c'est l'œuvre calcu- 
lée de la politique d'alors. Ceux qui menateqt 
Fleury, ses directeurs d'Issy, chérissaient dans 
l'Autriche le bigolisme militaire, la dragouade 
de Hongrie, la persécution de Sallzbourg (1731); 
l'Angleterre, protestante et chef des protestants, 
chérissait l'épée catholique, le boucher autrichien 
et sa horde barbare qu'elle peut par moments sol- 
der et lancer sur l'Europe. 



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(035-1755) — 132 — 

Le vieux Fleury, le jeune Horace Waïpole s'ai- 
maient, ne pouvaient se quiUér. Horace, filiale- 
mentj apportait à Flenry ses dépêches de Lon- 
dres, et le priait de lire, corriger ses réponses 
^inl-Simon, chap. nvi). Fleury, malgré son 
âge, allait à chaque instant de Versailles à Issy, 
et, malgré tant d'affaires, y faisait des retraites. 
Ainsi, parfaite entente de l'Anglais, du Papisme, 
pour l'Autriche et contre la France. 

Le roi pouvait gêner. La reine et la Mailly, 
l'épouse et la maîtresse, étaient du parti de la 
guerre. En mars, et depuis même, il avait parlé 
€n ce sens. Il avait été impossible de ne rien faire 
du tout. On rassemblait des troupes, mais sans 
TÎvres. Brest avait une escadre, mais désarmée. 
Cda gagnait du temps. L'été vient, bientôt passe. 
Nous sommes au milieu d'août. Heureux délai 
pour le Saxon, le Russe, l'Autrichien, dûment 
avertis. 

Le 16 août 1753 fut le moment de crise. Un 
crï désespéré était venu de la Pologne. Les chefs 
du parti national avaient écrit à Stanislas que, s'il 
n'arrivait, tout était perdu. C'était un de ces jours 
où, dans unEtat sérieux, les conseils restent en per- 
manence, siégeant le jour, la nuit, mettant les mi- 
nutes à profit. La reine était sur les charbons. Yil- 
lars bouillonnait sans nul doute. On est bien 
étonné délire chez ce général courtisan cette ligne 



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— 155 — (n3S-lî35ï 

sèche et contenue : » Il n'y aura rien d'impw- 
tant. » Gai' le Roi est absent. Il est allé se pso- 
mener. Promener? où? miracle! à Chantilly 1 à ce 
château de la disgrâce, chez l'exilé M. le Duc, au- 
tour duquel Fieury .depuis sept ans gardait on 
cordon sanitaire. Jadis chasseur, ce prince, sé- 
questré, n'osant remuer, s'étail fait une vie inno- 
cente de graveur, de naturaliste, chimiste, etc. 
On s'en moquait en cour. « Est-ce qu'il veut se 
faire médecin? » Que va donc faire le roi chez 
ce pauvre M. le Duc? Le consoler, sans doute. 
lin Gondé, sans emploi au moment de la guerre, 
méritait d'être plaint. Mais quoi 1 laisser tout pour 
cela? 

La vieille Madame la duchesse, démon d'im- 
pureté, exquise en toute ordure, dont les petits sers 
sales barbouillent les recueils Maurepas, avait ima- 
giné « de faire son fds cocu pour le refaire miois' 
tre. o Ses filles (Gharolais et Clermont), effrénées, 
débridées, mais pas jeunes, aidaient à cela. Fieury 
le savaitbien, et il en vit l'essai (juillet 1751), lors- 
que, à Fontainebleau, elles produisirent leur prin- 
cesse, unejolie petite Allemande, toute jeune (M. le 
Duc eiit pu être son père). La petite, fort lasse de 
Ghantilly, et brûlant pour Versailles, s'avanç» 
fort et plut. Elle eut pour son mari un premier 
signe de faveur, au moins un joujou militaire (ré- 
giment des dragons Gondé). Fieury y coupa court. 

Douze, bv Google 



Bientôt vint la Mailly. Amour hebdomadaire, un 
quasi-mariage, qui ne fit rien au rêve, à l'idéal de 
Chantilly. Tf envoyer le Roi (quel qu'en fûl le pré- 
texte], dans ce lieu charmant, dangereux, ce fut 
un coup habile, un moyen admirable de le mettre 
à cent lieues de l'affaire discutée, de lui faire ou- 
blier la guerre pour la guerre au mari jaloux. 

M. le Duc l'était extrêmement, et amoureux. Il 
n'avait qu'elle, dans la solitude et l'exil. Contre 
les galants ordinaires, il alla jusqu'à l'enfermer, 
^ue faire contre le Roi? Il ne pouvait pas la cacher, 
lorsque le Roi, revenant de Compi^ne, passait 
par Chantilly. Pouvail-il l'empêcher de voir sa 
vénérable mère? de voir sa chaste sœur à leur 
joH Madrid, oîile Roi se grisait la nuit? En dé- 
cembre 1756, M. le Duc est en pleine faveur. Et, 
pour le constater, sa mère reçoit pour la petite 
femme un don solennel dediamants (Fleury n'est 
pas toujours avare), les lui plante en aigrette au 
front (de Luynes). Elle en garda sa part. Comblé 
et caressé, désespéré, son fils l'a marquée d'un 
mol au fer chaad : « N'était-ce pas assez d'avoir 
vendu vos iilles, sans traliquer de votre bru? » 
Revenons. Dans ces jours de la suprême déci- 
sion, 17 et 18 août, le Roi resta à Chantilly, revint 
le 19 à Versailles. La reine était à l'heure, on 
peut dire, de sa Passion, entre la vie, la moi"l. 
Stanislas paraissait le plus lâche des hommes s'il 

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— 135 — [1755-1155] 

ne partait, s'il n'éeoulait l'appel Irès-pressanl de 
son peuple. Le 20 au soir, le père s'arracha de sa 
fille, pour le plus périlleux voyage qui jamais se 
fût entrepris, pourtraverser l'Europe, tant d'États 
ennemis, pouvant à chaque instant être arrêté, 
tué, par ceux qui souvent contre lui avaient tenté 
l'assassinat. Sa fille, qui se mourait d'angoisses, - 
tremblait de rien montrer, d'accuser par ses pleurs 
le départ de son père. LeKoi, justement à cette 
heure, le soir du 20, au lieu de rester avec 
elle, alla coucher à la Muette. Apparemment 
Fleury craignait qu'à ce départ tragique, â ce 
déchirement, la reine, qui eût touché les pierres, 
n'en tirât quelque mot pour son père et pour 
son pays. 

Stanislas part le 20, à travers mille dai^ers 
arrive à Varsovie (5 septembre 53). II est l'élu 
national d'un peuple qui veut vivre encore. 
Soixante mille seigneurs , gentilshommes , vo- 
tent pour lui. Brillante cavalerie, mais disper-. 
sée, qui craint pour ses foyers. Aucune armée or- 
ganisée. Le traître Auguste a désarmé d'avance. Ce- 
pendant l'Allemand n'est pas entré encore, et Ton 
n'aura'aflaire qu'aux Russes. Dix mille Français, 
si on les avait eus, eussent fourni un noyau suffi- 
sant. Stanislas y comptait. Retiré antzig, il at- 
tendait la flotte de Brest, qu'il avait laissée sous 
un homme sûr, déterminé, de parole, Buguay- 

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{173î-n3i) — 156 — 

Trouin. Il ignorait la comédie qui se jouait de Wal- 
pole à Flexiry. Le premier, devant Brest, avait 
quelques vaisseaux anglais qui allaient et venaient ' . 
Cela fournissait à Fleury celte ignoble et menteuse 
excuse ; « Nous n'osons pas sortir. Horace dit : 
« Ce serait une atteinte awc libertés eommer- 
« dates que les traités assurent à la navigation 
« de la Baltique. » Horace s'y oppose... Deman- 
dez à Horace... » Voilà l'hiver, les glaces. La 
Baltique est fermée. 

La ville de Dantzig s'obstinait noblement à dé- 
fendre son roij I^alement élu. Elle bravait les 
Russes qui arrivaient. Qui croirait que si tard, ne 
voulant rien au fond (qu'amuser et tromper la 
reine !) , on eut l'indignité, le 18 novembre encore, 
de faire écrire le mannequin royal, d'encourager 
les résistances par les paroles de Louis XV, et 
d'enhardir Dantzig à se faire écraser? 

Sur le Rhin, on avait trouvé moyen de ne rien 
faire non plus. Nous avions cent mille hommes; 
l'Autriche, par le dernier effort, n'en eut que 
soixante mille. Villars et les Bellisie voulaient que 
l'on perçât dans l'Allemagne, qu'on lançât la Ba- 



' Ce fait, absolument ignoré des hisloriens, m'est donné par un Uire 
rare, dont je dois la communication i H. Ladislas Mickiewici ; Histoire 
de Stanislas (par H. Chenriei), Londres, 1741. — k cela près, Villars, 
Noailles, Duguaj- Trouin, etc., donnent tout; Noailles surtout, nos nù- 
sères d'ItnUe, l'imprévoyance du ministère, l'abandon de nos soldats, 
sans abri, sans bôpilaui, etc. 



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— i57 — (n33-n») 

vière, qu'on mît en liberté lanl de haines muet- 
les. Fleury disait ; « Sans doute, si nous avions 
l'Empire pour nous, ijous entrerions. » — «L'Em- 
pire sera pour vous, lui répondait Villars, le jour 
que vous serez dedans, n 

Mais Fleury, en traînant, gagne le 12 octobre, 
la saison pluvieuse. On passe alors le Rhin. Pour- ■ 
quoi? pour rien du tout. On revient. Car il pleut. 

C'est-à-dire que l'Autriche peut se tourner vers 
l'Italie. 

Là même, autre déception. Yillars avait cru 
tout facile. Mais comment? Par la chute de Fleury, 
que l'on espérait. Le Piémontais aussi. Il était 
plus sincère pour nous qu'on ne l'a ditv Mais, 
Fleury restant maître et le ministère de la paix, 
il avait tout à craindre. Villars avait beau lui 
prêcher qu'il fallait accabler l'Autriche, pen- 
dant qu'elle était désarmée. Sourd et muet, le 
Savoyard s'en tenait à son Mdanais. C'était déjà 
beaucoup, et plus sans doute que ne permet- 
trait l'Angleterre. Cette amie de l'Autriche, qui 
déjà empêchait la France de l'attaquer en ces 
membres extérieurs, aux Pays-Bas, aui-ait-elle 
permis que le fougueux Villars, entraînant le 
Piémont, la frappât au Tyrol, et la menaçât au 
cœur même? 

Villars eut un moment d'espoir, voyant, en fé- 
vrier, l'armée des Espagnols qui enfin arrivait. Il 

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{iî35-i735) — 138 — 

y court. Mais déjà ils lui tournaient le dos, s'en 
allaient au Midi. Ils ont leurs ordres, ne veulent 
pas comprendre que leurs conquêtes du Midi ne 
seront rien, si on laisse l'Autriche armer derrière, 
se relever. Viilars leur montre au Nord le gros 
nuage noir qui se forme au Tyrol. Rien de plus 
ferme que les fous. La Farnèse et Philippe dé- 
fendent expressément qu'on* agisse d' ensemble. 
11 faut qu'on coure à Naples.-PIan stupide qui 
fut couronné du succès. Comment? Par un mi- 
racle que l'on ne devait pas attendre, par la 
valeur imprévue, étonnante, de nos soldats no- 
vices, qui tinrent les Autrichiens au Nord, mon- 
trèrent tous les courage, celui même qu'on n'at^ 
tendait guère, un sang-froid merveilleux. Et cela 
(on peut dire) sans généraux. Viilars était mort 
de chagrin. Deux vieillards lui succèdent, Coi- 
gny, Broglie, et gênés, de plus, glacés par les 
lenteurs voulues 'du Piémontais. Broglie, à la Sec- 
chia, presque pris, échappe en chemise. Mais 
partout nos petits soldats ont une solidité d'airain. 
Les Autrichiens, qui ont des corps merveilleux 
pour l'attaque, la charge Hongroise aveugle, la 
rage en manteau rouge des Croates altérés de 
sang, avec cet enfer militaire qui trouble l'ima- 
gination, n'émurent en rien les nôtres. Ils re- 
çurent à merveille tous les généraux ennemis qui 
venaient un à un se faire tuer en menant ces 

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— 139 — (1733-1735) 

chaînes. Peu de prisonniers des deux parts. Aux 
batailles furieuses de Parme, de Guastalla, il fut 
constaté cpie la France, sans avoir jamais vu la 
guerre, était toujours la France de Malplaquet et 
deDenain. 

Chose fort nécessaire, de salut pour les Espa- 
gnols, pour l'infant Don Carlos qui, dans son 
agréable promenade de Naples, aurait été bien 
dérangé. Les trente, quarante mille Allemands 
que nous tuâmes au nord de l'Ilàlie lui seraient 
tombés dans le dos. Il put triompher à son aise^ 
n'ayant qu'à recevoir les clefs des villes qui ve- 
naient au devant. Il put même, sur les petits 
restes des garnisons tudesques qui fuyaient du 
Midi, gagner une fort jolie bataille qui lui coûta 
peu (Bitonto, 25 mai 1734). 

Au Nord, la vaillance inouïe de cette jeune 
France de la paix, précisément la veille (24 mai 
1734), avaitéclalé, etnon moins l'éclatante lâcheté 
de son gouvernement. 11 ne s'agissait plus du 
trône de Pologne, mais de la vie de Stanislas, en- 
fermé dans Danlzig par Tarmée russe, et que cette 
cité défendait. Cent mille hommes, Russes et Alle- 
mands, occupaient la Pologne. Trente mille ser- 
raient Dantzig. Elle était soutenue par sa foi à la 
France. Lui-même, Stanislas croyait très-ferme- 
ment que le père de la reine de France ne pouvait 
être abandonné. Les glaces empêchaient seules, 

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(ns3-n55) — 140 — 

disait-on, le secours. Elles fondent, on ne voit 
rien encore. Le 10 mai (joie immense!), on dis- 
tingue quelques vaisseaux. Ils sont liés par leurs 
ordres précis. Ils descendent des hommes, mais, 
voyant tant de Russes, ils les rembarquent, lais- 
sant Dantzig dans le désespoir. 

Un Français, xm Breton, Plélo, était notre mi- 
nistre à Copenhague. Homme d'esprit, connu par 
des vers agréables, membre de l'Entresol (le 
club de l'abbé de Saint-Pierre), il était de ces rê- 
veurs qui anticipaient l'avenir, qui avaient au 
cœur la pairie. Il rougit pour la France en voyant 
cette reculade. Il eut un sentiment aussi de 
pitié, de chevalerie, pour la pauvre reine de 
France, Les chefs s'excusant et disant qu'ils 
n'avaient pu mieux faire, que la chose était impos- 
sible: « Eh bien! dit Plélo, suivez-moi. Vous ver- 
rez comment on s'y prend*. » 11 fait, comme il le 
dit. Quelques Français le suivent. Avec ces ama- 
teurs et quinze cents soldats seulement, il attaque 
les trente mille Russes à couvert dans leurs lignes. 
Il les forçait, s'il n'eût été tué. 

Ces choses-là faisaient réfléchir les Anglais. 

Elles augmentaient terriblement leur crainte 
de la France, leur amour de l'Autriche. Elles 
contredisaient fortement l'opinion bizarre que ces 
amis avaient de nous. 

C'était chez eux un article de foi que nous 

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— Ul — (1Î32-17») 

n'existions plus, qu'après Louis XIV le peu qui 
restait de la France, le résidu des guerres, le co- 
pta mortuum des ruines et banqueroutes, était 
venu à rien, et comme race même était lini. Les 
purs Anglais, qui sortaient peu de l'île, étaient 
bien convaincus qu'il n'y avait ici qu'un ramas 
d'avortons, perruquiers, cuisiniers, maîtres de 
danse ou filles. C'est le sujet chéri d'Hogarlh, le 
«ontraste étemel de l'Anglais fort, grand, bien 
nourri, et du Français, grenouille ou lézard qui 
frétille. 

Cela allait plus loin. De l'autre côté du détroit, 
ie credo était tel : le Français, c'est le vice; l'An- 
glais, c'est la vertu. La petite chose gazouillante, 
dansante, qu'on appelle un Français, ne loge rien 
que vent dans sa tête légère; ni foi, ni loi; au- 
cun principe. La solide créature anglaise, avec sa 
double base de Bible et de Constitution, marche 
au chemin de Dieu, et fait œuvre de Dieu en 
pesant sur la terre, mangeant le plus possible, et 
consommant de plus en plus. 

Dès le commencement de la guerre, ils travail- 
laient sérieusement pour que la France n'y gagnât 
rien, pour que l'Autriche lût quitte à bon mar- 
ché. Dans l'année 1754, ils ne se pressèrent pas, 
voyant morts Villars et Bei-wick, et la France 
sans généraux, espérant que l'Autriche, avec tous 
ses barbares, à Parme, à Guasialla, allait nous 



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éreinter. Mais quand ils la voient elle-même usée 
et épuisée, Eugène à qui l'on prend Philipsbourg 
sous le nez, Mercy tué, Konigseck qui traîne 
comme un serpent coupé, alors notre amie An- 
gleterre, sérieusement inquiète, se met devant 
l'Autriche, et décidément la protège. Elle se porte 
médiatrice (février 1735), et propose impartiale- 
ment un plan tout autrichien. 

Ârtide \". — L'unité, l'éternité de l'empire au- 
trichien, au profit de son héritière. Donc, point 
d'élection de Bohême, de Hongrie, et l'Empe- 
reur sera toujours un antichrétien. 

Soufflet assez fort pour Versailles. Car on a 
flatté Louis XV, qui lui aussi descend de Charles- 
Quint, que la ligne mâle autrichienne s'éteignant, 
il pourrait arriver par l'élection. Fleury, que l'his- 
toire dit si sage, s'était avancé sottement sur cette 
ridicule espérance jusqu'à dire que, plutôt que de 
garantir l'héritière, comme le demandait l'em- 
pereur, « il aimerait mieux trois batailles » 
(ViUars). 

Article 2. — L'Espagne garde les Deux-Siciles. 
Mais l'Autriche, qui n'avait nulle force dans ces 
possessions lointaines, en revanche épaissit au 
Nord. Au Milanais qu'elle garde, elle joint la 
possession de la Toscane, plus voisine, aisée à 
défendre, tandis qu'une île n'était rien pour cet 
Autrichien sans vaisseaux. 



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— 145 — (iias-iTO) 

Article 5. — Le père de la reine de France 
rwonce au trône. Nul dédommagement, aucune 
indemnité... qu'un bien à lui, im petit bien de 
noble polonais I Plus, l'honneur dérisoire d'une 
ambassade qui le remercie d'abdiquer. 

L'esprit gravement facétieux du mystificateur 
Walpole brillait dans cette plaisanterie. 

ChauTelin, à l'idée d'éterniser l'Autriche, fut 
accablé, désespéré. Mais, loin de l'écouter, Fleury 
envoie à Vienne un homme à lui. Que veut-il, 
l'innocent? Signer, sans les Anglais, seul à seul 
avec l'empereur, tout ce qu'ont dicté les Anglais. 
Gela se fit ainsi. 

Fleury était un homme modeste et sans ambi- 
tion. Que la France n'eût rien, qu'on !(^eât Sta- 
nislas seulement dans le duché de Bar, cela lui 
allait à merveille. Chauvelin s'indigna, travailla 
(par la reine, par la Mailly? par tous), et il exigea 
pour la France, pour tant d'at^ent, de sang, qu'elle 
avait sacrifié. 11 obbgea Fleury d'exiger la Lor- 
raine, dont l'héritier passerait en Toscane *. Très- 



' Le râel est presque toujours bien au-delS de tout ce qu'on eût sup- 
posé. Les pièces rëceuimenl publiées Trappeut de stupeur. On y voit qui- 
dès le nlois de nui 1755, Fleury demandait la paix k genoux aux Au- 
trichiens {Havssonville, IV, p. 6'27). On y voit qu'il envoie successi- 
Tement trois agents secrets à Vienne, et que dans son désir excessif de 
lapaii, il entrave la paix, coniprometlaDt, embarrassant ses propres 
agents mâme {Ibid., 401-437). On le voit lichenient dénoncer Quu- 
Telin i l'ennemi. Sans ia firmeté de celui-ci, Fleury eût payé la future 



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(1752-1735] — 144 — 

imporlante acquisition, indispensable aux com- 
munications de Champagne, d'Alsace. Excellente 
barrière d'un si Taillant pays, si profondément 
militaire. 

Cette guerre avait fait un grand mal et un petit 
bien. 

Le petit bien fut la Lorraine remise ans bonnes 
mains de Stanislas, la Toscane mieux administrée, 
qui eut bientôt son Léopold. ÂNaples, le gou- 
vernement incapable des Espagnols fut obligé 
de prier l'Italie d'administrer, de gouverner. 

Le mal, et très-grand mal, est la dissolution de 
la Pologne, le salut de l'Autriche, qui reste au- 
torisée à perpétuer à jamais l'étoitffement des 
nations. 

C'était un grand moment, celui qu'on a perdu. 
Moment unique, de si belle espérance. L'Em- 
pire n'était pas mort. La Bavière et la Saxe, le 
Palatinat protestaient. Dans les petits Étals, moins 
hardis, chez les populations honnêtes delà bonne 
Allemagne, subsistait l'étincelle du droit, de la 
patrie. L'Allemagne, la biche au bois dormant, 
avait assez dormi; elle se réveillait; sur la face 
de bêle lui revenait la face humaine. Ils redeve- 
naient hommes aussi, ces peuples du Danube qui 

possession de la Lorraine, il eût conseoti que l'Empire et VEmperenr 
eussent Hne armée en Lorraine, presque en Gbanipagne, c'est-i-dire 
au coeur de la France, etc. 



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— 145 — inSi.l7!5) 

ont sauvé l'Europe^ et qui, pour récompense, par 
la ruse aulrichienne, sont tenus à l'état de loups, 
que de temps à autre elle lance, quand l'Anglais 
la paye pour cela. Ces peuples allaient sortir de 
ce honteux enchantement. 

Qui l'empêche? C'est l'Angleterre. 

A ce moment, Voltaire disait à )a légère dans ses 
Lettres anglaises (1. VIII, p. 149) : « Qu'elle aime 
la liberté au point de la vouloir, de la défendre 
chez les autres même. » Remarquable ignorance. 
L'Angleterre justement alors affermit l'esclavage 
des États autrichiens, livre les Polonais aux Alle- 
mands, aux Russes. 

Laide contradiction. C'est dans la même année 
(1731) que l'Angleterre écoute la prédication de 
Wesley, se réforme, assombrit son austérité pro- 
testante, — et que, d'autre part, l'Autrichien finît 
sa dragonnade des protestants hongrois et des pro- 
testants de Saltzbourg. Voilà caque l'Anglais pro- 
tège en 17351 Qui dira qu'il est protestant? 

Si l'Angleleri-e eût été protestante, elle eût 
cherché son point d'appui uniquement dans l'Al- 
lemagne du Rhin, du Nord, dans les deux États 
Scandinaves, unis, fortifiés. Avec sa très-étroite 
jalousie maritime, ses petites vues sur la Baltique, 
elle a toujours tenu en deux morceaux, c'est-à- 
dire annulé, brisé t'épée du Nord, qui l'aurait 
tant servie. Elle a plutôt soldé une épée catho- 

«».. . 10 

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(l7S3-lTîi) ■ — IM — 

UijOB, gardé 4'enipù^ barbare oà le pa^nsne est 
UB jMiDstre de guerre. 

Ici, de tout son poids l'Av^eterre s'asseoit 
aTec FlcHrysur la lounle pieire cathoUqve -dant 
toute liberté est écrasée. L'flffortde 47^, notre 
élan de réveil, anmaent avortent-ils? C'est le 
secret des deux Walpoie. Ils rêgnaieiit idaas Ver- 
saiUeB. Us rcgnaioit dans nos ports, v«Haient 
notre inarine, la solitnde de Brest et de Toulon. 

Doginy-Trouin, un jour, se eousumant & at- 
toidre Fleury, voit dans cette antichambre et la 
fo»lâ dorée ou misérable à culotte percée, d'na 
visage dévasté et sombre. C'est l'homiae q«i ^ 
trembla'lesmers,e'estlenaHtaiisGassaTt. Dug«ay 
alla à toi, le serra dans ses bras. Ses yeaz 
n'étaient pas secs. Il plenrait sur la France, 
hébsl aussi sur lui. Il ne revint jamais 'd'^étre 
resté dans Brest enchaîné devant les An^sôs. fl 
s'éteignit l'année suivante. 



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CHAPITRE X. 



Vdbire. 1734-1739. — Le roi ne bit point ses pîques. 1739. 



'' Dans Cfitte paix malsaine qu'avaient rétaUie les 
Walpole, une chose devait les cootristerj c'est 
ce qui avait A^>aru si fortement en 1733 : Xa 
France était par die-même. 

Fort opposée à sou gouvememeat. CeJui-ci avait 
Feooooé à toute mariae militaire. Mais la France 
faisaU <ks -vai^eatlx. Â lArieat, à Saint-Malo re- 
naissait un commerce hardi qui demain se fe- 
rait corsaire. 

Autre découverte fàcbeuse. Quelque soin que 
Flenry prît pour £air« une guerre ridicule, le 
Françaïâ apparut un ilangereux soldat. 

La presse a pris l'élan, oe retournera plus à 
i'éUt étouCEé, muet, de 1728. Des livres ibrts 
éclatent de moment en moment. 



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L'hisloire a commencé, — narralive dans le 
Charles XII (1751), — réfléchie, politique, 
dans la Grandeur et décadence des Romains 
(1754). Ébauche magistrale, qui, par ce temps 
de petitesses, montrant dans sa hauteur la co- 
lossale antiquité, fait rougir le présent. — Autre 
effet, et plus vif, quand les Lettres anglaises 
opposent à nos misères la grandeur britannique, 
l'empire que l'Angleterre a pris dans les af- 
faires humaines. 

Dans ce livre, Voltaire, trop favorable à l'An- 
gleterre, n'en établit pas moins une grande vé- 
rité qu'avaient dite les Lettres persanes : « Le 
protestantisme a vaincu; en tous les sens, il a 
pris l'ascendant. » 11 tolère et fait vivre en paix 
toute la variété des sectes. 11 a donné l'essor au 
gouvernement libre, à l'activité énei^que qui fait 
trembler les mers. — Grands efforts. Et le peu- 
ple n'en est pas écrasé. Ce peuple, si différent 
du nôtre, est velu, est nourri. Il est fier, il rai- 
sonne. I) a jugé ses rois. 

Newton à Westminster, le solennel hommage à 
la science, au génie, la royauté de ta raison, 
c'est ce qui couronne le livre. II essaye de nous 
introduire, non pas dans la vie du savant (comme 
fit l'ingénieux Fontenelle), mais dans la science 
elle-même, dans l'exposition difficile des lois as- 
tronomiques , physiques , au sein même de la 

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— 149 — ■ (nî*-«50) 

nature. 11 ouvre au grand public, à Tignoraut^ 
à tout le monde, l'entrée de )a via sacra, où 
la science et la religion se confondront de plus 
en pins. 

Pour lancer un tel livre, en 1753, Vollaire 
attendait, espérait la chute de Fleury. Il ne le lâcha 
qu'en anglais et à Londres (août-septembre). Il 
retenait encore l'édition française à Rouen sous 
la clef. Mais ce terrible livre, comme un esprit 
qui rit des portes et des serrures, s'envola de 
lai-même. En France, en Hollande et partout, 
il circula, pour l'eiîroi de Voltaire qui, dans ses 
circonstances toutes nouvelles, eût voulu le gar- 
der encore. 

Grand changement. Il redoutait l'exil. Il avait 
pris racine. Il était marié. 

Uarié d'amitié avec un esprit sérieux, l'un 
des plus virils de la France, M*" Du Ghâtelet, 
si lettrée, si savante, éprise des plus hautes 
éludes, traduisant Virgile et Newton. Elle était 
parfaitement libre, dans les idées d'alors, dé- 
laissée, oubliée de M. Du Châtelet. Elle avait 
vingt-sept ans, avait déjà vécu, traversé l'étude 
et le monde, n'avait rien trouvé pour le cœur. 
Elle avait des méthodes, point de fonds. C'est le 
fonds, la vie même qu'elle sentit en ce petit 
livre. Son cœur fut plein, et se donna. 

Voltaire était malade et dans sa crise obscure 

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{n3*-n5e) — iso — 

de 1753 lorsque cet ange de Newton vint, amené 
par «ne amie, le voir dans son triste \o^s près 
Saint-Gerraîs. Newton, comme on a vn, avait 
fait sa fortune, et il lui donna une femme, éprise 
et dérouée, très-noble compagnon de (ravai! qui 
adoucit sa vie, qui n'altéra en rim, mais aug- 
menta sa liberté. 

Quinze ans durant il ent chez ^le un agréable 
ffsile, très-près de la frontière, qui loi permît 
d'oser, mais parfois d'âfuder l'orage. B était, n'é- 
tait pas en France, avait un pied dehws sur la 
terre de la liberté. 

En avril 1754, le danger ftit réel, Voltaire 
quitta Paris. Une lettre de cachet fui lancée 
contre lui de Tersailles, et en même temps, le 
Parlement, sur une plainle des carés, fit lacé- 
rer, brûler le petit livre par la main dn bour- 
reau (juin 1734). 

Il était près d*Autun chez les Guise et les Bi- 
ebefieu qui ne le cachèrent pas. H était sans 
asile. M" Du Chitelet franchit le pas, et le ca- 
d)a chez elle. 

C'était chose basardense. Et tout le monde fut 
contre elle, sauf M. Du Ghâldet. Homtne d'es- 
prit et dès longtem^H désintéressé de sa femme, 
il trouva bon qu'elle abritât ce beau génie per- 
sécuté, sans famille, ami, ni foyer. Il défendit 
V(^taipe, lui raidit des services. 

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— 151 — (H3fc-1739) 

Hôte peu redoutable^ à vrai dire, peu com]H'«- 
meUanU Cette maigre figure^ d^ de quarante 
ans, Dfirreuse et maladive, malade imaginaire de 
phos, touj,oiirs mourant, entre la casae et le café, 
w^ ombre d'homme, il le disait lui-même, don- 
nait peu l'idée d'un galant. Ën&rmé tout le jour, 
n'apparaissant qu'une heure, ounme un iarfedet 
de pas6age„ même à Girey on le voyait à peine. 
M"' de Grafiigny qui l'y vit, et W de Staal à 
Sceaux, lai trouvaient l'air d'un xcvenant, d'un 
petit moine d'autrefois aux yeux m^^na et doux, 
dont l'âme curieuse Tiendrait de Tîuitre monde 
visiter celui-ci. 

Unian bien sérieuse pour Emilie, jeune en- 
core» belle et forte,, dans son ^e de viii^-s^t 
auSf riche de vie, de sang^ bien plus que ne 
le sont ordinairement les grandes dames. Le tra- 
vail la sauvait. Ses lettres, très-intimes, secrètes, 
à d'Ai^eatalf lui font beaucoup d'booneur. Elles 
démentent ce qn*(m a dit si légèrement : qu'aile 
n'aimait Yollaire que pow le bruit elle succès. 
Elles sont graves et d'un honnête homme, mais 
fort passicaittées, d'un véritable cullo pour Vol- 
taire. Dans ses constantes inquiétudes, elle reste 
très-noUe; elle désire sans doute « qu'il soit 
s^e, n ne se compromette pas trop ; mais elle 
ne l'exige point. Elle n'impose aucnn sacrifice, 
respecte tout à fait la mission de ce grand esprit. 

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{1734-1758) _ 152 _ 

Loin de le détourner vers la liltéralure secon- 
daire, les petits succès, elle l'admire, le suit de 
son mieux dans son essor philosophique. Elle 
l'éloigné au contraire de son faible Louis XIV, 
œuvre médiocre et légère. Tant qu'elle put, elle 
le retarda, tint le manuscrit sous la clef. 

Cirey, dans un paysage mesquin, château peu 
gai et délabré, ne pouvait plaire qu'à de tels tra- 
vailleurs. Deux appartements seuls y étaient habi- 
tables. Au premier, la sérieuse dame calculait, 
traduisait Newton*. Sous elle, à l'entresol, Vol- 
taire écrivait tout le jour. Là il paraît très^rand. 
Cirey lui fit son équilibre, il fut universel et 
rayonna de tous côtés. A travers les poèmes et 
les drames, les traités de philosophie, il expose 
Newton, étudie la chimie, fait ses expériences, 
son Mémoire sur U Feu. Il défend Réaumur dont 
on méprisait les insectes. Il pose le principe 
admirable : « Nous devons à notre âme de lui 
donner toutes les formes possibles, » Ce prin- 
cipe il l'applique, avançant en tout sens avec une 

* El, de Newton, elle passait, non sans grîce, aui arraDgemeats in- 
térieun. Elle apparaît charmante dans cette jolie lettre >lc Voltaire : . 

• La Toiciqui arriie de Paris. Elle est entourée de deux cents ballots 
qui ont débarqué ici. On a dea lits sans rîdeait, des chambres sans Fenê- 
tres, des cabinets de la Chine et point de fauteuils, flous faisons rapié- 
celsr de tieilles tapisseries. Elle est devenue architecte et jardinière; 
elle fait des feuAies où j'aiais mis des portes, dunge les eicaliert en 
cheminées. Elle lait l'outrage des fées, meuble Circj arec rien.,, b — 
heures, nov. 17&4, p. 55S, S5T. 



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— 153 — (1734-11391 

vigueur merveilleuse et cette ambition conqué- 
rante que Vice appelait « un héroïsme de l'es- 
prit (mens hermea). » 

Ce qui surprend le plus, c'est que les grands 
orages lui viennent à chaque instant pour des 
productions très-légères autant que pour ses livres 
hardis. Pour le Temple du goût il est persécuté. 
Persécuté pour une épître à Uranie. M™ Du Châ- 
lelel est toujours dans les transes. En 1734 et 
1755, ils respirèrent à peine. En plein hiver, 
alerte (26 décembre) ; il s'en va de Cirey, se met 
en sûreté. Autre plus grave, en décembre 1736 
pour la plaisanterie du Mondain, et celte fois il 
part pour la Hollande. Elle le suit. Les voilà sur 
la nrige à Vassy {4 heures du matin). Elle 
pleure. Va-t-e!le revenir seule dans ce Cirey dé- 
sert ? Ou va-t-elle avec lui, en laissant là ses 
enfants, sa famille? Voltaire l'en empêcha. Tout 
souffreteux qu'il fût, seul il passa l'hiver dans 
cette froide et humide Hollande, caché le plus 
souvent, redoutant à la fois la haine de nos ré- 
fugiés, et les calomnies catholiques du vieux J.-B. 
Rousseau, qui allaient jusqu'à Fleury même, 
pour éterniser son exil, lui fermer le retour, lui 
faire perdre l'asile que lui avait fait l'amitié. 

A ces misères joignez les procès, les libelles. 
On lui avait lancé le libraire de Rouen, desti- 
tué pour les Lettres anglaises. Sous le nom du 

DolizccbvGoOglc 



(IMWISB) — 154 ~ 

libraire, on publiait cait calomnies. Le faux 

fNTotecteur de Voltaire, Mafurepas prétendit tout 
arranger en écrasant V(4taire^ lui infligeant la 
hcffile d'nne amende à payer aux pauvres. 

La situation g^iérale empire en 1137. TouLe 
liberté perd espérance avec l'homme de rise et 
d'audace qui avait cru succéder àFleory. Ghau- 
velin est chassé (février), chassé pour too- 

JOUTS. 

Son crime fut d'avoir ftwcé Fleury, forcé 
l'Autriche à en Onir, par une ligne ajoutée 
de sa main à une lettre de Fleury : « Qu'en at- 
tenàAniy le ^.oi garderait PhiUpsboweg^ Trèoes 
A KM, y> — que, si Voa ne finissait ri@a, 
nous resterions toujours en Allem^ne. 

Acte hardi, qui fit peur, décida tout^ mais 
perdit GhauveUn, 

Depuis deux ans l'Autriche et les Walpole. le 
Iravaillâient. D'abord on lui o^it de l'ai^elit. 
Puis, comme il refusait, on le calonmia, on 
soutint qu'il volait. U aurait v(dé... une montre! 
|Barbi^, etc.). Enfin par un coup plus halnle, 
Walpole se procnra des lettres oiî Cbauvelin com- 
muniquait avec l'Espagne (dans l'intérêt de la 
France). On cria à la trahison. 

I.ifô dates rendent à ces sottisea, disent la 
vraie cause de sa chute. Vaincu et effrayé par 
sa fermeté, l'Autrichioi lâche enfin la Lorraioe, 

Douze. bvGoogle 



— 155 — (ITSUTMl 

15 février 1737*. Le 25 février, Chanvelin est 
exilé pour !a Trie. Jamais l'Autrichien, ni t'An- 
gtais, jamais )e parti prêtre, ne oonsentiFent à 
son retour. 

U laissait des regrets à la cour, dans rarmée. 
an Parlement, partout. Il avait un parti ou deux 
partis plutôt : celui du bien puliJic, et celai de la 
guerre. Et ce dernier si fort, qu'il fallut Toocuper, 
«m doDuaut aux Génois un secours pour réduire 
la Corse, armée cwitre eux sous un aventurier qui 
se proclamait roi de l'île. 

A la cour, les meillairs étairait pour Ghauvetin : 
j'entends M. delaTrémonilte, alors bien réfwmé, 
et la bonne Mailly, d'un cœur honnête, ardent, 
fort désintéressée, qui resta toujours pauvre, ne 
voulant que l'amour, l'honneur, ta gloire du Roi. 
Elle l'avait aimé déplus en plus, mais avait pen 
d^espril, de la jalousie^ l'ennuyait. D aimait beau- 
coup mieux la jeune femme de M. le Duc, comme 
on a TU. Seulement^ pour la tirer de Chantilly, le 
[«■«ttier point était de renvoyer Fleury, de donner 
au mari pour sa femme la royauté même. 11 anrait 
h\hi qne le rm changeât sa vie, ses habitudes, 
immolât aux Gondés non-seulement Fleury, mais 
les légitimés, le comte de Toulouse e* l'aimaWe 
comtesse qui, si souvent, si l»en, le recelait i 
Bambooillet. 



■ D'HaunonvilIe, Riunion de la Lorraine, Vf, 489 . 



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[17S*-n59) _ 156 — 

Ainsi troublé, indécis, en 1737 et 1758, entre 
la reine et la Mailly, seul en réalité, il eut des 
échappées sauvages et de hasard, non sans danger 
pour sa santé. D'ennui, d'épuisement ou d'autre 
cause, il fut malade (février 1758), et juste au 
même mois où Flenry, très-malade aussi, semblait 
près de s'éteindre. La nuit du 20, celui-ci appela 
son vieux valet Barjac, et lui dit : « Je me meurs ! » 
(Luynes, II, 41). — Grande agitation dans Ver- 
saOles. Que serait-ce si tout à la fois le ministre 
et le roi manquaient ? 

La reine serait-elle r^ente? Ses amies en par- 
laient. Sous elle eût gouverné un second Fleury, et 
tout prêt, Tencin, le fourbe, l'intrigant, dont l'œil 
dur et faux faisait peur. Le roi y répugnait. Mais 
il avait pour lui toutes les saintes, et celles du 
cercle de la reine, et les dames de Noailles, la 
perle des Noailles surtout , madame de Tou- 
louse. 

Celle-ci, douce et fine, avisée, travaillait à la 
fois et pour l'Église et pour son fils. Les Coudés 
demandaient que ce fils, le jeune Penthièvre, à 
la mort de son père Toulouse, ne gardât pas le 
rang si élevé que l'amour du grand roi avait fait 
aux légitimés. M""' de Toulouse, même du vivant 
de son mari, serra le roi de près, lui donna de 
petits soupers (Luynes, II, 169), au grand éton- 
nemenl de la cour. On savait à quel point le roi, 

Douze, bv Google 



— 157 — (n3*-i7M) 

après boire, s'oubliait. M. de Toulouse mort, 
Madame, éplorée, inondée de larmes (très-sin- 
cères), en revoyant te Roi, se jeta dans ses bras, 
lui donnant le fils et la mère. Le Roi fut fort 
touché. Elle semblait un peu sa mère aussi, et il 
t'aimait d'enfance. Dans cet aimable Rambouillet, 
dans cette idylle austère d'un ménage accom- 
pli, ^lle le recerait, le caressait avec une grâce 
ilialernelle, le formait, l'amusait d'agréables pro- 
pos, mondains, dévots, des histoires du grand 
règne et de la belle cour. Avec sa gravité sou- 
riante, une vertu si sûre, vingt-deux années de 
plus, elle pouvait s'avancer plus que d'auti'es, 
avertir l'enfant mal guidé de bien des choses dé- 
licates, l'ennoblir, l'épurer, lui dire ce que c'est 
que l'amour. 

Une seule chose Ëiit ombre ; c'est que la faible 
mère, cherchant avant tout la faveur, laissait jouer 
son fils [du premier mariage) Épemon aux petits 
cabinets, si mal notés. Et, pour son fils Pen- 
thièvre, elle se hasarda elle-même. Elle avait un 
grand avantage, gardant dans son veuvage un ap- 
partement très-commode, où le Roi à toute heure 
descendait sans chapeau, par un escalier dérobé. 
M. de Toulouse avait eu (de sa mère Monlespan) 
une clef pour entrer chez le roi. Cette faveur 
subsisterait-elle ? M'* dé Toulouse y réussit adroi- 
tement. Gomme le Roi s'amusait à tourner, elle 

Douze, bv Google 



[i3S*-lî3fl) _ 158 — 

lui fît tourner dans un bois qui lui -vetaii de son 
mari, un étui pour meltre la clef. En lui rendant 
l'étui, le Roi donna l'inestimable passe-partimt 
{17 mars 1738). 

Ayaiil la def et l'escali^, on atrivait au 
dernier cabinet oik le roi éciivail, k la fanmise 
garde-robe où se trancha deux fois le destin de 
la naonarchie. lollmité si grande que le Roi la 
reAisa à sa iille HenrieUe, ne l'accorda jamais 
qu'à son Adélaïde. On pouvait en elFet, lui ab- 
sent, voir tous ses papiers. On pourait le sur- 
prendre à lelle h«ire bien choisie, où la sur- 
pr^ est désirée. 

Quoi qu'il en soit, M"* de Toulouse, véritable- 
ment affligée, restait dans sa ligne de deuil, passant 
souvent deux heures à la chapelle au SoBd d'un 
confes^onnal où elle lisait à la bougie. Sao appar- 
tement même, avec la petite cour pavée de mar- 
bre blanc et noir, avait un air de eloîtr e à l'espa- 
gnole. Tout cela imposait. Et si quelqu'un pensait, 
du moins on n'aurait pas jasé. L'eicuse au reste 
était le iils et l'extrême besoin qu'elle avait du 
Roi pour ce fils. On lui reproduit peu des amitiés 
utiles qu'il lui Mlait subir. Les complaisantes 
invariables des plaisirs du Roi (la Charolais, 
D'Ëstrées) chez qui souvent il se grisail, se 
trouvèrent très-4iées avec M*"* de Ttmlouse. D'Ar- 
genson, par deux fois^ observe un peu cpiqu»- 



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— 1» — [ns*-«s»; 

ment que eelle-û a (pii a l'escaiier dérobé, » 
peai .se Caire désirer par sa dévotion même, fille 
était btanche et ^asse {it Mailly maigre et 
noire), et, maigre les années, ftwl, conservée par 
sa Tcrtu. A ciaquaate ans elle ^il belle, une 
très-agréable maman. 

Entre mai et octobre, elle avait, mois par 
mois, «t degré par degré, r^it tous les h<m- 
nfeurs, biens et dignités de son 61s. Au souper 
de Fontainebleau, ce jeune fils (comme prince) 
servit le Roi à table. Elle-même servit au des- 
sert, dcHina au roi un verre et une assiette, et 
par là constata son rang. 

Husieurs crurent vnr une Maintenon, mais 
celle-ci non sèche, au «onUraire, douce, aimable. 
L'âge n'aurait lien empêché. L'amour dévot, 
jésuite, avec ses vastes complaisances, eût fait 
plus que beauté, jeunesse. M™ de Toulouse, 
unie avec la reine et Tencin, le parti des 
honnêtes gens, eût pu garder le Roi par l'attrait 
maternel, la saveur du demi-inceste, ce lien équi- 
voque, que tous £&Tomaient, honoraient et voi- 
laient. Cependant dle-méme se cacha pen en août, 
ayant laissé le Roi se faire Chez elle à Rambouill^ 
uae chambre i coucher, pais certain cabinet, 
dont elle l'entretint longuement, tout bas, de- 
vant tous, à Versailles '. 

< Luynes, If, SQ6, 81 aoèt ilU. H ijotM : i La bitœt Mriabi. i 

Douze, bv Google 



Cela dut attrister H" de Hailly, qui vit qu'elle 

ennuyait, et que le roi peu à peu échappait. 
Elle chercha un amusement. Elle appela sa laide 
et spirituelle sœur, M"* de Nesie, dont la figure 
la rassurait. Cette grande fille, lâchée du cou- 
vent, avec une vive gaieté, remplit te maus- 
sade Versailles de sa jeunesse et de ses badi- 
nages, hardis, mordanls, qui n'épai^naient per< 
sonne. Elle étonna le roi en se moquant de lui-. 
Et il y prit plaisir. H ne pouvait plus s'en passer. 
Dès le 22 décembre, il voulait qu'elle soupât 
avec sa sœur aux petits cabinets (Luynes, II, 
295). On eut peine à parer ce coup. 

Cette rieuse était fort redoutable. Elle lançait 
d'ineffaçables traits. Dans le pays de cour, si sot, 
où on craint tant les ridicules, on avait peur. On 
remarqua le plat de la situation. Un ministre en 
enfance, une maîtres^ usée, Toulouse la maman 
complaisante de l'escalier furlif, tout était misé- 
rable, ennuyeux, excédant. II était trop facile de 
faire honte au jeune roi de sa patience. La NesIe 
était impitoyable, et le plus dangereux c'est que, 
sous ses plaisanteiies, sous ce rire et ces riens, il 
y avait une force réelle. 

Le roi élait timide, il baissait la tête et riait. 
Ceux qui voyaient de près les choses. Bachelier, 

Mot gnne, accenlué, Cort rare, chez un chrODiqncnr si discret, qui 
presque toujours ne leut pas voir, baisse les jeux. 



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— 16! — in3M73B; 

le valet ïntioie, snivireol le vent, tournèrent. La 
première girouette de France, Maurepas, tourna 
non moins vite. Il crut Fleury fini, et Chauvelin 
possible. Il avait vaillamment aidé à la noyade de 
celui-ci, profil!^ de sa chute. Ministre de Paris, et 
en même temps de la Marine, il se trouva de 
plus comme un secrétaire de Fleury pour toutes 
les Affaires étrangères. Plus encore, son altet' ego 
contre le parti Chauvelin, jansénistes et libres pen- 
seurs. En 1756, il accabla Voltaire pour les Let- 
tres anglaises. En janvier 1739, il est changé ; il 
écrit à Cirey, il courtiEe Voltaire et l'assure de son 
amitié (Lettres de M"" Du Chat. 125). 

De graves circonstances arrivaient, la guerre 
presque certaine, donc Chauvelin, le seul capable 
de la soutenir. Elle éclatait déjà entre l'Espagne 
et l'Angletare. La mort prochaine de l'Empereur 
allait la rendre européenne. Si Fleury restait là 
(c'est-à-dire l'impuissance et l'absence de gouver- 
nement), un grand désastre était certain. 

La Nesle ne perdit pas de temps. Aux premiers 
mois de 1739, sans faire bruit, et sous le couvert 
de sa sœur la Mailly, elle prit Louis XV comme 
on pouvait le prendre. Elle n'était pas belle, mais 
plus blanche que la Mailly, plus jeune que M""* de 
Toulouse. Elle ne coûtait rien et ne demandait 
rien, n'exigeait nullement que le roi renonçât à 
rien. Il n'était pas moins assidu le jour chez la 



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(1134-113») — i6S — 

maman ; le matin, comme à rordioaire, il allait 
quelques heures bâiller au lit de la Hailly. 

Situation bizarre. Par moments, le Roi la sen* 
tait. Ce lien triple, impur (deux sœurs et une 
mère) lui donnait des scrupules, pas assez pour le 
rompre, assez pour n'oser communier. Il y avait 
des exemples de la colère de Dieu , de gens 
qui, mettant l'hostie à la bouche, ayant avalé leur 
ji^ement, étaient tombés roîdes morts. Gela lui 
doimait à penser. Six années avec la Hailly, il avait 
fort tranquillement communié. Hais ici, avec ce 
mâange, il eut peur. Rim ne put le décider à 
hasarder la cho 

« Le Roi a déclaré qu'il ne fera point ses pâques. 
Le grand prévôt lui demandant s*il toucherait les 
écrouelles (ce qui se fait après la communion), il 
a sèchement répondu : Non » (Ai^raison 5 avril 
1739). 

Fait grave, de retentissement immense à Pans 
et partout. Barbier (III, 167) se dranande comment 
le fils aîné de l'Église n'a pas dispense du pape 
pour faire ses pâques en quelque état qu'il soit. 

Les ulti'amontains altérés espéraient éluder et 
tromper le public en faisant dire une messe basse 
au cabinet du Roi, de sorte qu'on ne sût pas s'il 
communiait. « Le Roi dédaigne cette ridicule 
comédie. H ne veut pas jouer la farce, il échappe 
à son précepteur » (Ai^enson). 



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CHAPITRE XI. 



Guerre d'Autriche. Grandeur et catastrophe de la Nesle, 1140-1741. 



Le chimérique espoir du salut par la royauté, 
d'un roi affranchi par l'amour, l'idéal d'une douce 
royauté de la femme donnant aux nations le pro- 
grès et la liberté, c'est longtemps le roman du 
dix-huitième siècle. Les meilleurs l'adoptaient. 
L'excellent d'Ai^enson, obstiné à chercher son 
homme en Louis XV, à soupçonner en lui un 
mystère d'avenir, croit qu'un matin l'amour ya 
tout faire éclalw. Voltaire, moins aveuglé, dans 
son ironie même, ses moqueries légères (imitées 
d'Arioste), ne désespère jamais. A chaque avène- 
ment de maîtresse, il croit voir l'inerte Charles Tll 
réveillé tout à coup à la gloire par Agnès Sorel. 

Sous la Mailly, la Nesie, Châteauroux, Pompa- 



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(174M74I) — iU — 

dour, toujours revenait cet espoir. S'il fut un jour 
moins vain, incontes la blemenl, ce fut en 1739. 
Pour celle fois, le Roi parut aimer. Avant, après 
la Nesle, ses maîtresses ont fort peu de prise ; 
il n'en regrette aucune. Mais celle-ci vraiment 
semblait avoir mordu. La voyant sans cesse, en 
deux ans, il lui écrit deux mille billets. Et, à sa 
mort, on le crut fou. 

On sait malheureusement très-peu de celte 
femme. On en a quelques jolies lettres. Elle appa- 
raît pour disparaître. Elle n'agit que sous le cou- 
vert de sa sœur et presque ténébreusement. Elle 
estpi-udente, hardie. Tous, amis, ennemis, s'ac- 
cordent à reconnaître, qu'avec une parole acérée 
et brillante, elle eut un esprit vaste et fort, qui 
n'eût reculé devant rien. On n'en parla guère qu'à 
sa mort. Paris savait, à peine son nom, au moment 
même où, entraînant le Roi, elle semblait lancer 
sur l'Autriche et l'Europe la plus vaste révo- 
lution. ; 

Frédéric, dans ses beaux Mémoires, ne nous dit 
pas assez cela. Seul alors en Europe, mal avec 
l'Angleterre, mal avec la Russie, s'il n'eût senti 
la France pour lui, il n'eût bougé. Il sut parfaite- 
ment ce qui se passait à Versailles- Les anli-Autri- 
chiens, la Nesle, y étaient maîtres, quand il agit 
contre rAulriche. 

Tout cela tenait à un (il, au plus fragile, au plus 

Douze, bv Google 



— 1G5 — («40-1741) 

iiicerUin des miracles, à la question de savoir 
jusqu'oii l'amour pouvait refaire un roi. De sa 
honteuse enfance, de sa jeunesse aride, sortirait-il 
un homme? Était-il bien capable de la métamor- 
phose qu'aurait pu seul le haut amour? grand 
problème et douteuse énigme. 

L'aimable monument, un peu efféminé de 1 759, 
la belle fontaine Grenelle, a la mélancolie des des- 
tinées obscures. Une jeune reine (Paris? ou la 
France? ou la Mailly? la Nesle? tout cela est 
mêlé) trône sous la couronne de tours. A ses 
pieds le beau fleuve et la molle rivière couchés 
lèvent sur elle un œil aimant, croyant. D'elle vien- 
dra l'émancipation? un cours heureux, prospère, 
le floldeslemps meilleurs?... 11 se peut. Pourquoi 
pas ? Rien ne doit l'effrayer. Une rêverie guerrière 
est dans son doux visage. Et son poing sur la han- 
che dit assez qu'elle est prête aux plus hardies 
résolutions. Je ne sais quel nuage est pourtant sur 
le tollt d'incertain avenir. Haute estl'aspiration... 
Impuissante peut-être, elle ira se perdant oii vont 
ces eaux, où coule cet élément fluide, qui fuit aux 
grandes mei's. 

Yoltaire, vif et crédule, ne douta pas. 11 se 
croyait sauvé. En janvier (1759), il veut quitter 
Cirey, s'établir à Paris. Depuis quatre ans, il avait 
fait Mérope. Il faisait Mahomet, brûlait de les 
jouer. 11 voulait retourner au terrain du combat, 

Douze, bv Google 



(i7»-17«) — 166 — 

être là pour répondre aux articles, aux pamphlets 
que semaient Desfontaines et autres avec l'appui 
de la police. Il allait éclater dans les sciences par 
ringénieui et très-neuf Mémoire sur le feu, par 
son Netvton qui, depuis l'exil de Chauvelin, n'a- 
vait pu s'imprimer. Paris était son vrai théâtre. 
Après cinq ans d'ahsence , il rentrait agrandi , 
immense, rayonnant en tous sens. A Cirey, il était 
malade de sa terrible activité, meurtrière dans la 
solitude. La fièvre à chaque instant. Il défaillait 
deux fois par jour (décembre). De là mille choses 
vaines. Il va chasser, il achète un fusil. La nuit, 
il rêve, il rime cent folies satiriques, libertine 
imî^e des cours. Le plus fou eût été d'aller en 
Allemagne chez le prince de Prusse, qui l'ap- 
pelle et l'attire, essaye de l'enlever. Voltaire 
ajourne, écrit des lettres adorables, où il voudrait 
donner à ce roi de demain ce que n'ont guère les 
rois, un cœur et des entrailles, un peu de douceur, 
de bonté. 

Très-sagement, M™ du Châlelet, pour l'éloigner 
à j amais de la Prusse, en commun avec lui achète 
un hôtel à Paris (2 avril 1739). Elle y va mener 
son malade. Pour 200,000 francs on acquiert 
l'hôtel Lambert, qui était aux Dupin, au gendre 
de Samuel Bernard, hôlel bien connu de Voltaire, 
qui lui rappelle un meilleur âge, (^and il jouait 
Zaïre avec la belle M""* Dupin. A la pointe de l'Ile, 

DolizccbvGoOglc 



— 167 — (17«-17«> 

au paisible quarti^ des grands hôlels de la ma- 
gislrature, loin du ceotre, à porl^ du monde, en 
vife de Saint-Gervais où Fange de Newton apparut 
à Voltaire, c'est une fort noble résidence (aujour- 
d'hui des Czartoriski). Très-sérieuse toutefois et 
regardant le nord. Mais la décoration et les fres- 
ques suaves des grands maîtres suppléent le so- 
leil. M"" du Châtelet espérait tenir là cet esprit 
si mobile par un salon royal où lettres et 
sciences eussent brillé dans leur harmonie, éclip- 
sant le salon artiste de M"" la Popelinière. Elle 
comptait sur Thôlel Lambert, sur cet attrait du 
monde, ce rajeunissement. Elle en avait besoin. 
Elle avait séché en six ans de travail et d'inquié- 
tude, du vain effort de captiver Voltaire. Les torts 
étaient à celui-ci, aux indomptables ailes qui le 
portaient de tous côtés. Il ne s*en cachait pas. A ce 
moment aimable qui semblait pour toujours les 
unir à Paris, il fait les vers bien tristes : « Si vous 
voulez que j'aime encore, etc. » Vieux à quarante- 
quatre ans, il espérait mourir paisible en cet hôlel, 
en son Pari^ natal, entre l'étude et ses amis. Vain 
espoir I une autre carrière, et sans repos, s'ouvrait 
pour lui, éclatante, d'éternel exil. 

Une réflexion naturelle aurait dû modérer l'idée 
qu'on se faisait du changement du Roi. S'il s'était 
abstenu de faire ses pâques au 5 avril, c'est juste- 
ment parce qu'il était dévot. En mai, il y parut. 



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(iiw-nii) — 168 — ' 

Le rude évêque de Chartres le fil trembler d'uo 
mot. Sans rappeler sa faute, il fit penser au châ- 
timent : « Sire, après la famine, voici bientôt la 
peste qui n'épargnera pas les grands. » Ce coup 
porta. Le Roi, à la messe, eut une défaillance. 

Des gens pourtant qui voyaient de bien près, 
son Bachelier qui vivait avec lui huit heures par 
jour, s'enhardissaient. Bachelier fait écrire des 
mémoires sur la tolérance, et les fait transcrire 
par le Roi. La persécution janséniste se ralentit. 
La police hésilait, elle ne troubla plus les malades. 
Si l'on eut pas encore la liberté de vivre, on eut 
celle de mourir en paix. 

La Charalais, cette Gondé, joyeuse, hardie, 
ayant pris à Compiègne la Nesie avec elle et chez 
elle, poussa le Roi à une chose qu'on n'eût pas 
cru, h faire un tour au vieux. Fleury, le matin, 
arrivait pour travailler avec le Roi, avait la clef, 
ouvrait lui-même. Un jour à l'ordinaire , avec 
Barjac, qui lui portait son portefeuille, il veut ou- 
vrir, ne peut. Barjac essaye aussi. En vain. Ma- 
lignement, le Roi qui entendait, la^se gratter, 
frapper, enfin ouvre, en disant froidement : « C'est 
que j'ai changé les serrures » (Luynes, II, 454). 

Grande révolution? Non, au fond peu de chose. 
Il s'est donné la joie de casser le nez à Fleury. 
Hais il n'en a guère moins à blesser la Mailly, 
même la Nesle. Dans sa nature mauvaise de ma- 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



t _ lfi9 _ (1740-17411 

gister qui aime à châtier, il s'amuse à voir le vieux 
prêtre la flageller des plus sensibles coups, sur les 
amis de Cliauvelin, sur Mailly, mari de sa sœur, 
même sur leur père M. de Nesle. Spectacle curieux. 
Il force les deux sœurs d'avaler l'amertume d'aller 
prier Fleury pour leur père et demander grâce. 

Au point le plus sensible, la préférée le trouva 
sec. Pour couvrir les grossesses, cacher l'inceste, 
il veut la marier. Il lui fait espéi'er un prince, le 
comte d'Eu. Et il lui donne un gentilhomme, 
neveu de l'archevêque Yintimille, petit prol^é dé 
Fleury. La voilà mariée de la main de Fleury, 
moquée, la fière et la moqueuse. 

Les quelques lettres qu'on a d'elle disent sa 
triste situation. Fleury impunément l'ayant hu- 
miliée, on la sentait branlante, et l'on se tenait 
à distance. Toute mariée et posée qu'elle était, 
elle menait sa vie de demoiselle , seule en sa 
chambre, sauf les chasses où il fallait aller avec 
le Roi et la Mailly. Que faisait-elle dans celte 
chambre close ? c'est ce qu'auraient voulu savoir 
ses ennemis. Ne pouvait-on s'introduire dans la , 
place? La société de la reine y songeait. Une de 
ses dames imagina de lui adresser une femme 
adroite, de deux visages et deux paroisses, M™ Du 
Deffand. Correspondante de Voltaire , elle est 
d'autre part plus qu'amie du président. Hénault, 
l'homme de la reine. De plus, elle est parente 

Douze, bv Google 



(llW-1741) — 170 — • 

des De Luynes, chez qui invariablement soupait 
la reine. Cette Deffand avait toujours fait des af- 
faires. D'abord, elle se fît quelques rentes chez 
les maîtresses du Régent, puis servit H"* de Prie. 
Vivant alors chez M°" Du Naine, elle avait bien 
envie de s'en émanciper, d'acheter une maison. 
La Ne&le aurait pu y aider, ou bien les ennemis de 
la Nesle si par la bonne dame on avait jour chez 
elle. La Du Deffand lui écrivit, se présenta comme 
amie de Voltaire, flatta et caressa. La Nesle lit 
semblant de la croire, répondit dans un abandon 
tout charmant de crédulité, jusqu'à dire qu'elle 
serait charmée d'être en tout dirigée par elle (sept. 
1739, édition 1865, tome !, p. 1-9). 

La solitaire n'en agissait pas moins. En 1740, 
elle eut deux victoires coup sur coup. Seule, elle 
eut les étrennes du Roi au 1" janvier. En février, 
malgré Fleury, elle fit un ministre de la guerre, 
Breteuil. Maurepas n'osa parler contre, suivit l'in- 
fluence nouvelle et laissa le vieux cardinal. 
Cette année-là est grande. En mai, Frédéric de- 
, vient roi. En octobre, meurt l'Empereur. La 
guerre arrive, et le héros. 

Le voici donc, le grand acteur du temps. Il 
reviendra de moment en moment, et nous le pein- 
drons par ses actes. Il suffira de dire ici que per- 
sonne ne l'avait prévu, qu'on ne supposait pas 
qu'un artiste, musicien, poète, qui, longtemps pri- 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 171 — («« ««) 

soDnier et longtemps solitaire, n'aimait que les 
arts de la paix, qui déjà à trente ans avait l'em- 
bonpoint d'un autre âge, déployât tout à coup l'ac- 
tivité du militaire, qu'instruit par ses succès, 
instruit par ses revers, il serait peu à peu le plus 
grand général du siècle. Étonnant caractère qui, 
parmi ses défauts, ses fautes, n'en donna pas 
moins à son temps la plus haute leçon : le triom- 
phe de la volonté. 

Le piquant, dans sa destinée, c'est qu'en réalité 
l'Autriche, par ses persécutions cruelles et ses in- 
trigues, fit ce grand ennemi qui faillit la détruire. 
Son mauvais génie à Berlin avait été, vingt ans 
durant, le rusé Seckendorff, ambassadeur d'Au- 
triche, chaîné spécialement d'étouffer son enfance 
et de l'empêcher de régner. Vienne en lui redoutait 
un prince ahsolument français, élève de nos réfti- 
giés. On irritait son père, un brutal allemand, con- 
tre ce Français, ce marquis. 11 faillit lui couper la 
tête, fît mourir ses amis, l'accabla, l'écrasa, le 
força d'épouser une parente de l'Autriche. Il ne 
fut épargné que quand il parut méprisable, en- 
fermé dans l'étude des arts, qu'on croit futiles ; s'il 
faut le dire enfin, avili par les dons de l'Autriche 
même. 

Déjà gras et fiévreux, seul aux marais du Rhin, 
dans celle pitoyable situation (qui l'eût cru?), il 
amassait une force, il ^tassait en lui un trésor 

Douze, bv Google 



(1740-1741) — 172 — 

d'énergie, de volonlé puissante. L'heure sonne. Il 
apparaît d'airain. 

Ce scribe, cet ami de Voltaire, faiseur de petits 
vers, et bon joueur de flûte (c'était sa grande pré- 
tention), mène tout droit l'armée à la bataille... 11 
a peur, mais la gagne. Dès lors il est très-brave, 
froid et lucide au feu. C'est le grand Frédéric. 

On fut bien étonné. Mais il n'avait rien fait de 
téméraire, au contraire, une chose très-sage autant 
qu'hardie, prudente et fondée en raison : 

D'abord la Silésie qu'il prit aux Autrichiens est 
anti-autrichienne de race et de croyance, protes- 
tante, anti-catholique. L'invasion liit très-popu- 
laire. La place principale fut livrée par un cor- 
donnier (Dover). 

Frédéric semblait seul, sans alhé, faire ce grand 
coup de tête. Mais en réalité, il avait la France 
avec lui. Au moment de l'invasion, en décembre 
1740, notre Bellisle, dans la plus splendtde am- 
bassade, avec un appareil de prince, éblouissait 
l'Allema^e, lui prêchait la croisade contre Marie- 
Thérèse, le démembrement de l'Autriche. 

Comment n'eût-il pas cru que Fleury tomberait, 
que le Roi allait être entraîné à la guerre ? Frédéric, 
si français, savait parfaitement notre cour. Tous 
regardaient Versailles, Berlin, Madrid et Vienne 
avaient ce palais sous les yeux avec tous les détails 
topographiques, anecdotiques , la chronique de 

Douze. bvGoogle 



— 175 — (17«-17«î 

chaque jour. Chauveliu, rennemi de l'Autriche, 
Chauvehn, l'absent, l'exilé, y semblait très-pré- 
.senl, présent au Conseil par Breteuil, ministre de 
la Guerre, présent aux salons et partout par MM. 
de Bellisle, dans la chambre du Roi par Bachelier, 
présent et puissant par la Nesie qui un moment 
emporta tout (décembre 1740). 

Frédéric savait à merveille la vraie situation. 
C'est l'Autriche elle-même qui avait tué Fleury, 
usant et abusant de sa crédulité^ le rendant ridi- 
,cule. Elle l'emploie pour médiateur et sauveur 
dans sa guerre des Turcs. Elle lui emprunte douze 
millions . sur un gage ; elle l'attrape et donne le 
gî^e aux Hollandais. Ce sauveur, ce médiateur, 
elle s'en moque, et, nous voyant brouillés avec l'An- 
glais pour la défense de l'Espagne, vite, elle se 
ligue avec l'Ariglais. 

Frédéric savait sans nul doute que Louis XV, 
peu ami de la guerre, en ce moment y était en- 
traîné, non-seulement par ses maîtresses, mais 
par sa famille même. La famille royale, très-espa- 
gnole de cœur et unie à l'Espagne par un double 
mariage, priait et suppliait le Boi d'armer pour la 
cour de Madrid et contre l'Ânglelerre. Mais l'An- 
gleterre, l'Autriche, ligués sous Charles VI, plus 
encore sous Marie-Thérèse, c'était alors même 
personne. Le coup le plus terrible qui eût averti 
l'Angleterre, c'eût été de marcher sur Vienne. 



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(1740-mi) _ 174 — 

Les difficultés étaient moins en ÂUemagne qu'à 
Versailles. Dans ces plans si hardis oiî le Roi se 
laissait traîner, une chose lui plaisait, il est vrai, 
celle de donner l'Empire au Bavarois, vieux client 
de Louis XIV, de suivre cette idée de son aïeul, 
de faire un Empereur (catholique autant que FAu- 
tricbieo). Mais unechose ne lui plaisait pas : c'était 
d'î^randir le roi de Prusse, chef naturel des protes- 
tants. Fleiuy en gémissait. Et le Roi aussi au-de- 
dans. Poussé par la Nesle et Fleury en deux sens 
opposés, il tombe à un état de néant pitoyable. 
Un matin il lui passe de faire de la tapisserie, 
de reprendre (à ti'ente ans) les sots petits goûts 
de l'enfance. On court vite à Paris demander à 
H. de Gesvres (le célèbre impuissant) tout ce 
qu'il faut pour ces travaux de femme. Même à 
la cour, on rit. Le courtisan français qui ne tient 
pas sa langue, fait compliment au Roi : a Sire, 
votre grand aïeul n'a jamais, comme vous, com- 
mencé à la fois quatre sièges (de chaises ou fau- 
teuils). » 

Comment le soulever de là? lui donner un mo- 
ment de cœur, de volonté? L'amour et la paternité, 
si puissant sur Louis XIV, pouvaient bien moins 
sur Louis XV. Nul désir des enfants. En trente an- 
nées et plus, il n'en eut ni de la Hailly, ni de Pom- 
padour, ni de Du Barry. La Nesle essaya cette 
prise, elle voulut ce gage du Roi (au grand moment 



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— 175 — (n«o-««| 

décisif des affaires). A la fête des R<hs (te 6 jan- 
vier), elle est enceinte. 

On le sut à l'instant. Fleury se crut fini. II îai 
plat, à l'instant, comme un ballon piqué, si plat 
que le 25 il fait sa cour à Frédéric, lui écrit que 
« l'Autriche n'ayant pas rempli les traités, la 
France est absolument libre, ne la garantit point. » 
En même temps, cet homme de quatre-vingt-dix 
ans, donnait ici la comédie honteuse de dire qu'il 
n'avait nulle idée, nul parti, ne savait oii aller, 
avait l'esprit perdu. 11 fait l'évapwé, l'innocent et 
le simple. Il a réduit sa taille (Ar^.), il paraît plus 
petit, veut faire pitié. On dit : « On ne peut pas 
tuer ce vieux prêtre. » 

Avec cela, il reste. Il tratne, il niaise, ajourne. 
Le succès exigeait deux choses : ag^T dès mars, 
— et marcher droit à Vienne. — Une troisième 
était demandée par Frédéric : que Bellisle agît seul 
avec lui, et dirigeât tout. 

Bellisle n'avait point commandé (pas plus que 
Frédâ'ic), mais chacun à le voir, à l'entendre, sen- 
tait le génie. Frédéric le croyait le seul homme de 
France {avec Chauvelin et Voltaire). Le 15 février, 
on le fait maréchal, commandant de l'armée future. 

Mars passé, rien encore. Avril, rien. Et déjà en 
avril, Frédéric a gagné sa première victoire (de 
Molwits), un brillant appel à la France, ce semble. 
Que fait-elle? il attend. 



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{n40-17«) — 176 — 

Fleury renouvelail sa manœuvi-e de 1735. La 
Nesle, en mai, joue le tout pour le tout. Elle entrait 
au cinquième mois de sa grossesse. Le Roi, plus 
qu'on n'eût cru, semblait attendri d'elle et de cette 
espérance, de ce moment délicat et souffrant. La 
Nesle en profila. Fleury boudait, se tenait àlssy. 
Elle dicta au Roi une lettre où il disait « qu'il pou- 
Tail rester à Issy. » 

L'occasion est une place de gentilhomme de la 
chambre que Fleury veut pour son neveu. Elle a 
forcé le Roi d'écrire. La lettre est là , mais non pas 
envoyée. Le Roi en est chagrin, agité, ne dort plus. 
Bref, la Nesle elle-inême a peur, emploie sa soeur 
pour faire la reculade, détruire la lettre, et Fleury 
i-este. 

11 en coûta la vie à cent mille hommes (pour 
commencer, le désastre de Prague). Il en coûta la 
guerre indéfiniment prolongée, où la France s'é- 
puisa,* s'usa. 

Contraste étrange ! A ce moment de mai où le 
Roi nous inflige à perpétuité l'homme de la paix 
et de l'Autriche, lui Louis XV est dans l'Empire 
proclamé le roi de la guerre, le roi des rois. C'est 
l'Agamemnon de l'Europe. La Bavière, la Saxe et 
le Rhin, la Pologne, l'Espagne et le Piémont, et 
le victorieux roi de Prusse, tous traitent avec la 
France, veulent suivre la France au combat (18 
mai, 5 juillet 1741). 

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— 177 — (17*0-1741} 

Betlisle apporta à Versailles celte couronne (on 
peut dire) du monde. Il arrivait lui-même avec le 
succès singulier d'être le favori, l'ami personnel 
de trois rois : l'Empereur bavarois, le roi de Polo- 
gne, le roi de Prusse. Et, avec tout cela, à peine 
il arrache d'ici une promesse de 25,000 hommes 1 
Si tard, et en juillet! on agira trop lard. Excellent 
répit pour l'Autriche. 

Le pis, c'est que Bellisle, en revoyant Ver- 
sailles, le retrouvait changé. A ses idées pre- 
mières, favorables à la Prusse (au grand roi 
protestant), un autre plan peu à peu succédait, 
plus agréable au Roi, un plan soutenu des Noailles, 
et essentiellement catholique. Le Roi, la famille 
royale, nullement ennemis de rAutriche, sympa- 
thiques à Marie-Thérèse, ne voulait rien au fond 
que lui prendre le Milanais, pour créer à l'infant 
Philippe,, gendre de Louis XV, un grand élablis- 
sement au nord de l'Italie, comme celui de 
don Carlos à Niq;>les. Chaque semaine arrivait 
de Madrid une lettre de la gentille infante. 
Louis XV si paresseux lui répondait toujours, lui 
écrivait à chaque instant. En secret. Et tous le 
savaient. Noailles, le roué du Régent, aujourd'hui 
sacristain, porte'Chappeàréglise(Ar0.), s'était fait 
bassement l'avocat de ce plan, qui allait anner 
contre nous le Piémont, l'allier à Marie-Thérèse. 

On refroidit la Prusse également. Pour récom- 



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(«4U-l7«l — 178 — 

penser l'Allemagne de sa confiance ea nous, on en 
Caisail quatre morceaux* tous faibles et dépen- 
dants. Plan perfide qui dut irriter Frédéric. S'il 
abcussail l'Autriche, ce n'était pas pour faire un 
autre tyran de TAIlemagne. Pour comble d'inep- 
tie, on blessa celle-ci, en faisant de son Empereur 
un général de Louis XV (août). 

Noailles, l'avocat de l'Espagne, n'en fut pas 
moins l'ami de l'espion que l'Autriche avait ici, 
Stainville (Glioiseul). Ces Stainville, des Lorrains, 
& deux maîtres, à deux faces, se fourrant partout, 
sachant tout, voyaient avec bonheur le beau plan 
des Noailles qui, nous ôtant bientôt nos meilleurs 
alliés, la Prusse et le Piémont, rendrait force 4 
Marie-Thérèse. 

Contre la famille royale et les Noailles, la Nesle 
fat de plus en plus faible. Elle avait près du 
Roi deux rivales : l'Infante et Choisy. 

L'Infante, petite fille de quinze ans qui, tom- 
bée à Madrid aux mains d'un démon, la Famèse, 
dressée assidûment par elle et écrivant sous sa 
dictée, par elle agitée, dépravée, flattait et cares- 
sait son père, priait, pleurait, se désolait, se mou- 
rait de n'être pas reine. 

Et Choisy? c'était pis qu'une maltresse, c'était 
une maison qui rendait toute maîtresse inutile, 
(fêlait le tombeau de l'amour. 

lîn confident ministre de Fleury acheta pour 

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— 179 — (I1M-1141) 

Lottis XV (vers novembre 1738) cette petite mai' 
son pour s'amus»*, chasser, bâtir un peu. Le 
ministre des plaisirs du Roi, l'effronté Gha- 
Folais lui donna caractère, y créant une sorte de 
parc avx cerfs des dames Le règlement cynique 
de Ghoisy était celui-ci : Six lits de fionmes en 
tout : point de maris. Les dames étaient invitées 



Dès lors pourquoi une maîtresse? Le Roi n'était 
pas fort, quoiqu'on ait dit. On voit dans De Luynes, 
Argenson, etc., qu'il a souvent des défaillances. 
Parfois il se remet en buvant coup sur coup quatre 
verres de vin pur (Barbier). Il chasse. Mais le cu- 
rieux tableau qu'on voit à Fontainebleau, montre 
qu'on le menait fort près de la chasse en voiture, 
en peUt carrosse de femme. 

Le plus souvent la Nesie se tenait à Ghoisy, afin 
que la place fût prise. Mais le Roi allait et venait, 
souvent à Rambouillet près de M*" de Toulouse, 
peu, très-peu à Versailles. Fleury s'en allait à Issy. 
Les ministres en vacances quittaient Versailles 
alors, s'amusaient à Paris [Barbier, 5, 288). Ainsi 
point de gouvernement. 

Le Nesle, enfonçant peu à peu, se décida enfîfî 
à traiter avec les Noailles. Elle avait éprouvé com- 
bien ils étaient dangereux. Pour la perdre , ils 
avaient tenté un piège assez grossier, d'employer 
un jeune homme, le fils de Noailles même, qui 

Douze. bvGoOgIf 



(1740-1741) — 480 — 

près d'elle ferait l'amoureui. Elle en rit, mais 
traita avec le père qui avait grande envie d'être 
chef du Conseil, traita avec sa sœur, M"* de Tou- 
louse, la pieuse maman du Roi. Celle-ci, qui pour 
l'afTaire de son fils avait pâti dans sa vertu, s'im- 
mola encore plus peut-être pour la fortune de 
son frère et (ce qui surprit d'elle) sans décence 
ni précaution. 

L'excellent tableau de famille qui nous donne à 
Versailles le portrait de la dame, intelligente certes, 
avec de jolis yeux, sucrée, grassouillette et vul- 
gaire, dit assez jusqu'où la commère pouvait aller 
dans l'intérêt des siens. Sa facilité maternelle, du 
Roi s'éteudant aux deux sœurs, elle parut les 
adopter aussi, les embrassa et les enveloppa, leur 
fit de son appartement (ce lieu dévot, de deuil ré- 
cent) un libre lieu commun, prêtant, dit d'Ai^en- 
son, son lit, son canapé, son fauteuil et le reste, 
flonteux arrangement et fatal à la Nesie, qui, 
dans cette grossesse avancée, endurait les retours 
où s'amusait la malice du Roi, ou vers la maman 
complaisante, ou vers la jalouse Hailly qu'il 
consolait et qu'on crut même enceinte. 

La Nesle leur quitta la place, s'établit à Ghoisy, 
croyant y faire venir le Roi, le tenir seul. Absente 
elle laissait le cbamp aux ennemis. Un coup lui 
fut porté. Ce fut son mari même, un jeune bomme 
léger, qui lui porta ce coup mortel. Dans une 



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— 18i — (i7iO-17«l 

chambre au-dessus du Roi, il dit fort haut pour 
être entendu par la cheminée : « Il n'a après tout 
que deux laides. » Ce n'était que trop vrai. Elle 
n'avait jamais été belle. Elle était blanche, c'était 
tout. Elle n'était pas bien faite. Elle avait le cou 
mal attaché. La grossesse, cette terrible révélation 
de tout dé&tut, trahit ceux de sa taille. Le rire, 
sa grande puissance, n'embellit pas à ces mo- 
ments. Le Roi ne la voyait pas laide. Il fallut que 
quelqu'un le dtt. Il le sut dès ce jour, alla moins à 
Choisy. Gisante à son neuvième mois , elle se 
trouva là comme un meuble inutile. A l'immobi- 
lité du Roi, si nouvelle et si surprenante, on 
donna la raison plus surprenante encore et sau- 
greoue : « L'aident manquait pour ces petits 
voyages {Arg.).y> 

Dans l'absence du Roi, elle était en péril. Elle 
avait provoqué non-seulement les plus hautes ini- 
mitiés, mais, ce qui est plus terrible, les basses. 
Les domestiques étaient ses ennemis. Son audace 
qui affrontait tout, non contente de changer l'Eu- 
rope, allait jusqu'à changer, réformer la maisou 
du Roi. Elle avait touché même l'homme qui vi- 
vait avec lui, le tout-puissant valet de chambre, à 
qui le Roi disait tout, rapportait. Elle osa dire un 
jour : « Vous allez rapporter cela encore à Bache- 
lier? » Non moins imprudemment elle avait si- 
gnalé le commence de places qui se faisait autour 

Douze, bv Google 



(««-HM) — 182 — 

du vieux Fleury par ses TÎeux, Barjac et Brissert 
(un précepteur de son neveu). Ce Brissert, à 
lui seul, avait gagné plus d'un million. En- 
fin, ce qui donna l'alarme au monde de valets 
qui grouillait à Ghoisy, mangeant, pillant, vo- 
lant sur les petits soupers, c'fôt qu'elle sup- 
prima ces soupers et l'oi^ie de Champagne, mon- 
trant au Roi qu'on se moquait de lui. Elle lui 
fit faire ses comptes et lui prouva qu'un Lazare 
volait ses bouteilles, etc. Elle exigea qu'on chas- 
sât ce Lazare. Dès lors ils sentirent tous qu'avec 
elle on ne pouvait vivre. Elle était clairvoyante. 
Elle prévit et dit : « Je mourrai {Argms., II, 
234). » 

Supprimer les soupers! exiger que le Roi restât 
' sobre et lucide, qu'il ne s'enivrât que d'amour I 
Seule occuper Ghoisy, en écarter les dames com- 
plaisantes qui y venaient toutes à leur tour I c'é- 
tait une réforme énormément hardie, qui touchait 
au Roi même. Et l'on a beau me dire qu'il restait 
amoureux. Je sais mon Louis XV assez pour affir- 
mer qu'en lui obéissant, il dut se faire très-froid, 
triste, et laisser percer sa révolte intérieure, qui, 
entrevue fort bien, enhardit à agir. La maîtresse 
devenait un maître. 

Le 11 août, elle fut très-malade à Ghoisy. On 
la saigne deux fois et le Boi ne vient pas. Mais plu- 
sieurs fois par jour il a de ses nouvelles. Le 15, 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 183 — (i7«-n«) 

elle lui mande qu'elle se meurt. H arrive. Elle ne 
le lâche phis. Elle veut mourir à Versailles, se met 
dans une litière. Mais elle se croit lellement mena- 
cée de ses ennemis qu'elle ne se met en roule 
qu'avec une forte escorte. Elle arrive ainsi la mou- 
rante, armée en guerre et redoutable. Elle se fait 
donner l'appartement royal (et très-voisin du Roi) 
du cardinal grand aumônier de France, Là elle 
accouche (4 septembre). Elle accouche d'un fils, 
dont le Roi est parrain et qu'il nomme Louis. Il 
semble ivre de joie. 

Hais quelle ombre au tableau I A ce moment où 
elle est plus que reine, où tout s'aplatit devant 
elte> le Roi (dans sa nature maligne, jalouse et 
toujours de bascule) relève M" de Toulouse. Il fait 
à la maman le présent singulier de Luciennes, pa- 
villon d'amour, bâti par la galante Gonti, fille de 
la Vallière, et qu'aura plus tard Du Barry. Ram- 
b<millet est trop loin. Luciennes, justement sur la 
route de Versailles à Marty, sera la halte naturelle. 
Nul don de plus haute faveur. 

Autre fait et plus grave. Le Roi, revenant du 
salut, au milieu de vingt-cinq personnes, se mit à 
jas^ politique, à rire du roi de Prusse et de son 
hardiesse à Holwilz où on disait qu'il avait fui 
{Àrg., 236). Mot stupide, et bien dangereux, 
qu'on prît avidement, en concluant sans peine que 
le Roi tournerait contre la Prusse, contre les idées 

Douze. bvGoOgIf 



in*a-t7(i) — 184 — 

de la Nesle, penchant plutôt vers le plan catholi- 
que, vers les Noailles, leur sœur, M™ de Toulouse : 
bref que la Nesie, en son triomphe même, n'était 
pas forte au cœur du Roi . 

La NesIe était le grand scandale, le parti des 
impies, de Falliance protestante, L'ennemie de 
l'Autriche, du parti des honnêtes gens. Si la main 
de Dieu la frappait, c'était un grand coup pour 
sauver la catholique Autriche, la touchante Marie- 
Thérèse, « que les anges devaient défendre , » 
selon la prophétie de Fleury. Dieu, en de tels 
moments, ne refuse pas un miracle. La Nesle 
n'était pas née pour vivre. Mal confoimée, elle 
eut de plus une fièvre miliaire qui pouvait l'em- 
porter. Il en fut avec elle, selon les vraisemblan- 
ces, comme pour le petit don Carlos, le fils de Phi- 
lippe II, malade et qui peut-être serait mort de lui- 
même, mais on ne laissa rien au hasard : on aida. 

Les horribles douleurs qu'elle avait se voient- 
elles dans ces fièvres? le dénoûment rapide 
(si prompt qu'on ne put même l'administrer) 
est -il naturel en ces cas? Une circonstance ef- 
frayante, et de clarté tragique, s'y serait ajoutée 
(Jtfém. de itic/t-, V, 115), c'est que son confes- 
seur à qui eu expirant elle dit pour sa sœur certain 
secret, n'eut pas même le temps de passer d'une 
chambre à l'autre, et tomba roide mort avant d'en- 
trer chez la Mailly. 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 185 — (i7«-nM) 

Cette mort est du 9 septembre. Le 13, TAutri- 
efae fat sauvée. 

Narie-Tbérèse s'était enfuie de Vicune. Nous 
é^ons bien près, à huit lieues. L'ordre vient de 
Versailles de.n'aller pas plus loin, et de tourner 
vers Prague, c'esl-à-dire de ne pas toucher au 
cœur de l'empire autrichien. Quel est donc l'en- 
nemi véritable? La Prusse, dans l'intime pen- 
sée de Versailles, et Frédéric. Il se le tint pour 
dit. 

Marie-Thérèse put le 13 septembre jouer à 
Peslh sa belle et pathétique comédie. Ëoceintc, 
un enfant dans les bras, elle pria les Hongrois 
pour elle, pour sa sûreté. Ces barbares héroïques 
oublient tous les massacre et les perfidies de 
l'Autriche. Ils tirent le sabre, ils crient : « Mou- 
rons pour notre roi Harie-Thérèse I » Et en effet, 
ressuscitant l'Autriche, ils ont fait mourir la 
Hongrie. 

Hais revenons en France. Les gens qui connais- 
saient le Roi sentirent parfaitement que, même en 
ce grand deuil, le seul qu'il ait eu de sa vie, ce 
qui le louchait , c'était bien moins la morte 
que la mort. Cette fenimç.adorée ne fut pas excep- 
tée de laTèglç commune : on ne mourait pas dans 
VersailléT. Du moins on emportait le corps (pas 
encore expiré?), on le fourrait dans un hôtel voi- 
sin. Cela se fait pour elle, et, sans cérémonie, on 

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(1140-1741) — 186 — 

la jette dans uoe remise. Devant mouler sa face en 
plâtre, on remarqua que sa bouche restait ouverte 
par une convulsion. Deux hommes forts ne furent 
pas de trop pour empoigner la tête, la serrer^ et 
de force, fermer cette gueule béante. Gela parut 
bien drôle et amusant pour la canaille qui entra. 
Ces imbéciles croyaient que c'était elle qui éloi- 
gnait le Roi de leur Versailles. Ils firent à ce ca- 
davre toute sorte d'indignités^ tirant dessus des 
fusées , des pétards , outrageant de leur mieux 
« la reine de Ghoisy. » 

On avait prévu à merveille que le Roi n'ex^e- 
rait aucune enquête. Les médecins furent pni- 
àmlSf ne virent rien. Le Roi voulait-il voir? Vou- 
lait-il bien sérieusement pousser à bout, connaître 
les gens hardis qui avaient fait le coup, et qui 
auraient cent fois mieux aimé avoir tout de suite 
pour roi un dauphin de treize ans? 

Sa tête parut très-affaiblie. Au-dessus il avait un 
petit entresol où il allait pleurer au lit de la 
Mailly, la faii e pleinvr, sur elle marmoter des De 
pro/ttndts. Au-dessous il avait W" de Toulouse chez 
qui il allait Êiire l'enfant. L'énervation pleureuse 
et la peur libertine, et les enfances de Henri III, 
c'est tout ce qui semblait rester . de lui. 

Un acte cependant marque dans cette époque 
qu'il voulait expier. On lui dit que les maux du 
temps venaient uniquement du grand nombre des 

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— 187 — (nift-lîM) 

livres impies. 11 y remédia. Il créa tout d'un 
coup, en une fois , soixante-dix- neuf censeurs. 
Tous choisis avec soin. Exemple, le sage et pieux 
Crébillon fils, le célèbre auteur du Sopha. 



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CHAPITRE XII. 



La ccnspintioii de braille. — La Tounulla. - 
Prague. 1743. 



Quand Frédéric pressa Marie-Thérèse, Fleury 
d'un air béat dit au Conseil : a Elle est comme 
Jésus sur la montagne, éprouvé par Satan. Mais 
les ar^es la souliendront. » Voici comme les anges 
s'y prirent au moyen de Fleury. 

Un jour, il va chez le petit Dauphin « pour assis- 
ter à ses éludes. » Ce prince, qui n'avait que dou2e 
ans, mais qui avait déjà la grosse lêle, le caractère 
lourd et fort qu'on vit plus tard, parla au vieux 
ministre de la guerre commencée, l'inlerrogea 
sur la justice de cette grande entreprise. Fleury 
très-volontiers s'y prêta, se laissa pousser, embar^ 
rasser, battre, jusqu'à être forcé de reconnaître 

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— 18» — (ms) 

« que c'était une guerre injuste. » Il sortit vite, 
pour n'en dire davantage. Tous restèrent stupé- 
faits. Le dauphin ftit dès lors l'espoir « des hotir 
«4tes5ens(Rich., VI, 168). » 

Cet espoir dès longtemps était cultivé par l'É- 
glise. Il n'avait que six ans quand le clergé de 
France, dans l'Assemblée de 1754, vint lui faire 
sa harangue, demander sa protection. L'enfant, 
assis, couvert, l'accueillit gravement, prit la chose 
au sérieux. Dans la réahté, en toute occasion, il se 
déclara pour l'Église avec la chaleur de sa mère, 
mais avec suite , autorité. Sa pesanteur phy- 
sique y ajoutait. Il était à douze ans un gros 
homme et un personnage, déjà un Stanislas pour 
l'embonpoint, un Boyer pour l'esprit. Boyer, dont 
Voltaire a tant ri, borné et entêté, s'était merveil- 
leusement exprimé dans son élève le Dauphin. 
Mais celui-ci, déplus, était mal né physiquement, 
mal conformé, comme sont les enfants conçus en 
dépit de l'amour, produits hétéroclites d'unions 
répulsives. 11 grandit, il grossit, lourd, bizarre, 
discordant, entrevoyant parfois sa fatalité très- 
mauvaise. A. dix-sept ans, dans une lettre au vieux 
Noailles, il dit : « Je traîne la masse pesante de 
mon corps. » Il eût fallu du mouvement. Mais il y 
fut absolument impropre. Il déteste la chasse, y va, 
pour son coup d'essai, tue un homme. Une autre 
fois, il joue, et si gracieusement qu'une dame. 



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(n«i — 199 — 

est fortement blessée {Arg., \I, 229, luynes, 
IX, 525). 

Une chose très^ave qui réfute ses panégy- 
ristes, c'est le jugement sévère que M. de Luy- 
nes lui-même (intime de Marie Leczinska) porte 
sur le Dauphin. Il le trouve enfarU k vingt 
ans, variable et lourdement léger, passant d'une 
chose à une autre, de plus étrange, absurde ; par 
exemple, chantant Ténèbres avec sa femme, la 
seconde dauphine, dans la chambre lugubre où fut 
ea^msée la première (Laiynes, VIII, 367). Cela 
n'est pas d'un esprit sain, mais d'un cerveau, ce 
semble, marqué des manies sombres du roi demi- 
fou de Madrid. 

Ce triste Galiban, qui après tout était honnête, 
se fût jugé peut-être, eût décliné la responsabilité 
des grandes choses, si les gens qui en étaient maî- 
tres, ne l'eussent incessamment poussé, mis en 
avant. Il se crut nécessaire, appelé et touIu de 
Dieu, fit effort et s'ii^énia. Là parut im esprit 
très-faux, un sot subtil qui dans la main des 
fourbes eût pu aller très-loin el faire regretter son 
père même. Celui-ci l'aimait peu, le voyait comme 
tm être à part, déplaisant dans le bien autant que 
dans le mal, en parfait contraste avec lui. 

Le Dauphin fut le centre, le noyau fort et dur 
autour duquel la famille royale, et le clei^é, l'in- 
trigue esp^nole-aulrichienne, tons les éléments 



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— m — ' (HM) 

rélrc^rades se groupèrent peu & peu. Nous devons 
les énumérer. 

. La reine, entre sa chaise et sa chaise percée, a 
i'air de n'agir pas, de souffrir seulement. Son 
infirmité la stimule. Quand sa chère Espagne est 
en jeu, elle fait écrire à Madrid les avis que 
ne donnaient pas nos ministres. Les intrigants 
Lorrains, les Polonais jésuites, la lancent par 
moments aux pieds de Louis XV. « Sire, sauvez la 
Religion » (c'est-à-dire proscrivez Voltaire ou 
l'Encyclopédie). Chose triste, odieuse, pour chan- 
celier intime elle prend Saint-Florentin, minish% 
des prisons, geôlier des protestants, jansénistes 
et philosophes. 

Les deux filles aînées, l'Infante et Henriette, 
qui ont seize ans (1745) sont une avec leur mère. 
La première, grande et belle, fort aimée de son 
père (stylée par la Famèse), voulait non-seule- 
ment une royauté du Milanais, mais ce qui est 
plus fort, à la mort de Fleury faire ici un premier 
ministre I 

Henriette, au contraire, très-douce et maladive, 
avait beaucoup souffert. Promise au Bavarois, 
promise au duc de Chartres qu'elle aimait, qui 
l'aimait , puis refusée, brisée. Son père veut la 
garder. I) craint les Orléans, est jaloux de ses 
fdles. Nulle plainte. Mais la pauvre Henriette (in- 
strument de sa mère, du dauphin), si elle ose 

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(iws) — 192 — 

parler, doit, timide et tremblante, aller d'autant 

plus droit au cœur. 

Une enfant de dix ans, la véhémente Adélaïde, 
aura un bien autre pouvoir. Dans sa vivacité, son 
élan polonais, ses saillies précoces et baroques, 
elle amuse, elle étonne. Seule des filles du Roi, 
elle obtint de rester près de lui, de ne pas subir 
le couvent. Elle prendra le Roi sans nul doute, 
lui fera faire ce que veut le Dauphin. 

Toiis Espagnols de cœur, voulant le Milanais 
pour l'infant et Finfanle. — Mais secondairement 
tous pour Marie-Thérèse. — Tous rêvant l'avenir 
de l'hymen Autrichien, visant pour une infante 
d'Espagne le petit Joseph II'. 

Funestes mariages, d'abord de Joseph II, plus 
tard de Marie-Antoinette I Un million d'hommes 
ont péri pour cela. 

Bourbon, Autriche, Espagne, trinité sainte. 
Union ardemment désirée du clergé. Le sang 
du Très-chrétien et du roi CatbxMque ne peut 
mieux s'allier qu'à VAposîdique Autrichien. 

' t Hais il n'a pas sii mois, s 11 n'importe. Longtemps avant 
qu'il ne fût né, il est rêïé de la Famëse, des Bourbons d'Espagne 
et d'ici. Cette Farnbe, en sa vilaine âme, eut toujours deux 
idées : 1" prendre à l'Autriche ce qu'elle peut; 3° l'épouser (par 
ses enfants, petits-enfanls). Dès son grenier de Parme, et avec la 
bassesse des petits princes d'Italie, elle avait pour César, pour 
l'Empereur, pour l'Autridtîen, cette admiration de valet, qu'ont 
eu les Allemands, les Georges de Hanovre, restés valets sur le 



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— IflS — (n«) 

La guerre n'est qu'extérieure. On reste ami, 
parent. Le cœur est pour Marie-Thérèse. La boime 
Autriche, Vhonnête Autriche, ce sont des mots 
adoptés dans l'Europe. Sur la justice de celte 
guerre, l'opinion de Versailles et Madrid est teut à 
fait celle de Vienne. C'est celle àeskmnêtes gens. 
Le vieux Fleury, en entravant la guerre, sert di- 
rectement la pensée de toute la famille rople. Elle 
pleure aux victoires de la Prusse. Elle pleure aux 
succès de la France. Dès ce jour est organisée, 
contre nous, contre la patrie, ta conspiration de 
famiUe. 

Cette conspiration n'est devenue bien claire que 
plus tard, à mesure que grandit te Dauphin. Mais 
déjà elle existe, elle agit sourdement, saisit le Roi 
d'autant plus sûrement qu'elle ne veut et n'insi- 
nue guère que ce qu'il eût voulu lui-même. De 
fond et de nature, d'éducation, de précédents, il 
était (sauf des écliappées) homme du clergé et du 
passé, bon espagnol, bon autrichien. 

L'opposition naturelle à cela furent les maî- 
tresses. Dans quelle mesure? médiocre pourtant, 



Irfliie du monde. Dès 1736, elle flalLe l'Autiiche, nomme sa fille 
Marie-Thérèse. -En 1741, Joseph est à peine sorli du sein 
malemet, que notie Infante de seize ans lui lait vite une épouse. 
Cette maladie de mariages Autrichiens gagna de Madrid i Ver- 
sailles, par cette Infante aimée de I^ouis XV , caressante , intri- 
gante, et qui corrompit la famille. 



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(17«| — 1«4 — 

La Nesie avait l'instinct du grand. La Mailly eut 
du cœur. Leurs efforts avortèrent. La Tournelle 
voulut, exigea (jfw'iî foi Roi, le rendant seule- 
ment plus absolu, plus dur. La Pompadour lui 
fit un peu tolérer les idées. Mais ce ne fut jamais 
qu'en haine et envie du Dauphin. Donc, rien ne 
fut gagné. Le parti du Dauphin le reprit par ses 
filles. Ceci soit dit pour tout le règne. Revenons 
à la fin de 1741. 

L'affaissement d'esprit pitoyable où fut 
Louis XV, sa peur profonde de la mort après la 
catastrophe horrible de la Nesle , donnait bon 
espoir au clergé. La Mailly, plus qu'usée, ne 
pouvait pas faire contrepoids. Le Roi repren- 
drait-il maîtresse? cela semblait douteux. Le 
parti bien pensant croyait que, si parfois revenait 
l'ardeur libertine, la petite maison de Ghoisy y 
suppléerait de reste, les dames complaisantes, les 
nocturnes hasards sans amour et sans souvenir, 
donc, sans effet ni influence. 

Il fallait un courage réel pour entreprendre de 
refaire une maîtresse, de rendre le Roi amou- 
reux. 

Deux sortes de personnes y étaient cependant 
infiniment intéressées, les courtisans, les gens 
d'affaires. Parmi les premiers, Richelieu, jusque- 
là écarté, mais uni auxTencin, ne désespéra pas 
de s'empiarcr du Roi eu lui donnant une maîtresse 



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— 195 — [I7«) 

quasi royale, bâtarde des Gondé. Dans le monde 
d'affaires, on présentait d'en bas un bijou plé- 
béien, une enfant accomplie, une Pandore douée de 
tous les arts. Créature et filleule des Paris, la pe- 
tite Poisson était née in tt^io, dans leur propre 
comptoir. Celle de Richelieu, la Tournelle avait 
vingt-cinq ans. Celle des Paris, la Poisson, n'en 
avait que dix-huit. Laquelle des deux aurait 
le cœur et le courage de reprendre le rôle 
dangereux de la Nesie? Laquelle agirait pour la 
France? c'était au fond la question. La Tournelle, 
qu'on croyait bâtarde des Condé, donnait espoir; 
on supposait qu'elle serait, comme eux, du parti 
Chauvelin, anti-dévot et anti-autrichien. La petite 
Poisson promettait encore plus; le salon de sa 
mère, fort mêlé,. recevait avec les fermiers géné- 
raux, beaucoup de gens de lettres, les plus libres 
esprits. Filleule des Paris, elle était caressée de 
tous , et put jouer enfant plus d'une fois entre Vol- 
taire et Montesquieu. 

La mise en scène de l'enfant fut jolie et fort 
bien entendue. Les Paris, relevés, redevenus 
puissants (Montmartel, banquier de la cour, Du- 
verney , fournisseur général des armées), gar- 
daient une note fâcheuse, celle d'avoir eu leur 
commis Poisson pendu en effigie. La petite Pois- 
son avait un beau prétexte, louchant, d'aller au 
Roi, sa piété filiale. On la faisait voltiger dans les 

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(««) — t96 — 

chasses, en robe rose et phaëlon bleu. Elle allait, 
revenait, tournait autour. Le parti contraire s'en 
moquait, disait : « C'est l'amoureuse du Roi. » 
Mais d'autres plus sérieusement : « C'est pour 
la grâce de son père ». Quelque pari qu'il allât, 
il revoyait ce doux petit visage, muet, qui pour- 
tant implorait. Il souriait, regardait volontiers. 
On s'alarma. On coupa court en décidant le Roi, 
non à prendre la fille,mais à faire grâce au père 
(en 1741). Cela finissait tout. 

Les Paris comprirent mieux qu'il fallait d'abord 
la marier, la faire dame d'un salon, une reine de 
la mode et des arts, mais surtout lui ôter ce très- 
fâcheux nom de Poisson, dont on plaisantait trop. 
«La caque sent toujours le hareng, etc. » Le Roi, 
qui avait eu la Nesle, un des grands noms de 
France, eût bien fort descendu avec celle-ci. La 
famille royale, la cour, supportaient mieux la 
Nesle, disant : « Elle est de qualité. » Cela re- 
tarda la Poisson, et plus de trois années. 

Pour le moment, Duvemey, ajournant sa petite 
merveille, se rangea à l'avis des Tencin et de Ri- 
chelieu, qui était de donner au Roi une prin- 
cesscy mais encore une Nesle. M. le Duc, qui avait 
eu longtemps M"" de Nesle, se croyait père de 
plusieurs de ses filles, et il en avait doté, marié 
une à un gentilhomme. Bientôt veuve, fort belle 
et brillante, celte dame, qui se sentait Condé, en 

D,a,l,zc.bvG00gle 



— 197 — (iiiS) 

avait la hauteur malgré sa pauvreté. « Haute 
comme les monls », disait M"* de Tencin, sa pa- 
tronne. Elle n'en fut pas moins basse, avare j 
débattant longuement dans sa froideur sordide 
combien elle aurait de son corps. Bien diffé- 
rente de la Nesle, elle facilita son traité, en 
demandant beaucoup pour elle-même, et rien 
pour la France, en se séparant des Condés qui 
soutenaient Chauvelin. Elle eadura Fleury, et 
Tencin, et Noailles, les influences de famille. Elle 
employa Voltaire, l'homme de Richelieu, auprès 
du roi de Prusse, mais ce qui fut bizarre, le lit 
écrire aussi pour les plans de Tencin et la folle 
croisade qui nous brouillait avec la Prusse. 

Revenons en septembre, en 1741. Fleui"y, di- 
sons plutôt Versailles (et la famille, les Noailles, 
Maurepas, etc.), parut se proposer deux choses : 
Sauver l'Autriche, et blesser Frédéric. 

1" On n'aUa pas à Vimne, comme il voulait. 
Et on amusa le public en portant jusqu'au ciel un 
brillant coup de main, Prî^ue emportée par esca- 
lade. Maurice de Saxe, le bâtard, la commanda. 
Cheverl l'exécuta. Et la gloire en fut à Maurice 
(18 novembre 1741). 

2' Fleury accorda au roi Georges, oncle et en- 
nemi de Frédéric, la neutralité du Hanovre (octo- 
bre 1741). Georges est mis à son aise. On ne peut 
l'attaquer. El lui il peut donner des subsides à 

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(1743) — 1«8 — 

Marie-Thérèse, lui payer des Danois, des Anglais 
et; chose impudente, douze mille de ces Hano- 
vriens que l'on vient de déclarer neutres. 

3° Bien loin d'écouter Frédéric , on prend 
pour général celui qui lui déplaît le plus, 
un sot brutal, un Broglie, qui l'a blessé, le blesse 
encore. On rit de Frédéric. On élève ridiculement 
en face de ce grand homme un nain, ce Maurice 
de Saxe, ofBcier subalterne et caractère suspect, 
qui a rincroyable insoloBce d'être jaloux du roi 
de Prusse. 

Frédéric sentait tout cela. Il se trouvait seul, 
sans terreur. Ce grand et ferme esprit avisait froi- 
dement à vaincre et à traiter sans nous. 

L'infortuné Bellisle voit tout fondre en ses 
mains. Le Prussien et le Saxon flottent. L'Empe- 
reur a perdu tous ses Étals héréditaires. Bellisle, 
en mars, court à Versailles. Il trouve autour du 
fauteuil de Fleury ceux qui perfidement ont agi 
contre lui, contre la Prusse et pour l'Autriche. 
La Mailly eut alors un beau mouvement de 
cœur. Elle força d'écouter Bellisle qui écrasa ses 
ennemis. 

Le Roi ne disait rien, et l'on croyait que, 
pour des paroles si libres, il serait mis à la 
Bastille. Quelques honnêtes gens réclamèrent. 
La Mailly pleura pour l'armée qui périssait si 
Ton brisait Bellisle. Le relever, c'était sauver 

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__ itg _ (1743) 

l'armée, nous ramener la Prusse, raffermir l'AJ- 
lemagne. — Revirement subit. Le Roi signe un 
brevet qui le fait duc, et duc héréditaire. L'Em- 
pereur le fait prince d'Empire. 

Tout cela vient bien tard. Frédéric, sen-é de 
trèS'près, non soutenu par les Saxons, aban- 
donné de nous, et seul, gagna la bataille de Cho- 
tusilz. Vainqueur, il écrivit à Broglie qu'il était 
quitte envers la France (mai). BrogUe , sourd 
aux conseils de Bellisl^ se fit battre et s'enfiiit 
dans Prague. 

Marie-Thérèse qui, avant la bataille, ne savait 
pas si elle ferait grâce au roi de Prusse, d^onfla, 
devint souple. Le traité était imminent, fiellisle 
accourt chez Frédéric, et s'emporte dans son dé- 
sespoir. Frédéric froidement tire de sa poche les 
lettres que Fleury a écrites en Autriche, offrant de 
laisser là la Prusse, de faire rendre la Silésie si 
l'Empereur a la Bohême. Lettres honteuses où le 
radoteur confiait à l'eqnemi tous ses chagrins se- 
crets. Dans ces missives étranges, l'esprit prêtre, 
l'esprit de police, de lâcheté, d'enfant rapporteur, 
brillait, comme dans celles de 1757. Il a accusé 
Cbauvelin alors , aujourd'hui dénonce BelUsIe 
(2 juillet 1742). Marie-Thérèse imprime tout cela 
pour l'amusement de l'Europe. Versailles est dé- 
masqué, honni. Le roi de Prusse s'arrange avec 
l'Autriche et l'Angleterre (28 juillet). Hollande 

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(1743) _ 200 — 

et Danemark, Pologne et Saxe, y accèdent bientôt, 
et six mois plus lard la Sardaigne nous laisse 
aussi et traite. Seule restera la France. L'autre 
année, Louis XV parut le général du monde (août 
1741). En août 1742 il n'a plus d'allié que l'inu- 
tite Espagne et le Bavarois ruiné. 

La situation était grande, terrible. Les nôtres, 
abandonnés, n'ayant ni Prussiens, ni Saxons, sont 
enfermés dans Prague. Rien n'y vient plus. Dès 
août la disette commença Les bandes innombra- 
bles de Marie-Tbérèse, ses cavaliers barbares, 
guêpes féroces, voltigent tout autour et coupent 
toute communication. L'impératrice dit : « Je les 
liens. » Fleury prie, et elle s'en moque. Elle veut 
qu'ils sortent désarmés, prisonniers. Bellisle, très- 
généreusement, pour réparer les fautes de Broglie, 
s'enferme dans l^rague avec lui. Il répond à Marie* 
Thérèse par des sorties terribles. Dans l'une, nos 
Français vont droit aux batteries autrichiennes, les 
enclouent, avec grand carnage, enlèvent le général 
Mouti. Insigne gloire, mais qui ne nourrit pas. 
On tue, on mange les chevaux. 

Cela le 22 août, que fait-on à Versailles ? 

Une voix sourde, profonde, s'y élevait pour 
Cbauvelin. Dans un si grand péril, dans un tel 
abandon , tous sentaient qu'il fallait à l'heure 
même un pilote, une main sérieuse au gouvernait. 
Les Condés, les Conti, la Mailly, même le contrô- 

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— 3fli — (1743) 

leur des finances Orry, créature de Fleury, étaient 
pour Chauvelin. Mais personne hardiment n'osait 
s'avancer et déplaire, risquer « d'attacher le gre- 
lot. » La question était de savoir si les influences 
nouvelles, Richelieu et les autres^ agiraient dans 
ce sens. Us s'abstinrent lâchement. 

Les Haurepas, les Noailles, tremblaient. Ils 
firent parler Fleury. Il dit que la religion était 
perdue si l'on rappelait GhauvcHn. Il avoua que le 
Conseil n'était pas fort, qu'il fallait le fortifier, 
pour cela appeler... Tencin, avec le jeune d'Ar- 
genson (souple et fin valet des jésuites). Le 27 
août cela se fit. Tencin, que jusque-là on avait 
cru homme d'esprit, au pouvoir parut un néant. 

11 y avait pourtant de vrais Français. Un M. de 
Merle, que connaissait un peu Fleury, vînt le 
trouver, prier pour notre armée, demander qu'on 
envoyât à son secours l'armée inactive de Maille- 
bois. Fleury y consentit. Maillehois alla jusqu'à 
Égra. Mais cette fois encore, on attrapa Fleury. 
Le secret agent de l'Autriche, Stainville (Ghoi- 
seul), lui dit que, si près de la paix, il allait gâter 
tout par une collision inutile. Et il rappela Mail- 
lehois. Prague et nos enfermés furent abandonnés 
à leur sort. 

Avec la faim, bientôt le froid sévit. On put 
voir (là comme en Crimée) à quel point ces extré- 
mités, loin d'abattre l'âme française. la tendent 

DolizccbvGoOglc 



(1142) _ Î02 — 

au contraire et l'exaltent. La poudre leur man- 
quait. Us faisaient des sorties, des chaînes à 
l'arme blanche, et parfois en triomphe rappor- 
taient un morceau de bois. Dans leur gaieté, 
leur bonté généreuse , ils partageaient leurs 
rations réduites avec de pauvres spectres de 
femmes indigentes qui trouvaient auprès d'eux 
plus de pitié qu'auprès des leurs. 

Le Roi était-il averti? M. de Beauveau échappé 
à grand'peine , vint , lui dit tout. Et il restait 
muet. La Mailly se désespérait. Il parla, mais pour 
ne rien dire. Il ne fallait qu'un mot, rappeler 
Chauvelin. Son nom seul aiu'ait fait solder Harie- 
Thérèse, eût aidé Frédéric dans l'idée admirable 
qu'il eut pour nous sauver , pour relever le 
Bavarois : c'était de décider les princes allemands 
à faire une armée de l'Empire. Mais saus la France, 
ils n'osaient faire ce pas. 

Pour dire le vrai, le Roi était tout absorbé 
dans le traité de la Toumelle. Elle exigeait des 
choses énormes et insensées : un dudié (Châ- 
teauroux) ; plus l'état fastueux qu'avait eu Mon- 
tespan; plus des avantages futurs pour les en- 
fants qu'on lui ferait. Et ce traité immonde 
publié à grand bruit, à son de trompe, le duché 
vérifié, enregistré en Parlement, comme on eût 
garanti un traité avec telle puissance étran- 
gère. 

Douze. bvGoogle 



— SOS — (17«) 

Elle exigeait encore une chose bien dure, qui 
coulait fort. Celait qu'on chassât la Mailly. 

Donc le traité traînait. Une chose juge cette 
femme, c'est que, craignant pourtant que le Roi à 
la longue ne perdît patience, elle usa d'un moyen 
étrange, de lui donner un passe-temps comique 
autant qu'infâme. ËHe lui envoya à sa place sa 
sœur, amusante et cynique, laide et drôle, qu'il 
eut à Choisy. 

Mais le Roi enfm lait effort. La grande exé- 
cution s'accomplit. Le secoiu"s de Pn^ue? Point 
du tout. Une chose bien plus importante à Ver- 
sailles, l'expulsion de la Mailly (10 novembre 
1742). Tencin, dit-on, en eut l'honneur. Le clergé 
volontiers en eût chanté des Te Dmm. Car, tant 
que la Mailly restait, la Nesie n'était pas enterrée.- 
11 y avait un cœur pour la France. 

Le désastre de Prî^ue ne fut plus qu'un fait se- 
condaire. Marie-Thérèse y usait son armée. Elle 
voulait à tout prix sa vengeance. Les supplications 
sottes de Versailles avaient ajouté à son oi^ueii 
boufQ. Ne sachant plus que faire, nos ministres 
écrivent qu'il faut revenir. 

Mais comment revenir?... Plus de routes. 
Tous les ponts détruits. Des montagnes à passer. 
Très-hautes, car elles versent des rivières oppo- 
sées, au Nord et au Midi, à la Baltique, à la mer 
Noire. A ces hauteurs , le froid est redoutable. 



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(1742) — 204 — 

C'est peul-êlre ce qu'on calcula. Couler Bellisle à 
fond, c'était la pensée de Versailles. S'il meurt là, 
c'est fini ; c'est l'audace insensée. S'il passe en 
laissant derrière lui une armée gelée et détruite, 
ce sera mieux. Car il vivra condamné, flétri et 
maudit. 

Mais enfin voici l'ordre. Il faut partir. C'est la 
nuit du 16 décembre (1742). Bellisle dit à Che- 
verl : « Garde tous les malades. Tu ne te rendras 
pas. — Certes, non, général. » Il en était bien 
sûr. Il se fût fait sauter. . 

Maintenant le voilà, l'homme de l'entreprise, ce 
Bellisle, qui emmène la nuit ses quatorze mille 
hommes, les seuls qui marchent encore, affaiblis, 
amaigris. C'était la miniature du retour de Mos- 
cou. Bellisle n'en fût jamais sorti s'il n'y eût eu 
avec lui un autre homme de génie, Vallière, 
vrai créateur de notre artillerie. On emmenait 
trente canons. On ne sait pas comment, mais 
il leur mit des ailes. Partout oiî les affreuses 
bandes de la cavalerie de l'Autriche se présen- 
taient sur nos gelés pour faire leur petite récolle 
de têtes, et de nez, et d'oreilles, nos canons vo- 
lants y étaient pour faire voler leurs escadrons. 
C'est la première fois que l'on vit ces canons ani- 
més, pleins de verve française. Le très-attentif roi 
de Prusse, studieux, et qui aimait son art, en pro- 
fila, en fit autant, et d'un bout de l'Europe a l'au- 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 205 ~ (i7i2) 

tre dans ]a guerre de Sepl-Ans. Il imila ValHère, 
fut imité de Bonaparle. 

On perdit énormément d'hommes. Mais on ar- 
riva à Égra, fièrement. On sauva le drapeau. Che- 
vert se défendit à Prague, et si bien que Marie- 
Thérèse, le cœur crevé, y manqua sa vengeance, 
dut le laisser aller. 

Le Boi , pendant ce temps, avait eu sa 
victoire. La victoire achetée et que d'autres 
avaient eue. Les chiffres prient. Il l'eut le 10. 
Du 17 au 26 noire armée fut gelée. Le 19, cette 
fdie se montra triomphante à l'Opéra qui l'applau- 
dit. Vingt jours après, le dévoiement de Fleury 
évacua le peu qu'il avait d'âme. Tous en rirent, et 
dans l'antichambre, chez le mort même, on en fit 
des chansons. Chacun se sentit soulagé. Le Roi 
aussi. Il fut fort gai, et dansa une ronde à la 
Muette, d'après un air nouveau qu'on avait fait 
sur Maurepas, sur son sexe équivoque, son in- 
capacité d'amour (Revue rétr., t. V, 213). 

Cela ressemble à Charles VI. 

C'est lui faire tort. Au moins Charles VI était 
fou. 



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CHAPITRE XIII. 



Frédéric le Grand. — Furie de riaglelerre. — La Tournelle. - 
Le roi malade. 1745-1744. 



Frédéric ne pouvait être accusé de nos désas- 
tres, c'est lui qui pouvait accuser. On avait cons- 
tamment agi sans lui, et contre lui. On l'avait 
laissé seul au moment décisif d'avril 1742. Certes 
il avait le droit de nous tourner le dos. 

Cependant il n'abandonna nullement noire Em- 
pereur, rendit même à la France de signalés ser- 
vices dans les derniers mois de Fleury et dans le 
long gâchis qui suit (1743). Services, en con- 
science, beaucoup trop oubliés. 

n suivit en cela son intérêt sans doute ; mais, re- 
connaissons-le aussi, sa partialité pour la France, 
très-forte au début de son règne. Ce sentiment in- 
time, de son mieux il le cache. Il plaisante Vol- 



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— 207 — (17«!-n«) 

taire et BelHsle. Hais lous ses actes sont fran- 
çais. 

Il était un des nôtres, constamment inspiré et 
imbu de la France. Jusqu'à quinze ans, il est fils 
du Refuge, élevé par nos protestants. Excellente 
influence, austère, qui, plus que tout le reste, créa 
en lui le nerf de l'indomptable volonté. De quinze 
à vingt, il copia Versailles. Sagrand'mère, la spi- 
rituelle Sophie-Charlotte qui y avait été, qui fut 
près d'y régner en épousant le Grand Dauphin, lui 
laissa trop sans doute l'admiration de cette cour. 
Sa charmante sœur Wilhelmîne, plus âgée, qui 
put tout sur lui, fut élevée par une Italienne, et 
l'aurait fait plus que Français. La prison, la per- 
sécution du barbare Allemand son père, le chan- 
gèrent, mais toujours dans le sens de la France. 
Il fut, dans sa longue retraite (de dis années), 
le disciple de nos philosophes. Les lourds con- 
verb'sseurs que son père avait mis dans sa pri- 
son pour l'aplatir chrétiennement, le firent soli- 
dement anti-chrétien. Français signifiait pour lui 
libre pemmr. Être un roi tout français, cela lui 
paraissait être roi des esprits et de l'opinion, 
grande puissance qu'il cultiva toujours et qui 
n'aida pas peu au beau succès de ses affaires. 

Ce qui est grand en lui bien plus qu'aucun suc- 
cès, c'est cette suprême victoire d'avoir plus 
qu'aucun homme, prouvé, réalisé, la profonde 



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Ii743-n«) — 208 — 

pensée de ce siècle : « L'homme est son créateur. 
Toute puissante est la volonté pour se faire, en 
dépit du monde» 

Deux choses auraient pu l'annuler, les deux 
énervalions de vices et de misère. Ce prisonnier, 
ce vicieux, ce misérable, ce mendiant, par-dessus 
tout cela, fut de bonne heure marqué d'un signe 
qui promet peu l'activité. Dès vingt ans, il fut 
gras. 11 parut perdre un sens, celui des femmes 
et de l'amour. Ses ennemis pouvaient le croire 
brisé. Mais c'était le contraire : le cerveau fut 
doublé. La volonté terrible qui fui en lui, domp- 
tant l'inertie naturelle, en fit un type unique, ex- 
traordinaire d'activité, jusqu'à vouloir supprimer 
le sommeU. Solilaire dix ans à Rbeinsberg, et 
n'ayant nulle affaire encore, il se levait déjà en 
pleine nuit. A quatre heures, on le réveillait, et 
durement, en lui appliquant une serviette mouil- 
lée. Il travaillait huit heures, portes closes, jus- 
qu'à midi. Il hsait, pensait, écrivait. 11 se Irem- 
pail d'un fatalisme dur {que Voltaire en vain com- 
battait). H écrivait des lettres, des histoires, des 
mémoires, un entre autres : Commera faire la 
guerre à l'Autriche. 

Devenu roi (mai 1740), il se trouva recevoir de 
son père une bonne armée disciplinée, qui ne s'é- 
tait jamais battue, de très-bons généraux, mais 
qui avaient peu guerroyé. Fort ridiculement on 

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— 209 — (nB-n«) 

le compare à Bonaparte. L'henreux Corse eut la 
chance unique d'hériter de Masséna, d'Hoche, 
d'avoir à commander les vainqueurs des vaîn- 
quejurs. Favori du destin, il reçut tout d'abord de 
la Révolution l'épée enchantée, infaillible, qui 
permet toute audace, toute faute même. L'armée 
de Frédéric, qui n'avait fait la guerre que sur les 
places de Berlin, était dressée sans doute (et sur 
les idées excellentes du vieil Anhalt). Mais tout 
cela n'est rien. Une armée ne se forme qu'en 
guerre et sous le feu. Son roi, non moins qu'elle 
novice, l'y conduisit, l'y dirigea, lui apprit plus 
que la victoire, la patience, la résolution in- 
vincible, et en réalité c'est lui qui la forma. 
Ce que ne fut pas Bonaparte, Frédéric le fut : 
créateur. 

Bonaparte eut en main l'instrument admirable, 
homogène, harmonique, de la France si ancien- 
nement centralisée. Frédéric eut en main un 
damier ridicule, fait d'hier et de vingt mor- 
ceaux, une armée composée et de recrues for- 
cées, et d'hommes de toute nation. Il eut un 
pays sans frontière, bigarré, bref un monstre. 
C'est la création d'un besoin. Contre le monstre 
Autriche, il a fallu le monstre Prusse. Commen ^ 
eût-il agi, ce corps dégingandé, s'il n'eût en Fré. 
d&ic trouvé l'unité, le moteur? 

Ses contemporains sont sévères dans leur juge- 

ITI. u 

Douze, bv Google 



(174W7M} — 210 — 

ment sur lui. Ils en parlent comme d'un roi. Mais 
il fut encore plus le grand chef des résistan- 
ces européennes. Dans l'odieux moment oii l'a- 
veugle Angleterre se déclara pour Vienne et 
pour la catholique Autriche contre les libertés de 
l'Allemagne (1742), — au moment où l'intrigue 
fit cet indigne coup d'accoupler l'Autriche et la 
France (1755) , que devenait l'Eiu-ope sans 
l'homme extraordinaire qui seul la vainquit, la 
sauva ? 

Cet homme, tellement maître de lui, fait un 
frappant contraste avec son temps. La violente 
Angleterre de Georges, l'Autriche colérique, ran- 
cuneuse, de Marie-Thérèse, la furie de Madrid, 
l'ineptie de Versailles, bref l'aliénation de tous, 
ne laisse voir qu'un homme en Europe. Un seul 
a son bon sens. Il a l'air du gardien des fous pour 
empêcher à chaque instant qu'eux-mêmes ne se 
blessent el se brisent. 

On ne dit pas assez tout ce qu'il fit pour nous 
en ce moment. Il se compromit même (Dover), De 
sa personne, il alla visitant les princes de l'Empire, 
les engageant à se confédérer, à faire une armée 
neutre qui aurait couvert la Bavière, découragé 
la pointe que l'Autriche voulait faire en France. 
Son influence ôta deux armées à nos ennemis : 
1° celle du Hollandais que l'Anglais voulait leur 
donner el que le roi de Prusse paralysa plus 

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— 211 — (1743-1744) 

d'une année ; 2* les troupes Anglaises de Flan- 
dre que Georges, ce furieux Allemand et plus 
Autrichien que l'Autriche, envoyait à Marie- 
Thérèse. Pour nous sauver ce coup, Frédéric 
eut besoin de menacer et de dégainer presque. 
n signifie à Georges que s'il fait un pas dans 
l'Empire sans l'aveu de l'Empire, la Prusse à 
l'instant même saisira son Hanovre. Georges avala 
sa rage. Mais sa jalouse haine pour Frédéric s'en- 
venimant, le fît de plus en plus, contre tout 
intérêt anglais, serviteur de l'Autriche, et bour- 
reau (s'il eût pu) pour détruire la Prusse et la 
France. 

L'Angleterre (d'elle-même calculée, raisonna- 
ble , et sérieuse dans les intérêts) avait en ce 
moment un accès singulier, allait comme un 
homme ivre qui suit non pas sa route, mais de 
droite et de gauche, poussée ici et là. Après la 
torpeur de Walpole, sous Carleret et Pitt, elle s'é- 
tait éveillée de fort mauvaise humeur. Comme un 
boxeur méchant, fort, sanguin, qui veut des 
querelles, elle cherchait à qui donner des coups. 
Fureur instinctive et aveugle, que de façon di- 
verse on travaillait habilement. D'une part, la 
banque maritime, les noirs comptoirs de Lon- 
dres qui dans l'Amérique envoyaient leurs con- 
trebandiers, commanditaient le vol, voulaient 
que leurs br^uds fussent inviolables aux Ës- 

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(1743 ilU) — 212 — 

pagnols. 11 fallait écraser l'Espagne qui criait : 
Au voleur I — D'autre part, une masse plus dé- 
sintéressée, mais solte et violente, au nom de 
la famiUe, s'émouvait pour Marie-Thérèse con- 
tre l'intérêt prolestant, contre le roi de Prusse. 
Son oncle Georges II était à corps perdu dans ce 
courant. — Un troisième mobile, commun à tout 
parti, c'était la haine de la France, l'idée que 
celte France qui flottait sans pilote, allait re- 
commencer Louis XIV, la monarchie universelle. 
On n'avait jamais su ici-bas ce que peut la haine 
tant que cette Angleterre ne donna son héros, 
l'enragé M. Pilt, ce furieux malade, de colère 
calculée. Tous les plans de ruine et de démem- 
brement, rêvés de Marlborough et d'Eugène, 
étaient au cœur de Pitt. Deux vieilles gens de 
soixante-dix ans, Stairs, Sarah Marlborough, res- 
suscitèrent pour hurler avec lui. Stairs, l'écos- 
sais camus, un dogue à figure d'assassin (qui 
tua son frère à douze ans), avait eu à quarante 
la jouissance unique de marcher sur le pied au 
grand roi qui ne pouvait plus remuer. El la 
furie Sarah, l'impudique exploiteuse de la pauvre 
• reine Anne, ce vampire enrichi de carnage, du 
sang de la France, en avait soif encore. Elle 
fut d'autant plus une plaideuse pour Marie-Thé- 
rèse, prête à lui donner tout. Pour son impéra- 
trice, elle courait les rues, lui ramassait Tar- 

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— 213 — (17*3-174*1 

gent, pleurait, priait pour elle. La famUle est 
en cause et la projeté. Vingt peuples délivrés 
de l'Autriche, rentrés dans le droit naturel de 
la liberté élective, sont proclamés par l'Angle- 
terre la propriété de la femme, de son fiTiit né, 
à naître, de ce ventre plein de tyrans. 

Dans cet accès bizarre, la terre de la Loi, l'An- 
gleterre, se déclara contre la Loi, contre l'élec- 
tion régulière que l'Allemagne unanime fît de 
son Empereur à Francfort. Elle biffa le choix 
des Allemands, nia la liberté germanique. Cou- 
ronné à Francfort, et couronné à Prague, l'Em- 
pereur Bavarois, avait pour lui le Droit incon- 
testablement. Force énorme, si son défenseur, 
si la France n'eût été trahie. 

Fleury mort, l'Espagne voulait nous donner 
un ministre. D'autres timidement auraient in- 
sinué Gbauvelin. Mais qu'en a-t-on besoin? 
« N'avons - nous pas le Roi ? » C'est le texte 
qu'en chœur chantèrent les deux partis, Noailles 
d'un côté, de l'autre Richelieu. Merveille ! le Roi 
parle. On le pousse, on le presse, et on obtient 
cela. Il parle. Il parle haut et sec. A propos de 
Tencin, il dit d'un ton bref: « Plus de prêtre. » 11 
est donc bien changé? Point du tout. Pure imita- 
tion. Il copie assez bien la sèche impertinence 
de Richelieu, de la Tournelle. Il n'en reste pas 
moins ce qu'il fut, nu jouet, l'automate de Vau- 
canson. 

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(n-ij-nii) — 214 — 

Lorsque la vieille M"" !a duchesse osa (fé- 
vrier et avril) lui présenter les lettres , les 
mémoires francs, hardis, que lui adressait Chau- 
vetin, on lui fit croire sans peine que cela bles- 
sait son honneur. Maurepas et Noailles, les plus 
intéressés à exclure Chauvelin , y réussirent 
sans doute par d'adroiles insinuations. Le Roi, si 
peu sensible, indifférent même à l'outrage (on l'a 
vu en 1750) , crut avoir de lui-même une royale 
colère, et fit ce qu'on voulait. Il aggrava l'exil de 
Chauvelin (avril), fil entrer Noailles au Conseil. 

La Tournelle avait une étoile, et y croyait, 
bien sûre de faire du Roi le plus grand roi du 
monde (V. sa lettre dans Goncourt). Admirons 
les premiers effets de cette étoile : Chauvetio 
en disgrâce, et Noailles au Conseil. 

Noailles, qui, sous la Régence, avait eu des 
vues saines, d'heureuses lueurs, n'avait dans sa 
vieillesse gardé que ses défauts, une imagination 
mobile, une versatilité bizarre, qui le faisait sans 
cesse voltiger d'une idée à l'autre. Brillante, 
étourdissante, sa parole était la tempête. Pour 
ajouter l'éloquence du geste, il jetait son chapeau 
•en l'air (Àrg.). Bref, homme détalent et d'es- 
prit, de vaste connaissance, sans cœur, ni fond, 
ni caractère, faux dévot (et flatteur de la tra- 
hison de famille), il offrait la grotesque image 
d'Arlequin à soixante-cinq ans. 

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— 215 — (lHS-1744) 

Richelieu, la Toumelle, se montrèrent là très- 
lâches. Dans la terrible crise oi^ nous entrons 
(avril 1745), lorsque l'invasion de toutes parts 
nous menace et gronde, ils laissent la Famille et le 
parti dévot remettre à ce vieil étourdi la défense 
de nos frontières. 

Georges, Marie-Thérèse, ne doutent plus de 
rien. Ils sont sùi's de finir en une campagne. 
C'est moins que la guerre, c'est la chasse, c'est 
la curée. Qui veut des morceaux de la France? 
Mais sa ruine n'est pas ce qui plaît à Marie- 
Thérèse. C'est bien plus la vengeance.A Prague, 
à Égra, on le vil. 11 lui faut des Français 
vivants à outrager. Celte femme de vingt-huit 
ans, toujours grosse ou nourrice, avec sa beauté 
pléthorique, ivre de sang et bouffie de fureur, 
a beau ,êlre dévote; on voit déjà ses filles en 
elle et le fantasque orgueil de Marie-Antoinelte, 
et les emportements de la sanguinaire Caroline. 
Elle sème; les siens récolleront. Elle fonde sur 
le Rhin et chez nous l'exécration du nom d'Au- 
triche. Ses manifestes terroristes , des pères 
aux fils, jusqu'en 95, s'imprimeront dans la 
mémoire, ^es menaces de mutilations, le nom 
de son Menizel, choisi par elle pour aplanir la 
route, décourager les résistances par d'horribles 
excès de férocité calculée. On réclame. Elle en 
rit, et désavoue Mentzd en l'avançant et le ré- 

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(1745-lîM) — 216 — 

compensant. Dans ses proclamations, il dit au 
paysan que, qui ne vient à lui, sera forcé Im- 
même de se tailler m pièces , de se couper le 
nez et les oreiUes. Nombre de ces barbares, soua 
l'habit musulman, avec charivari de tambour et 
tamtam, donnaient une agonie de peur au 
paysan, qui, dans ses cris au ciel, mêlait con- 
fusément le Turc avec Marie-Thérèse. 

Invasion hideuse, à laquelle le sot Georges, 
la bi'utale Angleterre n'eurent pas honte de s'as- 
socier. Ce grand peuple a des temps où il ne voit 
plus goutte, va comme un taureau, cornes 
basses. Le portrait ridicule que nous donne 
Gomines des Anglais arrivant en France avec 
Edouard IV pour faire la guerre à I^ouis XI, con- 
vient (quatre cents ans après). Bravoure et gauche- . 
rie, maladresse incroyable, foi soKe à la force phy- 
»que. Tel vous allez les voir à Dettingen. Georges, 
.par une savante manœuvre, veut couper Noailles 
d'avec Broglje, empêcher leur jonction. Et il se 
fourre dans un impasse. Le loup a voulu pren- 
dre, est pris. Voilà qu'il ne peut plus nï nourrir 
son armée, ni avancer, ni reculer. 

Ce joli coup était moins de Noailles que du 
très-habile de Vallière qui sut placer ses batte- 
ries de façon que la masse anglaise, bien exposée 
en espalier sur la rive opposée du Hein, devait, 
défilant en arrière, subir en plein le feu, avaler 

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— 217 — ("43-17*4) 

tout jusqu'au dernier boulet. Qui sauva Georges? 
L'étotu'derie de nos brillants courtisans de Ver- 
sailles. Le neveu de Noailles, Grammont et la 
Maison du Roi, ne voulurent pas que l'artillerie 
eût l'honneur de l'aiïaire. Cette cavalerie dorée 
s'élança, elle alla chaîner justement devant nos 
canons et les empêcha de tirer. L'avant-garde, 
sans ordre de même, suivit ce faux mouvement. 
Nos pauvres jeunes milices, amenés d'hier à 
Tarmée, tinrent peu, et, ce qui étonna, nos fiera 
gardes-françaises, superbes au pavé de Paris. 

Même perte de chaque côté , mais Georges 
était sauvé. Les Autrichiens allaient le joindre. 
Noailles, pour n'être pas saisi entre les deux, 
dut repasser le Rhin. Triste nécessité, et on la 
rendit ridicule. Le Roi dit que notre Empereur, 
le Bavarois, traitant avec Marie-Thérèse, il ne 
voulait pas les gêner et rappelait les armées de 
l'Empire. Cette déclaration chrétienne et paci- 
fique de conciliation enhardit nos ennemis. Elle 
n'aida pas peu à décider le traité du Piémont 
et de Marie- Thérèse. Le Piémont sentait bien 
que nous étions trop Espagnols, que nous ue 
travaillions en Italie que pour noire fille l'In- 
fante. (15 septembre 1745.) 

Grand coup contre Madrid, grand coup contre 
Yereailles, c'était juste l'endroit sensible des deux 
cours, l'affaire de la famille. l'Infante (poussée 

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(11*3-11141 — -218 — 

par la Famèse), dans sa tendre correspon- 
dance qui était constamment en roule de Ma- 
drid à Versailles, dut tremper son pa[ùer de 
larmes. Le Roi embarrassé, Toyant que le Con- 
seil craignait de prendre avec l'Espagne des en- 
gagements compromettants, ne consulta qu'un 
homme, celui que la Toumelle appelait Faqui- 
net, Maurepas. Tl méritait ce nom. L'heureuse 
occasion de faire contre la France l'affaire de 
la famille, Maurepas la saisit aux cheveux^ 
dressa docilement, ou plutôt copia le traité 
insensé. C'était déjà le Pacte de famille qui 
mariait la France à l'Espagne, l'associait aux 
aventures de la patrie de Don Quichotte. Rien 
de stipulé pour la France, mais généreusemmt 
elle donnait tout le Milanais à l'Espagne (donc 
guerre éternelle au Piémont). 

Guerre déclarée à l'Angleterre, et dès lors 
maritime (la guerre jusque-là n'était qu'Hano- 
vrienne). Article grave, qui eût dû faire trem- 
hler Maurepas, comme ministre de la marine ; 
il avait construit des vaisseaux, mais en bois si 
mauvais que nos amiraux déclaraient qu'ils ne 
pouvaient tenir la mer. 

Le comble de l'imprudence c'était qu'on s*en- 
gagait à ne jamais traiter avec l'Anglais qtt'U 
n'eût restitué Gibraltar. Donc on fermait la 
porte à tout arrangement possible. 

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— 219 — [n*3.17i4) 

Ce fut le premier acte du Roi gomemant par 
Im-même^ acte accordé à la famille, acte de père 
plus que de roi. Et en même temps, chose bi- 
zarre, il en faisait un autre absolument contraire. 
Richelieu, la Toumelle eurent l'autorisation d'une 
démarche (indii^ecte et secrète) auprès du roi de 
Prusse. Le Roi sut, approuva que leur homme, 
Voltaire, allât à Berlin , « comme persécuté de 
Royer. m IÏ lut et goûta même la risée que Vol- 
taire faisait de ce' Royer, le vrai chef du clergé 
qui, depuis Fleury, avait la FeuiUe, c'est-à- 
dire en réalité donnait comme il voulait évè- 
chés, abbayes, et tous les biens d'Église, dis- 
posait de ce fonds énorme. Ce sot gouvernait 
le Dauphin. Peu à peu , autour d'eux , une 
cour se formait dans ta cour, de gens pieux qui 
ne censuraient pas le Roi tout haut, mais qui 
pour lui priaient, levaient les yeux au ciel. Tout 
le travail de Richelieu était de bien montrer 
au Roi cette cour opposée à la sienne, ayant 
déjà tout prêt son successeur, le petit saint, 
le nouveau Duc de Roui^ogne. D'autre part, la 
Toumelle, avec sa hauteur, son audace, le 
sommait d'imiter Frédéric, d'être vraiment roi. 

Il se trouvait précisément que le Roi de Prusse 
à Berlin renouvelait l'Académie que sa grand'mère 
créa sous les auspices de Leibnitz. 11 fut ravi 
de recevoir Voltaire. Il savait parfaitement la 

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(171W7M) _ 220 — 

puissance de l'opinion dont Voltaire devenait 
de plus en plus le maître. Les tragédies de 
l'un, et les victoires de l'autre avaient coïncidé. 
On jouait Mt^wmet à Lille le jour où l'on 
apprit la victoire de Molwitz; Voltaire dit la 
nouvelle; la salle enthousiaste applaudit à la 
fois Frédéric et Voltaire. Acquérir celui-ci, c'é- 
tait conquérir un royaume, le grand peuple 
penseur, dispersé, il est vrai, mais fort, et qui 
ne donne pas seulement la fumée de la gloire, 
mats toujours''à la longue la réalité du succès. 
Frédéric, malgré tels côtés petits ou ridicules, 
vu de près, saisissait au moins d'étonnement. 
En arrivant de France et de la molle vie de Ver- 
sailles, on ne pouvait voir la vie rude et forte 
du roi de Prasse, son énorme labeur, sans être 
frappé de respect. Cet homme qui, dans les 
froides nuits du Nord, déjà à quatre heures du 
malin siégeait en unifornie {et tout botté), à son 
bureau, devant une montagne de lettres, de dé- 
pêches, d'affaires privées, publiques, avant qu'il 
fût onze heures, avait fait chaque jour ce qu'un 
autre eût fait en un mois. Le tout annoté de 
sa main pour les bureaux qui le soir même 
devaient avoir fait les réponses. N'ayant nulle con- 
fiance en personne, il lui fallait entrer dans un 
détail extrême. Seul général, seul roi, seul admi- 
nistrateur, il était encorejuge dans les affaires 

Douze. bvGoogle 



— 22t — (n4s-n«) 

douteuses. Gouverneoient étrange, absurde ail- 
leurs. Ici, commeol faire autrement? Roi du 
chaos, d'un État discordant de pièces qui hur- 
laient d'être ensemble, d'un État tout nouveau où 
rien n'était encore, ni les institutions, ni les 
choses, ni les personnes, il lui fallait périr ou 
bien jouer îe rôle du Grand esprit, de i'âme uni- 
verselle du monde (Mirabmu). Du reste sim- 
plicité extrême. Nul faste et point de cour. 
Nulle crainte même que ses goûts d'artiste ne 
le diminuassent aux yeux des pliis intimes. Il 
était bien sûr d'être grand. 

Ce qui est amusant, bizarre, c'est qu'avec 
celte vie terrible, tendue de stoïcisme, il se 
croyait épicurien. Il était en paroles plus que 
mondain, cynique, imitant un peu lourdement 
ce qu'il croyait le ton des salons de Paris. 
Quant aux réalités, il est bien difficile de croire 
ses ennemis en ce qu'ils ont dit de ses vices. 
Il n'aurait pas gardé cette âme forte et ce nerf 
d'acier. Il n'eût pas eu dans son palais (avec la 
vie d'Hélagabal) pour amis personnels les plus 
honnêtes gens et les plus graves de l'époque, 
lord Keith el lord Maréchal. 

Fi-édéric était favorable. Il se savait l'objet per- 
sonnel des colères, des haines de Marie-Thérèse 
et de Georges surtout, qui, dans sa bassesse ' 
envieuse, eût voulu ruiner de fond en comble la 



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(1743-1144) — 322 — 

naissante grandeur de la Prusse. Avec le misé- 
rable Auguste de Saxe, ils complotaient non- 
seulement de lui ôter la Silésie, mais de dé- 
membrer son royaume. L'arrangement ne fut 
pas difficile entre deux parties dont chacune se 
voyait absolument seule. C'était un mariage de 
nécessité, de raison. 

Union discordante, au fond, et sans solidité. 
Le roi de France qui venait de mettre tout son 
cœur et sa sincérité dans le sot traité de famille 
pour l'Espagne contre le Piémont, allait main- 
tenant s'allier à la Prusse, ce Piémont du 
Nord. Ce roi, tout catholique, qui tenait son 
Conseil chez lui cardinal, chez Tencin, allait 
contre sa conscience jouer le rôle faux de re- 
lever le parti protestant, en s'unissanl à la 
Prusse, à la Suède, à la Hesse, et au Palatin. 
On pouvait croire qu'il y avait làrdessous quel- 
que chose. Au fond que voulait- on? Une seule 
chose, conquérir la paix, s'aider de la pointe 
hardie que Frédéric voulait faire en Autriche, 
ne point irriter Georges en touchant son Ha- 
novre, ne point fâcher Marie-Thérèse, la tou- 
cher seulement au point le moins sensible, à 
ses extrémités éloignées, excentriques (aux Pays- 
Bas), bref l'alarmer assez pour en tirer la paix 
et le Milanais pour l'Infante. 

En tout Noailles étnit mis en avant et sem- 



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— 225 — (4743-1744) 

blait diriger, Deirière était Tencin. Le Roi ne 
se fiait qu'au cardinal, ne parlait que de lui, 
disant à toute chose : « Mais Tencin le sait-il? 
Tencin, qu'en pense-t-il?» etc. Tout Paris le savait 
{Notwdles à la main, R&). r. F). Jamais on ne 
vit mieux combien cette tête de roi était creuse. 
Bu Tencin d'autrefois, l'intrigant, le rusé, la 
ruse même avait disparu. Il restait un grotesque, 
vieux galantin fardé, la ganache amoureuse. Sa 
cervelle affaiblie, à travers le grand plan de l'al- 
liance de Pnisse (plan protestant) , en jeta un 
autre contraire, tout catholique, d'une descente 
en Angleterre, d'une restauration des Stuarts. Le 
Roi y mordit fort. Il était trop visible que cette 
tentative si incertaine allait avoir l'effet certain 
de nous faire perdre les amis protestants que 
nous tâchions de nous faire dans l'Empire. N'im- 
porte. On passa outre. î^oailles insista pour 
qu'on fit chef de l'expédition l'aventurier Mau- 
rice, l'homme à la mode, prolestant, mais 
qui par là même offrait à Tencin l'appât d'une 
éclatante conversion. Maurice marchandait peu, 
eût daigné imiter Turenne. Il promit de se 
faire instruire [T&iUanàier). Fdle de soi, l'af- 
faire fut faite encore plus follement , comme 
croisade et restauradon des Stuarts, ce qui de- 
vait doubler et décupler les résistances. On ne 
âongeait pas même à s'aider de l'Ecosse. Direc- 

Doiizc^bv Google 



(1713-17*4) — 224 — 

tement Maurice devail aller dans « la rivière de 
Londres. » Le secret élaïl impossible. Rassem- 
bler une armée, enlever de Nantes à Dunker- 
que toutes les embarcations, c'était suffisam- 
ment avertir les Anglais. Ils eurent deux mois 
poiu- eux. Une grosse flotte anglaise fut mise 
a dans la rivière de Londres. » Les nôtres, pour 
passer, prennent judicieusement le moment des 
tempêtes, l'équinoxe de mars, et le passage est 
impossible. 

Le ridicule qu'ils auraient eu dans la Tamise, 
ils l'eurent au continent. Quoi de plus sot que 
de ménager Georges en ne l'attaquaut pas où il 
est vulnérable, en son Hanovre, mais de menacer 
l'Angleterre, d'alarmer ce grand peuple, d'exas- 
pérer sa haine? Nos alliés d'Empire, les protes- 
tants du Rhin furent furieux de celte sottise ca- 
tholique. Le Hessois, loin d'être avec nous, vou- 
lait, de sa personne, aller défendre l'Angleterre. 

Il y avait de quoi dégoûter Frédéric. Il pou- 
vait deviner qu'on n'agirait qu'aux Pays-Bas. Le 
simulacre de descente avait eu cet effet de faire 
rappeler en Angleteree ce qu'il y avait d'Anglais 
en Flandre, et l'on pouvait dans ce pays dégarni 
à bien bon marché réaliser le plan des cour- 
tisans , arranger pour le Roi une belle cam- 
pagne, lui dire qu'il avait ^alé Louis XIV son 
aïeul et surpassé le roi de Prusse. Qui eût 

Douze. bvGoogle 



— 225 — (n»-n*4i 

triomphé? la Toumelte, sa chance, son bonheur, 
son étoUe. 

Frédéric s'obslinail à nous croire de bonne 
foi. On croit ce qu'on désire. Les belles lettres 
qu'il écrivait alors sont un peu juvéniles. Il 
y a du calcul , et le calcul de la sagesse, mais 
aussi fa-ès-visiblemenl une chaude espérance, une 
passion. Avec son air prudent et doucement mo- 
queur qu'il eut toujours, il était ivre de la France. 
C'était entre lui et Voltaire la fraîcheur du pre- 
mier amour. Il ne marchande pas les protesta- 
tions à Louis XV, se posant comme inférieur 
même, comme aUié fidèle et dévoué. Il écrit à 
Noailles : « S'il ne tenait qu'à moi, vous auriez 
pris vingt mille hommes et gagné trois batailles. » 
Il dit qu'il ne demande que le rôle des anciens 
Suédois, dont l'épée fut toute française. Tout 
cela est suieère. La Prusse et la vraie France 
auraient eu le même intérêt! 

La comédie des conquêtes de Flandre par le 
Roi s'était faite en mai. Entouré du corps du 
Génie (alors le premier de l'Europe), armé des 
foudres de Vallière et d'une artillerie supérieure, 
le Roi fît sa rapide et brillante promenade par 
des villes fort peu défendues. Gourlrai, Menin, 
Ypres , Fumes , sont pris en trois semaines. 
Tout ce qui arrêta Louis XIV est trop facile à 
Louis XV. Tout cède à son étoUe. Cette étoUe 



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(1743-1Î4I) _ 22ft — 

pourtant reste encore à Paris. Elle étale son 

deuil et pleure à l'Opéra. Elle s'établit chez 
DuTemey, pour avoir les premières nouvelles. 
Elle pousse contre Haurepas qui l'a fait retenir 
ici les plus sinistres plaintes et des cris de veit- 
geance. « II faut nous en déÊiire » , dit-elle 
(lettre du 5 juin, ap. Concourt). La reine cod- 
damnée à rester, obéit; mais la Tournetle perd 
patience. Elle part, sûre d'être pardonnée. 

Une guerre plus sérieuse nous venait sur le 
Rhin. Coigny, son vieux gardien, l'avait fort mal 
gardé. L'Autrichien était dans l'Alsace et la Lor- 
raine ouverte. Stanislas en danger s'enfuit de 
Lunéville. Pour le coup Frédà-ic croit que l'on 
Ta agir. Il écrit (12 juillet) au Roi directement 
une lettre qu'on crcHrait d'un ami. « U va 
prouver cette amitié, va partir le 13 août, el 
il sera le 30 à Pragite. Il espère que le Roi 
ne le laissera pas seul dans un pas aussi grave, 
qu'il fait en partie pour la France. Il tant frap- 
per trois coups, en Ravière, Robême et Hano- 
vre, mettre Rellisie à la tête de nos années, 
comme l'honmie qui a la confiance de l'Alle- 
magne. Il fendrait employer Haivice « ou quel- 
qu'un de déterminé » pour l'expédition de Ha- 
novre. — El surtout cette fois agir à temps. — 
Mais plus de défensive; on a péri par là. L'offen- 
sive donnera le succès. Elle fut le secret de Coudé, 



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— 827 — {i7M-n«) 

de Turenne, de Luxembourg , de Câlinât, qui don- 
nèrenl tant de gloire aux armées de la France. » 
Ces excellents conseils ne furent point écoutés. 
On donna à l'ardent Maurice le poste de Timmo- 
.bililé, la garde de qos côtes. Bellisle fut retenu 
à Metz « pour préparer les vivres. » Deux vieil- 
lards, Noailles et Coigny, eurent le poste de l'ac- 
tion, la forte armée du Rhin, avec un grand ren- 
fort du Nord. Énorme supériorité sur l'Autri- 
chien qu'on eût pu par des coups rapides acca- 
bler, enterrer en France, empêcher à jamais 
de rejoindre Marie-Th^se. Les deux poda- 
gres furent chaînés de cela, Noailles, lourd, 
gros comme un lonneau ; Coigny , usé et in- 
décis. Si J'ennemi fuyait, le suivraït-on, pren- 
drait-on l'offensive? Notre année d'Italie, en ce 
moment, en donnait bel exemple. Chevert (com- 
mandé par Conli), avec autant d'élan qu'il fut 
ferme dans Prague, avait vaincu les Alpes à leurs 
pas les plus rudes, forcé (contre le roi de Sar- 
daigne en personne) les gorges âpres de la Stura, 
les batteries, barrières et barricades d'un nid 
d'aigle, Château-Dauphin (18-19 juillet 1744). 
L'armée du Rhin a moins d'ambition. Son offen- 
sive en Allemagne sera sur notre frontière même, 
le siège de Fribourg, à deux pas. Opération cer- 
taine que le Génie fera en tant de joui's devant le 
Roi, qui seul aura l'honneur de la campagne. 



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((745-1744) — 228 — 

Le roi de France apprit l'inTasion à Dunker- 
que où il se délassail près des deux sœurs. 
Celles-ci, amenées à l'armée dans un royal cor- 
l^e de dames, de princesses du sang, y trouvè- 
rent un accueil de risées si cruel qu'elles ren-. 
trèrent en France, ne se rassurèrent qu'à Dun- 
kerque. Les Suisses, dans leur jargon, d'abord 
firent de gros rires « sur les putains du Roi. » 
Nos soldats rechantèrent les vieux refrains mo- 
queurs sur Montespau et Maintenon. Les honnèles 
Flamands voyent avec horreur ces deux sœurs 
dont l'aînée donne au Roi la cadette, cet accord 
dans l'incesle. La Tournelle, toujours guindée 
haut, toujours reine, eût ennuyé le Roi si ses 
goûts de bassesse , sa trivïahté n'avaient en 
leur détente avec la Lauraguais, sa sœur, petite, 
grosse, mal tom-née, cynique, un avorton rieur, 
qu'il appelait la rue des mauvaises paroles, 
une laide avec qui on ne se gênait pas. Il al- 
ternait ainsi de la tragédie à ïa farce. Plus de 
résen'e. Il a cassé les vitres. A chaque ville, on 
loge les deux sœurs à portée. Tout près aussi 
son confesseur , le bon jésuite Pérusseau. Non 
que le Roi s'en serve (il ne fait même plus ses 
prières). Mais il le veut tout près, en cas de ma- 
ladie, de mort, pour être sur-le-champ absous. 
Au départ de Versailles, il tenait teliemenl à 
ne pas faire un pas sans mettre en ses bagages 

Douze. bvGoogle 



— 229 — (n43-l7«) 

cet homme indispensable, qu'il ne lui donna 
pas le répit d'un seul jour pour se préparer. 

Près de ce douteux personnage, un autre qui 
l'était beaucoup moins suivait le Roi, son au- 
mônier, Fitz-James, évêque de Soissons, pour 
l'administrer au besoin. 

Caractère violent, et figure menaçante, Filz- 
James, à la Tournelle, donnait l'effroi constant 
du parti des dévols. Ce parti la suivait. Il eut 
un grand r^al à voir les risées de l'armée et la 
Tournelle en fuite, à voir cette orgueilleuse, 
« haute comme les monts, » poursuivie des 
sifflets. Pour comble, arriva à Dunkerque un 
témoin plus haineux, plus malin, de sa honte, 
celui qu'elle appelait Faquinet, qu'au fond elle 
craignait, Maurepas. Ennemi capital et de fa- 
mille, qui naguère, avant sa faveur, héritant 
de l'hôtel où elle logeail, l'avait chassée, jetée 
sur le pavé. La brouille était à mort. Elle n'a- 
vait pas pu obtenir du Roi son renvoi. On 
l'avait éloigné en exigeant qu'il fit sa tournée 
de ministre dans nos ports. R eut des ailes, la 
fit en un moment, et quand elle le croyait bien 
loin, il lui apparut à Dunkerque, pour l'obser- 
ver humiliée, la tenir sous son froid regard. 

Voilà le Roi forcé d'aller du Nord au Rhin, 
et précipitamment, et pour la guerre la plus ter- 
rible. Ce n'est pas la place des femmes. Mais 



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(n43-n«) — 230 — 

la Touroelle avait trop peiir, le vopnt ainsi 
entouré, le connaissant si faible. Elle jura qu'elle 
suivrait le Roi, qu'on ne l'en arracherait pas. 
Dans ce brûlant mois d'août, le sang déjà aigri 
de mortifications, de fureurs, d'oi^iea obligées, 
elle tomba malade en route, et retarda le Roi. 
Il lui fallut à Reims s'aliter, ée purger. La mé- 
decine lui panit si mauvaise qu'elle se croyait 
empoisonnée. Le Roi très-froid, porté aux idées 
funéraires, entretint la malade de son futur 
tombeau, en discuta la place. Rref, il partit 
devant, pour Metz. 

Les deux sœurs, établies à Metz fort scanda- 
leusement dans l'abbaye de Saint-Amould, com- 
muniquaient avec le Roi par une longue galerie 
de bois, que ïe prieur bâtit « pour que Sa Majesté 
pût aller à la messe. » La galerie extérieure et 
en vue fut plus choquante encore en barrant 
quatre rues. Force murmures du peuple, juste- 
ment indigné de ces plaisirs impies qui, en tel 
moment, narguaient Dieu. 

Le 5 août, à un long souper qui dura dans la 
nuit , on fit boire le Roi sans mesure. Excès 
fatal. Il s'y joignit, dit-on, un coup du soleil 
d'août, et très-probablement le triste abus, l'effort 
d'un amour refroidi auprès d'une malade au sang 
tourné, qui portait un germe de mort. 

Le 4 août, le Roi lombe. C'est la fièvre pu- 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 254 — Cils-iW*! 

tride. Alarme nnmeuse. — Que va-t-on dev^r? 
On a fait cent récits de la douleur du peu- 
ple, des églises assiégées, des prières, des pleurs, 
des sanglots. Il est sûr qu'on gardait alors beau- 
coup encore de cet amour de mère que la France 
avait eu pour l'enfant Louis XV. Mais on a dit 
trop peu que, dans cette douleur, entrât (el 
pour beaucoup aussi) la terreur de l'invasion, 
l'irruption horrible de ces bandes de mutila- 
teurs, l'effroyable récit de ce qu'ils faisaient en 
Alsace. On les crut h Paris. Lam^table faiblesse 
d'une grande nation qui se croit ou perdue ou 
sauvée dans un homme I grand contraste à ce 
qu'on a vu celle année aux JÉIats-Unis. Le pre- 
mier magistrat assassiné, nul trouble. Nulle 
cj-ainte, et point d'émotion. Une chose édata, 
c'est qu'en les républiques la vie, la mort d'un 
homme pèse peu. Le salut subsiste en chose 
moins fragile : l'immortalité de la Loi. Avec la 
monarchie, le gouvernement personnel, on doit 
toujours attendre les revirements dangereux et 
soudains qui tiennent an hasard de la vie 
d'un individn. 

Du 4 au 12, le mal va son chemin, et nul 
médicament n'agit. Les deux dames tiennent le 
Roi, portes closes. Les princes du sang, les 
grands seigneurs, restent dans l'antichambre, 
exclus et indignés. Cependant le grand chi- 



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(l7»-n44) — 232 — 

nii^ien, la Peyronie, déclare que peut-être le 
Roi n'a pas deux jours à vivre. Il dit : « Il faut 
l'administrer. » 

Le long et beau récit original (de Richelieu 
lui-même certainement {Mém., Vil) ne peut 
être abrégé. Seulement il ne dit pas assez 
combien dans ces alternatives déjà pesait le 
futur roi, le Dauphin, que l'on attendait. Gela 
seul fait comprendre l'extrême embarras du 
jésuite quand la Tournelle le pria de ne pas 
exiger dans la confusion qu'elle fût l'en- 
voyée avec honte. Pendant qu'elle parlait, il 
voyait le Dauphin absent. Tous le voyaient, ce 
lourd enfant sévère, le vrai juge de Louis XV, 
vrai croyant, intraitable, que rien ne ferait re- 
culer. Il arrivait. Gela enhardissait et les princes, 
et les prêtres. Fitz-James, pour en finir, alla jus- 
qu'à user des moyens populaires, faisant à ta 
paroisse fermer le tabernacle, même ameutant 
le peuple, enfin de sa personne à grand bruit dé- 
clarant aux sœurs que le Roi les chassait. 

Le Roi eut une peur extrême. Il fit, dit tout 
ce qu'on voulait, même un peu plus encore. 
Les médecins l'avaient abandonné. On le jugeait 
perdu. On démolissait sans façon la fameuse 
galerie. Déjà la solitude se faisait autour du 
mourant. Les ministres emballaient, et les prin- 
ces parlaient pour l'armée. L'absence des mé- 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 235 — (n4ï-n«) 

decins fut le salut du Roi. Un empirique lui 
donna l'émétique. Et dès tors il fut beaucoup 
mieux. 

La reine était venue, et il lui demanda pardon. 
Pour le Dauphin, on craignait que la vue du suc- 
cesseur ne fil mal au malade. Au nom du Roi, 
il' lui fut défendu d'avancer plus loin que Ver- 
dun. Il y est le 15 août, et ses sœurs. La pe- 
tite, Adélaïde, fort passionnée pour son père, 
se mourait d'être arrêtée là. Châlillon, le dé- 
vot gouverneur du Dauphin, prit sur lui de 
continuer. Mais la vue du Dauphin fut peu 
^réable à son père. 

Promplement rétabli, te Roi put passer en Al- 
sace. Noailles et Coigny, inquiets, trop occupés 
de Melz, bien moins de l'ennemi, l'avaient [mal- 
gré leur force supérieure) laissé partir, laissé 
apporter à Marie-Thérèse un renfort redoutable 
qui accabla le roi de Prusse. Sans souci de son 
allié, Louis XV s'en tint à la petite affaire mar- 
quée pour but de la campagne. Il vit prendre 
Friboui^ (octobre), ennuyé de la guerre et fort 
impatient de revenir à ses plaisirs. 

Son retour fut une vraie fête. On lui savait un 
gré infini, non d'avoir rien fait, mais de vivre. 
L'invasion n'avait pas eu lieu. On fut ivre de joie. 
La cour l'appela le Bien-aimé. Paris lui arrangea 
un triomphe d'empereur romain. Il entra lente- 

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(1743-^llH) _ 254 — 

ment, et dans les carrosses du Sa<a-e, poui- qa'm 
pût jouir de le voir, qu'on se rassasiât de sa pré- 
sence. Une part dans ces transports évidemment 
revenait à la reine, à ses douces vertus domesti- 
ques qui touchaient fiât le peuple, à l'union réta- 
blie de la famille royale. La maîtresse au contraire 
lui était un objet d'horreur. Au retour sa voilUre 
fat arrêtée à Ja Ferté, elle faillit êlre mise en 
pièces. A Paris, die osa aller voir la Teatrée du 
Roi, se mê)^ à la foule; elle fut accablée d'af- 
fronts, on lui cracha au nez. Elle rentra déses- 
pérée. Tout son orgueil Tabandonna. Elle écri- 
vait à Richelieu (pour le montrer au Roi) que, si 
elle pouvait rentrer, elle ne deonoderait nulle 
vengeance, ne ferait nulle condition, se rendrait 
« à l'ordre du maître. » {fitcft., VU, 51). 

Elle était à ses pieds. Hais d'autre part le 
Roi qui avait va à Metz la bonté de la reine, sa 
passion pour lui, qui voyait à Paris la foule si 
heureuse de leur réconciliation, ne pouvait qu'hé- 
siter à rompre encore, à mécontenter tout te 
mcmde. Loin de dii^racier les amis du Dau- 
phin, il avait dé^gné (octobre) M. de Ghâtilloa 
pour l'honorable mission d'aller recevoir la Daii- 
phine. 

Tout cela agissait si bien qu'après ce l(m% 
sevrage d'amour physique , il pensa à la reine. 
C'était la nuit du 9 novembre. La reine était 

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— 355 — (««-1744) 

coudiée. Ses femmes entendirent gratter à la 
porte de la chambre. Elles dirent : « C'est sû- 
rement le Roi. » La chose était peu vraisem- 
blable après une interruption de quatre années. 
La reine , fort timide (de son infirmité) , en 
avait presque peur. Elle dit : « Vous tous Uvm- 
pez. Dormez. » Avertie une seconde fois , elle 
fît même réponse. A la troisième fois où l'on 
gratta plus fort, elle se décida à faire ouvrir. 
C'était trop tard. Le Roi était piqué. Il traversa le 
Pont-Royal et alla tout droit rue du Bac, où sa 
maîtresse demeurait (Rich., VII, 53). 

Elle s'y attendait si peu qu'elle fut comme fou- 
droyée, s'évanouit. Puis, sentant mieux son avan- 
tage, elle reprit toute sa hauteur. Il s'excusait. Elle 
dit : « Je me liens contente de ne pas être envoyée 
par vous pour pourrir en prison. Quant à retour- 
ner à Versailles, il faudrait pour cela faire tomber 
trop de têtes. » A graud'peine il obtint qu'il n'y 
aurait que des exils. Un coup sur le duc dé 
Chartres, en son gouvemair qui venait de se 
distinguer à Fribourg. Un coup sur le Dau- 
phin, en son gouverneur Chatillon, durement 
exilé pour toujours. Exil des ducs de Bouillon, 
de la Rochefoucault, etc. Il ne disputa pas, se 
hâta de dire oui. 

Cette nuit d'émotions de tout genre lui rendit, 
ou doubla sa fièvre. Elle eût voulu qu'il exilât 

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(1745-nM) — 256 — 

les princes, l'évêque de Soissons, qu'il chassât 
Maurepas. Là, le Roi résista. U ne fut pas moins 
ferme à refuser ce que la Nesle avait eu seule, 
im gage d'amour et d'avenir. {Rich., VII, 79). 
Ses transports, ses fureurs ne lui valurent pas 
d'être enceinte. De telles alternatives lui por- 
tèrent le sang au cerveau. Au matin sa tête écla- 
tait. 

Le roi, pour lui complaire, sans chasser Mau- 
repas, imagina pour lui une cruelle mortification, 
xme exquise torture, celle de porter à la maîtresse 
sa lettre d'excuse et de rappel. Le faquinet plia, 
s'efforça dans la honte de garder sa grâce légère, 
voulut baiser la main. Il n'eut de la malade 
qu'un mot ; « Donnez... Allez-vous-en! » 

Elle le croyait son assassin. Dans ses délires de 
fureurs, de regrets, elle criait qu'à Reims, il avait 
empoisonné sa médecine, soutenait que la lettre du 
Roi était aussi empoisonnée. Richelieu le croyait 
comme elle, et il l'a dit à Soulavie (YII, 72). Ac- 
cusation peu vraisemblable. Maurepas incapable 
de crimes autant que de vertus (comme le disait 
très-bien Caylus) n'usa pour tuer l'orgueilleuse 
que de ponts neufs et de chansons. Sa vie n'avait 
pas l'importance de celle de sa sœur !a Nesle. 
Sa mort importait moins au salut de l'Autriche 
et aux intérêts du clergé. Ou savait la Tournelte, 
ainsi que Richelieu, vouée uniquement à sa 

Douze. bvGoogle 



. — 257 — (17*3-1744) 

propre fortune, plus qu'aux idées d'aucun parti. 

Le Roi la regretta dans la mesure de son 
mérite. Le 6 décembre, jour de sa mort, il alla 
à la chasse , il alla au Conseil , et puis à la 
Muette souper avec quelques amis. 

Il tint à peu de chose qu'une mort autrement 
importante ne changeât la face du monde, celle 
de Frédéric, que notre abandon accabla. En un 
mois il prend un royaume , occupe la Bohême, 
mais sur-le-champ la perd. Son agent envoyé près 
de Noailles et de Coigny les prie d'exécuter le 
traité, d'occuper celle des deux armées Autri- 
chiennes qui est de ce côté du Rhin. Ils la lais- 
sent échapper. Au moins il eût fallu la harceler, 
la ralentir. Ils la laissent marcher, leste et li- 
bre, et rejoindre Marie-Thérèse. Le roi de Prusse 
était déjà embarrassé par les troupes légères 
de l'Autriche qui voltigeaient autour, prenaient 
ses magasins, ses vivres. Quand la seconde ar- 
mée arriva, il se vit à la lettre noyé d'un océan 
de guerre. Grande et terrible épreuve pour l'ar- 
mée prussienne qui eut vraiment besoin d'une, 
solidité merveilleuse. Le Roi, dans sa retraite, fut 
lent et redoutable, faisant ferme ici, là prenant 
des postes importants, là menaçant et offrant la 
bataille (24 octobre). On ne combattait pas. On 
aimait mieux l'user, l'affamer, guettant un mo- 
ment de désordre oiî le lion, effaré de cette âpre 

Douze, bv Google 



(i7«.n*4) — 258 — , 

chassç^ irait lombanldaos quelque fosse- Sa gar- 
nison de Prague, qui en sort (26 noTembre), 
meurt de froid. La moitié esL gelée. Notre t^u^le 
retraite de 1742 se renouvelle pour la Prusse 
(déc. il'^). Frédéric, un moment, manqua de 
peu la mort. Il âait entré dans Kolin avec ses 
gardes, le quarliergénéralel beaucoup d'embarras. 
Toute la plaine autour était couverte de ta cavalerie 
des barbares. Ils chargent les gardes avancées, les 
refoulent, fondent dans la ville. {Trmck.) Si cette 
attaque aveugle eût été plus habile, le Roi pou- 
vait périr ou (pis encore) aller à Vienne. 

Combien il dut maudire l'abandon de la 
France I Par elle il eut pourtant une grande glcùre, 
de se sauver seul par des coups de génie. Réu- 
nir, maintenir unie une armée poursuivie de 
ceUe effroyable nuée, en combiner sans cesse 
le vaste mouvement rétrograde, de manière à ser- 
, rer et rapprocher les corps pour arriver ensemble 
en Silésie, en présentant toujours un redoutable 
front, — là, recevoir la grande invasion, à la pointe 
des baïonnettes, la relancer si bien qu'elle fût b'op 
heureuse d'échapper à son tour en couchant cinq 
nuits sur la neige, — ce fut chose admirable, et 
plus que dix victoires. 



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CHAPITRE XIV. 



La Pompadoar «1 fmAtoaj. — ToHaira et l'origine de 
l'Encfclopédie. 17iM746. 



L'opposition du Roi el du Dauphin s'est forte- 
ment marquée à Metz. Elle nous donne le fll in- 
time de l'histoire de Versailles et de nombre de 
faits qui autrement seraient inexplicahles. 

Le Roi , imprudemment , ne chasse le gouver- 
neur du Dauphin que pour lui donner un homme 
beaucoup plus dangereux. Jusque-là le Dauphin 
n'avait pas son guide-âne. ]l Peut dans ce nouveau 
venu, la Vauguyon, homme de trente-neuf ans, et 
de certain mérite. Voilà l'inséparable ami du 
prince, ou, disons mieux, son âme, et il sera plus 
tard le gouverneur de Louis XVL Dévot peu scru- 
puleux, il se démasquera en se faisant compère et 
patron de la Du Rarry. 



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c — 



(nw-iîM) ^ 240 — 

En février, ta Yauguyon arrive et la cour du 
Dauphin plus que jamais est le foyer des criti- 
ques conlre Louis XV. En février, le parti opposé 
ofÈre au Roi, au bal de la Ville, la brillante maî- 
tresse qui, malgré le Dauphin, va rogner vingt an- 
nées. Le roi, fort peu sédqit, ne l'accepte pas 
moins (de la main des banquiers, des Pâris^ ses 
patrons), en haine de ses censeurs dévots. 

Il était naturel que le Roi , à la longue , las 
de ses hautaines maîtresses, la Nesle et la 
Tournelle, peut-être aussi trouvant un peu nau- 
séabondes les facilités de Ghoisy, acceptât ce que 
jeune il avait refusé, une femme d'esprit, une in- 
telligente amuseuse. 

M"' Poisson, fdleule des Paris, et la fille du Pois- 
son pendu (en eHigie], était de race de bouchers. 
De là de sots lazzis sur la viande et sur le poisson. 
Elle n'avait nullement la fraîcheur des belles de 
la boucherie. Dans ses portraits, elle est gentille 
et fade , d'agréable médiocrité. Elle crachait le 
sang de bonne heure ; c'était peut-êlre la faute de 
sa mère (une grosse beauté hardie el forte) qui, 
spéculant sur elle, la fit trop travailler. On lui 
fit prédire à neuf ans « qu'elle serait maîtresse du 
Roi. » Sa mère, dont la maison attirail fort les 
gens de lettres, sans cesse faisait l'eshibition du 
prodige, vanlant ses talents et ses charmes, di- 
sant : tt C'est un morceau de roi. » 



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— 2*1 — (1745-1746] 

La mère Poissonj qui nerougissail guère, autour 
de Louis XV, fit comme un siège, une attaque en 
tous sens. Elle l'essaya en Diane, on l'a vu. Elle 
l'essaya en musicienne. Elle brillait sur le clave- 
cin, enchanta la bonne Mailly. L'effet fut tout con- 
Iraire sur la Tournelle. Une dame ayant eu l'im- 
prudence d'admirer, la Tournelle lui marche sur 
le pied et lui écrase un doigt. 

Donc, il fallut attendre. Le Normand, fermier 
général, plus qu'ami des Poisson et peut-être père 
delà petite, la maria à soji neveu d'Etioies. Posée, 
encadrée dans Je luxe, elle put dégorger ce qu'elle 
avait de bas, se former el prendre attitude. Elle 
eut un salon, réunit artistes et gens de lettres, les 
trompettes de ia renommée. Mais , son grand 
moyen de succès, c'est qu'elle se fit un théâtre, 
avec décors, costumes, machines, etc. Elle jouait, 
déployait le talent d'une agréable actrice de second 
ou de troisième ordre. Elle chantait d'une voix de 
serin, qu'on disait voix de rossignol. Cela retentis- 
sait plus haut. Le président Hénault en fut ravi et 
put en parler chez la reine. Plus directement les 
Tencin s'en occupèrent. Encore plus un Binet, un 
parent des Poisson cl valet de chambre du Dau- 
phin. D la vantait au Roi. Mais, chez le Dauphm , 
il disait qu'elle ne voulait lien qu'une place de 
fermier général . 

Par un autre canal encore elle arrivait au Roi, 

ivl. i« 

DolizcdbvGoOglc 



(n*5-nM) — 242 — 

par son écuyer Briges, qui t'eut d'abord. Enfin 
tous firent si bien qu'un soir il la reçut. I) n'en 
fut pas charmé. Elle avait vingt-trois ans, quatre 
ans de mariage, deux enfants. Elle était déjà fati- 
guée, molle et loin d'être neuve. Elle fit si peu 
d'impression que même, un mois après, il ne s'en 
souvint plus. Il fallut aider sa mémoire, lui rappe- 
ler certain soir, certaine dame. On lui disait que , 
depuis ce soir-là la pauvre dame était restée éprise, 
que son mari était horriblement jaloux, qu'elle 
était tourmentée, désespérée, pensait à se tuer. 
C'était avril. Le Roi allait en Flandre. On brusqua 
tout, on la lui ramena (la nuit du 22) à souper. 
Richelieu y était et n'en fit pas grand cas. Mais, 
lui parti, en excellente actrice, elle dit qu'elle 
était perdue, qu'elle ne pouvait pas reloumer, 
qu'il fallait qu'il la prît, la cachât n'importe où. 
Situation piquante. Le roi la mit au petit entresol 
qu'il avait sur sa tête. Là, quelques jom"s, en se- 
cret, il l'eut, il la nourrit, tremblante et désolée 
des lettres folles qu'écrivait le mari. 11 vit comme 
on tenait à elle, sentit le prix de ce trésor. Le voilà 
attaché décidément. Il ne la cache plus. La fa- 
mille sombrement muette, les murmures, les 
mines maussades le piquent. N'est-il donc pas le 
maître? Pour faire dépit à tous, il la déclare maî- 
tresse, et, pour comble d'éclat, à Pâques. 

Quelle chute après celte bâtarde des Coudés, 

Douze. bvGoogle 



— 243 — (nw-iiMj 

que le Roi nppehil princesse ! Gcile-ci, lagmetie, 
la robine (comme on dit tout bas), n'est pas née. 
Eh ! bien, c'est tant mieux. Le roi la crée et la foit 
naître; il y. met son plaisir. En quinze jours il Ja 
décore, l'honore, lui donne un train et des palais. 
H la titre du nom sonore d'une maison éteinte. EJte 
est et restera la marquise de Pompadour (22 a^ril- 
6mail745). 

Le Roi éiait si mal avec sa famille au départ 
pour la Flandre, qu'il ne dit pas même adieu à la 
reine. Il aurait bien voulu laisser ici le pa- 
quet le plus lourd, son gros jeune dévot. Mais 
cela était difficile. Arrivé le 9 mai au camp, de- 
vant Tournai, il apprit dans la nuit que l'ennemi 
marchait, qu'il y aurait bataille. Il défendit qu'fl» 
éveillât son fils, partit, voulant peut-être qu'il ne 
le joignît pas à temps. Mais le Dauphin fit hâte, ne 
lui donna pas ce plaisir. 

L'armée était très-forte (aux dépens de celle 
du Rhin); elle n'avait guère moins de quatre- 
vingt mille hommes. Et tout cela était mené 
par un malade, par Maurice, hydropique, à qui, 
au départ, on venait de faire la ponction. Ce 
que ce héros de la mode avait tant poursuiivi, 
et par tant de moyens, intrigues et coups d'aa- 
dace {plus que coups de génie), le commande- 
ment en chef, il l'avait, et mourant il ne vou- 
lait pas le lâcher. Autant qu'il le pouvait, il 

D,a,l,zc.bvG00g|l 



cacha son état. Il assiégeait Tournai, mais souf- 
frait tellement qu'il vit par l'œil d'autrai, char- 
gea ses lieutenants de chercher, de choisir un 
lieu propice à la bataille (Rieh.). — En passant 
l'Escaut on trouvait trois villages, Âutoing, Fon- 
tenoy el Barry, oiî l'on fit trois redoutes, et do 
plus les Tillages avaient devant eux deux ravins. 
Cela paraissait fort. Ce qui gâtait la chose, c'est 
que l'armée française avait dans le dos la rivière. 
Sa retraite c'était l'Escaut. — Des ponts étaient 
jetés tout prêts, un spécialement pour le roi en 
cas d'échec. La retraite de tant de mille hommes 
à la file sur des ponts étroits est une opération 
scabreuse. Notez que pour garder ces ponts, 
on mit sur les deux rives un corps de vingt mille 
hommes qui restait l'arme aux bras. — Notez 
que pour garder le Roi, on immobilisa encore 
sa Maison, une armée de six mille hommes 
d'élite avec une batterie de canons. Plan éton- 
nant, d'après lequel les combattants réels n'é- 
taient plus guère que cinquante mille. Notre 
supériorité de nombre était parfaitement annulée. 
Maurice vint de Tournai dans une carriole 
d'osier, vil fort bien le danger (dit Richelieu'). 
Mais le temps lui manquait pour changer de 

■ J'ai tous les récits sous les yeui- Le meilleur est celai que Riche, 
lieu Et pour Louis XVI, en 1 782 {Rkh. Vil) , sauf le point où il vMit 
faire croire que seul il eut l'idée, si simple, que tout le monde avait. 

Douze, bv Google 



— 245 — (1T*5-1746) 

position. L'ennemi avançait, conduit par un fils 
du roi Georges, le duc de Cumberland, et le 
Roi allait arriver. 

Le 11 mai, de bonne heure, le brouillard s'é- 
lant élevé, notre arliilcrie tirait déjà. Le Roi 
était placé un peu haut et près d'un moulin, 
de manière à voir sans danger. Couvert de sa 
Maison, de ses canons à lui, il était gai. Et, 
dans ce groupe de seigneurs, de ministres, qui 
l'entouraient, pendant que le Dauphin priait tout 
bas sans doute, il se mit à chanter et à faire 
chanter une chanson, trop gaie, de corps de 
garde. Gela ne parut pas humain, au moment 
d'une si grande destruction d'hommes. « C'était 
bravoure? » — J'en doute. Les très-biaves sont 
calmes et froids dans les grandes attentes. 

Les Anglais, Hollandais, Hanovriens regar> 
daient cependant comment percer à nous. Il fal- 
lait franchir les ravins; puis on était en face de 
trois redoutes, de Barry sur la droite (regardant 
les Anglais), d'Auloing à gauche et Fonlenoy au 
centre. Dans ces redoutes tonnaient cent vingt 
canons. L'embarras cependant pour Cumberland 
n'était pas médiocre de s'être avancé là, si près 
du roi de France, nez à nez, et de reculer. Le 
vieil autrichien Rœnigseck conseillait de tâter, de 
ne pas s'engager à fonds. Cependant le prix 
était grand. Non pas Tournai, mais le Roi même. 

Douze, bv Google 



(171.-17*6) — 216 — 

Pour qui se souvenait de Poitiers, de Pavie, de 
nos rois prisonniers, celle présence de Louis XV 
était une grande tentation. 

II y avail des gens acharnés. De même que 
chez nous la brigade Irlandaise flairait le sang 
Anglais, dans les rangs anglais le Refuge, les lils 
des protestants altérés de combat, auraient donné 
leur vie pour prendre le pelit-fds de Louis XIV. 
Ces gens-là les premiers durent voir où il fallait 
Ërapper. Le défaut de notre ordonnance dont 
Maurice fait l'aveu, c'est qu'entre Fonlenoyj 
Barry, il y avait du vide, et nos lignes baillaient. 
Franchir le ravin sous le feu, puis en courant 
passer à travers les boulets croisés de Barry et 
de Fontenoy, ce n'était pas chose impossible. 
Mais il n'y avait guère de retnur, ayant le ravin 
derrière soi, peu de chance de le repasser. Il fal- 
lait avancer, dépasser nos c«inons, les laisser 
derrière (inutiles). Alors on perçait noire armée, 
on la coupait en deux et l'on prenait le roi de 
France, ainsi que le Prince Noir prit Jean. 

Et cela se ûl presque. Le ravin fut passé. Et 
l'on passa encore entre les deux redoutes sous 
la grêle. Cette grêle elle-même fit serrer les 
Anglais, les massa en une colonne. Nos canons 
dépassés derrière ne tiraient plus, et les petites 
pièces que traînait l'ennemi de moment en mo- 
ment, de la colonne ouverte, vomissaient le 



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— 247 — (n4S-«46) 

fer et le feu. Elle avançait alors et faisait quel- 
ques pas. Six heures durant, elle avança. Gom- 
ment pendant six heures Maurice fit-il si peu 
pour réunir nos forces, comment nous laissa-t-il 
faire si longtemps des chaires inutiles , par- 
tielles, sur la masse qui nous foudroyait?... 
Beaucoup s'y obstinèrent. On dit que M. de 6i- 
ron eut, sous lui, six chevaux tués. 

L'homme de Maurice, d'Ëspagnac, est ridi- 
cule ici quand il veut nous faire croire que ce 
désastre était le comble de l'habileté, que, plus 
l'ennemi avançait, et mieux il était pris, que ce 
massacre utile des nôtres avait mis justement 
les Anglais dans la souricière. Ce qui est sûr, 
c'est que Maurice, tremblant pour le Roi, com- 
mençait à effectuer la retraite. Hais plusieurs ne 
Toulaient pas se retirer. Nos Irlandais frémis- 
saient de fureur. 

Ce spectacle terrible;, et rapproché du Roi, le 
lit suer à grosses gouttes (dit le témoin, valet de 
chambre, Rich., Vil, 145). Au moulin, il était 
en vue, des boulets arrivaient et le passaient 
parfois. Il descendit plus bas. Tous autour de 
lui, fort émus. Les uns disaient que, si le Roi 
mettait en sûreté sa tête sacrée, on pourrait dis- 
poser de ce gros corps qui le gardait. Que le Roi 
prît part au combat, nul n'en avait même l'idée. 

Le Dauphin seulement, avec son tact sûr pour 



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déplaire, demandait à chaîner, à joindre la cava- 
lerie. Cela le perdit pour toujours; Louis XV ja- 
mais ne l'emmena^ ne l'envoya, ne l'employa à 
rien. Il crut, à tort sans doute, que les conseillers 
du Dauphin l'avaient poussé perfidement pour 
faire mieux ressortir l'inaction du Roi. Elle était 
remarquée et surprenait. Nos Français avec leurs 
idées de roi vaillant à la François I", compre- 
naient peu celte sagesse. Us l'appelaient « Louis 
du moulin (Frédéric). » 

Beaucoup regardaient de travers ce moulin qui 
paralysait les six mille hommes de la Maison du 
Roi, qui gardait ses canons, si nécessaires alors. 
En les faisant tirer, ou avait chance encore. Cela 
crevait les yeux, et chacun le disait. On ue l'en- 
tendait que de reste. Mais le Roi ne l'entendait 
pas. Richelieu hasarda de dire « qu'il faudrait 
des canons. » — - « Oà les prendre? » dit un 
courtisan. — Tout près. Je viens d'en voir. — 
Oui, mais le Maréchal défend que l'on y touche. 
— Le Roi peut l'ordonner. » 

Là-dessus grand silence. Alors timidement 
(non sans effort, et d'un véritable courage). 
Richelieu, risquant sa fortune, demanda si Sa 
Majesté voudrait envoyer ces canons. 

Le Roi parut troublé (Rich., 141). Il hésita, 
puis consentit, ne pouvant guère faire autrement. 
Ces canons, à l'instant traînés devant la masse 



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— 249 — [)Ti5-<74ffi 

anglaise, tirés à quelques pas, y firent une hor- 
rible trouée. Le Roi y lâcha sa Maison. Tous se 
lancèrent, même les pages. D'autre part, Mau- 
rice avait pu enfin faire parvenir aux corps isolés, 
un ordre de charger d'ensemble. La colonne 
qui en sis heures devait avoir perdu beaucoup, 
sous le canon tiré de près, n'était plus que 
de dix mille hommes; et sous ta charge, elle 
fondit. 

Fonlenoy et la prise de tous les Pays-Bas , opé- 
rée heureusement par les manœuvres habiles 
de Maurice et de Lowendall , avançaient-ils la 
paix? Point du tout ; au contraire. Les Anglais 
ulcérés poussèrent en furieux dans la guerre 
de subsides, gorgeant Marie-Thérèse, et les prin- 
cipicules nécessiteux de l'Allemagne, nous fou- 
droyant de leurs gninées. — La grosse reine des 
brigands du Danube riait, engraissée de ses pertes. 
Des subsides énormes de Londres, elle avait de quoi 
faire son mari Empereur, noyer la Prusse de bar- 
bares. Nos victoires inutiles de Flandre servaient 
si peu à Frédéric qu'il dit : «. Autant vaudraient 
des batailles au bord du Scamandre ou bien la 
prise de Pékin. » Au moment où. il espérait quel- 
que diversion de la France, il apprit qu'au con- 
traire notre année d'Allemagne, affaiblie pour 
celle de Flandre, venait de repasser le Rhin. Ma- 
rie-Thérèse, impératrice, était encore plus impla- 

Diailizc^bv Google 



[17*5-17*6) — 250 — 

cable , enflée d'orgueil et de fureur. Elle ne 
voyait, n'entendait plus. Frédéric, par expérience, 
savait qu'elle ne devenait bonne qu'en recevant 
les étrivières. Il les lui prodigua. Â chaque re- 
fus, une victoire. 

D'août en octobre 4745, la ligue (d'Autriche, 
Saxe, Angleterre, Piémont) était vaincue par- 
tout. En Flandre on avait pris Bruges et Gand, 
et l'on investissait Bruxelles. En Italie, une armée 
espagnole, partie de Naples, et ayant joint notre 
armée de Provence, secondée des Génois, avait 
séparé brusquement le Piémontais de l'Autri- 
chien. Ce qui est bien plus grave , les Monta- 
gnards d'Ecosse avec le Prétendant descendent à 
Edimbourg (2 octobre). La claymore à Preston 
brise l'épée anglaise. Les enfants de Fingal et l'ai- 
gre cornemuse traversent l'Angleterre et directe- 
ment vont à Londres. 

Tout est merveilleux dans l'affaire, sublime et 
fou. C'est un chant d'Ossian. Charles-Edouard, 
second fils du rm Jacques, qui n'avait rien de lui, 
rien des Stuarts, mais tout de la Pologne et de sa 
mère Sobiesta, unit trois avantages, beau et intré- 
pide, ignorant, ne sachant rien du réel , du possi. 
ble. Quand notre embarquement manqua (en mars 
1744), il eût trouvé tout simple de passer en 
bateau sur des coques de noix. Il resta ici, re- 
muant Versailles en dessous par son. frère, plus 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 251 — (17*5-17*61 

adroit. Par Tencin il agit, par Richelieu qui espé- 
rait commander une descente. 

Versailles hésitait fori, voulait, ne Toulait pas. 
On prêta seulement deux vaisseaux à un arma- 
teur Irlandais, de Nantes, qui disait « faire la 
course. » On ne donna nulles troupes, quelques 
armes à peine, et peu, Irès-peu d'argent. Le 
brave prince ne s'arrêta pas à tout cela. II avait son 
roman en tête, de laisser là les Jacobites trop pru- 
dents, mais de se jeter tout d'abord dans les Hau- 
tes Terres, chez ces vaillants sauvages aux courts 
jupons d'Ecosse, sans calcul et prêts au combat. 
La folie Polonaise avec la folie Gaélique, cela pou- 
vait faire quelque chose d'extraordinaire , de 
grand. L'absurde de la chose, l'improbable ai- 
daient au succès. Arrivant seul et sans force étran- 
gère , il avait plus de chance. Nul souci des 
moyens. 11 calculait si peu qu'il avait pris 
l'habit le plus impopulaire, le plus mal vu 
en Angleterre, celui du séminaire Écossais de 
Paris. 

Tout se fît par gestes et regards , car il ne savait 
pas leur langue, ni eux 1a sienne. Us le virent, 
furent émus. Dès qu'ils furent douze cents, 
la cornemuse en lête, ils descendirent dans 
Édimboui^; alors, ils furent trois mille. Sans se 
compter, ils chaînent les Anglais à Preston Pans, 
et les défont. Toute l'Ecosse se déclare. Mais la 



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(i7«-n*eï — 252 — 

dJfficuUé élait de mener jusqu'à Londres ces fits 

de )a montagne, si altachés au sol natal. 

Beaucoup laissent le prince, qui n'avance pas 
moins. Plus il enfonce en Angleterre, plus il es- 
père deux choses : que le vieux loytdimie va re- 
monter au cœur des Jacobites Anglais; que la 
France, l'Espagne, rougiront à la fin, ne vou- 
dront pas le voir périr. 

Le secours fut étrange : trois compagnies Fran- 
çaises, juste assez pour nous compromettre sans 
le fortifier. Les Jacobites d'autre part, loin d'a- 
voir quelque élan , furent plutôt effrayés. Ils 
ne voulaient rien faire sans une grosse ai- 
mée de la France. Les wighs , les anti-jaco- 
bites ne bougeaient pas non plus. Il en fut 
justement comme à l'invasion de Guillaume en 
1688. Nul mouvement ni de l'un ni de l'autre 
parti. Mais cette fois, la chose fut d'autant plus 
plaisante qu'elle eut lieu au moment où les An- 
glais croyant la guerre très~loin, en Allemagne, 
bouillonnaient de vaillance, guerroyaient de pa- 
roles, impitoyablement soufflaient le feu, le fer. 
La guerre ? Mais la voici, à deux journées de Lon- 
dres. L'un dit : o Je suis marchand j. — moi ban- 
quier ; — moi fermier. » C'est l'affaire du Roi, des 
soldats. 

Situation comique. Celle d'Auguste III devant 
le roi de Prusse ne l'est pas moins; il s'en- 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 253 — (n«.n*a) 

fuit en Pologne, et Frédéric, pour la seconde 
fois , gardant la Silésie , a fait plier Marie- 
Thérèse. Le SaToyard, chassé par nous de la Sa- 
voie, de tous sfâ états presque, voit tomber ses 
places une à une ; on conduit en triomphe notre 
Infant Philippe à Milan. En Flandre, nous serrons 
Braxelles. Tant de succès, par-dessus Fonlenoy, 
mettent le Roi plus haut qu'il ne le fut dans tout 
son r^ne. Ses censeurs de Versailles sont déso- 
rientés. La maîtresse, déclarée à Pâques, au mé- 
pris des saints jours, n'a pas porté malheur. En 
septembre, à Versailles, elle a son Fonteiioy. 

La \igoe universelle de la cour, les lazzis, 
les chansons qui l'attaquent, les innombrables 
poissonOfdes , obligent la Poisson d'avoir un 
grand mérite. Elle a celui des convenances. Tout 
au rebours de la Tournelle, si insolente pour la 
reine, celle-ci devant elle est humble et tendre, 
semble demander grâce, même avoir besoin 
d'être aimée. À sa présentation , sous les yeux 
de tant d'ennemis , elle fut et charmante et 
touchante. La reine lui sut gré de son trouble, 
la rassura, lui fit un accueil quasi maternel. Elle 
jugea qu'après tout, si le Roi devait avoir une 
maîtresse, celle-ci était la meilleure. Cette faveur 
alla bien loin. Elle la fit dîner avec elle â 
Choisy. 
Grand coup pour le Dauphin. Vraie lumière 

Douze, bv Google 



(17*5-1148) — 254 — 

sur Versailles. La reine n'était pas en tout de 
la cabale Ses lettres (à l'occasion de Fonlenoy, 
Ârg., éd. J., t. Y, mb. fin.) montrent qu'en bien 
des choses elle était séparée du Dauphin. Ëite 
le fut bientôt de ses filles, vouées passivement 
à leur frère , contre la Porapadour, lui enlevant 
le Roi et blessant la reine elle-même. 

Tant que nous n'avions pas le Journal de 
M. de iMynes, nous ne savions pas la part im- 
mense que les filles du Roi eurent dans sa 
vie. Et partant nous ne sentions pas combien la 
Pompadour fut utile pour faire équilibre à cette 
funeste influence. Nous aurions pu le deviner 
pourtant en voyant qu'aux premières années, 
les hommes de valeur, Argenson, Machault, 
Duverney, Quesnay, les Encyclopédistes, sont 
tous avec la Pompadour. C'est évidemment le 
parti de \ollaire et de Montesquieu. Dans le très- 
beau pastel que Lalour a fait d'elle, déjà pâle et 
usée, elle se pare de ces beaux génies. Elle 
a sur son bureau, Irès-ostensiblement, l'Esprit 
des Lois, la Henriade, je crois même un vo- 
lume de V Encyclopédie. 

Elle était médiocre et froide, mais dirigée par 
des têtes plus fortes { une Lorraine surtout , 
M"* de Mirepoix). Elle sentit très-bien, dès la 
seconde année, qu'elle n'avait nulle chance de 
garder un amant salisfail, un homme secrètement 

Douze. bvGoogle 



— 255 — (ilis-nW) 

dominé par ses filles, que par l'amusement, une 
vie d'art et de plaisir, tout opposée à la tor- 
peur malsaine de ces influences secrètes. Son 
tiiéâtre des cabinets groupa près d'elle un 
monde de courtisans, d'artistes, tous ravis d'ap- 
procher le maître. A la' réalité , aux soupers, 
aux caresses qui servaient le parti dévot, elle 
opposa l'illusion et la fanlaisie du th^tre, les 
séductions de l'esprit. Elle s'y mit, s'y usa sans 
réserve. Sa jolie voix et son talent d'actrice, cent 
sortes de costumes la renouvelaient tous les 
soirs. Sa douceur fade allait à VHerminû du 
Tasse; sa'simplicité (fausse) lui permettait pour- 
tant de jouer les bei^ères, Églé et Galathée. 
De bonne heure, elle fait des rôles humbles de 
vieille', et pour bien faire entendre qu'elle ne 
prétend qu'amitié pure, elle joue Urmie, dans 
une robe pailletée d'étoiles. 

Quelque peu digne qu'elle en fût, il est sûr 
qu'elle fut {pendant près de dix ans, -1745-1755, 
avant la grande guerre, un centre pour les arts 
et les lettres. Elle fnt une maîtresse bien moins 
qu'un ministère. Ceci explique un peu pourquoi 
elle eut besoin de tant d'ai^ent. Elle ne put 
avoir, avec cette énorme dépense, le désinté^- 
ressement de la Mailly, la Nesle. Dos arts char- 
mants naissaient, dans la décoration intérieure, 
dans l'ameublement. C'est un trait spécial, ori- 



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(n45-n«) — 256 — 

gina) du siècle. Ces dix ans en furent l'apogée. 

Le déclin commença après, vers 1760. 

Par là elle ayait prise sur le Roi pour qui 
l'intérieur était beaucoup , si ce n'est tout. La 
question était de savoir si, de l'art, il pouvait 
passer aux idées de prc^ès politique, social, aux 
nouveautés qui venaient rajeunir , sauver ce 
monde vieilli. C'était là le débat et le. combat 
réel entre la Pompadour et la famille royale. 
Déjà assez adroitement on avait introduit Vol- 
taire, comme victime de ta cabale du Dauphin. 
La forte antipathie de Louis XV pour son fils lui 
fît même accepter les risées que Voltaire faisait 
tous les jours de Boyer. Celui-ci se plaignant de 
passer pour un sot, le Roi dit : « C'est chose 
convenue. » Richelieu, la Toumelle, firent en- 
voyer Voltaire auprès de Frédéric. On lui fit ré- 
diger le manifeste de la descente en Angleterre, 
La Pompadour inaugura le théâtre des cabinets 
par son Enfant prodigue. Voltaire fut entraîné. 
Elle le fit académicien , gentilhomme de la 
chambre, historiographe du Roi. Dans sa vivacité 
crédule, il partageait le rêve de d'Argenson et de 
tous. Ils croyaient que le Bien aimé , à force 
d'amour et d'él(^es, de flatteries qui étaient des 
leçons, aurait pu être transformé, mis sur la 
voie L^es grandes choses. 

Il est certain que la nécessité semblait falale- 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 257 — (1743-1746) 

ment y pousser elle-même. Sans un changement 
radical qui étendrait l'impôt à tous, au clergé et 
à la noblesse, on succombait, on périssait. La 
Pompadour avait pour patrons les Paris, ce 
Paris Duverney, qui, sous M. le Duc, voulait 
imposer le clei^é. Machault, contrôleur général, 
partageait cette idée. Elle le soutint, le prit 
à cœur, te défendit longtemps. C'était l'idée du 
siècle, et pour la France et pour l'Europe. Vol- 
taire, après la guerre, ne voit pour l'Allemagne 
ruinée nul remède que ceux de Frédéric (plus 
tard de Joseph II), la sécularisation des biens 
ecclésiastiques (éd. B., t. ilvi, 554). 

Question financière qui touchait le terrain 
moral. Le clergé, c'était le passé. On ne pouvait 
toucher au clergé, qu'en suscitant l'idée nou- 
velle. Non formulée encore, elle se faisait jour 
par les belles lueurs isolées qui perçaient çà et 
là dans les sciences et les arts. Faire un corps 
général des lettres, arts et sciences, au point 
du dix-huitième siècle, c'était évidemment le tra- 
vail préalable. 

Voici ce qui advint. Le vieux et savant d'Agues- 
seau , malgré les côtés tristes , misérables de 
son caractère, avait deux côtés élevés, sa réforme 
des lois, et une passion personnelle, le goût et 
le besoin de l'universalité, certain sens encyclo- 
pédique. Un jeune homme, un jour, vint à lui, 

m. 17 

DolizccbvGoOglc 



[ll*5-n«) — 258 — 

homme de lettres vivant de sa plume, et assez 
mal noté pour des livres hasardés que la faim lui 
avait fait faire. Cet incomiu suspect tît pourtant un 
miracle. Le vieux avec stupeur l'écoula, dérou- 
lant le gigantesque plan du livre où seraient 
tous les livres. Dans sa bouche , les sciences 
étaient lumière et vie. C'était plus que parole , 
c'était création. On eût dit qu'il les avait faites,, 
et les faisait encore, ajoutait, étendait, fécon- 
dait, engendrait toujours. — L'effet fut incroya- 
ble. D'Aguesseau, un moment au-dessus de lui- 
même , oublia le vieil homme , fut atteint du 
génie, grand de cette grandeur. II eut foi au 
jeune homme, protégea VEneyclopédie. 

Prodigieuse sibylle du dix-huitième siècle , 
combien d'autres il fit ou changea, ce grand ma- 
gicien Diderot! Il souffla, certain jour; il en jail- 
lit un homme, et son homme opposé : Rousseau. 
L'énorme et indigeste monument, VEneyclo- 
pédie, tout informe qu'il est, étonnamment fé- 
cond, ou la Révolution déjà coule à plein bord, 
avait pourtant besoin , contre son ennemi le 
Clergé, d'avoir son ennemi le Roi. C'est pour la 
Pompadour un titre de l'avoir si longtemps, si 
obstinément soutenu, jusqu'à l'achèvement, pen- 
dant plus de dix ans. Plus d'un article hardi 
en fut fait à Versailles, au petit entresol qu'y 
occupait Quesnay , l'illustre créateur de l'Éco- 
nomie politique, le médecin de la Pompadour. 

Douze. bvGoogle 



CHAPITKE XV. 



Le roi compiis par la famille. — Règne d« madame Henriette. — 
Paix de 1748. 



, Le fait le plus obscur et le plus surpreDant 
dans toute l'histoire de Louis XV, c'est l'assenti- 
ment passa^^r qu'il donna aux grandes vues 
d'Ai^aison l'aîné, l'utopiste, disciple de l'abbé 
de Saint-Pierre. 

Le famaix d'Argenson le père, le rude homme 
^e police sous Louis XIV, qui eut la large étoffe 
d'un grand bomme et d'un bas coquin, eut 
deux fils d'un esprit contraire. Le cadet fut 
très-fin, un renard, valet des jésuites. Par 
eux, il monta Vite, les ayant bien servis dans 
leur très-grande affaire de faire reine Marie Lec- 
-zinska. La reine s'en souvenait, l'aimait. Au 
-grand drame de Helz, il Joua double jeu entre 



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(1Ï4S) _ 260 — 

ta reine et la maltresse. Gela le Ht U'ès-fort quand 
celle-ci revint (nov. 1744), et il put faire donner 
les Affaires étrangères au frère qu'il croyait diri- 
ger. Il n'y voyait qu'un simple. Mais justement 
celte simplicité loyale, hardie, fui une force, — 
à ce point qu'un moment il fît marcher le Roi 
contre la cour et la famille, dans la vraie voie 
de la raison. 

Il voulait l'alliance protestante de Prusse, Saie 
et Hollande (plus, celle du Piémont qui aurait été 
chef de la libre Italie). La famille voulait l'alliance 
catholique, d'Ëspagne-Âutiiche (avec une Italie 
soumise aux Espagnols). 

D'Ai^enson séduisait le Roi par l'espoir de la 
paix. Le Roî semblant si haut (octobre 1745), 
heureux partout eu Flandre, en Piémont, en 
Ecosse, il y avait des chances réelles pour réé- 
gner, détacher de la ligue les États secondaires, 
Saxe, Piémont, Hollande. Gela était sensé. 

Il existait vraiment un parti en Hollande, anti- 
anglais et anti-orangiste, qui se lassait de suivre 
l'Angleterre. Il y avait pour le Piémonlais un 
intérêt réel à se mettre avec nous. 

Quant à la Saxe, îi la Pologne, l'eûmes sous 
Auguste 111, d'Ai^enson faisait un roman. Il 
eût voulu une Pologne héréditaire, l'assurer au 
Saxon, aux Allemands, dans la supposition très- 
vaine que ces peuples d'esprit contraire s'uni- 

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— 261 — (HM) 

raieul pour form^ une barrière contre ta Russie. 

Pour rilalie, le plan était très-beau. Une fédé- 
ration d'États égaux entre eux. Un gardien armé, 
le Piémont, qui aurait eu Milan. Venise aussi 
avait un peu de Lombardie. La Toscane redeve- 
nait république. L'Espagnol gardait Naples. Mais 
tout prince étranger devait opter, jurer de se 
faire Italien. L'Autrichien à jamais chassé. La 
France se chassait elle-même et généreusement 
s'excluait de l'Italie, libre par elle. 

La vraie difficulté était notre petite Infante, son 
mari qui alors tenait Milan. Le Roi, à cause d'elle, 
était fort Espagnol. Retirer Milan à sa fille pour 
le donner au Savoyard, cela devait lui être dur. Il 
était, il est vrai, pour le moment mécontent de 
l'Espagne que le succès rendait indocile, inso- 
lente. 11 était peu content de l'Infante elle-même, 
qui ne se fiait pas à lui seul, intriguait en dessous 
avec Versailles (le Dauphin, Noailles, Maurepas). 
De plus l'Infante, belle et jeune, mariée sans 
mari (avec l'Infant toujours absent), avait en at- 
teudant pris un vieux galant, un évêque ambas- 
sadeur de France. Point fort sensible au Roi, 
qui était jaloux de ses filles. 

Il aimait la géographie. De sa main il traça 
le plan du partage nouveau qui rognait la part 
de son gendre. Tout se fit entre lui et d'Ar- 
genson. Pas un mot au Conseil. Maurepas ce- 



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{1148) __ 262 _ 

pendant le sut, et avertit l'ambassadeur d'Espa- 
gne. 11 accourt, il crie, pleure. « On l'entendait 
hurler. » (Ârg.) C'est bien piâ à Madrid. « On se 
couvre la tête de cendres. » Ici, la reÎM et Hen- 
riette, la cour, tout entourait le Roi de désolation 
et de deuil. Le traité (qu'il signa à contrecœur) 
alla fort lentement à Turin. Très-rapide, au con- 
traire, marchait une armée autrichienne. Le Pié- 
mont a peur, nous U^hit. Nos Français sont 
surpris, elles sots Espagnols qui pleuraient tant 
pour le traité, pleurent maintenant de l'avoir re- 
fusé, d'êlre battus, chassés partout. 

L'affaire d'Ecosse alla de même. On paya pour 
Charles-Edouard des Suédois qui ne partirent pas. 
On envoya Richelieu à Brest pour embarquer des- 
Iroupes ; beaucoup d'argent, nul résultat. Cepen- 
dant le Roi Geoi^es a rassemblé trente mille hom- 
mes qui refoulent Edouard au Nord. Vainqueur en 
reculant à Falkirk, il n'en est pas moins vaincu 
décidément à Cutloden (avril 1746). Là des mas- 
sacres horribles. Un sur vingt décimé. Le fer, le 
feu partout, la froide application du plan suivi de- 
puis, de faire des Hautes-Terres un désert. 

Toutes les forces de la France (1746) sont 
concentrées en Flandre pour la guerre de parade 
que le Roi iait en mars. On réunit pour hii cent 
vingt bataillons près d'Anvers, cent quatre-vingt- 
dix escadrons. Anvers pris snr-le-champ, le Roi 



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— 965 — {1748) 

a ce qu'il veut, et le 50 mars, au début même de 
la campagne, il a fini la sienne, revient droit à 
Versailles. Le maréchal de Saxe , Lowendall et 
Conti, continueront l'œuvre facile de prendre les 
villes de Flandre, et Maurice gagnera l'inutile vic- 
toire de Raucoux. . 

Toute l'année 1746, oisive pour le Roi, passe 
comme un tourbillon de fêtes, sauf en juillet un 
deuil assez court. La daupbine espagnole meurt 
le 6 àYersailIes, et son père, Philippe V, le 20. Cela 
finit le long règne de la Farnèse. Le nouveau roi, 
Ferdinand VI, se défie de cette belle-mère, l'éloi- 
gné, s'intéresse fort peu à son frère, D. Philippe, 
mari de noire Infante. D'autant plus les deux in- 
trigantes, l'Infante et la Farnèse, perdant terre en 
Espagne, se reprenaient ici sur Versailles et vou- 
laient y jeter le grapin. Le moyen eût été d'y met- 
tre une seconde dauphine, une sœur de la morte 
(une naine toute noire, dangereux diablotin). 
Elles s'y prirent maladroitement et révoltèrent le 
Roi. Par un procédé double, en lui écrivant dfô 
tendresses, elles animaient le Dauphin contre lui. 
«Dévotes, harpies, catins, » tâchaient de le 
rendre amoureux. Elles parlaient au nom du 
roi d'Espagne, qui n'en savait un mot. L'In- 
fante en vint enfin, dans sa fureur d'enfant gâtée, 
au point qu'elle gronda son père, le menaça. Gela 
trancha. Le Roi fît écrire à Madrid que nous 

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(I7ii) — 261 — 

avions ici trop d'horreur pour l'inceste , qu'on 
n'épousait pas les deux sœurs. Il suivît d'Ar- 
genson, il accepta son plan de demander plutôt 
une Saxonne, de regagner ainsi la Saxe el la Po- 
logne à l'alliance française. 

Après la Saxe la Hollande. D'Ai^enson insistait 
pour qu'on fît celle-ci médiatrice. Des conféi-encea 
furent ouvertes à Bréda. Il y reprît son plan, de 
nous regagner le Piémont en lui donnant Milan, 
en resserrant la part de l'Infant, notre gendre. 
Propositions secrètes qui transpirent à Madrid. 
L'Infante et la Farnèse pleurent, crient. Un ton- 
nerre de sanglots s'entend des Pyrénées. Quel est 
l'indiscret? Le Roi même. Il dénonce là-bas ce- 
lui qu'il approuvait ici. Comment? Par exlrême 
faiblesse. Il avait une lettre suppliante de Phi- 
lippe V mourant. Il sentait que l'Infante serait 
désespérée, furieuse, si (saos lui dire un mot) 
on lui ôtait Milan, la couronne de fer, pour la 
donner au Savoyard. Il eut peur de sa fille, rejeta 
tout sur ÂrgensoD. 

Celui-ci était seul. Il pouvait se vanter d'avoir 
réuni tout le monde , mis les partis d'accord. 
Tous contre lui. Il eût fallu bien du courage dans 
la Pompadour pour l'aider contre la cour et la fa- 
mille. Ce triste visage (à la crème, qu'on voit dans 
le pastel) n'en était guère capable. Elle baissait. 
L'année 1746 fut terrible pour elle. I^ pouvoir 

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— 265 — (17M| 

lui venait, maïs la vie s'en allait, d'abord Ja santé, 
la beauté. Si le Roi eût été un peu absent, elle eût 
pu remonter. 11 ne le fut qu'un mois, et elle ne 
put pas respirer. Ministre tout le jour, la nuit chan- 
teuse, actrice, mise au lait et crachant le sang, 
die s'exterminait. Et le Roi était ennuyé. Aux 
ballets où elle figure, il bâille. « J'aime la comé- 
die, » dit-it, et il y bâille aussi. 11 ne se plaît un 
peu qu'aux Italiens, au spectacle où elle n'est pas. 
Elle semble finie déjà (1747). Elle a Tair épuisé, 
« sucé, » dit d'Argcnson. Elle souffrait du mé- 
pris de Paris. Point d'affront qu'à Versailles elle 
n'ait du Dauphin, de Mesdames. La nuit, c'est 
pis encore. Le Roi allait toujours chez elle, ce 
qui trompait les simples. Mais en réalité, c'était 
pure habitude. On sut lui mettre en tête qu'elle 
était très-malsaine. Sous tâl ou tel prétexte, il 
couchait sur un canapé {Haussât). 

« La Poœpadour va être renvoyée. Le Roi vivra 
dans sa famille. » (Ârg., 1747.) 

La famille? qu'était-ce? Non, certes, le Dau- 
phin. C'est un peu la Dauphine, une bonne Al- 
lemande. C'est beaucoup, c'est surtout la fille 
aînée du Roi, la très-douce M"* Henriette, sa 
petite sœur Adélaïde. 

M™ Henriette était une pâle fille du Nord , 
très-maladive et très-timide, qui avait près du Roi 
comme un respect tremblant, presque peur. Cela 

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(1748) — 266 — 

lai plaisail. C'était un cœur charmant et bon, uu 
cœur brisé et ia victime de son père qui l'avait 
traitée durement. Élevée presque avec le petit 
Orléans et jouant avec lui, elle avait bien cru l'é- 
pouser. Mais le Roi était tout à fait pour les 
Bourbons d'Espagne, ne voulait nullement appro- 
cher Orléans du trône. Il aimait mieux d'ailleurs 
rinfemte. 11 immola Henriette, ne la maria point. 
Qu'arriva- 1 -il? Cette bonne sœur n'en fut pas 
moins toujours du parti de l'Infante à qui on la 
sacrifiait. Comme les chiens battus qui d^autant 
plus s'attachent, elle se donna toute à son père. 
La cabale dévote lui faisant un devoir de l'enve- 
lopper, le gagner, elle trouva ce devoir très-dous. 
Élevée par la vieille M"" de Ventadour, une dévote 
bien peu scrupuleuse, Henriette prit le rôle qu'on 
voulait; elle força sa timidité, fit chez elle des 
soupers au Roi [Imynes, Argenson, Campa», etc.). 
Chose certainement pénible à une si modeste per- 
sonne, et si souvent malade. Mais elle se vain- 
quit tellement qu'il se trouva chez elle à l'aise 
plus que partout ailleurs, s'habitua à elle, comme 
à un doux animal domestique dont on ne peut plus 
se passer, qui ne se plaint jamais, accepte tout 
caprice, qui voit sans voir et souffre tout. 

Succès réel du parti du Dauphin qui parla sœur 
faisait arriver, réussir, tout ce qui eût choqué du 
frère. Le Roi cropit pour elle n'en jamais faire 



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— 267 — (17481 

assez. II lui donne à Versailles (où elle u'avait 
besoin de rien) huit cent m0e Uvres dé rente, 
justement quatre fois plus qu'à la Porapadour, 
qui en a alors 200,000. Tout à l'heure, il va lui 
créer une Maison , dames et grands officiers , 
presque au point d'éclipser la reine. ' 

La reine y gagna fort. Autant le Roi avait été 
jusque-là sec pour elle, même dur, autant il fut 
aimahle. Nul doute que la três-lwnne fille n'eût 
obtenu cela de lui. La reine eut des étrennes, et 
la Pompadour n'en eut plus. Le Roi fit le jeu 
de la reine, et pria les seigneurs de la distraire 
un peu. Enfin il fit la chose qui ravit tout le 
monde. La Bête fut chassée, je veux dire Âi^eu- 
son. Quelle joie pour notre Infante! Qui peut 
lui faire cela, sinon son humble sœur, empressée 
à servir celle à qui on l'a immolée. 

Argenson renvoyé (février 1747), c'est toute 
une révolution. Nous tournons le dos à la Prusse, 
à la Hollande et au Piémont. Nous reviendrons de 
plus en plus aux alliances catholiques, aux Es- 
pagnols, aux Autrichiens. 

Même avant qu'il ne tombe, on a à regretter 
d'avoir négligé ses avis. L'alliance du Piémont 
manquée nous ruine en Italie , nous amène en 
Provence les bandes autrichiennes , dont nous 
étions noyés, sans un hasard heureux, rinsurrec- 
tion de Gênes (V. le très-beau récit de Sismondi). 



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(««) . _ 268 — 

L'alliance de Hollande qu'Ai^enson travaillait, et 
qu'on fit avorter en envahissant ce pays, y lua 
le parti de la France, donna force au parti an- 
glais et orangiste. La populace des ports fit ce 
qu'elle avait fait pour Guillaume III en 1672. 
Elle Toulut, exigea un sladlhouder, imposa à 
la répi^lique un très-indigne chef. Orange, ser- 
viteur des Anglais. Notre imprudente attaque eut 
ce beau résultat de sceller Tunion de l'Angle- 
terre et de la Hollande, d'opérer Tanéantissement 
définitif de celle-ci. 

Nous demandions la paix en offrant humble- 
ment de rendre nos conquêtes. Et l'on n*en vou- 
lait pas. Cependant tout le monde était bien las, 
surtout les Etats secondaires, pauvres comparses 
du grand drame ofi ils ne gagnaient que des 
coups. Les obstinés eux-mêmes commencèrent à 
se faire plus doux aussi, quand Maurice menaça 
Maëstricht, le boulevard de la Hollande, quand 
il gagna tout près la victoire de Lawfeldt, peu 
décisive, il est vrai, mais sanglante. Puis il em- 
porta 6erg-op-Zoom. Sac cruel qui montra com- 
bien s'aigrissait cette guerre, et terrifia la Hol- 
lande. Si l'on . prenait aussi Maëstricht, notre 
armée débordait, et ce riche pays, si peu fait à 
la guerre, se voyait appelé aux cruels sacrifices, 
aux affreux moyens de défense qu'il prit contre 
Louis XIV, s'inondant, se noyant, s'infligeant un 



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— 269 — (1118) 

désastre plus grand que n'eût £ait l'ennemi. 
L'Anglais aussi, ayant anéanti jusqu'au dernier 
de nos vaisseaux, ayant fait son œuvre de guerre, 
devenait pacifique pour ne pas nous laisser re- 
prendre avantage sur terre. Donc on négocia. 
Malgré le maréchal de Saxe qui raisonnablement 
voulait d'abord Maéstricht , on se dépécha de 
traiter. 

Le but primitif de la guerre, où était-il? Et qui 
s'en souvenait? L'Autriche, que l'on devait dé- 
truire, malgré sa cession à la Prusse, était plus 
forte que jamais. Le mari de l'Infante, son éta- 
blissement, sa royauté lombarde, qu'étaient-ils 
devenus? Notre Inlante voyait tout lui échapiwr, 
l'espoir même. Le frère de son mari, Charles, 
le roi de Naples, s'il eût succédé en Espagne à 
Ferdinand (faible et malade), entendait laisser Na- 
ples au second de ses fils, non à son frère Phi- 
lippe, le mari de l'Infante. Donc, celle-ci, qui, 
avec la Farnèse, a régné à Madrid, qui un jour 
eut Milan, qui (d'après le traité de 1736) pou- 
vait espérer Naples, se voit entre trois trônes, 
à terre. 

Elle savait très-bien l'intérieur de Versailles. 
Elle voyait monter Henriette. Celle-ci, sans esprit, 
sans adresse, quasi muette, nulle, avait gagné le 
Roi. Comment? par cela même, par l'excès de 
l'obéissance. On savait bien pourtant ce qui était 

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(17*8) — 270 — 

derrière et la poussait. Que lui férait-on faire? 
CtHnment userait-elle de ce pouvoir ûroissant. 
Trois personnes étaient inquiètes, fortement at- 
tristées : la Reine, la Pompadour, l'Infante. 

La reine, tout à coup flattée du Roi (déc. 1746, 
Aéc.ilAT,DeLuynes)y n'avait pas pria le change. 
Elle se refroidit pour ses filles, se fatigua du 
baiser d'étiquette qu'elles lui donnaient toujours 
chaque fois qu'elles entraient dans sa chambre 
{Luyms, VIII, 173, 12 janvier 1748). 

La Pompadour imagina pour partager, neutra- 
liser la grande faveur des deux ainées, de tirer du 
couvent et de faire venir à Versailles, M™ Victoire, 
jolie fille, grande fille, déjà de quatorze ans. 

L'Infente, corrompue et hardie (comme élève 
de ta Farnèse), qui avait hasardé déjà, comme on 
a vu, d'intimidé son père dont cfle savait le 
faible cœur, hasarda un moyen d'arrêter le pro- 
grès de son goût singulier pour Henriette. Vol- 
taire, sous le Régent, avait fait une pièce hardie 
contre l'inceste, CEdipe. Elle le pria (c'est lui qui 
^ouB l'apprend) de faire une Sémiramis. L'inceste 
était fort à la mode. Le roi de Pologne, Àû- 
^ste II, disputait sa fille à son fils. La chanoi- 
nesse de Lorraine qui se tua pour son frère, 
avait fait éclat et légende (1742). Les Choiseul 
imitèrent. La femme de Hérault, le dévot lieu- 
tenant de police, était publiquement maîtresse 

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— 271 — (1748) 

de son père, très-ricbe, que souffrait le mari. 
Les mœurs étaient sur cette pente. La pièce aur 
rait paru toucher bien moins Madame (après tout 
respectée) que des gens bien connus. Elle aurait 
averti, mais non blessé directement. 

Voltaire était alors retiré, mécontent. Son zèle 
de courtisan avait fait mauvaise campagne. Sa fa- 
miliarité hai-die, parmi les flatteries, avait choqué 
le Roi, choqué la Pompadour qui visait à la ma- 
jesté- U avait fui Versailles, revenait volontiers 
à Sceaux chez la duchesse du Maine. Cette vieille 
petite fée, brouillée avec la cour, jusqu'au dernier 
jour conspirait, mais littérairement, accueillait 
les satyres. C'est chez elle jadis que Voltaire fit 
ŒMpe (1721). Chez elle, il Cit Sémiramis (il 41). 
Il l'achevait à Sceaux (décembre). 

En janvier il est à Versailles, voit mieux le 
terrain, et prend peur. M" Henriette, à ce mo- 
ment, quitte le petit appartement qu'elle occu- 
pait au Nord pour le grand logement royal qui 
termine l'aile du Midi, qu'elle quittera bientôt 
pour un appartement central entre le Dauphin et 
le Roi {De Luynes). Là elle est le médiateur, le 
chefduconsdlàehïamiMe (c'est le mot qu'em- 
ploie d'Argenson); Voltaire, fort inquiet, écrit de 
Lunévitle, pour ajourner Sémiramis (févr. 1748). 

A Versailles, une scène violente éclair-ait la si- 
tuation (17 avril, Luynes, tx). La Pompadour n'o- 



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(174 _ 272 — 

saot altâquer Henrieltâ^ lui opposait une poupée. 
Elle faisait venir deFonlevrauU la petite M™ Vic- 
toire. Le Roi pleura en reToyant cette enfant toute 
aimable, et bonne autant que belle. Elle se sus- 
pendit à lui, ne s'adressa qu'à lui. II se montra 
très-^ible. Dépenses énormes, et ridicules hon- 
neurs (pour une enfant de quatorze ans), rien ne 
fut épargné. Henriette souffrait et se taisait. Mais 
Adélaïde éclata. Elle crevait de jalousie. Elle cria. 
Tout en retentit. Elle s'indignait, non pour elle, 
~ mais pour sa sœur, l'aînée, une princesse de 
vii^t et un ans, à qui la nouvelle venue dérobait 
les bonneurs et le cœur de son père. On vit là 
pour la première fois la violence d'Adélaïde, le 
pouvoir qu'elle aurait. Elle n'avait pourtant que 
quinze ans. Mais on lui obéit. Victoire fut éloi- 
gnée, et logée au second étage, confinée dans le 
petit rôle de soigner deux petites sœurs. 

Voltaire, chez Stanislas, loin du danger, avait 
repris courage. L'Infante, pour qui il lit la pièce, 
disait-on, allait arriver. Et ce drame qui punit 
l'inceste ne pouvait déplaire à la reine. U fut pro- 
bablement montré à son père Stanislas. Bref, al&i 
jaeta.... Le 29 août, la pièce est représentée à 
Paris. On voulait retrancher deux vers trop dan- 
gereux. Mais on eût paru craindre. Tout au con- 
traire la Pompadour pensa que tout serait cou- 
Tert, toute allusion écartée, si lui-même le Roi se 



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— 275 — (i K) 

faisait protecteur de la tragédie. Elle lut fit don- 
ner un décor pour Sémiramis. 

Ce que l'auleur avait le plus à craindre, c'était 
qu'une parodie, trop claire, ne forçât de voir et 
de comprendre. Cette peur le jeta dans une étrange 
agitation. Il écrit à la fois de tous côtés, prie le 
cardinal Quirini, prie M"" de Luynes, prie la reine 
elle-même. Six lettres à la reine ! qui répond froi- 
dement que la parodie est d'usage. Heureusement 
pour lui, la Pompadour qui n'avait pas moins 
peur, ayant (par le décor) fait le roi patron de la 
pièce, fit défendre la parodie (septembre). . 

Voltaire la remercia, par une autre impru- 
dence; — vaillante et honorable. — C'était le mo- 
ment triste oii le traité bi-usqué qui finit cette 
guerre, d'un trait de plume nous ôtait nos con- 
quêtes, toutes ces places fortes que l'on venait de 
prendre, ce royaume des Pays-Bas. Le maréchal 
de Saxe entourait et tenait Maeslricht, la clef de la 
Hollande, — bien plus l'occasion d'infliger aux 
Anglais un affront solennel, de voir prendre la 
place, à leur nez, sans rien faire. 11 gémissait, 
écrivait à Versailles. Et Versailles était sourd. 
Excessives étaient les misères, il est vrai. 11 ne 
restait d'argent que pour les fêtes. Les dévots 
d'autre part, la famille, toujours avaient maiidit 
la guerre, fait des vœux pour les Autrichiens. 
On précipitait tout. On jetait les fruits de la guerre 

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11748) — 27* — 

et du sang de lanl d'hommes, on brûlait de se 
dépouiller. Peu réclamaient. Voltaire l'osa. Dans 
certains vers, au Roi et à la Pompadour , il linit 
par ce trait : «... Et gardez tous deux vos con- 
quêtes. » 

Le traité était fait, mais n'était pas signé (il ne 
le fut que le 18 octobre). Plus il était hodteus, 
plus on trouva blessant le conseil de Voltaire. On 
n'avait pas osé s'irriter pour Sémiramis. Pour 
les vers, on cria. Mesdames et leur parti s'élan- 
cent et courent au Roi {V. Laujon dans Havsset). 
L'Étal, le Roi étaient perdus, si un homme de sa 
maison, son dmnestique, osait lui donner des avis, 
mêlant impudemment au nom du Roi la Pompa- 
dour. Celle-ci s'aplatit, ne dit pas un mot pour 
Voltaire. Pour bien faire comprendre à Mesdames 
qu'elle n'était plus rien près du Roi, qu'une amie, 
une ancienne amie, elle joua la vieille Bauds 
(nov. 1748). Le Roi la releva de ces humilités en 
la nommant surintendante de la maison de la 
reine (Campa»). La reine, refroidie pour ses filles 
{Luynes, vm, 173), d'autant mieux recevait les 
respects de la Pompadour. 

Le vrai mot, juste et fort, sur la paix d'Aix-la- 
Chapelle, fut dit aux Halles, resta proverbial. 
Pour injure, on disait : « Bête comme la Paix. » 

Nous rendions un royaume, les Pays-Bas ; et 
un empire, les Indes, où noire grand machiavel 

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— 275 — (»îiB] 

Dupteix faisait l'œuvre de ruse, de craaulé, de 
force, -qu'ont fait les Anglais par lord Clive. 

Nous avioDS dans les Indes un génie, un héros. 
Nous ruinons Dupleix, emprisonnons La Bour- 
donnais. 

Et celte paix contenait la guerre. Le traité 
fut si vague et si mal fait pour l'Amérique qu'à 
volonté l'Anglais pouvait mordre sur nous. D'où 
la Guerre de Sept-Ans. 

Étrange çhpse qu'après Fontenoy, nous subis- 
sons encore la vieille honte de Dunkerque, le ré- 
tablissant, comme il fut, quand l'Ar^lais mit le 
pied sur la tête de Louis XIV. 

Un Irait encore nous entra plus au cœur : 
l'hospitalité de la France violée cruellement, pour 
obéir à l'étranger. Louis XV avait donné parole à 
Charles-Edouard de ne jamais le renvoyer. L'An- 
gleterre l'exigea. Ce héros, Polonais el fou, n'en- 
tendit à nulle offre, nulle raison, nulle prière. Il 
n'obéit pas plus à une lettre de son père. Dans 
son hôtel garni, avec tous ses vaillants, il était 
armé jusqu'aux dents. Peut-être il avait quelque 
écrit. Il voulait se faire tuer, et pouvoir à ja- 
mais déshonorer le roi de France. On croit de 
plus qu'il était amoureux, aimait mieux mourir 
que partir. Oh le surprit en traître, à l'opéra, 
on le lia. Pendant ce temps on prit tous ses pa- 
piers. On l'emporta. Il faillit crever en route de 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



{»«) — 276 — 

lièvre et (le fureur, crianl « Paris! ou Paradis! » 

(Arg., m, 221-227). 

Tout cela fut cruel, nous retourna au cœur 
notre plaie de Dunkerque. Chacun se sentit avili. 
Un jeune homme. Desforges , qui avait vu la 
chose à l'Opéra, ne put se contenir. Il fit les 
vers fameux qui le mirent pour [longtemps en 
cage à Saint-Michel. Tous les dirent et les surent : 

Peuple, jadis si fier, aujourd'Iiui si serTJle ! 



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CHAPITRE XVI. 



Midarne Henriette. — Les biens d'église défendus et sauvés. 
1748-1751. 



Celle ruioe d'hopneur , parmi lanl de ruines , 
ce guel-apens royal fut senti, je crois, du Roi 
même. Pris en ce vilain cas, comme homme et 
gentilhomme, il semble que dès lors il com- 
mence à se mépriser. Je le vois tombé bas, et 
dans telles choses honteuses qui jusque-là lui 
auraient répugné. Il a goût à l'aident, tripote 
et boursicote. Puisant à volonté au Trésor , il 
n'en est pas moins faufilé dans la bande des 
loupa cerviers, spéculateur en blé. Très-dange- 
reux trafic. Dans quel but? Augmenter un peu 
l'argent de poche, de jeu, de fantaisies ïurtives. 
11 a quitté Tarmée pour, toujours. Le travail, 
qu'on lui fit aimer un moment, la Pompadou 



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1748 ilbV. _ 278 — 

i SU fort aisémenl l'en dégoûter. Que faire? 
Enterré aux malsains cabinets de Versailles , 
lUX malpropretés de Choisy, il fuit le jour. La 
nuit, il s'amuse à griser ses filles. 

Il était tout à fait indigne et incapable de 
soutenir la grande révolution, qui, de Law aux 
Paris, de ceux-ci à MachauU, Tui^ol, alla mar- 
chant toujours dans la pensée du siècle et qui 
devait plus tard se formuler ainsi : unité d'ad- 
ministration, suppression graduelle du privi- 
lège {et de classe et d^ étals), — égalité d'impôt. 

Nécessité l'impérieuse , l'embarras infini oii 
se trouva l'Élat après la guerre, faisait mettre 
les fers au feu , par un premier appel, timide 
encore, aux quatre milliards du clergé. Chacun 
croyait qu'en France ii possédait le tiers des 
biens. S'il daignait faire aumône à l'Etat d'un 
minime don , ta charge portait toute sur les 
curés, le bas clergé. Le haut, de luxe el de 
luxure, dépassait la cour même. Clermont, vail- 
lant abbé de Saint-Germain-des-Prés, qui avait 
deux mille bénéfices à donner (et à Tendre) , 
vivait avec les filles, enlevait des danseuses, te- 
nait bon gré mal gré par force ou peur la 
Ca marge. 

La France agonisante pria ces fiers seigneurs 
de payer quelque peu. Machautt voulut d'abord 
que l'impôt du Vingtième , commun à tous , 

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— 279 — (liis-naii 

s'élendît au Clergé (1749). Puis il lui demanda 
une Dédaratitm de ses biens (1750). 

L'obsUide était que, nulle réforme ne se 
faisant dans les dépenses, plusieurs (d'Argen- 
son , par exemple) croyaient qu'on ne ferait 
qu'augmenter le gâchis. L'obstacle était la dé- 
fiance qu'opposaient les pays d'Etats, leur atta- 
che à leurs privilèges. L'obstacle était surtout 
la désespérée résistance du grand privilégié , 
du plus gras, le Clergé. 

Si celui-ci eût été prévoyant , par quelque 
sacrifice, il se fût honoré, soutenu sur la pente 
où il glissait. Il préféra l'abîme. Il mit son 
adresse à périr. Il sut, par deux moyens, en- 
traîner le Roi avec lui. Moyens grossiers, qui 
réussirent : 

d" Dès qu'on parle d'argent, le Clei^é, calme 
depuis dû ans , redevient fanatique. Il alarme 
le Boi , se bat avec le Parlement , reprend la 
guerre aux Jansénistes, aux Protestants, bref, 
fait craindre une Fronde. 

2° 11 obsède le Roi directement par la fa- 
mille, employant sans scrupule VuUima ratio, 
la seule force efficace auprès d'un homme si 
vicieux, l'énei'vanle influence, l'aveugle dévoue^ 
ment de Mesdames qui s'y immolèrent. 

Mesdames Henriette , Adélaïde , vrais jouets 
de l'intrigue, de la fatalité, avaient le cœur 

Douze, bv Google 



{1748-1751] — 280 — 

très-haut, n'avaient ni adresse, ni ruse. Leur 
sœur l'Infanfe fort justement disait que c'é- 
taient « deux enfants. » Celle-ci était tout 
autre, formée par la Famèse, si dépravée. C'est 
depuis son voyage en France (4748-1749) cpie 
lé Roi vécut cyniquement à l'italienne, ne mé- 
nagea plus rien. 

L'Infante, presque chassée d'Espagne, et pas 
encore en Italie, existait comme en l'air. Elle 
venait mendiante, affamée, sans chemise, de- 
mandant de l'aident, beaucoup d'argent, une 
grosse pension, puis des grandeurs, un trône, et 
le premier vacant, Naples ? Espagne? Pologne? la 
Corse au moins. Elle était prêle à tout. Ayant 
vu la faiblesse du Roi pour Henriette , elle la 
préférée comptait avoir bien plus. Elle disait 
venir pour quinze jours. Elle resta un an, se- 
rait restée toujours, si elle eût pu, eût oublié 
sans peine son ennuyeux Infant qu'elle n'avait 
presque jamais vu. 

Elle était partie si petite que le Roi, qui lui 
écrivait sans, cesse, ne ta connaissait pas. II 
alla au devant, et eut l'agréable surprise de la 
trouver fort belle, grande, fraîche, parée d'une 
gentille petite fille. Elle avait un grand air, et 
ses sœurs à côté semblaient de maussades bour- 



Elle avait fort bien deviné que la Pompa- 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 281 — CnM-1151) 

dour, en haine de Mesdames, lui ferait bon ac- 
cueil, ne lui nuirait pas près du Roi. Elle eut 
en elTet tout d'abord (chose morlifîunle pour 
Henriette) la chose que celle-ci demandait, que 
le Roi hésitait de lui donner, l'appartement de 
l'escalier secret qui permettait de le voir à toute 
heure. Faveur inestimable pour l'Infante qui 
avait tant à dire, tant à demander. 

Ce qui fut bien plus dur pour Henriette et 
pour la famille, c'est que la Pompadour fit 
chasser Maurepas (avril 1749). Maurepas, leur 
homme, leur ministre. La reine .et ses filles en 
pleurèrent. Le prétexte de la maîtresse fut cer- 
taine chanson sur ses infirmités de femme, 
« sur les fleurs (les fleurs blanches) qui nais- 
saient sous ses pas. » Plus, une accusation ri- 
dicule de poison, renouvelée de la Tournelle. 
Ce que celle-ci n'avait pu, si belle, au momeut 
Je plus tendre, la Pompadour fanée le fit, mais 
par l'appui sans doute de l'escalier secret à 
qui on né refusait rien. 

l.'Infante paraissait s'établir tout à fait. Le 
Roi, que cela plût ou déplût à la reine, lui 
faisait rendre mêmes honneurs. Elle siégeait 
r^ale de sa mère, près de ses sœurs humiliées. 
Elle usait, abusait, demandait toujours davan- 
tage. Elle eut la forte pension. Il eût fallu 
de plus que le lendemain de la guerre, on y 

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{1 48 1751) — 282 — 

rentrât pour la faire reine. Reine? c'est peu. 
Son idée fixe était de conquérir l'Empire, de 
faire sa fii!e impératrice. Funeste idée ! Elle en 
viendra à bout, et pour celte sottise le sang 
coulera par lorrenls. Mais il y faut le temps. Sa 
folle impatience fatiguait, excédait le Roi. Son 
départ fut pour lui et pour tous un soulage- 
ment (oct. 1749). 

Elle fut très-funeste à ses sœurs. Le Roi , 
fait au laisser aller du Midi , se Lâcha , et , 
pour le resaisir, Mesdames durent descendre 
beaucoup. C'était Fontainebleau, et le monient 
des chasses qui finissaient le soir par de 
longs soupers de chasseurs oii l'on buvait la 
nuit. Il fallut que Mesdames subissent et la 
fatigue de ces courses, et l'orçie, où, jeunes de- 
moiselles, elles étaient tellement déplacées. On 
s'y contenait peu; car, depuis cette année, on 
trouva que la Pompadour même gênait : on ne 
l'emmena plus. 

M. de Luynes, si timide, n'ose omettre pour- 
tant ce qui crevait les yeux. A ces retours de 
chasse, le Roi n'eut plus personne que Mes- 
dames, toutes seules, aux petits cabinets {Luynes, 
22déc.l749, 12nov. 1750). 

Quels étaioit ces repas? D'Ai^enson nous 
l'apprend (III, 550) ; il parle d'une cuisine nour 
veUe, ailleurs du goût des salaisons, acres, irri- 

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— 283 — {1748-1751) 

lanles, qu'elles prirent, des vins dangereux d'Es- 
pagne qu'elles buvaient. Indigne amusement de 
voir ces pauvres daines enivrées ])ar obéissance. 
Adélaïde, si jeune, ayant six ans de moins, était 
vaincue sans doute par le vin, le sommeil. La 
malade Henriette , elle-même bientôt frappée et 
aveuglée, endurait celle veille et ces excès forcés 
qui la menèrent vite à la mort. 

Une chose surprend, c'est que le Dnuphin, si 
pieux, et qui avait tout pouvoir sur ses sœurs, 
n'ait pas essayé quelque chose pour les sauver, 
n'ait pas obtenu d'elles que, par excuse de santé 
ou autrement, elles éludassent cette honteuse 
tyrannie. Le Roi ignorait tout à fait ce qu'il était 
ou faisait dans l'ivresse. (Voy. Hausset, l'aven- 
ture du privé et de la d'Estrades à Choisy). 
Le matin, aucun souvenir. 

Versailles tâchait de ne pas voir. Mais le Roi, 
comme le Régent, eut besoin de montrer les 
choses. Parfois, ayant soupe sans elles, il lui 
passait l'idée de les voir, et il les voulait, mais 
telles qu'elles étaient, sans paniers {Luynes, x, 
173, 23 déc), dans le déshabillé de cette heure 
avant^. 

Les paniers étaient tellement dans l'habitude, 
qu'une femme sans cela semblait nue. A Choisy, 
il était permis de s'en passer, d'aller en robe 
flottante (de là plus d'un scandale^ Mais à Ver- 

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(nis-nsi) — 284 — 

sailles, lieu dft cérémonie, c'élait bizarre, cho- 
quant. Elles obéissaient, et traversaient ainsi ap- 
partements et corridors, non sans pâtir sans doute, 
et faire pâtir aussi d'excellents serviteurs qui 
voyaient et baissaient les yeux. 

La Pompadour, un vrai premier ministre, et 
parlant responsable, sentait la royauté s'avilir, 
s'abîmer. Elle n'entreprit pas, comme la Nesle, de 
défendre au Roi l'oi^ie du soir. Elle priait qu'au 
moins la chose ne fût pas soUtaire, dans le secret 
des cabinets. Elle voulaj t que te Roi soupât en bas, 
et dans une belle salle, moins fermée, qu'on faisait 
exprès (Luynes, ibid.). Le Dauphin aurait dû, ce 
semble, y aider fprl, obtenir par ses sœurs que 
l'on se rangeât à cela. Sa cabale montra une étrange 
immoralité, et on peut dire aussi une grande du- 
reté pour la malade, cet instrument qu'on immo- 
lait. On voulut l'employer à mort et jusqu'au bout. 
Elle était bien commode pour le parti dévot. Tant 
muette fût-elle, on la disait parler. On cachait le 
Dauphin. On montrait Henriette, comme la per- 
sonne dirigeante de la famille, et te dtefdu con- 
seil {Arg.,Z,Z\i). 

Tout cela était peu connu hors de Versailles. 
Pari^ savait en général que le Roi menait une vie 
déplo^le. Le public arriéré en restait au temps 
éloigné, à ces vilains jeux d'écoliers, qui jadis par 
deux fois ont fait chasser les caniarades. On disait : 

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— 285 — (I7i&.n5i) 

« C'est un Henri lll. » D'autres aussi, par un pres- 
sentiment, trop précoce, mais non erroné, sup- 
posait que déjà il avait commencé ces vols ou ces 
achats d'enfants qui n'eurent lieu que plus tard 
(1754-1764). On était d'autant plus disposé à Je 
croire que des princes, seigneurs ou fermiers-gé- 
néraux, enlevaient, séquestraient réellement des 
enfants, des filles, des dames même captives (ex. 
Charolais, Clermont, Melun, etc.). Une fille, à 
Noël {Barbier, iv, 407), s'échappa, effarée ; elle 
avait dix-sept ans, et on l'avait tenue dès l'enfance 
à l'état sauvage. Que souffraient ces victimes? On 
le sut par de Sade (1754). Horrible histoire, cer- 
taine. Dans les razzias qu'on faisait d'enfants pour 
le Mississipî, l'imagination populaire s'exalta et 
reprit les vieilles histoires du moyen âge, de lèpres 
et de bains de sang. Les enleveurs étaient des 
exempts déguisés. Ce mystère feisait dire ; « C'est 
lui, c'est cet Hérode, épuisé de débauche, qui est 
devenu ladre et qui veut se refaire par le sang 
innocent. » 

11 n'y a jamais eu dans les plus sombres jours 
de la Révolution, xm jour où le cœur du peuple 
ail été si atteint. Dès novembre 1749, on avait vu 
des filles enlevées par ia police, filles publiques 
d'abord, puis pauvres servantes sans place ou 
jeunes ouvrières, et enfin de petits enfants. On dit 
queles archers, pour chaque tête, avaient 15 écus. 

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(iTM-nsi) — 286 — 

Ce métier progressa. Un archer qui avait volé un 
petit écolier, trouva plus lucratif, pour 50 écus, de 
le rendre aux parents (février 1750, Barbie, iv, 
437). D'autres furent volés par des femmes, 
vendus à des gens riches (448). De ta, de fu- 
rieuses batteries. Au quartier Saint-Antoine, un 
enfant enlevé crie, on sort des boutiques, on pour- 
suit les exempts. Les gens du port leur cassent 
bras et jambes. Dès lors tous tes matins , la 
foule est dans les rues. 

Au 22 mai, quatre batailles. Rue de Clâ'y, un 
commissaire a sa maison dévastée, saccagée. A la 
Croix-Rouge, un cscher crie qu'on lui prend son 
enfant. Les laquais qui portaient l'épée, dégalneot. 
Avec le peuple, ils forcent la maison d'un rôtis- 
seur chez qui un archer s'est sauvé. Deux hommes 
y furent tués dans les caves, tout brisé. Rien de 
pris. On rapporta au rôtisseur son argenterie le 
lendemain. Autre combat aux Quatre-Nations etau 
Palais. Et là le peuple tend les chaînes, veut faire 
des barricades, brûler le commissaire dans sa mai- 
son. Il lue plusieurs archers. 

Mais le combat terrible a lieu (23 mai) à Saint- 
Roch. Là, on tire sur le peuple, et on est forcé 
pourtant de lui livrer un archer qu'il a pris eu 
flagrant délit d'enlèvement. La foule tr^ne le 
corps à l'hôtel de Renier , lieutenant de police, 
4)uis s'arrête, se laisse amuser, f^ cavalerie 



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— 287 — (ms-llMJ 

vient, chaîne, balaye la rue Sainl-Honoré. 

Le peuple aie cœur gros. L'orage s'amoncelle. 
Quoiqu'en mai, il faisait un vent sec, froid, 
du Nord. Chose Irès-grave en révolution. Sur 
le bruit que Berrier est allé à Versailles, la 
foule va au Cours l'y attendre. Plusieurs, moins 
patients, se mettent à dire : « A Versailles ! » — 
D'autres : a Brûlons Versailles! » Cela cliauffait 
très-fort. 

La peur était grande à la cour. D'abord, on 
n'en avait rien dit. Puis, on avait dit : « Ce n'est 
rien. » Et là-dessus la Pompadour était venue 
voir sa fille à Paris, dîner chez un ami. Tout pâle, 
il lui dit : « Mais, madame ! ne dînez pas ici. Vous 
allez être mise en pièces. » Elle fuit, elle vole, 
rentre jaune à Versailles. Tous sont pénétrés de 
terreur. 

Le 23 mai, ce fut bien pis. Ayant toute ta Mai- 
son dti Boi, une armée, on tremblait. On mit 
des gardes au pont de Sèvres et au défilé de 
Heudon. 

On eût dit que déjà la Bastille était prise, ou 
que les afEamés dn 6 octobre étaient en marche. 
Vei'sailles est confondu. Les femmes se sus- 
pendent au Roi, l'enlacent. Il ne faut pas qu'il 
fasse le voyage de Compi^ne. Qu'il reste avec 
ses gardes, bien entouré de sa Maison armée. 
Elles obtiennent que l'on n'ira pas. Puis on change 



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(1748-1751) — 288 — 

d'avis. On prend le parti pitoyable d'y aller 
furthemenl. Le soir, il couche à la Muette, puis 
avant le jonr, rasant Paris sans y entrer, il fait 
son échappée qui a l'air d'une fuite. Il disait ai- 
grement : « Qu'ai-je besoin de voir un peuple 
qui m'appelle Hérode? » A Paris, on disait : 
ft Est-ce mépris? C'est peur. » Donc, tout s'en- 
venima, et ce fut un divorce. Madame Adélaïde, 
« haute comme les monts, » blessée dans son 
orgueil, son amour pour son père, fut ulcérée 
à mort. Et elle ne pardonna jamais. 

Ce nocturne passage du Roi le long des murs, 
on en assura la mémoire par un large chemin. 
Beau monument du règne. C'est le chemin de 
la Révolte. 

On put juger de l'état violent où se trouvait le 
peuple par le mépris qu'il lit des affiches du 
Parlement, les injures qu'il lui adressa. Dans 
son irritation la foule s'enprejii.d à tout le monde, 
poursuit comme mouchard , cdmme enleveur, le 
premier passant [Barb., 429). Rien pourtant ne 
calma autant que la justice du Parlement sur 
quelques misérables, un archer qui vendait, re- 
vendait des enfants. La foule s'amusa de voir 
fouetter de rue en rue des enleveuses infâmes. 
Elle eut plaisir à voir étrangler et brûler deux 
petits Henri III, je veux dire deux garçons qui 
trop naïvement avaient singé Versailles et les 



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— 289 — (1748-1751) 

jeunes seigneurs si mollement punis (en i724). 
Dure leçon pour les mœurs de cour (6 juillet). 
Mais en même temps le Parlement, pour relever 
l'autorité, consoler la police, fît pendre trois pau- 
vres diables qui , légitimement , justement , 
avaient résisté. 

On eut beau faire. L'autorité était blessée, à 
n'en point relever. Elle-même s'aviiit, se con- 
tredit, se démentit. D'une part, Berrier vint dé- 
clarer au Parlement qu'il n'y avait eu nul en- 
lèvement. D'autre pari, les archers craignant 
l'enquêle et la potence, vinrent montrer les or- 
dres de Berrier pour qu'on fît les enlèvements, 
ordres royaux qui venaient de Yersailles , de 
d'Argenson cadel, ministre de Paris (20 juillet 
1750, Barb., lY, 455). 

Cette agitation violente donnait une grande 
force aux résistances du clergé, décidé à ne payer 
rien. Dans sa grande Assemblée qui se tenait 
ici, il trônait, pérorait à l'aise, voyant Paris 
contrôle Roi, et d'autre part les États provin- 
ciaux qui ne voulaient pas plus sacrifier leui"s 
privilèges à l'uniformité d'impôt. L'Assemblée 
ecclésiastique se posait fièrement le chef des ré- 
sistances, le parti de la liberté. Audace révollante 
en tout sens. Dans' le Clergé, ainsi qu'en ces 
États, le haut rang écrasait le bas. Fausses et 
dérisoires républiques au profit des privilégiés 1 

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(1748-1751 — 290 — 

Si terrible était le Clei^é d'opposition répu- 
blicaine, si emporté ce corps où les sots de- 
venaient des fous, que la cour en tremblait. 
Plusieurs osaient narler des Élats généraux (im- 
prudents idiots!) — D'autres ne parlaient pas, 
mais pensaient au Dauphin , au vrai roi du 
Clergé. Ils avaient hâte, se disaient « Louis XV 
n'a que quarante ans. » Le Roi savait leurs 
vœux, se souvenait de Jacques Clément, disait 
parfois tout haut : « J'aurai mon Ravaillac. » 
La crainte alla au point qu'ordre fut donné à 
, Versailles de ne laisser entrer aucun abbé {Ar- 
gensm, JIT, 362). 

Le Dauphin était en disgrâce. Si^spect en ce 
moment, le lourdaud avait fait de plus une 
étrange lourdise", d'écrire à Maurepas, l'exilé, 
le futile oracle de l'intrigue, oiî la famille et 
le Clergé voyaient l'homme du futur règne. On 
pinça l'envoyé, valet de chambre du Dauphin. 
Le Roi le fît fourrer aux cachots de Saumur, ne 
dit rien à son fîls, mats le suspecta d'autant 
plus. 

Jamais le Roi n'avait été si triste. Entouré 
de tant de dangers, il recula, réduisit ses de- 
mandes. Il fit dirç an Glei^é « qiCU n'eaige- 
rait pas U. vingtième, qu'il se contenterait de 
ta Déclaration des biens. » Il déclara dissoute 
l'iffrayante assemblée , renvop chez eux ces 

- D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 291 — (1748 1751) 

Brutus au plus tôl dans leurs diocèses (15 sept.). 

Ainsi il retombait pour jamais dans i'im- 
passe dont Macfaault voulait le tirer. Il se fer- 
mait les mines d'or, les milliards du Cle^é. 
Les afliaires étaient tristes, l'intérieur encore 
plus, Henriette toujours plus languissante. Un 
mortel ennui te saisit. Il avait beau aller, 
voler d'un lieu à l'autre, la tristesse l'y attendait 
{Arg.]. En vain la Pompadour voulut l'amuser 
de Bellevue, petit palais de poche, improvisé. 
On y joua la farce des Pots de chambre (ou 
petites voitures) de Paris. Mais le Roi ne rit 
guère. Bellevue avait le défaut d'être trop bien 
placé, au point de mire des Parisiens qui d'Au- 
teuil le voyaient illuminé, te maudissaient. Ils 
en faisaient mille contes, exî^érés et faux, \tav 
exemple, qu'on y avait mis pour un million de 
fleurs de porcelaine. Tout cela ennuyeux. Elle 
aurait bien voulu le tirer de ce noir nuage ^ar 
quelque jolie petite femme. Elle fit à Verrières 
de galants pavillons pour une ménagerie en ce 
genre. C'était trop tôt encore. Il était sombre- 
ment engagé dans la tragédie, un drame obscur 
qui n'éclata que vers la fin de février. 

En octobre 1750, Henriette succombait à la 
situation. Les meneui's le sentaient. Il leur fal- 
lait un autre appui. Quoique le Roi eût reculé, 
le Glei^é renvoyé ;i'en voyait pas moins s'écou- 

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(iï48.nM) — 292 — 

1er le délai de six mois qu'on lui donnait 
pour déclarer ses biens. Le Dauphin ëlail en 
di^râce, et cela au moment où devenant ma- 
jeur il serait entré au Conseil. S'il n'y entrait, 
s'il n'était là pour contenir, intimider Machault, 
celui-ci (armé du besoin) pouvait bien passer 
outre , faire lui-même et par des laïques cette 
terrible enquête que redoutait tant le Clergé. 
On allait découvrir le mystère, ouvrir l'Arche, 
pleine d'or , étaler celte grande pauvreté du 
Clergé qui montait à quatre milliards. 

Le temps pressait. On n'avait pas deux mois 
jusqu'au 28 octobre, jour décisif où l'on verrait 
si le Dauphin entrerait au Conseil, ou si le Roi 
le tiendrait à la porte (et l'excluant excluerait le 
Clergé). 

Comme en septembre 1742 , un miracle se 
fit en octobre 1750. Le Dauphin, le Clei^é ob- 
tinrent ce qu'ils voulaient. Mais bien plus, le 
Roi, le Conseil, l'autorité publique, tout alla 
dans un sens nouveau. Tout fut retourné comme 
un gant. 

Explique qui pourra. Dans une révolution si 
brusque, je ne sens plus la main douce, faible, 
malade, la molle influence d'Henriette. Je sens 
déjà une jeune main, violente, et qui veut 
casser tout. Je sens celle qui emportera d'un 
tourbillon l'année suivante (1751), et qui en 

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— 295 ~ inw 1751) 

février va avoir son avènement. C'est le règne 
d'Adélaïde. 

Enfant, elle avait rêvé d'être une Judith, 11 
en fallait une pour le Dauphin, pour le Clergé, 
pour tous les honnêtes gens. Elle dut s'avancer 
et sauver ie peuple de Dieu. 

Elle avait dix-sept ans, Henriette vingt-quatre. 
Elle ne l'avait jamais quittée, et révérait son 
droit d'aînée. Mais Henriette gisait inutile, 
servait trop peu la cause. On la dédommagea, 
on tâcha de la consoler, en lui donnant enfîn 
sa Maison princière et royale. Elle fut enterrée 
dans l'honneur. 

Même "procédé pour MachauU, avant de s'en 
débarrasser. Par-dessus les Finances , il eut la 
belle place, lucrative, de Garde des sceaux, 
porte d'or, porte de sortie, par laquelle il 
quitterait bientôt les Finances. 
- Cela se fit très-vite , au moment de Fontai- 
nebleau , moment trouble des grandes parties , 
des chasses et des retours de chasse où le Roi 
était moins lucide. On arriva le 7. Le Roi mollit 
le 12 , permit au Dauphin de venir. Le rece- 
vant pourtant il lui inflige encore une petite mi- 
sère, une épreuve, demande ce qu'il pense de 
Maurepas. Le gros baissant la tête : « Je ne m'en 
souviens plus. » Le Roi , content de ce men- 
songe , le croyant aplati, le 28, l'admit au 

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(1748-1751) _ 294 — 

Conseil, et d'abord aux Dépêches. El pour l'ini- 
tier , il lui donna Hachault , sa bête noire. 

Hais cela ne hit rien. Cette masse de chair, 
même muette, pèse énormément. Car il est l'a- 
venir. Et il n'a que faire de parler. Les ministres 
agiront de manière à lui plaire. 11 est là le 28 oc- 
tobre, et déjà en novembre, Saint-Florentin re- 
prend la persécuUon du Midi (Voy. Sismondi, 
P^frat, etc.). Les troupes revenues de la guerre 
vont faire la guerre aux Proleslants. Le sévère 
intendant qui pendait les pasteurs , ne suffit 
plus. 11 faut des courtisans, des zélés, qui trou- 
blent le peuple. Celui que l'on envoyé fait sa 
cour par une ordonnance qui veut qu'on re- 
baptise, qui provoque follement une inquisition 
des curés. 

Ceux de Paris, de même brusquement réveillés, 
faisaient la chasse aux jansénistes, épiaient les 
mourants, ne se contentaient plus d'un billet de 
confession. On leur faisait subir un interr(^a- 
toire. Pour réponse ils agonisaient. On fit mou- 
rir ainsi un véritable saint, Coffm, le bon Rec- 
teur qui obtint du Régent que l'instruction fût 
gratuite, Coffîn, l'auteur des hymnes qu'a adoptés 
l'Église. Chose odieuse qui criait au ciel. Des ras- 
semblements se formaient. Le peuple s'indignait, 
voulait intervenir. Le Parlement, dans ce cas évi- 
dent oit la paix pubhque est troublée, appelle les 

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— 295 — {iiis-mi] 

curés refusants. L'un, ne daignant répondre, il le 
met aux arrêts. Le Roi blàrne le curé sans doute? 
non pas, le Parlement. Le Roi goûte l'affront qu'on 
a fait à ses juges, enhardit la persécution. 

Esl-ce la peine de dire que la fameuse Dédara- 
tion des biens d'Église qu'il exigeait va àvau-l'eau. 
Changement ridicule. Elle ne se fera pas pour ie 
Roi , mais seulement du Clergé au dergé, tout à 
fait en famille, et par ses agents seuls, estimant 
les biens à leur guise (déc. 1750). 

Que le clergé doit rire ! Il l'a échappé heile. Le 
voilà qui n'a plus besoin de se défendre. Il va de- 
venir conquérant. 

Et conquérant sans peine. Le Roi qui le chas- 
sait en septembre, se trouve, en mai, si bien son 
homme, que lui-même il lui livre le droit des 
magistrats. 

Un droit énorme, immense. Quel? la Charité de 
Parisi 

Paris, c'est un royaume, de maux, d'infirmités, 
de vices. Par le doux mot chrétien de Charité, 
on entendait non-seulement la bienfaisance et les 
hospices, mais la pénitence, la correction, Saint- 
Lazare et le nerf de bœuf (Voy. Blache), les filles, 
même filles de théâtre, disciplinées à la Salpé- 
trière, les enfants, apprentis ou pages, qu'on 
moralisait par le fouet, c'était un triste monde, 
obscur, Yanima vilis infinie. Sept mille à la Sal- 



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f — 



(174 1751) — 296 — 

;jélrièrel Le gouffre d'arbitraire élaït depuis cent 
ans stJumis du moins à l'œil du magistrat, à 
une certaine surveillance de la Justice. Cet œil 
était gênant. On le crève un malin, si j'ose ainsi 
parler. Et le Roi remet tout aux prêtres. 

Autre chose. Minime, mais sensible à Paris. 
Les dons des fêles (aux naissances des princes) 
ne passent plus par les mains paiistennes des 
magistrats municipaux. On marie six cents fdles. 
Les dois sont données aux curés, qui les distri- 
bueront à mesure par parcelles, selon qu'ils sont 
contents du mari, de la femme. Belle réjouissance 
qui devient un pouvoir de chicane et d'inqui- 
sition I 

Le Roi marchait si bien, vite et roide, aux 
voies du clergé, que c'eût été dommage de le 
distraire. Le Dauphin devient admirable. 11 
s'assouplit. 11 se fait tout petit. On dirait qu'il 
retient son souffle. On en est très-content. Il 
est tellement discipliné qu'au besoin il se prête 
à couvrir de son caractère, de son austérité 
connue, certaines choses. Le Roi, allant aux 
parties solitaires de la Muette, Choisy, Com- 
piègne, montant avec sesOlIes en voiture à Ver- 
sailles, pour imposer aux langues, fait monter le 
Dauphin. Mais là, au bout d'un jour le Dauphin 
sent discrètement qu'il peut gêner et revient seul. 
{Luynes, 1750, 4 janvier, 1" juin). 

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— 297 — (1748-1351) 

La comédie de la cabale était d'effacer le Dau- 
phin. Ce soDt Mesdames qui conseillent le Roi. 
Elias posent en hommes d'Éial. Leur singe, la 
petite Louise, une sœur de dix ans, prend la gra- 
vité d'un ministre. {Luynes, XI, 6). On fait pour 
les aînées des extraits du P. Barre . de sa 
nauséabonde Histoire et autres. Henriette y 
succombe. Adélaïde en prend ce qui plait à son 
père, les généalogies, le cérémonial, l'étiquette. 
Elle en est l'oracle. En cela , et en tout, elle 
prime. Elle est la favorite. La déclarer, c'était 
annoncer l'action dominante et régnante désor- 
mais du parti dévot. Ce pas hardi fut fail le 
17 févrierl751. Toute la cour était sur la glace, 
ou glissait. Etie monta dans le traîneau royal, 
où l'aînée jusque-là était toujours avec le Roi. 
Elle se fit aînée, siégea près de son père. Hen- 
riette eut le second traîneau. 

Dans cet état bizarre le Roi pourtant com- 
muniait. Plusieurs en étaient étonnés. Mes- 
dames communiaient , et elles firent avec la 
reine les dévotions du Jubilé (la cinquantième 
année du siècle). Grande occasion de péni- 
tence. La reine y était absorbée. Elle était sou- 
vent seule, enfermée, disait-elle, avec sa favo- 
rite, la Mignonne, une tête de mort, qu'on 
croyait celle de Ninon de l'Enclos. Ces impres- 
sions fimèbres de^'aient troubler fort la malade 



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(17*8-1751) — 298 — 

Henriette, Adélaïde, si Imaginative , peu rassu- 
rée dans son triomphe. Le clergé usait , abii' 
sait, d'un si violent élat de conscience. II fallait le 
payer, et d'une monstrueuse indulgence il voulait 
un prix monslrueuï, une cfiose excessive, impru- 
dente, où Mesdames risquaient de choquer fort 
le Roi. Le clergé exigeait qu'on déclarât son 
Droit divin d'exemption. Il élevait son égoïsme 
avare à la hauteur d'un dogme : Divine immunité. 
Symbole exactement opposé à celui du Boi, à la 
foi de Louis XIV et de Louis XV : « Tout appar- 
tient au Roi en France. » 

Une telle thèse devait brouiller tout. On était à 
Compiègne, aux chaleurs de juillet qui bientôt le 
2 août éclatèrent en terrible orage. Adélaïde en 
avait un bien autre. Elle dit à son père ; « Je 
serai carmélite. Je veux entrer au couvent de Com- 
piègne. » Était-ce dévotion? ou menace? Posait- 
elle un îdtimatum pour obliger le Roi de céder au 
Clergé? Il lui dit sèchement : « Pas avant vingt- 
cinq ans, ou bien si vous devenez veuve. » 

Lutte violente. Le Roi piqué alla à Crécy cliez 
la Pompadour, et y eut un peu de goutte. On vit 
qu'on avait fait fausse route par cet excès de zèle. 
A Fontainebleau, lieu de plaisir, on le reprit, on 
sut le regagner. Si bien qu'à Versailles en novem- 
bre, l'âme d'Adélaïde (colérique, intrépide) parut 
en lui, un démon provocant. I! veut décidément 

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— 299 — (1148-1151 

brusquer la grande affaire qui livre Paris au 
Clei^. Mais, ce n'est pas assez. En dépouillant le 
Parlement, il lui faut l'insulter. Ordre au Prési- 
dent d'apporter les Registres, les délibérations 
intérieures de la Compagnie. 

Cette collection vénérable est triple, comme on 
sait. Arrêts, Édits enregistrés, enfin Conseil se- 
cret. En la dernière partie est l'âme même du 
corps, mille choses délicates et scabreuses qu'on 
agitait portes fermées. Les minutes en petits 
cahiers restaient, et ne sortaient jamais. Mais cette 
fois le président (Maupeou), disant que ta copie 
-n'était pas faite encore, prit les originaux, remit 
au Roi ces dangereuses notes où tout était , tes 
choses et les personnes, les noms, les mots com- 
promettants. Le Roi avec dédain regarda, prit, 
froissa, mit le tout dans sa poche (pour en faire 
faire sans doute un sévère examen). Puis la dé- 
fense hautaine de s'occuper de cette affaire. 

Grave outrage. Le Parlement ne rend plus la 
justice. La lutte, de religieuse, deviendra révolu- 
tionnaire. Barbier confond les mots janséniste et 
républicain. De plus en plus, on s'en prend au 
Roi même. On était indigné de voir en pleine paix 
durer les impôts de la guerre, plus de nouveaux 
emprunts. Une vaine dépense de bâtiments, de 
petites maisons, Choisy et autres lieux, où tout 
coûtait trois fois plus qu'à Versailles. Un million . 



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(1148-1751) — SOO ■— 

dépensé pour amener Victoire, la moitié pour l'in- 
faule. Dix-huit cent mille fraDos à Bellevue pour 
l'appartement du Dauphin I Ëtcela au moment où 
l'on réduit les plus justes dépenses, le pain dê$ 
prisonniers! Une révolte de ces affamés a lieu au 
Forl-l'Évêque. On lire tout au travers. Force bles- 
sés, deux femmes tuées I 

Triste augure qui salue la nnissance du fils du 
Dauphin. Barbier trouve lugubre !e tocsin de ré- 
jouissance. Versailles, aux fêtes qu'on en fît, se 
trouva lugubre lui-même (21 déc). La bise avait 
éteint les illuminations [Arg.]. Dans la grande ga- 
lerie, huit mille bougies fumeuses éclairaient, 
noircissaient les peintures de Lebrun. Mais placées 
extrêmement haut, elles éclairaient moins les vi- 
vants , cavaient les yeux, creusaient les joues, 
'donnaient à tous l'air vieux. Beaucoup d'habits 
riches et usés. Plus usé était le dessous. Des trois 
femmes Fanantes, nulle qui ne fût malade. La 
reine et son intirmité, la Pompadour, fade et 
terne, blanchâh^, n'égayaient pas. Mais combien 
affligeait la pauvre victime Henriette, pâle, éclip- 
sée, déchue, muette, et bien près de sa fin... Le 
Roi triste et jauni. Le Dauphin sous la graisse 
couvant la maladie (bientôt la petite vérole). 

Dans cet affaissement, le nerf évidemment, 
l'ardeur, la volonté, c'était Adélaïde avec ses dix- 
huit ans, un attrait d'énei^ie. Elle était plutôt 

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~ 501 — (17*8-1761) 

rouge que dans la fraîcheur de son âge. Ses poi^ 
traits soDl irrigues, d'une personne dont on 
peut tout attendre, ayant l'esprit court, faux, im- 
pétueux et ne mesurant rien. Leurs flatteurs (Saint- 
Séverin, un Italien bavard), parlaient fort de po- 
tences et d'exécutions. 

Comment Adélaïde traitait-elle Henriette, dans 
cet enivrement? Elle l'aimait. Mais des mots im- 
prudents , insolents, purent lui échapper. Ma- 
dame, qui vivait fort à part, et ne lui confiait rien 
de ses misères de femme, voulut en grand secret 
essayer de se relever, se faii-e belle à tout prix 
en supprimant cette petite gourme qui par moment 
lui déparait le front. L'Infante pour cela lui avait 
laissé un remède fort dangereux, qui la tua (Luy- 
nés, XI, 397, février 1752). 

Elle fut, aux derniers moments, douce, sans 
fie), comme toujours. On n'entendit dans ses dé- 
lires que ces mots : « Ma sœur ! ma chère sœur I » 

Gomme elle agonisait, on alla au Roi, fort trou- 
blé, et on lui fit entendre que Dieu la sauverait 
peut-être, s'il voulait faire une bonne œuvre : 
supprimer l'Encyclopédie. Il le fil de grand cœur. 
Le 15, après la mort, un Arrêt du Conseil léga- 
lisa et proclama la chose. 

Cette grâce fut sans doute obtenue j)ar l'homme 
qui avait en main la pauvre âme, les confessait 
tous trois, le bon P. Pérusseau. 



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il7tt-iï5i) — 302 — 

. Le Boi éUit comme é^ré. Il se laissait con- 
duire où on voulait. Mais il n'eut nullement l'rac- 
olosion de douleur de septembre 1 741 . Adélaïde et 
li furent troublés bien plus qu'affligés. Elle ne 
pleura pas, et seule de la famille elle fut exemptée 
d'aller au service funèbre. Si la reine fut triste, 
ce ne fut pas longtemps. Elle reprît le jeu le 
9 mars, un mois après cette mort. Le 12, Adélaïde 
étant incommodée, on joue dans ses appartements 
(delMynes,\\, 440,455). 



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CHAPITRE XVll. 



Uadame AiUUJâe. — Les biens ecd&iisliigues sont sauTrà. - 
1762-1756. 



Les tragiques et bizarres portrails d'Adélaïde 
la feraient croire capable de grands crimes (que 
certes elle ne fît jamais). Si l'on ne sait son nom, 
on dit en la voyant : « A-l-elle fait la Saint-Bar- 
ihélemi ? » 

Le vrai, c'est que le signe d'une fatalité très- 
mauvaise, d'une grande discorde de nature, d'es- 
prit, de race, est là. Elle resta sauvage, extrême 
et violente et dans la haine et dans Tamour. Mais 
derri^ tout cela , certain mystère physique 
existait qu'il faut e:^liquer. 

Sa mère naquit, grandit dans les alarmes, les 
plus terribles aventures. Petite et au berceau, 
dans les fuites de Stanislas, on l'emportait, on la 



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i 152-1756) — ■30* — 

cachait. A cliaque ïnslanl, on se croyait atteint 
par la férocité des Russes. Elle fut même un jour 
ouhliée par ses femmes égarées qui perdaient 
l'esprit. Ébranlements trop forls pour une en- 
fant qui jamais n'en revint. Son sang troublé parut 
impur dans ses enfants, la plupart très-malsains. 
Avant le mariage, elle avait des tendances à 
l'épilepsie. Même mariée, la nuit, agitée de 
peurs vaines, elle se levait, allait, venait. 

M"" Adélaïde semble avoir hérité beaucoup de 
celte agitation. Elle eut (dans l'expression, le 
geste, la parole), le bizarre el le saccadé de ces 
tempéraments. Ni l'âme, ni le corps n'obtinrent 
leur harmonie. Elle était courageuse , avait 
l'audace de sa race, avec ceBlaines peurs en- 
fantinfes (du tonnerre, par exemple). Elle avait 
la manie, une vraie furie de la musique, sut 
tous les instruments, mais tous dans sa main 
discordaient. 

La reine aimait son père et en était aimée 
extrêmement , rendait sa mère jalouse. Adé- 
laïde eut d'elle encore cela , aima éperdumènt 
son père, sans mesure ni raison. Ce fut sa 
sombre destinée. 

A six ans, elle jura qu'elle ne le quitlerail 
pas, se jeta à ses pieds, pleura, le fit pleurer. 
Seule de toutes les sœurs, elle fin dispensée du 
couvent. Elle resta toujours avec lui. Elle l<^eo. 

Douze. bvGoogle 



— 505 — {175ÎHÎ55) 

vécut chez lui pendant quinze ans, dans ses 
belles années de jeunesse. Et après, quand il 
eut la diu-eté de la renvoyer (1768), elle resta la 
même. A sa dernière maladie (horrible et r^u- 
gnante), elle vint s'enfermer dans celte dangereuse 
chambre ; elle voulait mourir avec lui. 

. On vit combien elle l'aimait, à l'âge de douze 
ans, dans sa grande maladie de Metz (1744). 
La famille ayant eu ordre de s'arrêter à Verdun, 
elle eut la fièvre, de douleur, d'impatience. 11 
fallut la mener à Metz. 

Ce fut un grand malheur pour celte nature 
passionnée de rester à Versailles, dans le mauvais 
air de la cour, gâtée et écoulée, et toujours ap- 
plaudie. Tout ce qui chez sa mère était si con- 
tenu, chez elle eut un complet essor. -Enfant, on 
ta craignait. Elle s'emportait au moindre mot, 
frappait du pied. (Voy. Campan, pour l'histoire 
du menuet bleu.) 

Elle n'avait que onze ans, lorsque la guerre lut 
déclarée à l'Angleterre. Elle prit quelques louis et 
partit. On la rattrape, on lui demande : « Où allez- 
vous. Madame? » — « Je vais me mettre à la tête 
de l'armée. J'amènerai l'Anglais aux pieds de 
papa Roi. — Mais comment? » Elle savait l'his- 
toire de Judith. Elle dit : e Je ferai venir les lords 
pour coucher avec moi, dout ils seront fort ho- 
norés, et je les tuerai tous l'un après l'autre. — 



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(1752-1153) — 506 — 

Ah! Madame, en dnel plutôt?... — Papa roi dé- 
end les duels, et le dnet est un péché. {Ricfy., 
Tiu, 77, 78).» 

- Si iière, elle méprisait tout. Nul, hors le Roi, 
ne fut homme pour elle. Elle avait quatorze 
ans, quand ime de ses dames eut l'indignité de 
lui prêl^ nn livre, obscène, de honteuses gravu- 
res. Mais on ne voit pas qu'elle ait eu d« petites 
Ëûbtessés vulgaû^s. Sa passim idnée et l'oi^eil 
la gardaient. Oii la prenait par 'là. Ces femmes 
corrompues ne faisaient que. parler du Roi, Sa 
beauté était le grand teste, mente en son âge 
mûr oiî la chose était ridicule. On le voit par 
les madrigaux que fait pour loi la Pompadour. 
Dans les grandes scènes populaires où il fut 
nommé Bien-Aimé, dans rivrèsse de Fontenoy, 
la tête polonaise de l'enfant dut se prendre en- 
core. 

Nul doute qu'on ne lui ait inculqué de bonne 
heure ce qu'Henriette d'Angl^rre (Voy. Cosnac) 
disait (et ce que tant de princes ont pratiqué dans 
la famille) : «qu'ils aTaient leur morale à eus. 
libre de tout et de la nature même. Pourtant. 
dans une foi si lai^e, nn point lui semblait 
réservé, le droit supérieur de -l'aînée. Elle fut- 
jalouse, on l'a TU, mais pour son aînée Henriette. 
La reine étant infirme, incapable des diasses et 
des soupers du Roi, elle croyait qu'Henriette de- 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 507 — . (1755.1753 

vaity figurer. Au d^aut d'Heniiette, elle-même. 
Une crise approchait où des mesures hardies , 
violentes, deviendraient nécessaires. La cabale 
dévole connaissait bien le Roi, ne pouvait s'y fier. 
Elle ne pouvait plus prendre, comme Kleury, la 
clef de son appartement. Une autre idée leur 
vint, celle de lui donner un gardien, de nuit, 
de jour, de loger près de lui , chet'i lui, cetle 
énergique Adélaïde. 

L'appartement royal est fort sertie. Elle n'y eût 
pu loger que seule, sans ses dames et son monde, 
aux derniers cabinets du Roi. Ghose contre toute 
convenance, mais qui, si on l-iisait, la faisait maî- 
tresse absolue. La Pompadionr était terrifiée. Un 
mois avant la mort d'Henriette (janvier 1752), elle 
fît une démarche bien sii^lière, de s'adresser à 
la cabale même, de rappeler le parti jésuite à 
la pudeur, et de lui faire sentir qu'il se démas- 
quait trop. Elle osa -demander comment te confe^ 
seur pouvait laisser le Roi communier dans cet 
état. « J'assurai que si le P. Pérusseau n'enchaî- 
nait le Roi par les sacrements (en les liai refusant) 
il se livrerait à une façon de vivre dont tout le 
monde serait fâché ^ » 



' AL de Saint-Priett, Jésuites, chsp. H. — Notez que ce mot n'a 
^'ua MDS. Q ne «'agit pas de inaitraMea : on proposa une Choiseul ; 
mail cela avorla. Et il a'agit encore moine dei petites filles, de la 
Hurpb; qni ne comioence goère* qu'en 1753, encore moins du 



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(1752-1753) — 308 — 

On fit la sourde oreille. Mais à la mort d'Hen- 
riette, en février, la Pompadour habilement sut 
couper court. Elle pria, demanda à genoux que 
Madame, si nécessaire à la consolation du Roi, prît 
au re>de-<ihaussée une pai'tje de l'appartement 
qui possédait l'escalier dérobé, — en attendant 
qu'on lui fil au premier (Arg. , IV, 448) un 
appartement digne d'elle. Cela gagnait du temps. 
Il eût fallu trois mois. La Pompadour eut soin 
que l'on y mit deux ans. 

Machault, en cadence avec elle, contre Madame 
et contre la cabale, montrait combien d'un jour à 
l'autre on allait forcément avoir recours au Parle- 
ment. La guerre venait, les grands besoins d'ar- 
gent. Depuis un an, deux ans, on se battait déjà 
en Amérique entre colons, Aidais, Français. Les 
premiers étendaient outrageusement leur Acadie 
dans notre Canada. Cela alla au point que (le 11 
mai 1752), on dut autoriser les nôtres à repousser 
la force par la force. Ou eût pourtant voulu la 
paix. Elle était difîicile dans la tentation que 
donnaient aox Anglais leurs cent vaisseaux, leurs 
cent frètes. En 1748, laFranceétait réduite... 
à un vaisseau I 

Ajoutez l'intérieur, des troubles pour les blés, 

Parc-«ix-ccrfg dont Barbier p«rie en 1753 , mus dont la maiGOD 
n'est AàKiée qu'eu 1755. Voj. l'tete de naU, Le Roy, Rues de fer- 
laiUes, p. 459. 

Douze. bvGoogle 



— 309 — [1752-1753] 

un souci personnel du Roi qui sans doute le ren- 
dait modéré. Il exhortait les prêtres à se con- 
former aux Canons qui n'exigent nulle part cette 
inquisition tracassière. II blâmait, sans plus de 
succès le Parlement pour les saisies, amendes, 
prises de corps, lancées contre les prêtres. II 
imposait silence. En vain. Le Parlement allait 
toujours, offrait sa démission. Aix et Rouen sui- 
vaient, et Toulouse même allait devant, en sai- 
sissant son archevêque. 

A Paris, où le Parlement est traîné par les 
jansénistes, on attaque à la fois, l'Archevêque, 
l'Encyclopédie. De Prades, un encyclopédiste qui 
dans une thèse de Sorbonne, humanisait trop 
Jésus-Christ, est décrété et s'enfuit à Berlin. Les 
prêtres refusants sont frappés d'arrêts graves. 
Irait-OQ jusqu'à l'arcbevêque qui provoquait et 
défiait. On n'en était pas loin. Le 6 mai, scène 
pathétique : la famille royale, tremblant pour le 
martyr, vient se jeler aux pieds du Roi. 

L'embarras est pour lui que les emprunts 
nouveaux, que les impôts de guerre exigeront 
l'enregistrement parlementaire. Donc, il ménage 
encore le Parlement. Le 51 juillet , pour lui 
plaire, il fait rechercher chez tous les imprimeurs 
une presse clandestine {qu'on sait être à l'ar- 
chevêché). Un pas de plus, le seuil sacré était 
franchi, et l'on allait trouver dans ce lieu vé- 



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(1762 1753) — 310 — 

iiérable la maclûne aux pamplilets, aux libelles 
ecclésiastiques. La cabale employa près du 
Roi un moyeD .puissant, l'indignation d'Adélaïde. 
Avec une décision brusque, surprenante à son 
âge (dix-neuf ans), elle quitta le l<^is de fa- 
veur, l'escalier si commode, et s'éloigna du 
Roi. Comme Achille irrité, elle se retira sons 
sa lente, je veux dire dans l'appartement loin- 
tain, toujours vacant, de la duchesse du Maine. 
(lAiynes.) 

Cette férojcilé dura un mois ou deux. Le Roi 
vint à composition. Fontainebleau, lieu fatal, 
fait toujours ces, miracles. Cette fois, sans re- 
tour. Le Roi, dès ce moment, put feindre, varier 
d'apparence, traîner, flatter le Parlemait. De 
cœur, d'intuition, il fut pour le Clergé. On ne 
fit rien à temps. On ne prépara rien. La guerre 
nons trouva désarmés. 

A ce brillant Fontainebleau (le plus brillant 
qui fut jamais), le Rqï ne parlait guère. Elle 
parlait à sa place, et très-haut. Elle ordoriiiait 
en rane, disant du Roi et d'elle : « Nous, » — 
réglant, le présent, l'avenir : a Nous ferons ceci 
ou cela. » (Argemon.) 

Elle avait du mordant, autant que la Pompa- 
dour en avait peu. Elle aimait la musique, comme 
son frère le Dauphin. Mais, comme lui, elle était 
baroque. Elle apprit tous les instruments avec 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— su ^ (1-152-1153) 

une ardeur furibonde. Son père sou\'enl par jeu 
lui mettait dans les bras un violon [ïjuynes , 
XI, 168). Son excès d'ardeur, dér^lée, élait 
trop dissonante. Elle ne put arriver, à rien.; 

La majesté surtout lui manquait et )a gràct;. 
Hautaine, , s'il en fut, c'était pourtant toujoires, 
â vingt ans, un page de quinze, un mutin petit 
page. Elle avait beaucoup moins le cbarme d'unie 
femme quç d'un ardent petit garçon, âpre, colère. 
La colère rend vulgaire; elle avait des mois 
lestes, qui n'allaient guère à son sexe, à .son 
rang. Ses risées de la Pompadour étaient sour 
vent très-ltSE^es. Elle rappelait : « Maman pn- 
tain. » Les petites Mesdames le répétaient. El le 
Roi l'entendait., Cela faisait penser à tous que 
c'était finijd' elle, qu'elle serait chassée de la icour. 
(Arg., sept. 1752.) 

Que ferait-on pour elle, pftnrlui.dpnner les In- 
valides? Elle eût voulu être .duchesse, nç l'ob- 
tint pas; jmais s<çule!iaçnt prit st^n. .tabouret chçz 
la reine, qui la souffrait chrétiennement. 

Le signe le plus fort qu'<n çi'ut voir de sa 
.chute, c'est que s^s parrûps^ ses paifons,.Je? 
Paris crurent prudent de lui to\irner le dos 
(ils lui revinrent plus tard), Paris Daverney,,Jte 
. guerrier de la famille, voyant venir la guerre, 
apporta ses oifres et ses plans à l'eanpmi de la 
idour, à d'Argenson cadet. Paris Mont- 

Diailizc^bv Google 



(1752-1153) — 512 — 

martel apporta sa bourse, offrit sa caisse à l'ar- 
ebevêque de Paris, en cas qu'il fut saisi et frappé 
dans son temporel. 

L'Autriche, parfaitement au courant de la si- 
tuation, au moment décisif du triomphe d'Adé- 
laïde (sept. 1752, Fontainebleau), crut que nous 
rerenions aux alliances catholiques. Pour nous 
brouiller à fond avec l'Angleterre et la Prusse, 
elle envoya Kannilz, le magnifique ambassadeur, 
attentif à se faire Français. 

Un mois après Kaunitz, arrÎTa notre Infante 
de Parme, tout aussi Autrichienne, possédée 
du grand rêve de faire sa G\\e impératrice. Elle 
fut Irès-habile, enveloppa Adélaïde. Elle pleura 
dans ses bras {Luynes, XI, 161), ne voulut lo- 
ger qu'avec elle et chez elle (où était la vraie 
royauté). 

Tel est Fontainebleau dans ce mémorable mo- 
ment. La représentation du deoin du village, 
le succès de Rousseau, applaudi de la cour, en 
est la forte date. Un philosophe avait contre les 
philosophes levé le drapeau rétrograde (le Dis- 
cours ctmtre les sciences), frappé sur son parti. 
En cette même année 1752, Frédéric fait brûler 
un livre de Voltaire ! Quelle joie pour les dévols I 
Montesquieu et Buffon plient devant la Sor- 
bonne. Diderot, enfermé à Vincennes (1749), ne 
commence l'Encyclopédie qu'en prenant pour 

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— 515 — (1753-1163) 

patron un ministre jésuite (1751), ne la sauve 
du coup de mars 1752 qu'en acceptant des cen- 
seurs prêtres. II la continuera à travers les sai- 
sies, les défections {celle de d'Alembert, et les 
mortels coups de Rousseau 1757). 

L'opposition a bien peu d'unité. I^e Parle- 
ment n'eâl pas moins divisé que le parti philo- 
sophique. Avec son vieux fonds janséniste et sa 
jeune minorité politique, révolutionnaire, il mar- 
che de travers, il boite ridiculement. Tout en 
attaquant l'archevêque, il attaque l'Eucyclopé- 
die; il s'afliaiblit ainsi, et lue sa popularité. 

Les jésuites et leurs hommes, les meneurs 
du Dauphin (la Yauguyon) , leur machine Ar- 
geuson cadet, croyaient pouvoir oser. Leur or- 
gane indiscret, violent, madame Adélaïde, put 
dire : « Nous voulons... Nous ferons. » Elle lança 
le Roi , bride abattue , dans te plan du paru : 
a Exaspérer le Parlement, amener une crise où 
ce corps se ferait broyer. Chasser Machaull, 
sauver les biens d'alise. » 

Un coup sec fut frappé (déc. 1752). Paris 
était ému, indigné contre l'archevêque qui re- 
fusait les sacrements à une pauvre vieille reli- 
gieuse. Que fait-on? On enlève du grabat la 
mourante; on la livre aux haines du parti 
opposé. Paris est furieux. Le Parlement saisit 
l'archevêque dans son temporel, veut l'arrêter, 



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(1752-1753) ~ 514 — 

ne peul; car il est pair , et les pairs ne veu- 
lent siéger. On remonte plus haut. On examine 
le droit royal d'arrestation, les Lettres de ca- 
diet? Discussion violente qui ne finira plus qu'à 
la prise dd la Bastille. 

Attaque au Roî. Un conseiller obscur, plus 
hardi, attaque l'homme même, la question brû- 
lante des blés et des spéculateur^ en blé. La 
majorité janséniste veut Farrèter. En vain. Il 
montre qu'à côté des greniers d'abondance l^aus, 
oifîciels, on cache des magasins secrets, quatr^ 
vingts repaires d'affameurs. {Barbifir, V, 314.) 

Le Roi aigri refuse d'écouter de lelles re- 
montrances. Le Parlement refuse de siéger, de 
juger (7 avril, 1755). 

Ce corps se sentait nécessaire. La guerre ver 
nait. Pas un moment à perdre pour les nouveaux 
impôts, lieux, intérêts immenses étaient en jeu : 
En Amérique, la longue voie des fleuves qui 
vont du Canada à la Louisiane. Aux Indes, un 
vaste empire que Dupleix nous fondait, et dont 
le grand Mogol eût été tributaire. Mais il fallait 
araier;donc, avoir de l'argent ; donc, ménager 
le Parlement. Cela fut agité la nuit du 8-9 mai. 
Qui trancha? On ne sajl. Mais le Roi immola 
deux mondes. - 

Quand le Dauphin l'apprK, il embrassa son 
père. (Ârg., IV, 136.) 

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— 315 — (1751-1153} 

Le 9 mai, à . quatre heures, on enlève tout le 
Parlement. 
Ed juin, on dit Madame enceinte. (Àrg., ÏSy 

Ces choses ne se prouvent janiais. Ce qui est 
plus certain, c'est la mine àa. Parlement. 

Ce n'esl pas t'exil débonnaire du Régent qui leur 
envoyait de l'argent pour faire bonne chère. C'est 
une cruelle dispersion. Quatre dans tes cachots. 
Tous jetés dans je ne sais combien de villes. Un 
exil combiné, non contre le corps seul, mais 
pour appauvrir, ruiner, affamer les individus. 

Le Parlement fut vraiment admirable. La 
Grand^Chambre que seule on avait épai^née, eut 
honte et se fit exiler. De là rigueur nouvelle. 
Tous sont cruellement exilés de l'exil. Il faut 
ea plein hiver (avec leurs familles ruinées, tel 
faisant deux cents lieues!) qu'ils aillent s'interner 
à Soissons. Quel résultat? Aucun. Le pouvoir 
est vaincu. Une Chambre royale qu'il substitue au 
Parlement reste oisive, honnie, ridicule. Per- 
sonne ne veut y plaider. . 



* Hème dans les journnui que l'on écrit pour soi, on pense ï la 
cage de ter où l'auteur d'un distique sur madame de Mainteaon finit 
les jours, celte cage où Desrorges vient (ont récemment d'SIre mis. 
D'Argenstin prudemment ajoute : < Les inédieants le disent. > Mais 
dit aam : t Le matin, elle a mal au œur. ■ On accuse, dii-il, le car- 
dinal Seubise. D'autres en nomment tin autre encore moins k nom- 
mer, i {Arg., lY, i«.) 



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(l15!-nB5) _ 316 — 

Et cependant la crise arrive. Le mob de 
Londres Imrle la Cguerre. La Compagnie an- 
glaise de l'Ohio, sur les fleuves intérieurs de 
l'Amérique que nous croyons à nous, établit son 
commerce et ses postes armés. L'assassinat d'un 
Français, Jumonville, envoyé en parlementaire, 
va commencer bientôt la grande lutte des deux 
nations. 



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CHAPITRE XK. 



Suite d'Adélaïde. — Fourberie dn Eoi. — Déception du Parlenienl. 
1753-1755. 



La fatale embrassade du Dauphin avait eu 
son fruit. Le Roi se voyait en décembre 1755 
comme perdu, ne sachant plus que faire, au 
fond d'un cul-de-sac, sans moyen d'en sortir. 
Gomment rappeler le Parlement? comment te 
calmer, l'apaiser? Mais comment s'en passer, 
frapper l'impôt nouveau sans enregistrement? 

Paris était terrible cet hiver. La fermeture de 
tous les tribunaux, le chômage du monde énorme 
du Palais, avocats, procureurs, greffiers, no- 
taires «t gens d'affaires, écrivains de toute 
sorte, affamait une classe nombreuse» et indi- 
rectement toutes les classes qui s'y rattachaient. 
Grande était ta fermentation, et bien j>lus gé- 



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117&&-175S) — 318 — 

nérale qu'en 1750, quand on avait crié : « Al- 
lons brûler Versailles. » Ce monde de par- 
leurs traînait dans les cafés, ne se gênait pas, 
pérorait. La police, devant une telle tempête, 
avait peur. 

C'est à ce moment que Rousseau, sur le 
sujet donné par l'Académie de Dijon, écrivait 
le Discours sur l'inégalité, oîi niant le progrès, 
pour idéal il pose la barbarie, l'état sauvage. 
Sinistre paradoxe, directement hostile aux amis 
de Rousseau, aux Encyclopédistes, et aux Éco- 
nomistes, à tous ceux qui voulaient éclairer et 
améliorer. 

Cette situation alarmante rendait force à Ma- 
chaull et à la Pompadour, au prince de Conti, 
aux modérés. Elle condamnait les fanatiques., 
le Dauphin et Madame, leur ministre Ât^nsno 
cadet. Le Roi le sentait bien. Il lança aii Con- 
seil un mot qui put faire croire qu'il changeait 
de parti, un mot prudent, craintif, pour ménager 
les prolestants (Peyrat, I, 419). Le cœur du 
Dauphin dut saigner. 

Une chose inquiétait non moins direct^i^t, 
une chose fiirtive, qui pouvait chaîner tout. 
Aux combles de Versailles le Roi eachait et 
nourrissait, comme un animal favori, non ébat 
ni chien, mais une fille. Joli tour de la Pom- 
padour , au moment où Madame l'outra et la 



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— 519 — (4193-1755) 

poussa à bout. La chose avait été menée adroi- 
tement, et d'abord chez U Reine. La Reine s'a- 
musait à faire peindre chez elle Boucher pour 
une Sainte famille. Boucher qui méprisait son art, 
allait droit au succès par les plus bas moyens, 
les effets sensuels. Il menait avec lui deux 
petits anges gras, qui lui fournissaient les chairs 
roses, lourdes, de ses tableaux. C'étaient les 
deux Miïrphy, potelées Irlandaises, dont l'une 
publiquement posait à l'Académie de peinture. 
Leurs plus secrets appas sont étalés partout, 
avec des postures hasardées, dans ses fades 
et faibles tableaux. Aucune gentillesse. Sols bé- 
bés, sans regard; moins berçèfes que moutons, 
d'imperceptible bouche qui ne semble guère que 
bêler. En cela même on calculait très-bien. Le 
Roi, las de l'esprit, n'aurait jamais pris une 
dame. II lui fallait des sottes, des muettes, de 
petits bestiaux. Celle qui posait chez la Reine 
lui alla fort; il la vit et revit, loi^na, sans que 
la Reine y voulût prendre garde, remettant tout 
à Dieu, et peut-être pensant (pour le salut du 
Roi) que c'était un moindre péché. 

Autre mystère. Le Roi plusieurs fois par 
semaine, en ses plus secrets cabinets, rece- 
vait le prince de Conti. Que disait-il? On ne 
le savait trop. Esprit libre et hardi, inquiet, 
ambitieux, visant au trône de Pologne, il était 

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(«53-1Ï65) — 520 — 

anti-Autrichien, anti-^xoD, voulant remplacer le 
Saxon, le père de la Dauphine, donc étant en- 
nemi personnel du Dauphin. On le croyait athée, 
parce qu'il aurait voulu donner sas. Protestants 
l'existence civile, le droit de naître et de mourir. 
Gela ne plaisait guère au Roi. Pas davantage les 
deux choses que lui prêchait aussi Conti, l'al- 
liance avec Frédéric, l'accord avec le Parlement. 
Au fond, il agit peu. Mais il amusait fort le Roi 
par certaine police secrète qui lui livrait les 
anecdotes, les scandales des cours étrangères. 

Conti avait pour lui la nécessité évidente. 
On ne pouvait rester désarmé devant l'Angle- 
terre, si horriblement forte (cent vaisseaux, cent 
frégates!) Il fallait de Pargenl, donc ramener 
le Parlement, le flatter, le leurrer. Comment? 
en chassant les ministres du coup d'État, re- 
venant à Machault, et prenant au clergé plutôt 
que d'écraser le peuple. Cela était logique, hu- 
main et naturel. La cabale dévote ne put barrer 
ce .coup que par un autre coup, impie, contre 
nature. 

Elle sauta le saut périlleux. Dans ce cabinet 
même où le Roi avait ses secrets, au fond de 
son appartement, elle mit un témoin, un gar- 
dien, qui en répondit. 

Aux fêtes de Noël , avant le :nouvel an, 
M"" Adélaïde décida qu'elle occuperait le petit 

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— 321 — (1753-1155) 

logis chez le Roi qu'on préparait depuis deux 
ans. Elle s*y établit le 27 décembre 1753. (De 
ÏMifties.) 

S'il s'était peu pressé, ce semble, de l'y mettre, 
c'est qu'en réalité il sentait qu'il aurait un maître 
et qu'il ne serait plus chez lui, au seul lieu sûr 
qu'il eût. Là étaient les mystères d'État et ceux 
de la famille. Là la fameuse garde-robe où jadis 
il s'enferma, pleura {1720 et 1726). Dernière, 
unique Kberlé, dans la servitude des rois, refuge 
d'enfance et de faiblesse. Aujourd'hui il perdait 
cela. H se trouvait en face d'une ardente per- 
sonne, armée de ses vingt ans, de volonté ter- 
rible , qui le ferait vouloir , se ferait obéir. 
Il savait bien en être (plus qu'aimé) adoré. Mais 
avec tout cela il sentait le Dauphin derrière. 
Elle, naïve et courageuse, n'en faisait pas mys- 
tère. Tous les jours, vers le soir, elle allait 
chez son frère {ÏJitynes, XI, 5), recevait le mot 
d'ordre. 

Le Roi le voyait bien. Il voyait d'autre 
part combien elle se sacrifiait en prenant, pour 
vivre avec lui, ce logis maussade', ennuyeux, 

' Si on ne va pas 1 Versailles, on peut Aonsuiler les plans de 
Blondel et les eicellenU catalogues de H. Soulié, l'homme ï coup sur 
du inonda qui connaît le mîeui ca palais, en toaa ses âges, en sa vie 
lustorique, anecdotique, etc. Je n'aurais jamais pu bien comprendre 
les localités sans les lumineuses explications de M. Soulié. Il serait 
bien k désirer qu'il publiât l'inestimable collection qu'il a préparée 

ITt. 31 

DolizccbvGoOglc 



(1Î53-1755) _ 322 — 

qui lui faisait perdre tous les agréments de 
son rang. Ix^is inconvenant et indigne d'une 
aînée de France, qui ne permettait nullement 
l'éclat et les honneurs qu'avait eus Henriette. 
Ni lever, ni coucher, aucune ' exhibition royale. 
Madame, si hautaine, n'avait pourtant nul or- 
gueil d'étalage. Elle avait une passion, et en 
vivait. Elle ne sortait point, et n'eût voulu voir 
que le Roi. Elle ne mangeait point le jour, pour 
ainsi dire, se réservant pour un fort souper de 
minuit, selon les goûts du Roi, en viandes épi- 
céas et vins forts. Il se sentait si bien désiré 
et voulu qu'il n'eût osé passer un seul jour 
sans la voir. Toutes ses froides fantaisies pour 
des enfants sans âme, ne l'éloignèreitt jamais 
entièrement, au contraire le ramenaient là. L'hu- 
meur altière, colère, n'y faisait rien. Même 
aux temps oii il loge à part, où il ne soupe plus 
chez elle , i! y déjeune tout au moins, il y ap- 
porte son café {Gampan.) 

des plans de Versailles depuis le seizième siècle. -> Bloadel , eit 
1755, étant en présence des dmses et des personnes, est ettrftneniMiI 
prndeot : l'il fait eemblant de croire que ce sont deux appartencnls. 
Visiblement, il n'y en a qu'uD. KuUe séparation. 2* Blondel ne 
nous dit pas ce qu'était la pièce ]. C'était le cabinet de Hadame {Sou- 
lié), qui donne immédiatement dans le carnet secret du Roi. — Elle 
aiait extérieurement à cette chambre trois pièces où ee tenaient se* 
gens et où elle recevait aui repos sm smurs qui demeBraiait ailleurs. 
Tout ce monde profane entrait par une petite porte et un escalier de 
derrière, sans passer cbes le Roi, sans voir le saint des saints, I» 
réduit des deui cabinets. 



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— 325 — (1753-1755) 

Quelques rapports qu'ils eussent avant ce ^ 
décembre 1755, ce n'était rien auprès. Leur 
vie fut une, depuis lors, et tout à fait mêlée 
par la force des choses et par le local même. 
Dans ce Versailles, immense, l'appartement royal 
est Tort peu étendu. 11 fut dès lors, on peut dire, 
occupé dans la partie intime et solitaire. Du 
côté de Madame et du côté du Roi, des pièces 
intermédiaires tenaient les gens éloignés, à dis- 
tance. Rien entre eux qui les séparât, nul valet, 
nul œil curieux. Elle pouvait lui venir à toute 
heure, selon les besoins du parti. 

D'autre part, lui aussi, en trois pas il était 
chez elle. Les lieux subsistent, et on le voit. 
Tout droit, de la chambre à coucher (par le 
'salon de la pendule et deux pièces), il arri- 
vait à elle, au petit cabinet et à la chambre, à 
la petite garde-robe , aux bains étouffés , bas , 
à l'oratoire obscur. Tout cela aussi seul que 
si l'on eût été à mille lieues de Versailles et 
dans l'île de Robinson. Les tête-â-tête de huit 
heures que jadis avait eus Bachelier près du Roi, 
elle put les avoir en ce petit désert, tout fait pour 
son âme sauvage. La solitude a sa puissance, son 
démon. Il eut beau avoir mille échappées; ce 
démon toujours le reprit. 

Puissance tyrannique, surtout aux deux pre- 
mières années. Le Roi forcé par le besoin de 

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(1753-1755) — 324 — 

ramener le Parlement, de flaller, de menlîr, n'en 
est pas moins de cœur si fort pour le Clergé 
qu'on obtiendra de lui la plus haute impru- 
dence : MaehauU perd les Finances {4 août 
1754) et passe à la Marine. Les Finances sont 
données à un ami de d'Ârgenson cadet, c'est-à- 
dire au Clergé, qui dès lors ne craindra plus 
rien pour ses biens. 

Contradiction hardie. Hais le Parlement est 
crédule. Le Roi l'amuse avec des mots. Il le 
charme en lui enjoignant de faire observer le 
silence qu'il impose au Clergé , d'empêcher 
qu'on ne persécute les mourants, qu'on ne 
leur refuse les sacrements, la sépulture. 

Les prélats qui ont le secret, font mine de 
se plaindre, mais filent le temps tout douce-' 
ment. L'archevêque est têtu, seul ne compose 
pas. Il rompt le silence ordonné, fait refuser 
les sacrements. Le Parlement, très-fort, armé 
des paroles du Roi , agit sérieusement. II veut 
arrêter l'archevêque. 

Grande frayeur à l'archevêché. {Barb., 84.) Le 
deuil et la désolation sont encore plus grandes à 
Versailles. La bonne reine en pleure tout le jour. 
La peur qu'on avait pour le Roi en 1 750, on l'a 
pour l'archevêque. « Le peuple de Paris n'y 
va pas de main morte. » On croyait voir déjà 
le martyr mis en pièces. 

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— 525 ~ (1753-1755) 

Mais d'autre part, comment oser se démas- 
quer, prendre le parti du prélat, tant que le 
Parlement n'enregistre pas les impôts? La fa- 
mille royale fit l'effort de bien jouer son petit 
rôle quand l'archevêque vint à Versailles. Tous, 
et le Dauphin même, M"" Adélaïde, appuyèrent 
d'une mine sévère la leçon que le Roi lui fil. 
Cela calma et trompa le public. 

Cependant une Esther avait fléchi Âssuérus. 
Il couvre l'archevêque, le sauve par le plus 
doux exil, l'envoyant chez lui à Conflans, aux 
portes de Paris. Le procès est escamoté, le 
Parlement trompé. Le Roi lui écrit : « J'ai 
puni. » (5 déc. 1754.) 

Le peuple fut leurré par la scène publique et 
solennelle des sacrements. portés, contre l'ordre 
de l'archevêque, .à la place Maubert chez une 
janséniste mourante. C'était une pauvre lingère, 
fille d'un chaudronnier. Mais le bon cœur du 
peuple était pour elle. Grande fut l'afÛuence de 
ce peuple trompé qui vit dans cette humble 
personne triompher la Loi même, la liberté de 
conscience. 

Cela se fit le 5 décembre 1754. Le 6, le 
Parlement enregistra une création de renies, 
qui valait au Roi cent millions. 

Le prélat cepraidant fort commodément, de 
Conflans, soufflait le feu, animait ses curés. 



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(«55-1155) — 526 — 

Le Roi donna au Parlement la joie de le savoir 
(dus loin, très-loin, à six lieues (à Lagnyl). 

"La 'majorité janséniste du Parlement, ces an- 
tiques perruques qui ne rêvaient rien que la 
Bullè, furent ivres de cette victoire. Le mo- 
ment leur parut venu d'exterràiner le monstre, 
de couper la tète de l'iiydre. Ils tirèrent du 
fourreau la grande épée: arrêt qui déclare la 
BuUe ABUSIVE. 

La Bulle est morte. On tr^igne de joie. Le 
Boi s'en plaint tout doucement, car « la Bulle 
est loi du royaume. » Il accorde et désire qu'on 
n'en parle jamais. Mais nul reproche au Par- 
lement. Loin de là, il l'accueille « avec une 
bonté singulière. » 

L'archevêque en riait. Il disait aux cur^ : « Ras- 
surezr-vous, j'ai parole dii Roi. » {Sarh., VI, 
147.) L'Assemblée dii Glei^é, qui se tenait alors 
et qui semblait gémir « de la persécution, » 
riait aussi sous cape. Le Boi, envers ses 
«hefe, avait engagement de laisser là tous les 
plans ' de Hachault. Les évêques, en cinq ans, 
étaient arrivés à leur but. La force était jouée. 
Ils se relâchèrent aisément de leur petite guerre 
des sacrements qui n'avait été qu'un moyen. 

On commençait à deviner {Ba/fh,, 84) que 
le Roi s'était joué du Parlement. Mais qu'eût 
fait celui-ci? Pouvait-il s'arrêter, n'enr^strer 

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— 527 — i*ws-ns5) 

aucun impôt, qilbnd la guerre élait engagée^ 
dans celle année terrible, où, sans déctaraticn, les 
Anglais nous enlèvent trois cents vaisseaux mar- 
dtaodsl Les. taxes de la guerre, continuées jus- 
qu'en décembre 1755, expiraient. La pairie res- 
tait sans défense. Le Parlement enregistra pure- 
ment y muplement, la continuatien des taxes 
pour six ans. On ImI Jtùen étt^né de sa facilité. 
Ses partisans* en masse, le quittèrent, luj tour- 
nèrent le dos. Il aurait agi pour la France, et 
lui-même il s'était perdu (8 sept«nbre 1755). 
Gependa'nt l'ennemi, pour le peuple ulcéré, 
•c'était bien inoins l'Anglais que le Roi et la 
cour. lia haine était montée à un point incroya- 
ble. Elle apparut av^gle dansi une affaire si- 
nistre. Une dafne LesccHubat, fort jolie, avait 
fait tu^ son mari pajc sou amant. Elle était 
<»nd3mnée et eût été 6xécu(éie,.si elle n'avait été 
enceinte. Le bruit codrut que H'"' Adélaïde était 
enceinte aussi (Voy. pius kw), s'intéressait à elle 
«t voulait la sauver. Elle avait recueilli ei éle- 
vait une enfant de la Lescombat- Celle-ci par 
deux fois se dit grosse pour gagner du temps , 
et se faire oublier. Le public se souvint, s'in- 
digna, supposa qu'on voulait tromper la justice. 
Une fois la potence fut placée, puis déplacée. 
La cour flottait sans doute. Mais la fureur du 
peuple remontait vers Adélaïde. Le Roi s'en 



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(1753 1755) — 528 — 

alarma, voulut l'exécution. Un monde énorme 
s'y porta, à la Grève et aux quais, aux tours 
même de Notre-Dame. Quand on la vit enfin 
monter à !a potence, on applaudit cruellement 
(5 juillet 1755), 

De cette grossesse (fausse ou vraie) d'Adé- 
laïde, est venue la légende de la naissance mys- 
térieuse de M. de Narbonne (août 1755), dont 
on a tant parlé ^ Ce brillant fat en tirait grand 
parti auprès des femmes et dans le monde. 
L'histoire paraissait vraisemblable à ceux qui 
remarquaient la faiblesse , les ménagements 
qu'on montra pour nue dame d'Adâaïde, médi- 
sante, méchante, impudente, la d'Estrades. 
Elle exerçait une sorte de terreur chez Ma- 
dame, réglant tout, disposant de tout. Madame 
n'avait plus rien à elle, manquait de tout, 
n'avait bas ni souliers. (Arg., IV, 231.) 

La Pompadour brûlait de se condlier la fa- 
mille. Elle eût voulu donner ses biens et sa fille, 
la petite d'Étiolés, à un parent des de Luynes, 
les amis de la reine. L'enfant mourut. La Pompa- 



■ Tradition très-fbrte ï Terssilles. H. de Viiler;, bibliothécaire du 
château, m'a raconté qu'il la Irouia la même chez les dames qui se 
retirèrent dans cette TÏlle au retour de l'émigration. Ces dames, telles 
que M" de Balbi , étaient du parti de Hesdames et du comte de Pro* 
Tence, non du parti de Harie-Antoinette. SUcs aimaient et respectaient 
Uesdames, mais n'en contaient pas moins la chose, comme toute natu- 
relle et ordinaire dans les famillea royales. 



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— 52» — (1785-llM) 

dour trouva une autre voie de plaire en rendant à 
Madanie un signalé service. Elle lui demanda si 
celte d'Estrades ne la gênait pas. ha princesse 
n'osait répondre, hésitait ; pressée, elle hasarda de 
dire ; « Qu'elle l'ennuyait assez. » (Arg. IV, 228v 
1 aoûl.) Avec ce mot, la Pompadour exige du 
Roi qu'il la renvoie. Mais avec quelle timidité 
il le fait! Il donne à la gueuse une grosse 
pension I Nul exil. Elle va demeurer à Chaîl- 
lot. Là, elle a une cour. D'Ai^enson le mi- 
nistre, qui était son amanl, le jour même 
de la disgrâce, reste quatre heures chez elle, 
la Voit de plus en plus. Us sont si redoutes 
que pour leur clore la bouche, le Roi comble 
et accable Argenson de places el d'honnenrs. 

Le vieux Noailles, très-vieux, écrit alors au 
Roi: J'ai vu 1709, l'année de mort et de fa- 
mine, de guerre universelle où tout nous acca- 
bla. Nous n'étions pas aussi bas qu'aujourd'hui. 
(Mémoires de NoaiUes.) 

Mais le Roi est très-gai. Quitte de sa longue 
comédie, il peut donner carrière à sa haine 
pour le Parlement. Le lendemain du jour où 
l'enregistrement parlementaire lui assure les 
fonds pour six ans, tout masque est jeté bas. Il 
déclare que son Grand Conseil, sa justicede cour, 
est le tribunal supérieur, où l'on peut appeler 
du Parlement, dès loi's subordonné. Ce Grand 



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(IÎ55-17B6) _ 550 — 

Conseil, ici à Paris, s'établit au Louvre. Encore 
UB au, et les Parlementaires seront décimés, 
ruinés. 

D les sentait par terre et abandonnés du pu- 
blic. Il pouvait leur donner du pied. Dans sa 
gaieté étrange, il renouvela une scène de l'en- 
Ëtnce de Louis XIV. Le Parlement dressait de 
grandes remontrances, et demandait le jour où 
il pourrait les présenter (Ï9 oct. 1755). Il s'a- 
gissait pour lui de tout son avenir. Le Boi fit 
comme 'Anne d'Autriche quand ce grand corps, 
en robes rouges, vint à elle, et qu'aux portes 
on l'arrêta, disant : « Sa Majesté prend méde- 
cine. » — Louis XV leur dit en riant : « J'ai 
pris certaines eaux, je suis assez embarrassé. 
Vous aurez mes ordres plus tard. » {Barb., 
VI, 209.) 



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CHAPITRE XX. 



Guerre de Sept uis. 1756. 



Le roi ne riait guère. Il rit le 10 octobre. Il rit 
Ïel7 décembre. 

Ses petites af^ires allaient bien. 11 espérait 
bientôt briser le Parlement. Il Toyait aboutir son 
affaire de famille, son Infante enfin reine (l'Au- 
triche offrait les Pays-Bas). Son commerce de blés 
n'allait pas mal. Enfin, le 25 novembre, on lui 
créa le Parc aux cerfs. 

Du grand désastre qui eut lieu le l", qui 
écrasa Lisbonne, abima tant de villes en Espagne, 
en Afrique, fit trembler jusqu'au Groenland, on 
ne sentit rien à Versailles. On s'en soucia peu. 
L'attention était tout entière au débat intérieur, 
à l'intrigue autricbienne. La Pompadourqui s'é- 



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(1766) — 33S — 

tail vue en août au plus bas, en septembre (par 
la grâce de Harie-Thérèse) fut mervoilleusement 
relevée; au plus haut eu janvier. Jusque-là elle 
n'était qu'une favorite (Duditë), qui par moment 
dominait les ministres. Depuis elle est reine de 
France. 

Comment Vienne peut-elle réussir à ce point? 
En corrompant le Roi et la famille par le vain 
leurre des Pays-Bas , en gagnant pied à pied 
Versailles par la persévérante intrigue de la ca- 
bale Lorraine. Pour entraîner la France, Vienne 
se fît française, flatta et imita Paris. 

Celle œuvre difficile fut celle d'un grand 
homme de ruse, Kaunilz, un Slave sous le masque 
allemand. Nous l'avons vu yeair ici (septembre 
1752), avecnolre Infante de Parme. Il observa de 
près pendant deux ans, et revenu ensuite près 
de Marie-Thérèse procéda à ce que tout autre 
aurait cru impossible : faire de son Autrichienne, 
épaisse, orgueilleuse et colère, l'aimable amie 
de Louis XV, la convertir à l'esprit de Versailles, 
lui faire accepter les idées, les modes et les arts 
de la France, capter les gens de lettres, faire 
jouer au dévot Schœnbrunn les pièces de Voltaire 
par ses GUes les archiduchesses. 

Kaunitz, avait vu, très-bien TU. la France, la 
royauté nouvelle : l'opinion. Deux choses lui 
avaient apparu : la caducité de Versailles et l'avé- 



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— 335 - (1156) 

Dément de Paris. Paris alors éclate pour le monde 
et rayonne. La vie de cour obscure, furlive, est 
en parfait contrasie avec les salons lumineux sur 
lesquels l'Europe a les yeux. Dans ta honteuse 
éclipse de l'autorité souveraine, on admire d'au- 
tant plus la souveraineté de l'esprit. 

On imita nos vices,je le sais, autant que nos arts. 
Pétersbourç, Vienne, prirent d'ici un vernis et le 
plus extérieur. On nous dépassa dans la forme, 
en n'atteignant guère le dedans. Kaunitz, notre 
ingénieux singe, pédanlesque souvent dans son 
imitation, obtint pourtant ce qu'il voulait. 11 mit 
Harie-Thérèse dans la voie des idées, des ré- 
formes , des lois , qui la rapprochaient de la 
France, de plus la firent maîtresse de l'Autriche 
elle-même. 

Sa haine de la Pmsse et sa rage pour la Silésie, 
sa soif d'argent pour la guerre imminente, rendi- 
rent la dévote docileàson ministre voltairien. Elle 
devint révolutionnaire dans la question des biens 
d'Église. Ces biens quasi héréditaires dans les 
grandes familles, elle voulait au moins les grever, 
les sucer. 

Elle observait et convoitait nn beau repas, le 
bien des deux millecouvents de l'Autriche. Elle fit 
un barrage et coupa le canal par où l'argent allait 
à Rome. Fort ignorante, elle savait du moins s'ai- 
der de gens capables. Trois étrangers, un méde- 



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(1756) — 354 — 

cin hollandais, un législe souabe, un juif, firent 
la révolution. {Alfred Michids.) Elle brisa les ty- 
rannies d'Église, n'en voulant d'autre que la 
sienne. 

Contraste singulier. La dévoteautrichienne lou- 
chait aux biens d'Église, et notre Louis XY, dans 
ses scandales impies de famille, était timoré au 
seul point qui touchait le salut de la France. 
Son imbécillité faisait l'amusement des. Aillais. 
Chaque année, hardiment, ils frappaiwt ce râ 
Dagobert, puis s'excusaient, riaient. Il se plai- 
gnait, criait tout doucement, se laissait pousser, 
reculait. 

Pour toute explication, l'Anglais' alloue la rai-' 
son sii^lière que sa main gauche (le roi) ne sait 
pas ce que fait sa droite (le ministère). Georges, 
en bon Allemand, travaille dans l'Empire pour la 
maison d'Autriche, pendant que ses ministres 
traitent avec la Prusse contre les Autrichiens. 

De tout temps Louis XV avait été bon Autri- 
chien, pour les intérêts de l'Infante. Mais la 
guerre l'effrayait. Voyons ce que disait ce sei"pent 
de Kaunitz pour l'y précipiter. J'y joindrai les ré- 
ponses trop aisées qu'on ^t dû lui faire. 

« Vous manquez de marine, disait-il. Ëh bien, 
votre armée réunie aux armées de l'Autriche, me- 
naçant le Hanovre, contiendra le roi d'Angleterre 
(OiM, le roi, rtiais mm l'Angleterre). 



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— Ki5 — (ilM) 

« Vous punissez l'oi^eil, les risées de la 
Prusse. » ((kd, et dès hrs t'Avtrù^ seule aura 
V Allemagne. ) 

EnGn voici la pomme que montrait le serpent : 
« Vous vouliez pour l'Infante nous enlever Milan. 
Eh! bien, vous aurez davantage, un royaume! 
les Pays-Bas. » 

La Pompadour, l'Infante, étroitement unies, 
prêchaient Louis XV en ce sens. Bemis que la pre- 
mière avait pour confident, qu'elle envoya en Ita- 
lie, donna pour amant à l'Infante , était Tinter- 
médiaire, le pivot de toute l'intrigue. Le frivole 
personnage, abbé galant, chansonnier agréable, 
les deux femmes crédules, avalaient cet appât 
ridicule de l'Autriche, ce leurre des Pays-Bas, 
qu'elle offrait pour le retirer. 

Dans ses coquetteries avec l'impératrice, la 
Pompadour rencontrait un obstacle, non à Ver- 
sailles, mais à Vienne. Le mari de l'impératrice, 
tenu hors des affaires, n'en trouvait pas moins dé- 
plorable que sa pieuse Harié-Th^èse, vénérable 
déjà et mère de seize enfants, la glorieuse Marie- 
Thérèse passée à l'état de légende, fît amitié avec 
une telle femme, la fille d'un pendu, la Poisson. 
La Pompadour tenta de remonter par la dévotion. 
On fut bien étonné de la voir tout à coup en sep- 
tembi'e parler de la grâce efficace, de son désir de 
s'amender. Elle se ressouvint de son mari, lui 



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(17581 — 536 — 

demanda s'il -voulait la reprendre. EUe fit des 
avances aux jésuites, au confesseur du Roi, le 
P. Sacy. Grand embarras pour celui-ci qui, en la 
recevant, se fût fait du Dauphin un mortel en- 
nemi. En attendant, pour mieux afficher sa con- 
version, elle se fît faire une tribune au grand cou- 
vent de pénitence des dévots à la mode, aux 
Capucins de la place Vendôme. 

Gela faisait hausser les épaules à Versailles, non 
à Vienne. Elle parut assez lavée pour que l'impé- 
ratrice l'acceptât comme intermédiaire. C'est elle 
qui reçut les propositions de l'Autriche (22 sep- 
tembre 1755). Pour cette conférence on prit un 
Heu fort digne. Sous Bellevue était un de ces 
pavillons d'aparté , de sans gêne qu'aimait le 
Roi. Il l'appelait Taudis et la Pompadour Bo- 
biole. Trois personnes siégèrent en cet auguste 
lieu, pour l'Autriche Starenbei^, pour la France 
la Pompadour, pour l'Infante son mant Remis. 
(Hamset, 62.) L'Autrichien à l'Infante ocrait 
les Pays-Bas, se faisait fort de faire le père de 
la Dauphine roi héréditaire de Pologne. Enfin 
on montrait davantage , tout l'empire autri- 
chien , le trône impérial, le petit Joseph II 
épousant Isabelle, la fîlle de l'Infante. La gentille 
Espagnole menant ces Allemands soumettrait aux 
■Rourbons la moitié de l'Europe. Quel rêve éblouis- 
sant pour Louis XV I Par sa fille, par sa petite 

Douze. bvGoogle 



— 5S7 — illM) 

fille, pai- le père de ^abru, de l'Escaut jusqu'à 
la Vislule, il sera protecleur des rois I 

Quelque léger que fût Bernis, entraîné par ses 
deux patronnes, il garda un peu de bon sens. Sous 
ces offres énormes du menteur autrichien, il vit 
un piège, un trou, un abîme, comme un puits 
de sang. La peur le prit. Trancher tout à huis 
clos, à l'insu du Dauphin, par cette Pompadour 
et lui chétif (Bemis), c'eût été monstrueux. 11 
obtint que la chose fût connue des ministres, exa- 
minée. Là, comme on pouvait croire, grande 
discussion. Hachault fort sensément voulait que 
Ton s'en tînt à la guerre maritime. C'était assez, 
et ti'op, sans se précipiter dans une guerre eu- 
ropéenne pour être agréable à l'Autriche. 

Bernis n'osait pas être de l'avis de Itfachauh. 
Lui qui avait tout fait pour nous amener là , il 
n'osait avouer qu'il avait agi comme un sot. 
Mais il aurait voulu que le pas en arrière, que 
le recul eût lieu par la Pompadour même. 
Il lui montrait le saut qu'elle allait faire. 
Elle, usée, maladive, elle allait de sa faible 
main prendre ce gouvernail énorme de l'Eu- 
rope, dure barre de fer sanglante!... En quel 
moment, grand Dieu! avec une nalion irritée, 
qui déjà parlait haut. L'embarras, le danger, 
malgré elle, la ferout tyran. Déjà elle a été for- 
cée de s'assurer de la Bastille. Sinistre augure! 



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(«M) _ 538 — 

Bientôt, il lui Faudra peupler les cachots, les 
prisons d'État. Elle, née douce, s^a entraînée à 
trembler, à sévir, à devenir cruelle I 

Elle n'était pas brave, nesoitait que trop tout 
cela. Elle serait restée à traîner, hésiter. Mais à la 
peur on opposa la peur. On lui fil croire que le 
Roi allait avoir une maîtresse, une grande damç. 
Cela la mil hors d'elle. Elle était prise à la glu du 
pouvoir, en avait tant besoin! Elle disait : « Plu- 
tôt je mè tuerai 1 » On a vu sa bassesse ina"oyable 
devant la famille, ses tentatives honteuses près du 
Roi (pour servir n'importe cbmment). Il n'y eut 
jamais âme plus plate. Que devibt-elle donc, dans 
cette anxiété, lorsque lé ciel s^ùnVrït, et que d'en 
haut Marie-Thérèse la souleva par Une lettre (dé- 
cisive vraiment pour le Roi), l'appelant : « Chère 
amie, cousine. » C'était trop, la voilà pâmée, qui 
ne se connaît plus. 

Marie-Thérèse était déshonorée. Elle crut s'ex- 
cuser en disant : « J'écris bien à Farinellï. » 
(le célèbre ténor.) Mais le chanteur, fort estimé, 
qui gouvernait la cour d'Espagne, n'était nulle- 
ment ce que celte Poisson est près de Louis XV, 
entremelleuse et racoleuse, pourvoyeuse de pe- 
tites filles. Kœnitz avait obtenu la lettre, de 
sa grosse maîtresse, à l'insu du pauvre em- 
pereur. Ce mari dont l'énorme dame malgré 
l'âge eut toujours chaque année un enfant, 



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— 559 — («sa) 

quelque réduit qu'il fût au métier de mari, éloi- 
gné des affaires , eut . cependant horreur de la 
boue où elle roulait. Quand il connut la lettre, il 
fotpris d'un.aceès de rire convulsif et strident. 
Il Irisa plusieurs chaises. Il la voyait sifflée, 
huée partout, piloriée dans Londres. Elle y fut 
promenée (en effigie) par la Cité, exhibant sous 
la verge.un moœtruéux: derrière, tandis qu'à côté 
louis Xy, ma^re singe, ou grenouille, pré- 
sentait diapeau bas au roi Geoi^es un petit 

{tlftCat. : 

... Tout -ce que nos ministres obtinrent, c'est 
qu'on ne romprait pas avec la Prusse, qu'on lui 
enverrait ambassade. Esçai tardif et ridicule. Pour 
gage d'alliance, mi lui offrait une ile.... Tabago, 
aux Antilles. Frédéric en rit fort, dit qu'il ne 
voulait pas de la royauté de Sancho à Fîle de 
Baïataria. Il avait pris parti et signa contre 
nous son traité avec l'Ai^leterre (16 janvier 
1750). 

Louis XV eu fut indigné. Il voulait avec Vienne 
l'alliance offmsive ! Bemis pria, obtint qu'elle ne 
serait que défensive, qu'on envarait seulement 
^4,000 hommes. Vaipe prudence I on ne s'arrête 
pas ainsi en telle al£iire. Celle-ci, immense et 
monstrueuse, était un laminoir terrible, oi^, le 
doigt seulement étant mis, tout passait.... le 
corps n'en sortait qu'aplati. 

Douze, bv Google 



;n58) _ 340 — 

Que! fut l'effet dans te public? Mon pauvre d'Ar- 
genson aîné n'est plus dans les coulisses. II n'ap- 
prend le traité qu'avec Uiul le monde (mai 1756). 
On voit par lui (frère d'un ministre !) combien la 
France était dans l'ignorance de son sort. Vive- 
ment, naïvement, dans ces notes si brèves qu'il 
écrit pour lui seul, on voit l'amère surprise, l'ef- 
froi qu'on eut de tout cela. On voit aussi t'indigne 
imprévoyance des gens d'eu haut, leur aflreuse 
glissade en plein abîme , et leur air e^ré , leur 
fausse audace de peureux qui Iremblotent en fre- 
donnant. La nausée en vient à la bouche, la bile 
et le vomissement. 

Le bonhomme, le simple, la Bàe, Ai^enson, a 
des mots crus et forts • a Cela pourrait aller à la 
Révolution. » Le redoutable nom apparaît pour la 
première fois. 

o J'ai soupe avec les ministres... vieux libertins 
malades, usés et épuisés d'esprit. » C'est d'Ài^en- 
son cadet, Puisieux, etc. Mais tous ces gens-là 
sont trop forts. La Pompadour, au moment de la 
crise, va leur substituer des sots, des subalternes, 
de plais petits commis. 

Elle règne. A l'instant, subit enfoncement. 
Tout baisse. C'est l'avénement désolant de la 
platitude. On voit avec effroi ce qu'elle était. 
Voltaire dit : la grisette. C'est trop. La vaillante 
grisette de Paris, que nos voyageure ont trouvée 

Douze. bvGoogle 



— 34i — (1758) 

si souvent dans les avenlures périlleuses, et jus- 
qu'aux trônes d'Orient, est une bien autre créa- 
ture. Celle-ci, avec l'éducation forcée qui l'avait 
dressée comme un singe, ne passa jamais le ni- 
veau d'une femme de chambre agréable, qui a 
quelques petits talents, peut servir de doublure 
aux théâtres de société. Servile, impertinente, des 
deux côtés elle eut ce fond de domesticité. Chan- 
teuse poitrinaire, et fade eni/fetenue, tout d'abord 
fanée, molle, elle ne put qu'énerver, détendre, 
détremper, gâter tout, rendre tout malpropre et 
malsain. 

C'est quand on vient de faire la déclaration de 
guerre, alors seulement, dis -je, on s'aperçoit 
qu'on n'a ni ministres ni généraux. « Plus 
d'hommes en France I » Ce mot que Louis XV a 
dit à la mort de Flenry (1743), est encore vrai 
qttinze ans après. Versailles n'est plus peuplé que 
d'ombres. Plus de favoris même ; les anciens ca- 
marades , les seigneurs qui faisaient au moins 
décoration, ont reculé dans le néant. Les maré- 
chaux sont morts, moins deux, le vieux Bcllisle, 
hors d'âge, et le fat Richelieu, un jeune homme de 
cinquante-cinq ans (fort de deux anecdotes, son 
faux exploit de Fonlenoy, el la cheminée fausse de 
M'' laPopelinière). Les ministres! où sont-ils? Le 
goutteux Argenson, et Hachault fort en baisse, 
dureront peu. Nos finances m extremis sont aux 

Douze, bv Google 



(1758) — S*2 — 

mains d'an pauvre incapaUe, Ne voyant riea 
qu'impasses ; abîmes et précipices, il cuisulte 
tout le monde. II est docile, et pràt à touti On toi 
donne des petits avis, des cecettes mîsâ^ables. Les 
Paris lui font jlaire uu petit changement dans la 
Ferme (eai supprimant les sous-fermiers) . D'autres 
lui font pressurer les commis, dire à l'einployér 
« Donne ou meurs. » Puis, il fait des loterie. 
Puis rêve des utopies qui-donnerai^it Targenl dans 
cinquante ans. il écoute Goumay, goûte la liberté 
du commerce (c'est bien de cda qu'il s^agitl). Il 
pense aux protestants ; c'est lard ; les réfugiés 
riches ne reviendront pas de Hollande. — Il se 
souvient de Law... S'il faisait un pafiier?... — ïl 
ne fait rien du tout. Pleine giiérre ! et Pépée dans 
les reins! 11 veut emprunta, et la banque, de 
tout pays ferme ses "éolîres. Aleffs le misérable 
s'en prend au peuplé de Paris et lui ôte le pain de 
la bouche , frappe un octroi cruel... — Stm cœur 
saigne, il se trouble, son cerveau dans Yéiau 
n'en peut plus.... son liront craque.... 11 fôt de- 
■çenu fou (2 mars 1756); 

a Sire, dit la Pompàdoiir, si Vous rappeliez 
Chauvelin ? » Insigne Ëiussetë. L'el^)emi de l'Au- 
triche rappelé pour servir l'Autriche! ESle savait 
fort bien que c'était l'impossible. 

Elle n'eût jamais mis RichcHeu aux années si 
Ghoiseul (par conséquent Vienne) ne le lui avait 



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-T- 345 — (11M) 

conseillé, OD peut dire (adonné. Il l^i fut imposé 
aussi par Duverney, que Richelieu flattait. 

Il fut arrangé qtie, pendaot que TAugieterre 
craignait une descente, Richelieu irait à Mimr^ie 
et prendrait aux Anglais Hahon. Il fallait frapper 
vite et fort. On ne pouvait que les flottes anglaises 
ne vinssent bientôt nous écraser par le nombre. 
Mahon était très-fort, et la Pompadour espérait 
que Richelieu brillerait peu. On l'envoya sans le 
génie, si nécessaire pour abréger le siège. Peut- 
être lui-même il pensa que, s'il avait l'infaillible 
.Yallière, le grand ingénieur, l'honneur serait à 
celui-ci. Bref, une fois arrivé là, même débarrassé 
du souci de la flotte anglaise que la Galissonnière 
dispersa (le 20 mai), il fut arrêté court, forcé de 
demander Vallière. Eu attendant, fort triste, il 
essaya pourtant si l'absurde serait possible, si 
nos lestes Français, vrais chats dans leur furie, 
ne pourraient grimper là. Ou le tenta à l'étourdie, 
avec des échelles trop courtes. Perte énorme 1 
n'importe. Nos furieux,, exhaussés sur leurs 
morts, et se hissant l'un Fautre, arrivent aux 
remparts, et sont maîtres sur quelquespoints. Les 
assiégés s'effrayent, se livrent à Richelieu, lui- 
même stupéfait et plus heureux que sage. 

L'effet fut grand en France. On vit le roi vain- 
queur, même sur mer, la flotte anglaise en fuite. 
Gela tuait la résistance. L'impôt, légal ou illégal, 

Douze, bv Google 



(11H) — 544 — 

fut lrès-«xactement payé. Le Roi put à son aise 
fouler aux pieds le Parlement. 

L'insolence monta au comble après Mahon. 
Dans un lit de justice, devant le Parlement, on 
enregistre, avec les impôts refusés, l'a^ravation 
désespéranle qu'on les payera encore dix ans 
après la paix. Autrement dit toujmrs (24 août 
1756). Dans une tribune faite exprès, on voyait 
derrière une gaze M"* Adélaïde (avec la reine et le 
dauphin), à qui le Roi avait voulu faire voir son 
triomphe sur le Parlement. 

Il est étrange à dire, mais vrai, que le seul dé- 
fenseur de la liberté en ce monde était alors le 
roi de Prusse. Il défendait au moins et les droits 
de l'Empire, et le protestantisme, la liherlé de 
conscience. 11 avait jeté loin de lui ses misérables 
petitesses d'homme de lettres, fait réparation à 
Voltaire à sa façon, en musicien (il fil Mérope 
en opéra), et il lui envoya sa sœur qui le caressa, 
le combla. Dans le péril immense qu'il voyait 
tout autour, cet homme singulier montra la joie 
des forts, une bonne humeur héroïque. Le jour 
même oij Versailles était bouffi de sa victoire ri- 
dicule sur le Parlement, Frédéric est en Saxe, il 
y joue avec cent mille hommes une amusante 
pièce, où sur le dos d'Auguste , le père de la 
Dauphine, il donne aux nôtres même une volée 
de coups de bâton. 

DiailizccbyGoOgle 



— 345 — [I7M) 

Une ligue générale des femmes existait contre 
lui. Avec Marie-Thérèse, Élizabelh, la Pompa- 
(lour, était unie élroilement la femme du Saxon 
Auguste, la mère de la Dauphine. Celte furie, 
laide autant que haineuse, était une Autrichienne, 
haïssait Frédéric à mort, et lui cherchait partout 
des ennemis. Il le savait. Il avait acheté d'un 
commis saxon le traité dans lequel la Saxe, 
l'Autriche, la Russie, se partageraient la Prusse 
(H^zb&'g, Dovet'). Il le prévint. En Saxe, le 
peuple était pour lui, et comme protestant, et par 
reconnaissance, pour les blés qu'il avait donnés 
dans la famine. Le 29 août, il demanda à Auguste 
seulement le passage. Refusé, il passe et prend 
Dresde (en dépôt, disait-il). Il bat les Autrichiens 
qui arrivent au secours. Il pourrait prendre Au- 
guste, ne daigne. Il le nourrit. Chaque jour un 
chariot va au camp de Pirna pour la table du 
Roi. L'armée saxonne, obligée de se rendre, entre 
dans l'armée prussienne. Au misérable Auguste 
qui n'a plus que deux hommes, Frédéric galam- 
ment renvoie les étendards, lui écrit en ami ses 
vœux pour son heureux voyage. « Mais rendez- 
« moi mes gardes, dit Auguste. — « Je ne veux 
« pas avoir bientôt à les reprendre. » — « Du 
moins un passeport. » Frédéric le lui donne, et 
lui offre des chevaux de poste. 

La reine était restée dans Dresde, comblée 

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(n«) — 346 — 

d'yards par Frédéric et enrageant. Elle craignait 
surtout qu'il n'y prît les pièces honteuses qui 
constataient leur perfidie. Elle lutta, s'assit sur 
le coffre oii elles étaient. II fallut bien la faire 
lever de force, . prendre dessous l'ordure dij^o- 
matique que Frédéric fit connaître partout. Elle 
crera de colère impuissante. Cependant Frédéric 
de son mieux tondait les Saxons, du reste ajEfikfole à 
tous, exact au prêche, bon protestant, tenant.conr 
et donnant des fêtes.. Le plus original, c!est quç, 
dans cet hiver où tout le monde s'armait contre 
lui, il régalait Dresde de concerts, y figurait lui- 
même, nouvel Orphée, apprivoisant la Saxe,. non 
pas avec la lyre, maisl^ flûte, sur laquelle il avait 
un joli talent. 

Notre Daupbine, une Allemangle grasse, fé- 
conde, vraie femme de la maison de Saxe, toute en 
chair, en nature, en seqsïhilité, eut un déborde- 
ment effroyable de larmes, quïud elle sut l'ayenr 
ture de sa mère, assise sur ce coffre, le défen- 
dant en vain, touchée de l'ennemi. Outrage 
incroyable, inoui, aux Majestés royales! Tous les 
rois de ^Europe devaient prendre, parti, combien 
plus la maison de France, insultée en l'aïeule de 
ce gros nourrisson (qui régnera, c'est Louis XVI), 
Le Hoi y fat sensible et se sentit blessé. Après 
le succès de Minorque, en plein triomphe, rece- 
voir un tel coup I Notre guerre avec rAngleterre 

Douze. bvGoogle 



— 547 — {t7M> 

fiit ea quelque sorte oubliée. On ne songea plus 
qu'à la Prusse. Ce n'est plus 24,000 hommes 
qu'on donnera contre elle, mais 45,000, cent 
mille! On décida deux choses dans celte ivresse 
de colère, la guerre continentale, et le renver- 
sement d& l'obstacle intérieur qui Ifentravait, le 
Parlement. 

Victoire définitive et de l'Autriche et du clergé I 
L'intrigue que l'Autriche pousse depuis 1748 
aboutit et triomphe, elle entraîne la France et 
s'en sert. La trame par laquelle le clergé a sauvé 
ses biens, par un succès plus grand, le rend in- 
dépendant de la censure laïque, de la justice de 
l'Ëtat. Girard ne sera plus devant un Parlement 
interrogé pour la Gadière. ' 

Le 13 décembre 1757, par un temps beau et 
froid, tendu,^ un grand appareil militaire occupe 
Paris silencieux. Pour ta première fois, le Parle- 
ment lui-même ne dresse pas le Lit de justice. 
11 refuse de coopérer an meurtre de la Loi. Ce 
sont les ouvriers du tyran qui ont envahi le 
Palais et tout préparé. 

Le tyran, c'est le mot nouveau qu'on échange 
à Toix basse. 

Depuis six mois et plus, on avait suspendu 
sur les Parl^nentaires l'épée de Damoclès, l'an- 
nonce d'une grande suppression de charges, qui 
Temboursées presque pour rien mettraient la plu- 

Diailizc^bv Google 



;17M _ 548 — 

part à ranmône. TeiTorisme très-lâche qui spé- 
culait sur les donlenrs de la famille, la faiblesse 
du père, la mère désespérée en voyant ruin^ 
ses enfants. 

Deux chambres des enquêtes sont effective- 
œent supprimées et plus de soixante conseillers. 
Le Parlement est mutilé en la partie active, ar- 
dente aux remontrances politiques, aux accu- 
sations du clergé. Celui-ci n'ayant plus d'enquête 
à craindre, peut se tranquilliser. 

Maintenant, au Parlement eunuque et énervé 
que va-t-on ordonner? 

1° SOUMISSION AU Pape. — Un bref conciliant est 
arrivé de Rome qui limite les refus de sacrements, 
mais en maintient le droit. Toute, affaire de ce 
genre ira aux seuls juges d'Église. Le Boi, quoi- 
qu'il désire le silence, déclare que les évêques 
peuvent dire ce qu'ils veulent, « s'ils le disent 
avec charité » {Is. Lois, xxii, 269.) 

2° SOUMISSION AU Roi. — Le Parlement, désor- 
mais simple scrihc, enregistre aussitôt que le 
Roi a écouté ses remontrances. Remontrances 
illusoires. Le faux Parlement de Versailles, le 
Grand Conseil, a sa part de ce droit, joue aussi 
cette comédie. 

Les jeunes conseillers ne volent plus, s'ils 
n'ont jugé dix ans. Les vieux conseillers de 
Grand'Chambre usés, timides, les têtes tremblo- 

DolizccbvGoOglc 



— 549 — (iicse) 

tantes, peuvent seuls décider s'il y aura assem- 
blée générale. C'est là le coup mortel. Un corps 
non assemblé, dispersé, existera-t-il ? 

Morta Ui bestia. — Le Parlement ne remue 
plus. Le clergé peut danser autour. Plus d'EiP- 
quêtes, plus de surveillance sur ses mœurs, plus 
d'accusation. Mais si, par impossible, un cas se 
présentait oii l'on dût faire semblant d'examiner 
et de juger, on doit se rassurer, on fera juger ces 
vieillards de la Grand'Chambre, intéressés à 
plaire, pour monter dans les sièges mieux rem- 
bourrés de présidents. 

Cette Grand'Gbambre monti'a tout de suite 
combien elle était digne de la coniiance de la 
cour, combien elle avait peu à cœur l'honneur 
du Parlement. Elle alla pleurer à Vei*sailles, s'a- 
platir, lécher la poussière au nom de ce grand 
corps qui ne l'en chargeait pas, demander par- 
don, crier : « Grâce I » 

Cela enfonce le poignard. «Le peuple est en 
rage muette. » {Arg. 315.) 

Que la justice outragée, égot^ée, demandât 
grâce encore, c'était l'horreur, c'était le crime. 
La risée s'y joignait. L'agréable sourire qu'avait 
montré le Roi, revenant de l'exécution, suivant 
lentement, comme au sacre, l'épaisse haie de 
ses régiments, ce fut comme un cruel défi. 



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CHAPITRE XXL 



Damieiu. Janvier-Har» 1757. 



Janvier 1757 s'ouvrit par un grand froid et qui 
alla croissant. Les nouveaux droits d'entrée firent 
les denrées très-chères. On vendait ses meubles 
pour vivre (Procès de Damiens.) Des veuves af- 
famées vendaient leurs filles au Parc-aux-cerfs. 
{Hausset, 109.) 

Tout l'biver on levait des troupes, et l'on allait 
fournir cent mille honunes à Marie-Thérèse. Après 
avoir menti deux ans pour le Clergé, le Roi ment 
un an pour l'Autriche. 11 promet vingt mille hom- 
mes, il en donne cent mille. 

Et cela malgré les ministres. Les deux minis- 
tres opposés ici se rapprochèrent. Machault avait 
toujours été contre l'Autriche, et d'Argenson fui 



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— 351 — {1757 

contre aussi {Barb., VI, 472), quand il vit qu'on 
donnait, non un petit secours , mais une armée 
énorme et d'énormes subsides, le sang, l'argent, 
et tont, la France ! > 

C'est aujourd'hui plus clair que le soleil. Alors, 
sans démêler ta conspiration de famille, sans sa- 
voir que le Roi nous ' vend ' pour l'oi^ueif de 
ses filles, on entrevoit fort bien que ni l'un ni 
l'autre ministre n'est accxisable. Le traître, c'est 
le Roi. - 

C'est à lui désormais que remonte la haine, et 
sa t^ dès lors est en jeu. 

Pès 1750, il le prévit, dit : « Je serai tué. » 
Autant qu'il put, il évita Paris, fit le diemin de la 
BéuoUe. 

C'est alors qu'en ses lettres fort sombres, 
l'homme aux mille projets, Duvemey, fait en- 
tendre qu'on ne peut plus s'appuyer que sur la 
noblesse, une noblesse élevée exprès, qu'il faut 
créer VÊcde mUUaire, la pépinière des défen- 
seurs du Roi. Il y faut de vrais nobles qui prou- 
vent au moins quatre quartiers. Adélaïde, trem- 
blant toujours pour la vie de sou père, prit 
cela fort à cœur. On en vint jusqu'à l'ordon- 
nanœ gothique de 1760 : « qu'on n'appro- 
chera plus du Roi sans prouver qu'on est noble 
depuis 1400. » 

Tant on a peur du peuple ! Le Roi aimait si peu 



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(!Î57) — 552 — 

à le voir, à Je reoconlrer, qu'il évitait même Fou- 
tainebleau ; il fît faire un chemin exprès pour ne 
plus traverser celte petite ville de cour. 

En fermant le Palais, il avait lâché tout un 
monde d'oisifs et de parleurs, de gens ulcérés, 
ruinés. Plus de procès privés. Mais aux Pas-Per- 
dus, aux cafés, aux coins de rues, sur chaque 
borne^ commence le grand procès du Roi. 

Deux légendes terribles, mêlées de faux, de 
vrai, entraient dans ce procès, menaient droit 
à 93: 

1° Le Pacte de famine. Le Roi certainement 
n'eut point l'idée, le plan arrêté d'affamer îe peu- 
ple, de Tirriter, de l'armer contre lui. Mais il était 
marchand, il avait intérêt (avec Bourret et autres) 
dans le trafic des blés, et, comme tout marchand, 
aimait à vendre cher. 

2° Le Pare-aux-cerfs. Plus les vivres sont 
chers, mieux le Roi vend son blé, disait-on, plus 
il a des filles à bon marché. On supposait que cet 
homme (fort usé, surtout par la table) avait besoin 
d'un immense sérail, de grands troupeaux de fil- 
les. Pas moins de dix-huit cents, dit ridiculement 
Soulavie. 

Voici la vérité : Le Roi ayant Madame aux fa- 
meux cabinets (déc. 1755), n'étant plus tout à 
fait chez lui, fut obligé de mettre sa ménagerie fé- 
minine (les modëes et la perruquière, etc.) aux 

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— S5S — {HM) 

combles de Touilles. Ces grisclles efrrontées et 
folâtres faisaient plus de bruit que des rats. La 
Pompadour, arec une décence, une pudeur vrai- 
meul dignes d'elle, imagina une chose Irès-noble, 
un couvenl de jeunes veuves, veuves d'officiers 
morts pour le Roi I (Àryenson) qui serviraient à 
ses plaisirs. Et elle eût lait cette infamie, si son ' 
neveu Lugeac et le valet Lebel, qui auraient trop 
perdu, n'eussent préféré et préparé une petite 
maison, bien peUle, secrète, honteuse, qu'on 
acheta dans le quartier nommé le Parc-aux-cerf? 
(25 novembre 1756). 

Mais le Roi aimait peu les rues désertes, 
surtout aux nuits d*hiver. En février 1756, du 
Parc- aux -cerfs on lui mena dans sa propre 
chambre à coucher une petite vierge de quinze 
ans. Amenée brusquement sans qu'on eût pris 
la peine de la corrompre et de Tendoctriner, la 
pauvre enfant eut peur, horreur, se défendit. 

Le Roi avait quarante-sept ans. Ses excès de 
vin, de mangeaille, lui avaient fait un teint de 
plomb. La bouche crapuleuse dénonçait plus 
que le vice , le goût du vil , l'ai^ot des petites 
canailles, qu'il aimait à parler. 11 le portait chez 
ses Gtles, si fières, leur donnant en cette langue 
des sobriquets étranges (Loque, ou petit chiffon, 
Coche, etc.) On peut juger par là des égari's 
qu'il avait pour des enfants vendues. 



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(Ï751) — 55* — 

If n'était pas cmel^ mais mortellement sec, 
haulain, impertinent. Et il eût cassé ses jouets. 
C'était un personnage funèbre au Tond, il parlait 
Tolonliers d'enterrement, et si on Ini disait : 
« Un tel a nne jambe cassée, » il se mettait à 
rire. Sa Ëtce était d'un croque-mort. Dans ses 
portraits d'alors, Tceil gris, terne, vitreux, fait 
peur. C'est d'un animal à sang froid. Hécbant? 
Non, mais impitoyable. C'est le néant, le vide, 
un vide insatiable, et par là très-sauvage. Devant . 
ce monsieur blême, l'enfant eut peur, se sentit 
une proie. 11 n'eut nulle bonté, nulle douceur, 
s'acharna en chasseur à ce pauvre gibier hu- 
main. Gela dura longtemps, et tant, qu'il en- 
rhuma (Arg. février 1756, IV, 266). Tout fut 
entendu et public. La cour tâcha de rire; Paris 
fiit indigné. El les mères cachaient leurs en- 
fants. 

Beaucoup, en Europe et en France, disaient : 
« On le tuera. » 

Dans la cour du Palais, quand il revînt, les 
poissardes disaient (et redirent): « Il y aura une 
saignée. » 

Et d'autres : « Il faut une saignée en France. » 

D'autres allaient plus loin, disaient : « il faut 
une révolution , comme celle qui se fît il y a 
cent-cjnquante ans. » 

« Seulement plus radicale, avec la totale exlinc- 



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— 555 — (1157) 

tion de la maison de Bourbon. » (Procès de Da- 
miens, p. 82, 83, 84, 98, 106, HO, 115, 
176). 

Cela se dit jusque dans les couvents. Les 
jansénistes (depuis l'inceste des quatre Nesle, 
celui des deux Murphy, surtout depuis le 27 dé- 
cembre) croyaient voir sur Versailles tomber le 
feu dû ciel. Dans la ctmimunauté janséniste de 
Saint-Joseph, l'avant-TeiUe des Rois 1757, une 
enfant de douze ans, sans doute répétant ce 
^'on disait entre religieuses, dit aussi : « 11 
sera tué. » 

Par qui ? Celait la question. 

Quand le Roi s'entendit avec les hauts chefs 
du Clergé pour amusra* le Parlement, le bas- 
clergé qui n'était pas dans le secret, s'irrita 
fort , cria. On eut peur à Vei^ailles de voir un 
Jacques Clément; on ne laissait entrer aucun 
abbé. 

Mais qui finalement fut vainqueur? le Clergé. 
Qui garda ses biens? le Clei^é. Qui fut ruiné? 
le Parlement. Là étaient les désespérés, les meur- 
triers probables, les parlementaires ou leurs 
gens. Ce fut un de leurs gens qui frappa 
Louis XV. 

L'hislofre des domestiques est une grande 
alTaire en ce siècle. 

Entre les classes, la plus dangereuse, à coup 

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(1ÏS7) — 556 — 

sûr , c'était celle-là. On n'avait oublié rien 
pour les ravaler et les intimider. En vain. On 
ne put pas arrêter leur essor. On disait plai- 
samment des laquais : « C'est un corps de 
noblesse préparé pour suppléer l'autre. » De 
Grozat, laquais-roi de la Louisiane , le siècle, 
par Jean-Jacques, va droit à Figaro. 

Ils ont vu et appris. Ils ont vu au Système 
monter, descendre les fortunes. Ils se sont vus 
eux-mêmes, du comptoir, du ruisseau de la rue 
Quincampoix, sauter d'un bond aux Fermes géné- 
rales. Des hasards de bassesse souvent les éle- 
vaient. L'un naquit d'uu soufflet, l'aube d'un 
coup de pied. Ce coup bien appliqué vous lance im 
petit domestique de Golbert le prélat au grand 
Colbert, qui le fera commis, caissier, traitant, fer- 
mier, millionnaire. 

Nul milieu dans leur sort : ou comblés, ou 
brisés, favoris ou souffre-douleurs (on en voit 
quelque chose dans Rousseau et la Delaunay). 
Leur sort, au diï-huitième siècle, s'est aggravé 
sous un l'apport. On ne 1^ veut plus maiiés 
(voir Melon). Ce siècle, si sociable, devient pour 
eux l'élat sauvage. D'ennui, d'oisiveté, plusieurs 
deviendront fous. Dans le petit trou noir où 
couche la femme de chambre {SteuU), d'oiî elle 
entend et voit l'excès des libertés, on peut croire 
que la servitude fut bien sentie, que fut rêvé, 

DolizccbvGoOglc 



— 557 — («5T1 

couvé bien souvent le Discours sur l'inégalité, 
les mots que Pascal et Rousseau lancent contre 
la propriété. Cela se traduisait par le vol domes- 
tique, leur maladie commune. 

Guerre à l'autorité, c'est toute la pensée des 
laquais. Portant l'épée comme les gentils- 
hommes, ils ont leurs rixes, se battent en atten- 
dant aux portes des théâtres. Rien de plus 
mobile que ce peuple. Sous la Régence, ils se 
plaignent de ce qu'on les exclut de la milice. 
Sous Fleury, ils se plaignent de ce que l'on veut 
qu'ils en soient (1742), et ils parviennent à se 
faire exempter. On se moque de leur épée; et 
d'autant plus, ils aiment à dégainer. En 1750, 
aux razzias d'enfants, ils tirèrent l'épée pour le 
peuple. On put prévoir qu'un jour ils tireraient 
aussi le poignard. 

Celui qui le tira, Damiens, élait d'Ârras. Cette 
frontière Wallone et Picarde n'est point !du tout 
flamande. Au contraire. Les Wallons sont plus 
midi que le midi. Ils donnaient à l'Espagne ses plus 
impétueux soldats. Ils donnèrent à la France de 
chaleureux artistes (les Watteau, les Valmore, 
les Foy, les Camille DesmouHns). Us oat donné, 
par contre, des lêles souvent étroites et dures, 
fortes, âprement systématiques, les Calvin et les 
Robespierre. L'Artois spécialement est marqué 
dans ce sens. Outre un grand mélange espagnol. 

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{tnt) _ 358 ~ 

]es séminaires d'Irlande y ont laissé leur trace, 
la grande inacl)ine r^tdde, terrible au temps 
d'Elisabeth. C'est la garde avancée des jésuites 
contre l'Angleterre. Là fut a^isé le poignard des 
amis de Marie Stuart, là plus d'un siècle travail' 
lèrest les écoles de l'assassinat. 

A câté des jésuites, chez ce peuple dévot, ne 
manquaient pas les jansénistes. Le frère aîné de 
Damiens, pauvre ouvrier en laine, honnête, 
homme de bien^ était un fervent janséniste^ 
n'ayant pour meubles que des livres, livres de 
piété. Damiens lui-même fut longtonps très-dé- 
vot, entendant tous les jpurs la .messe. (Je tire 
tout ce qui suit mot à mot du Procès). 

Sa figure aisément l'eût fait prendre pour un 
espagnol. Il avait la peau assez brune (p. 350), 
les cheveux noirs, frisés (250), et volontiers cou- 
pés sur le devant en vergettes très-rases (350). 
Son visage allongé, marqué de petite vérole, le 
dessous de la lèvre inférieure très-creusé, un 
nez d'aigle et des yeux profonds, faisaient une 
figure disdnguée, belle {Àrgmson), tr^^que. II 
était grand (cinq pieds cinq pouces), mais pa- 
raissait très-grand, étant mince et fort élancé. II 
portait la tête un peu basse. Il n'était pas campé 
bien solidement sur ses jambes. Avec des yeux 
hardis, il était pourtant vacillant. 

Sa famille de bons fermiers d'auprès d'Arras 

Douze. bvGoogle 



— 359 — (1151) 

élait fort eo débine. Son père, de cbûte en chute, 
devint, de fermier, ménage, puis misà>able mois- 
sonneur, et enfin ^rtier de pnson. II avait dix 
enfants qui mounirent presque tous. Le seoond, 
Damiens, petit diaUe indomptaUe (et qu'oa. 
nommait ainsi) jusqu'à seize ans travaillait à 
la ferme, cruelleisiient battu de son père, qui, 
dans ses récidives, ^lait jusqu'à le pendre par 
les pieds, la tête en ^s. Un oncle , cabaretier à 
Béthune, eut pitié de l'enfant, le prit, voulut le 
faire étudier. A sdze aps , c'était tard. U apprit 
à lire, à écrire, mais peu et mal. S'il devint cul- 
tivé, ce fut par l'erpérience seule, la conversation, 
les voyages. Qu'en faire?: On eût voulu le làire 
p^ruquier, serrurier. On essaya aussi de lui 
faire apprendre la cuisine dans une grasse ab- 
baye, Saint-Vast. Un matin, il s'engage, et quoi- 
que racheté par son bon oncle, il reste domes- 
tique d'un offîcier avec qui il voyage quatre ans 
dans la guerre d'Allemi^ne (124). Il y put voir 
l'horreur du retour meurtrier de Prague. 

Né en 1715, à la fin de la guerre, eu 1737, 
il avait vingt-deux ans. U resta! domestique, chan- 
geant souvent de maître et n'étant biai nulle 
part. H<mnête cependant et désintà^ssé^ à ce 
point qu'il partait souvent sans demander ses 
gages (32). 

Les témoignages de ses maîtres (M. de Ma- 

DolizccbvGoOglc 



(1 BTj — 360 — 

ndor, W^ de ]a Bourdonnaie, la maréchale de 
Montmorency, elc.) sonl excellents. II n'avait 
aucun vice ordinaire des laquais; seulement il 
buvait; quoiqu'il bât sans eicès, alors il élail 
disputeur. (Déposition de M. de Mandw). 

Il avait quelque temps servi chez les Jésuites, 
au collée Louis-k -Grand, où un de ses oncles 
était mattre d'hôtel. Il y resta quatre ans. Les Jé- 
suites voulaient « le mettre à l'eau » (lui refusaient 
le vin). Il sortit. Cependant, comme bon sujet, ils 
le reprirent, le mirent diez un élève qui avait 
chambre àpart. Il ne put y rester, s'étant brouillé 
avec le précepteur. 

Il resta estimé, protégé des Jésuites qui parfois 
le placèrent. Cependant il avait fait preuve d'une 
grande liberté d'esprit, s' exprimant sans ménage- 
gement « sur leurs doctrine relâchées, qui sen- 
taient le libertinage » (p. 445, n" 305). Il affirma 
toujonrs qu'il ne servit chez eux que malgré Un, 
par nécessité de gagner son pain ( p. 242 , 
n' 266). 

Son austérité naturelle et ses traditions jansé- 
nistes le portaient beaucoup plus du côté des Par- 
lementaires, n en servit plusieurs, surtout M. Bèze 
de Lys, pendant trois ans. Gelui-ct est un de& hé- 
ros de la petite, intrépide minorité, politique plus 
que janséniste, et déjà révolutionnaire, qui frappa 
au cœur la royauté par la dispute des Lettres de 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 561 — («ft-rf 

cachet^ la question (première et capitale) de la li- 
berté personnelle. Dans l'enlèvement général du 
Parlement (en mai 1753), H. Bèze eut cette dis- 
tinction d'être des quatre que l'on n'exila pas, 
mais qu'on mit aux plus rudes prisons d'État. 
Nulle n'était plus dure et plus sombre que 
Pierre-en-Cise près Lyon oiî on le conduisit 
(Barb. V, 585). Damiens était le seul domes- 
tique de M. Bèze. Il vil de près cet acte, cette 
désolation des familles, les femmes en pleurs 
tâchant de suivre leurs maris dans ce coûteux 
exil, et à Paris le monde du Palais ruiné. Il de- 
vint ardemment et violemment parlementaire. 
Il échappait souvent de chez ses maîtres pour aller 
au Palais le soir, la nuit, attendre aux jours de 
crise la tin des délibérations (528). 11 errait dans 
les groupes où on lisait tout haut la Gazette de 
France (147). 

Les deux partis étaient très-irrités. Damiens 
entendit avec horreur, comme il servait à table 
chez un sorboniste jésuiste, les convives dire 
qu'ils voudraient être les bourreaux des Parlemen- 
taires, et tremper les mains dans leur sang (136). 
Deux jansénistes d'autre part parlaient de tuer 
l'archevêque (Bar&ter). Damiens voulait qu'on le 
ji^eât. Avec l'ordre du Parlement, il se faisait 
fort, disait-il, d'aller arrêter le prélat. On aurait 
trouvé deux cents hommes bien aisément pour 

Douze, bv Google 



(I15T1 _ 562 — 

le men^ à la conciergerie. (143, n" ^7, 388). 

Quelque efibrt que l'oa fit pour croire le Roi 
trompé, on savait bien la hahie qu'il avait pour 
)^ robe. La cour savait Ini plaire quand, à Ver- 
sailles^ les croisées se peuplaient de visages mo- 
queurs à l'arrivée du Parlement, au débarqué 
«c des singes » en robes rouges. Damions était 
avec son nu^tre H. Bèze, au jour où, 1ë Parle- 
ment arrivant, le Roi sortit, dit qu*il allait dîner 
à la Muette, se fit attendre tout le jour. Il vit 
les magistrats seuls, affamés, errer au château 
et au parc. Un courtisan humain eut honte de 
cette indignité. Il fit excuse pour son compte, 
fit chercher, apporter quelques vivres trouvés par 
bonheur. 

On eût dit qu'un hasard terrible menait Da- 
mions partout où l'on pouvait amasser la colère. 
Resté seul sur le pavé, quand son . maître fut 
arrêté, il trouva place justement dans la mai- 
son,et la plus digne, et la plus maltraitée , cdle 
de l'ex^ouvemeur de l'Inde, La. Bourdonnaie. 
Douloureuse Iliade! trop longue pour la conter 
ici. Qu'il suifise de dire que ce grand homme, 
puni de ses victoires, disgracié, prisonnier de 
guerre, dès qu'il apprit à Londres qu'on avait 
l'infamie de faire son procès à Paris, obtint de 
revenir, de venir voir si on lui couperait la tête. 
On fit pis. On le tint trois ans à la Bastille, et on 

Douze. bvGoogle 



— 565 — (I15Î) 

le lâcha mort, mouraot du moins, miné et de 
santé et de fortune. Il mourut de chagrin et du 
déshonneur de la France (10 bov. 1753). 

lia mort de celte grande et illustre victime criait 
contre le ciel, et Damien^ parut le sentir. Pen- 
dant la maladie , il se montra zélé. Il s'échap- 
pait à peine pour aller à dieux pas s'informer 
des nouvelles « à la terrasse du Lulcembourg. » 
Sa préoccupation des affaires politiques était visi-^ 
blement extrême. II ne resta pas'chez la veuve, 
qui eût voulu le retenir (185-1^4). Que devint-il? 
Ce qu'on en sait alors, c'est qu'il écrivit à quel- 
qu'un une lettre contre le despotisme (Barb., 
VI, 481). 

Pendant deux ans, je perds sa trace. Quelques 
mots seulement font croire qu'il s'affranchit, 
qu'il vécut des petits métiers de Paris. Quelqu'un 
dit l'avoir vu colporter des manchettes, vendre au 
Pont Neuf des pierres àd^raisser. Il était là au 
gcand passage, à portée de savoir les nouvelles, 
près du Palais, au centre de l'agitation parisienne. 

L'idée de tous ^it qu'on devrait avertir le 
Roi. Mais comment? Le pauvre janséniste Carré. 
de Mon^erou s'était bien mal Uvuvé de l'avoir 
essayé. Pour un livre offert à genoux, mis dans 
un cachot pour toujours ! On avait dit alors : 
« Si le roi n'est touché d'un livre, Dieu le 
ioudtem autrement. » 

Douze, bv Google 



(«57) - 5M — 

Personne cependant n'eût touIu le toucher à 
mort, pour avoir à la place un autre pire, dange- 
reux personnage, frès-propre à faire un fou. 
On eût voulu non que le roi mourût, mais fût 
ou malade ou blessé, qu'il se souvînt de Dieu, de 
ses devoirs , qu'il se dit , comme à Metz : J'ai 
péché, j'ai mal gouverné I » Mais qu'il le dit sé- 
rieusement. Qui le ferait rentrer en lui? Qui se 
constituerait le bras de Dieu pour le Irapper? 
lui donnerait le coup dont le corps saignerait 
et dont guérirait l'âme? Damiens se dit en lui : 
« C'est moi. » 

n se le dit trois fois ; à l'enlèvement du Parle- 
ment, en mai 1755, — en mai 1756, au traité 
autrichien, — en décembre de la même année, 
lorsque, le Parlement décidément brisé, on crut 
la tyrannie établie pour toujours. 

Hais, on l'a vu, il y eut un entr'acte. Pendant 
vingt mois et plus (1754-1755), le roi amusa le 
public. Damiens se calma, ajourna. Cette détente 
eut l'effet ordinaire. Après la grande exaltation, 
la nature se relâche, souvent tombe assez bas. 
Jusque-là, il était (au témoignage de ses maî- 
tres), un rare laquais, exempt de tous les vices 
de sa clasfie. Dès vingt ans, il s'était rangé et 
marié, épousant en secret une femme beaucoup 
plus l^ée et il en avait une fille. Elle était cuisi- 
nière , et tous deux se faisant passer pour non 

Douze. bvGoogle 



— 565 — {IT87) 

maiiés , il la voyait forl peu ; beaucoup plus une 
femme de chambre ayec qui il avait servi. II por- 
tait cependant parfois de l'aident à sa fernine pour 
l'aider à nourrir l'enfant. 

Dans la misère croissante (sept. 1755), son 
commerce en plein vent dut manquer tout à fait. 
Il se refit laquais. On le plaça dans l'hôtel équi- 
voque d'une belle dame à la mode. Il avait élé 
jusque-là, pour pai^er en slyle parisien, homme 
de la rive gaudie, des vieux quartiers rangés. 
Cette fois, transplanté à la rive droite, aux bou- 
levards, à la me Grange-Batelière, il vit un nou- 
veau monde. La dame, avec un nom très-aristo- 
cratique, était une petite femme de commis. On ne 
voyait pas le mari qui, prudenunent, se tenait à 
Versailles, dans sa vie d'humble plumitif. Mais 
on voyait son chef, le brillant joufllu Marigny, 
frère de la Pompadour, qui avait enlevé la belle 
au quatrième jour de mariage, et venait sans 
façon rire, souper, coucher là. 

Maison joyeuse , quand tout était si triste. 
Étemel mardi gras. Celait juste ce qu'il fallait 
pour assombrir encore cet esprit sombre, lui ra- 
mener l'idée fatale. Il fit tache dans celle maison. 
Il y devint la bète noire. Il se tenait à part, ne 
parlant guère que seul, et marmotant tout bas, 
s'en allant au plus loin coucher dans un grenier. 

Laissa-t-il échapper quelque signe imprudent de 

Douze, bv Google 



(IKT) — 566 — 

mépris pour cette maison, pour l'entreteneur Ha- 
rigny? Ou ne sait. Hais il est certain qu'on le per- 
sécuta, qu'on le poussa à bout, qu'on 6t ce qu'il 
fatlait pour que, de maniaque, il fât fou tout à fait. 
La dame était menée par une femme de chambre 
.coSffense, une Henriette qui se mêlait de deviner 
et de prédire. Elle lui dit : « Tu seras pendu. On 
le voit hieaa aux lignes de ta main. » La dame 
écervelée se mit de la partie, Tonlut aussi re- 
.garder dans sa main, et elle y vit qu'il serait 
rompu vif. Un autre jour, du haut d'un escalier, 
jetant un panier ptein de bûches, elle dit; 
A Ramasse 1 ramasse!... C'est signe que lu sera 
brûlé. » 

Sa faible tête fut firappée. 11 dit dans le Pro- 
cès : « On me jeUt un sort. » Il jugea qu'il aurait 
un horrible martyre. Mais ce qui lui fiit plus 
cruel, c'est que, quittant cette maison, il en- 
tendit la haineuse Haariette, lui dire : « \as!... 
tu feras un vol I » 

Le coup porta comme en pleine poitrine. Il était 
sali, c'était fait ; sa destinée perdue. Ce fatal mot 
disait :« Tu ne seras point un martyr. ..Tu mour- 
ras dans la honte, et, tout en t'immolant, tu res- 
teras déshonoré I » Le trait entra, et il n'eut pas 
la force de le lui rejeter, de rire. Il la crut, il fut 
furieux, il sentit bien qu'il volerait... Il aurait 
voulu la tuer ! Il dit : « Je la tuerai !» Il ne lui fît 



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— 567 — imi) 

rien cependant. Seulement en partant, il jeta des 
piejTes dans les vitres. 

' Où en était Paris. La trahison d'Autriche, le 
\\(A de février, c'est ce qui sans doute occupait: 
Damiens n'y tenait pas. Sa main avait soif du 
couteau. D eut l'idée de fiiir loin de Paris et 
d'aller à Arras. Et d'ailleurs, dût-il faire le coup, 
il fallait avant tout qu'il r^ât ses affaires de fa- 
mille, ramassât poiu- sa fille ce qu'on lui redevait 
là-bas sur certaine succession. Comment faire 
le voyage. Il servait un M. Michel, n^ciant de 
Pétersboui^, de passage à Paris. Cet étranger, 
sans coffre-fort, avait son or dans un porte- 
feuille , simplement fermé de rubans. Nulle 
serrure à forcer. L'or était disponible. Quoi 
de plus aisé que d'en prendre pour le voyage, sauf 
à le remplacer avec l'argent d' Arras î Tel fut le 
conseil du démon qui le travaillait au dedans. 11 
dit, répète et jure avec persévérance qu'il prit seu- 
lement cent trente louis (p. 104, n"162; p. 556, 
n' 2). 11 y avait encore douze mille francs en or 
auxquels Damiens ne loucha pas. 

C'étaitle vol d'un maniaque. Il n'eût su à quoi 
dépenser. On ne voit pas qu'il ait joui ni profité en 
rien, sauf un habit et cent écns de laine qu'il 
acheta afm que son frère l'ouvrier travaillât à 
son compte. Mais ce frère, très-honnête, fut 
pénétré d'horreur quand une lettre d'un jeune 



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(lïSï) _ 568 — 

frère qu'ils avaient à Paris lui fit savoir que cet 
argent était volé. Damiens fut foudroyé. Il es- 
saya par trois fois du suicide : il se saigna , 
laissa couler son sang; il prit de l'arsenic; il 
alla à la mer, avec l'idée de s'y jeter. Hais son 
frère le gardait, ses parents le forçaient de vivre. 
Ils voulaient que plutôt il fît restitution. Pour 
qu'il en eût le temps, ils proposaient que lui- 
même se mit dans une maison de force. Il pleu- 
rait, s'y laissait mener comme un mouton. Mal- 
heureusement celte maison qui était un couvent 
ne voulut pas le recevoir. 

Alors, craignant toujours qu'il ne fût arrêté, 
ils le menèrent vers la frontière. Au moment d'y 
passer, la maréchaussée lui barre le passage, et il 
était happé, s'il n'avait donné cent écus. 

Son état était effroyable. Il se faisait saigner de 
mois en mois poiu" calmer son agitation. Hais les 
nouvelles de Paiis la ravivaient. LeConsummatum 
est, la fin des fins semblait arrivé, et par le 
Parlement brisé, et par les cent mille hommes 
qu'on livrait à l'Auiriche, et par le mariage autri- 
chien (Barbier) Damiens retourna à Paris. 

Il y mit quatre jours. Il arriva le soir du 51 dé- 
cembre. Son jeune frère, domestique d'un conseil- 
ler, le reçut durement. Sa femme qui était chez 
un négociant du quartier Saint-Mariin, lui fît meil- 
leur accueil, lui fît du feu, le coucha avec elle. 



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— 569 — (1157 

Elle était allée se jeter aux pieds du sieur Michel 
avec sa fille, et demander grâce pour lui. Celte 
fille, grande et jolie, mais boiteuse, était placée 
rue Saint Jacques chez un enlumineur, client et 
agent des jésuites. Elle y coloriait des découpures 
d'estampes (sotte mode d'alors pour détruire sou- 
vent des chefs-d'œuvre). Avertie, elle vint (l" jan- 
vier); elle lui demanda s'il lui apportait des étren- 
nes, puis n'en recevant pas, l'accabla de repro- 
ches. Il pleura, et reçut encore même semonce 
d'une ancienne amie, qui s'attendrit pourtant en 
le voyant abîmé de douleur. Elle se tira du cou 
une médaille de la Viei^e , la lui passa, en l'as- 
surant qu'avec cela il n'avait rien à craindre. Sa 
femme eût voulu le garder, mais elle n'était que 
cuisinière, et la femme de chambre lui avait repro- 
ché de l'avoir fait coucher à l'insu de ses maîtres. 

It avait dit aux siens : « J'irai parler au Roi. » 
Puis pour les rassurer : « Je m'en retourne en 
Flandre. » Il i>art le 5 janvier au soir. Ils le con- 
duisent à mi-chemin, à la Cité. Là adieu éternel. 

Il continue et soupe rue de la Comédie dans une 
auberge; mais à dix heures, on ferme et on le fait 
sortir. Il errait dans les rues, le froid était très-vif. 
Au coin de la rue de Condé une grosse et joyeuse 
fille l'appelle, le fait monter chez elle. Il y attend 
l'heure de partir, muet, immobile et lugubre. 
Enfin honteux de faire veiller pour rien la pauvre 

in. 24 

Douze, bv Google 



(«57) — 570 — 

créature, il part a^ant une heure, va aux voitures 
publiques, prend à lui seul un de ces méchants 
cabriolets qui menaient à Versailles. Il y arrive à 
trois heures du matin. 

II paya très-bien le cocher et pour le ré- 
chauffer de ce voyage dans une si froide nuit, 
il lui fit boire deux fois du ratafia, causa : « Je 
vais aux îles... dans telle lie... bien loin. Mais 
j'y serai pourtant dans vingt-quatre heures. » 

A l'auberge, il apprit que le Roi était à Trianon 
pour quelques jours. « Maudit Versailles I dit-il. 
On n'y trouve jamais ce qu'on veut. » H avait l'air 
fort égaré, et dit à son hôtesse : « Je me sens bien 
incommodé, madame. Ne pourrait-on me procurer 
un chirui^ien qui me saignât ? » Elle rit : « En 
effet, joli temps pour se faire saigner. » Au fait, il 
gelait à pierre fendre. 

Il se promenait dans le parc, sinistrement dé- 
sert, sans rencontrer autre personne qu'un pauvre 
diable d'inventeur qui avait trouvé une machine, 
voulait la montrer au comte de Noailles et pour 
cela guettait, comme Damiens, le retour du Roi. 
Il sut (sans doute par cet homme) que, Madame 
étant enrhumée, le Roi viendraitla voir (5 janvier) . 
Il l'attendit à la tombée du jour sous la voûte qui 
mène aujourd'hui au Musée. Damiens paraissait 
de sang-froid, causait avec les gardes, les postil- 
lons de la voiture qui était attelée, ce qui lui per- 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 571 — [1767) 

mettait de rester et de s'approcher. Il dit, voyant 
un garde qui cherchait son manchon, croyant 
l'avoir perdu : « Il cherche ici ce qu'il n'a pas 
laissé. » (265) Il n'avait pris aucune précaution et 
ne comptait point fuir. Il était fort recounaissable, 
surtout par une culotte rouge. Tout le monde avait 
le chapeau bas, lui seul le chapeau sur la tète. 

Le Roi descend appuyé sur le bras du grand- 
écuyer Béringhen (64). Il avance vers la voi- 
ture, se sent poussé, et dit « d'un ton doux, or- 
dinaire (76) : « On m'a poussé le dos. C'est cet 
ivrogne là qui m'a donné un coup de poing. » 

Damiensne bougeait pas. Personne n*avait vu 
■qu'il donnait un coup de canif; il le ferma, le 
remit dans sa poche. Son chapeau seul frappait. 
Un garde : « Qui est cet homme qui ne se dé- 
couvre pas devant le Roi? « Il lui jeté son cha- 
peau par terre (51, 76). 

Cependant, avant de monter, le Roi dit : 
« Est-ce qu'une épingle m'aurait piqué? » (151). 
11 mit la main sous ses habits, la relira moite 
«t sanglante. Puis, montrant Damiens qui ne bou- 
■geait, il dit : « C'est ce Monsieur. {Hausset).Qa' on 
l'arrête, qu'on ne le tue pas. » Puis il remonta 
l'escalier au lieu de se mettre en voiture. 

Un garde avait saisi Damiens, puis deux ou 
trois, et Richelieu, qui le secouèrent, le jetèrent 
contre un pilier , puis sur un banc, le lièrent, 

Douze. bvGoOgIf 



;n5T) — 372 ~ 

le Iraînèrenl à la salle des gardes. On lui arracha 

ses habits, et on le mit tout nu. 

Ayen (Noailles), capitaine des gardes, était là. 
Damiens lui dit avec grande assurance : « Oui, 
c'est moi ! Je l'ai fait pour Dieu et pour le 
peuple » (65). 

« C'est pour la religion. » — Qu'entendez- 
vous par là? — J'entends que le peuple périt. 
West-il pas vraij monsieur, que la France pé- 
rit? » (45). 

On insiste. On demande : « Quel principe de 
religion '? Mon principe, ce fut !a misère qui est 
auï trois quarts du royaume » (146). 

On lui trouva un petit livre (Prières et instruc- 
tions chrétiennes) que son frère le janséniste lui 
avait donné. Mais il avait refusé à Arras un con- 
fesseur janséniste (234), et il méprisait les jé- 
suites (145, 242), n'était d'aucun des deux partis 
religieux. Barbier a très-bien dit : « 11 est parle- 
mentaire plutôt que janséniste. 

Il avait un couteau-canif, des petits ciseaux 
et vingt-cinq louis. Un garde les voyant, dit : 
« Misérable, tu as reçu cela pour faire le coup? » 
— M Je répondrai devant mes juges. » (52-53). 

Se voyant houspillé, il écarta les mains avec 
un mot adroit : « Qu'on songe à M. le Dauphin ! » 

< a la pitié qui estait au rojaume de France, > G'esl h fameuse ré- 
ponse de celle qu'on ne teut pas nommer ici. 

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— 375— (1157) 

— « Eh ! bien, si lu conserves quelques bons son- 
timenlSj dis les complices, le Roi le fera gvâce. 

— Non, il ne le peut pas, et il ne le doit pas. 
Je veux mourir dans les tourments, dans les 
douleurs, comme Jésus» (72). 

Il soutenait qu'il aurait pu bien aisément tuer 
le Roi, mais qu'il ne l'avait pas voulu. Cela était 
tiès-é vident. 11 avait sur un même manche deux 
laraes, un couteau, un canif, et il ne s'était 
servi que du canif. Il eût pu redoubler le coup, 
et il ne le fit pas. 11 ne frappa nullement pour 
aller jusqu'à la poitrine. H érafla le dos en re- 
montant sur une longueur de quelques ponces 
(75-76). Déchirure si légère et si superficielle 
que les médecins dirent : « Si ce n'était un roi, 
il pourrait dès demain aller à ses affaires. » Mes- 
dames étaient eu larmes, mais la reine, trfô-froi-, 
dément: « Allons, sire, dit-elle, calmez-vous. » 

La peur du Roi était que le canif ne lut em- 
poisonné. On envoya deux fois le demander à 
Damiens, qui répondit : « Non, sur mon âme! » 
, Il disait avoir grand chagrin de ce qu'il avait 
fait, que, si le Roi eût pendu quatre évoques, cela 
ne lût pas arrivé. Du reste, il assurait n'avoir au- 
cun complice. « Il accentua même étrangement 
son affirmation: «Je l'exécutai seul, parce que 
seul Je l'avais conçu. » 

Cela irrita fort. Les deux parlis voulaient qu'il 

■ ■ Douze, bv Google 



(1151) — 374 — 

accusât leur adversaire. Ayen (Noailles), c'est te 
paili jésuite, comptait qu'il parlerait contre les 
janséaistes. It dit, montrant le feu: « Chauffons 
cet homme-là I » — Machault, le garde des sceaux, 
qui survint, supposait que c'était un coup des jé- 
suites pour faire régner leur prince, le Dauphin. 
Tout Paris le croyait, voyait dans Damiens un se- 
cond Ravaillac, à ce point que le collège Louis-Ie- 
Grand fut insulté et menacé. Les parents y cou- 
rurent, en retirèrent deux cents enfants (Barb. 
VI, 434) Machanlt, dur, entêté, voulait à toute 
force que l'assassin se dit jésuite. 11 lit un acte 
étrange. Il prit le patient, il fît rougir des pinces 
par des gardes (à qui il promit de l'argent) et il 
lui fît brûler le gras des jambes. Cette atroce dou- 
leur n'en tira que des hurlements et ce mot : 
« C'est toi qui es un misérable I... Si tu avais 
soutenu ta Compagnie (le Parlement] , cela ne 
fut pas arrivé 1 » (189-190). 

Machault était si furieux qu'il cria : « Dexa fa- 
gots! » Et il allait le brûler vif. Cependant vax 
homme pris dans Versailles devait être jugé par la 
Prévôté de l'Hôtel. C'est ce que dit le Prévôt qui 
survint etqui sauva le patient (151-132). Le Pré- 
vôt était le beau-père d'un des maîtres de Da- 
miens. 

iln'en put cependant tirer grand'chose, le nom 
d'aucun complice, seulement des prophéties. 11 

Douze, bv Google 



— 575 — («H) 

avait l'air de voir le 21 janvier: « M. le Dauphin 
périra et bien d'autres... De grands événements 
arriveront I » Seulement il croyait que tout vien- 
drait bientôt (61). « El qui fera cela ? — Je le di- 
rai si j'ai ma grâce. » (61-62). 

Ainsi il mollissait. La nature agissait et la dou- 
leur aussi. Car on lui avait mis des menotes de fer 
horriblement serrées (180-181). La nuit, qui rend 
tout plus terrible, l'accabla. Un certain Belot, un 
exempt doucereux, lui témoigna de l'intérêt, lui 
fit tout espérer, s'il parlait franchement. Il écrivit 
pour lui une lettre de repentir (68-69), feignit de 
la porter au Roi; puis, lui dit: « Le Roi est 
content. Mais il faut davantage. Quel conseiller con- 
rumsez-vous? (77, 78, 165). Damiens lui dicta 
quelques noms. Et alors on lui fit cette étrange 
question qui lui montra le piège : ce Etces messieurs 
qui vous payaient, où tenaient-ils leurs assem- 
blées?» (78). ïl fut saisi d'horreur, jura qu'ils 
n'étaient pas complices (79, 150, 372), qu'ils 
étaient incapables d'un tel complot. Dans la con- 
frontation, il accabla Belot qui ne sut plus que ■ 
dire (288). 

Cependant, le Roi, sur son lit, noyé des pleurs 
de Madame et de la Dauphine, amolli, détrempé, 
donnait répétition de la scène de Metz. 11 se crut 
mort, cria : « Un prêtre 1 un prêtre! » On trouva 
aux Communs un chapelain de domestiques ; il 



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1157} _ 57C — 

le prit tout de même, se confessa ^esUsstmo. 
Mais son jésuite qu'on cherchait bride abattue ar- 
rivait de Paris. Et il se confessa encore. Le bon 
Père, lui aussi, fait sa scène de Meiz. Il n'absout 
pas gratis. Le Roi renveiTa la maîtresse. Accordé 
sans diffîculté. 

En ce moment, il était tellement sous la main 
du Clergé, sous l'influence aussi de ses pleu- 
reuses, Madame et la Dauphine, qu'il oublia ses - 
défiances , envoya chercher le Dauphin , le 
nomma lieutenant général du royaume, lui dit : 
« Gouvernez mieux que moi. » 

Grand changement qui ne pouvait venir qu'in 
eoctrenm. Le Roi, plus que jamais, était éloi- 
gné du Dauphin. Dans les épines quMI trouvait 
au confessionnal, il sentait le Dauphin, la peur 
que les Jésuites avaient du futur Roi. A cause du 
Dauphin, il avait déserté ses cabinets secrets où 
Madame voyait tout ce qu'il écrivait, et il allait 
écrire tout seul à Trianon. C'est la cause réelle 
qui l'éloignait d'Adélaïde, le séparait de celle qui 
l'aimait tant, mais le surveillait trop. Ici, croyant 
mourir, il se remit si bien au frère et à la 
sœur, que d'Argenson, leur homme, reçut de 
sa main même la clef de Trianon pour en rap- 
porter ses papiers {Arg. IV, 330). 

II se croyait toujours en danger, et Madame, 
exagérée en tout et d'imagination terrible, aug- 



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— 377 — (1757) 

mentait la peur par la peur. Sur un mot vague 
de Damièns , on craignait ses complices. Au 
fond de son chapeau on avait lu numéro i. 
Les autres? où étaient-ils? Autour du Roi peut- 
être? Dans la foule suspecte de tant de valets, 
d'employés? Et dans ce noir Paris , gouffre 
ignoré, profond, combien de gens perdus peu- 
vent, avec Damiens, avoir aiguisé le couteau I 
Ce Paris qui criait en 1750 : « Allons brûler 
Versailles! » n'est-il pas du complot? Et son 
âme homicide ne s'est-elle assez révélée {contre 
Madame même) au gibet de la I-esoombat? 

Cette terreur dura du 5 au 9. Le Roi, tout 
ce temps, près de lui, se croyant en péri!, gar- 
dait l'aumônier de quartier qui l'absolvait de 
minute en minute {Besmml), le tenait prêt à par- 
tir pour le ciel. Le 9, une scène touchante et 
bouffonne changea les pensées. Les Étals de Bre- 
tagne, jusque-là en révolte, apprenant l'accident, 
eurent un coup à la tête, un mouvement de folie 
généreuse (comme on n'en volt qu'entre Rennes 
et Quimperjj pleurèrent le Roi, crièrent qu'ils 
accepteraient tout ; « Prenez nos biens! nos 
vies. »> Lem" sensibiUté grotesque imagine d'en- 
voyer au blessé un don d'amour... une robe de 
chambre. La Reine en fut aux larmes, et Ma- 
dame, jalouse de n'en avoir pas eu l'idée. 
Elle dit avec passion : « Oh ! je voudrais 

Douze, bv Google 



(17S71 — 378 — 

êlre Bretonne! » {RichsUm, VIII , 559). 
L'effet fut déplorable. Le Roi se crut tou- 
jours le Bien-Aimé. Rassuré , attendri par les 
larmes de ces imbéciles , voyant là la bonne 
vieille France, il ne crut devoir faire nulle 
concession au public, à la justice^ à la raison. 
Jusque-là il avait quelque velléité de se fier au 
Parlement {Arg., IV, 525). Mais cela lui passa. 
Le Dauphin avait présidé le 6 le Conseil des mi- 
nistres. Modeste et réservé, discret pour tout le 
reste, il avait opiné nettement sur un point (le 
point grave en effet) : Faire le procès par une 
commissùm dont le travail serait couvert, sano- 
tionné par quelques magistrats valets qui seuls 
restaient de la Grand' Chambre. C'était étouffer 
le procès, l'étrangler doucement entre deuz murs, 
entre deux portes. 

Les vrais Parlementaires s'étaient offerts pour- 
tant. Leur chef, l'illustre Chauvelin avait dit : 
« Il faut que l'on sache qui est coupable et qui 
est innocent. Il ne faut pas qu'on fasse comme 
pour RavaiUac. La Grand'Cbambre s'y déshonora, 
ne laissant du procès qu'obscurité, nuag^. Il y 
faut la lumière et tout le Parlement. » 

Le 9, le Roi décide (avec le Dauphin, les Jé- 
suites) que le procès sera fait dans ud coin, cro- 
qué entre Maupeou , Hifolé et deux comparses , 
signé de cette ombre de Chambre. Puis, pour 



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— 379 — (ns7) 

donner le chaîne, on en lira extrait aux pairs et 
princes , qui seront appelés pour honorer la 
chose, un semblant de publicité. 

Qui voulait-on couvrir avec tant de précau- 
tion? Pour qui avait-on tant de crainte? Le bon 
sens du public posa la question ordinaire du ju- 
risconsulte : a Cuiprodest? Qui peut y avoir in- 
térêt? » 

On se répondait : « Les Jésuite?, selon la vrai- 
semblance. Samiens, de son canif, eût fait un 
roi jésuite. Il avait fait du moins un quasi roi, 
lieutenant du royaume ( le titre de Henri de 
Guise). » 

« Les jansénistes auraient été bien fous de tuer 
Louis XV pour faire arriver le Dauphin, celui 
qu'ils redoutaient le plus et leur capital en- 
nemi. » 

L'altitude des Parlementaires, certes, disait 
qu'ils n'étaient pas coupables. Tout en s'of- 
frant au Roi pour juger Damiens, ils ne vou- 
laient rentrer que par la porte d'honneur, en 
maintenant tous les droits de leur corps, les li- 
bertés publiques. Là ils furent intrépides, il faut 
l'avouer. C'était un moment de trouble, de ter- 
reur, de réaction. Le Dauphin, un jésuite, était 
lieutenantdu royaume. Ârgenson, un jésuite, outre 
la Guerre, avait Paris et la Police, Ai^enson avait 
fait un pas grave, de faire tenir le Cotisa des 

Douze, bv Google 



(HM) 380 — 

ministres dans l'appartement du Dauphin, de 
transférer là le pouvoii-. Que fût-il advenu si 
Maupeou et Mole, regardant le soleil levant, pour 
brusquer la fortune, eussent fourré les Parle- 
mentaires dans le Procès de Damiens? Notez que 
Damiens avait été leur domestique. Au milieu 
des tortures , pour être ménagé , il pouvait dé- 
poser contre eux. Superbe occasion de transfé- 
rer le crime du domestique aux maîtres, de les 
faire assassins, de régaler le Gesù de leur sangl 

Une chose aida fort à sauTer les Parlemen- 
taires, c'est que !a cabale autrichienne crut de- 
voir travailler pour eux. Par la Dauphine el la 
maison de Saxe, l'Autriche avait gagné un peu 
le Dauphin, Argeuson, mais les trouvait fort 
tièdes. Ils refusaient les cent mille hommes. 
Pour les avoir, Marie-Thérèse devait renverser 
Argenson, abaisser le Dauphin, faire remonter 
la Pompadour et le parti du Parlement. 

LaPompadour, ainsi ancrée, ne risquait guère. 
Avertie par Machault assez durement de son ren- 
voi, au lieu de faire ses malles, elle donnait de 
grands dîners (Arg., IV, 350). Le Roi ne sortait 
pas encore, n'y allait pas. Mais par Bemis, son 
homme, elle lui avait fait trouver bon qu'on 
lâtât les gens des Enquêtes, qu'on vît si Jus- 
tement entre ces grands crieurs la corruption 
ne mordait pas. 11 voulait vivre. L'affaire de 

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— 581 — (17M) 

Damiens où l'on ne voyait goutte, l'incpiiélait et 
de plusieurs façons. Par Bernis ou par d'autres, 
il lui revint qu'on n'accusait que les Jésuites, te 
parti du Dauphin. Un jour il oublia qu'il était 
blessé, s'habilla, alla se promener... chez M"™ de 
Pompadour (15 janvier). 

Cette infortunée, toute en larmes, fut difficile 
à consoler. Elle voulait, exigeait pour cela que le 
Roi chassât Ârgenson. Grande était la difficulté. 
Le Roi se souvenait de la tragique scène qu'il 
avait eue de sa famille pour le renvoi de Mau- 
repas. 11 est vrai qu'il était frappé de l'empres- 
sement de d'Argenson pour le Dauphin. 11 s'en 
voulait un peu lui-même d'avoir, étant si peu 
blessé, donné le pouvoir, et à qui? Moins à ce 
gros enfant qu'aux Jésuites de robe courte, Muy 
le fanatique , et l'intrigant La Vauguyon. Les 
Pères eux-mêmes ne lui plaisaient pas trop avec 
leur fausse austérité. Gens trop connus pour 
leur peu de scrupule. Dans sa correspondance 
étroite avec l'Espagne, qui ne cessa jamais, il 
savait à merveille l'audace inouïe des Jésuites 
(1753), lorsque leur Pari^ai fit la guerre à deux 
rois. 

Gela trancha. Mais en immolant Argenson, il 
compensa la chose par une autre fort agréable 
à la famille : l'exil de seize conseillers, la des- 
titution de Machault, du fameux ennemi du 



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(1767) _ 58S — 

Clergé, contre qui depuis huit années on em- 
ployait Adélaïde. Cela la calmait à coup sûr; la 
tempête était désannée. 

Pendant que cette affaire se brasse (du 15 au 
31 janvier), on transporte Damiens à Paris. La 
nuit du 18, à deux heures du matin, par la 
barrière de Sèvres, c'est comme un tourbillon, 
un tremblement de terre. Force carrosses, force 
cavalerie qui va le pistolet au poing, comme 
en ville prise. Paris apparemment est du parti 
de Damiens et voudrait le sauver? Malheur aux 
curieuses en bonnet de coton 1 Gare aux fenê- 
tres! Fermez, ou l'on fait feul {Barbier, YI, 
345.) 

C'est un mystère d'État. Silence. La Gai&^te 
de Frame n'ose en dire que trois mots. Et le 
Mercure n'en parle que pour dire qu'il n'en peut 
parler. La magistrature le défend. 

Les magistrats bien décidés à plaire hésitent 
encore. A q ui plaire? Qui est la cour en ce mo^ 
ment? Le gouvernement existe-t-il? Ai^enson et 
Machault sont à cent lieues de croire qu'ils vont 
tomber en même temps. Choiseul, l'agent zélé de 
Vienne, qui venait d'arriver pour seconder la 
Pompadour, se donna le plaisir d'aller voir Ar- 
genson, et de lui dire sa chute. Il n'en voulut 
rien croire. « Bah I dit-il, le Roi m'aime. » Il se 
croyait le favori. Choiseul sort. Une lettre du 



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— 383 — (1351) 

Roi, sèche et dure, lui dit de partir. La lettre au 
contraire pour Machault était affectueuse; il par- 
tait honoré, remercié, avec pension. 

Ainsi la Pompadour , faisant la part du feu, 
sacrifiant Machault, fut rétablie, et plus haut que 
jamais. Avec son Autrichien Ghoiseul et son ami 
Demis, pendant tout février, elle fit un travail 
très-agréable au Roi, un maquignonage secret 
pour ga^er les Enquêtes, cakner le Parlement 
et désarmer les fanatiques. Le Roi désirait vivre, 
et Vienne désirait tourner tout vers la guerre. La 
Pompadour voulait se venger, s'affermir en brisant 
le Dauphin, les Jésuites. Elle Élisait entendre se- 
crètement aux Parlementaires qu'elle était avec 
eux, intéressée comme eux à la suppression des 
Jésuites. Damiens réellement leur avait porté un 
grand coup; les deux cents enfants retirés le 6 
janvier de leur collège n'y rentrèrent pas ; l'herbe 
poussa dans les cours de Louis-le-Grand (J. (Jui- 
cherat). Leur guerre américaine à l'Espagne et 
au Portugal rappela leur passé régicide et 
leur élève Jean Châl«l. Kaunitz était contre 
eux, donc Ghoiseul et Bonis. Sur ce terrain 
commun, on put négocier avec les jansénistes 
en février, en août {Rick., VIII, 365-399). 

Le d*' février, l'exil de d'Argenson marquant 
bien la situation, et montrant le Dauphih et les 
Jésuites en baisse, on sut onnment on ferait 

Douze, bv Google 



(.1761) —"384 — 

procès. On n'employa pas Ûamiens à écraser 
les jansénistes avec qui on négociait. On ne 
compromit point les conseillers ch:ez qui Da- 
miens avait servi. Leur présence , en effet , 
leurs pardes fîères et imprudentes auraient pu 
gâter tout. Maupeou el ses consorts craignaient 
l'éclat, le bruit. Le peuple leur était si hostile, 
que le 29, tenant une audience publique, ils 
n'osaient plus sortir; ils s'esquivèrent par cer- 
taine porte de derrière. 

XiCur plan pour Damiens, dont ils ne sortirent 
pas, quoiqu'il fât démenti en tout, fut de sup- 
poser qu'il était l'instrument gs^é d'un parti. 
Quel parli? anglais? jans&iiste? jésuite? on ne 
l'éclaircit point. 

On tenait fort à faire de Damieus un vaurien 
et un. libertin. On fit comparaîtoe les siens, père, 
frères, femme, HUe, pour le chai^r et parler 
-contre lui. On les terrifia, les faisant accusés, 
et non simples témoins. Épouvantés, ils dirent 
te pis qu'ils purent, au fond très-peu de chose. 
Sa vieille femme surtout lui reprocha d'être 
souvent six mois sans revenir coucher. 

Ses maîtres ne l'accusèrent, que de manies, 
mais pluaioirs déclarèrent qu'ils tenaient fort 
à lui. Et lui aussi il fut souvent attaché à ses 
maîtres. Quand il revit H. de Maridor, il s'at- 
tendiit beaucoup et s'essuya les yeux. On voit 



^c'b, Google 



— 585 — [1.757) 

par la déposition remarquable de ce témoin , 
le biea, le mal. 11 servait bien. H avait de l'esprit, 
et de la piétés mais n'avait pas passé impuné- 
ment par les Jésuites : il dissimulait par mo- 
ment, el se mêlait de trop de choses (194). 

Ce qui surprend, c'est que la petite dame ■ 
entretenue qui lui fut si fatale « et lui jeta un 
sort, » ne lui reprocha rien dans sa déposi- 
tion , sauf d'avoir montré répugnance à faire 
certaines commissions, autrement dit de n'avoir 
pas aimé le métier de mercure galant. Il avait 
l'air sinistre , parlait seul et se regardait dans 
les glaces. Du reste, point méchant, ni adonné 
au vin, dit-elle (182). 

Ainsi les maîtres, pas plus que les parents, 
ne le chargèrent. De lui et de lui seul, on 
pouvait tirer quelque chose. Précieuse occasion 
pour les juges de montrer tout leur zèle, leur 
amour pour le Roi. Maupeou en sentait le be- 
soin, passant pour homme double qui jouait 
à la fois et la cour el le parlement. 

Damiens est resté pour la physiologie un 
exemple célèbre de ce qu'on endure sans mourir, 
un singulier et curieux patient. Chacun y prouva 
son amour par l'excès de la cruauté. On avait 
commencé (je l'ai dit) par griller ses jambes. 
On lui mit des menottes de fer si dures, 
qu'ayant la fièvre et le délire, il n'eût rien dit 

xci. 35 

D,a,l,zc.bvG00gIf 



()m) — 386 — 

du tout. On desserra ua peu. Alors, se frottant 
les poignets, mordant son drap, il langa un 
regard enragé el désespéré (181). A Paris, en- 
fermé dans la tour régicide (de Montgfaamoy 
et Ravaillac) , il y fut sanglé jour et nuit étrw- 
tement sur un lit de fer. Ses gardes, tout au- 
tour, étaient là attentifs, écrivaient ses mots ou 
ses a:i3 : a On me fait parler , disaiUl , quand 
j'ai le transport au cerveau. » Cependant, à 
côté, dans cette horrible tour, on mangeait, 
bavait et riait. Il y avait un «Hiisinier du Roi, 
et table pour quinze personnes. 

Aux interrogatoires, il mentit d'abord quelque 
peu dans l'idée de faire croire qu'il n'avait au- 
cune famille , craignant pour sa fille et sa 
femme. A cela fwès , il parut franc et vrai , et 
non sans présence d'esprit. Le maladroit Mau- 
peou lui disant : « Vous étiez dans de bonnes 
maisons où vous ne sentiez guère cette misère 
du peuple. » Il répliqua : « Qui n^est bon que 
pour soi, n'est bon pour rien. » 

Sauf la nuit où l'homme de police le surprit et 
leât mollir, il n*esp^a et ne demanda rien. Hais^ 
avec ce courage, il n'injuria point, ne rét^mina 
point sur la Sodôme de Versailles, les «liants 
enlevés, vendus, etc. 11 gardait te respect. Vei- 
fronté président, sûr qu'il ne dirait rien, osa le 
mettre là-dessus, pour bien isolOT cette affaire du 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 587 — tf.im': 

mouTement de 1750. Damiens ai effet ne dit 
ri^ ii-^^)j àa moins s'il laut en ofoire le Procès 
imprimé. 

« Point de complices ni de complot. » Sur 
■cela il fut immnaHe^ Grand chagrin pour la cour. 
la famille restait inquiète. La Pompadour est 
•donné tout pour qu'il compromit les Jésuites. 
niais pas on mot. Les juges humiliés « pour le 
faire chanter, » demandèrent, ûrent venir d'Âvi- 
gnoD unesavante machine papale, admirablement 
calculée pour donner d'horrihles douleurs. Seu- 
lement elle étail si parfaite qu'elle eût trop 
^régé. Les méàedim d'ici , pour oette vie pré- 
cieuse, aimèrent mi^ix qu'on s'en tînt aux coins, 
-qui, s^^raut [SU à peu, faisant craquer les os, 
domtaicrat un spasme atroœ, mais mesuré à vo- 
lonté, d; ï^ravé on répété. On lui poussa jusqu'à 
huit coins, et on ne s'arrêta qu'au point où les 
hommes de l'art dirent qu'il pouvait mourir. Ce- 
pendant, dans l'horriWe épreuve, pas plus que 
dans ses souffrances de deus mois, il ne céda 
à la nature , n' éclata nul adoucissement en 
se supposant des complices. Il n'articula rien 
qu'un propos léger d'un Gauthier, le jeu de mots 
bannal du temps : « Le point, c'est de tmcho' 
le Boi. » 

TcKit fini, arran^ à huis-clos par les quatre, 
on joua, au moyen des quarante coquins qui si 

Douze, bv Google 



(1757) — 588 — 

mutaient le Parlement {la carcasse de la Grand'- 
Chambre, dit Ai'genson), une scène de séance 
solennelle , où siégeaient les pairs et lés 
princes. 

Devanl cette auguste assemblée , on apporta 
Damiens et on le fixa par des sangles à des an- 
neaux de fer scellés dans le parquet. Il ne fut 
point déconcerté. Au contraire, sorti des tortures, 
et léger de sa mort prochaine, i! parut assez gai. 
Il nomma plusieurs pairs : « Voici MM. d'Uzez, 
de Boufflers, que j'ai servis à' table. » A M. de 
Noailles : « Monsieur, n'avez-vous pas froid avec 
des bas blancs ? Approchez de la cheminée. » A 
M. de Biron qui lui demandait ses complices : 
« Vous, peut-être, » dit-il en riant. Cette gaieté 
alla un peu loin pour les quatre : « M. Pasquier, 
il faut le dire, parle bien, parle comme un ange. 
Il devrait être chancelier. » (Rich., IX, 29). 

On lui fit quelques questions; mais Maupeou 
craignait tant qu'il ne répondît mal, qu'il par- 
tait à sa place, lui laissait dire à peine un mot. 

On assomma les princes d'un rapport qui dura 
vingt-six heures à lire et ne leur apprit rien. Or- 
léans et Conti furent indignés. Conti, alors dis- 
gracié et qui le 13 décembre avait opiné hardi- 
ment, eût été volontiers le chef des résistances. 
11 demanda où était le journal tenu par les gar- 
des. Il demanda pourquoi on ne faisait pas 

Douze, bv Google 



— 589 — (1757) 

comparaîlre « ceux avec qui Damiens avait eu 
des rapports. » Cela voulait. dire les Jésuites. 

Le pt'ocureur du Roi, au nom du Roi, de- 
manda et obtint arrêt, — l'arrêt de Ravaillac, 
l'arrêt le plus cruel du plus complet supplice 
qui fut jamais (brûlé et tenaillé, rompu, tiré et 
démembré, enfin brûlé encore et mis en cen- 
dres). L'imagination défaillante ne put rien au- 
delà. Les juges, en leur amour ardent poqr le 
meilleur des rois, cherchèrent en vain, ne trou- 
vèrent mieux. 

Le Roi souffrirait-il celte abomination ? « On 
a dit qu'il eut quelque idée d'enfermer Da- 
miens chez les fous » {Hausset^ 165). Il aurait 
fait un acte sage. Emporter l'infamie d'au- 
toriser cela, pom-quoi? pour assurer sa vie? 
c'était prendre sur soi, sur son nom, sur son 
âme , un horrible fardeau , et pour tous les 
mondes à venir. 

Damiens, et son petit canif (qui n'entra pas, 
glissa , Richelieu le dit au Procès) , Damiens 
avait rendu au Roi un vrai service. H l'avait re- 
levé. Avant , huit Parlements lui refusaient 
l'impôt. Ses financiers ne trouvaient plus d'ar- 
gent. Chauvelin avait dit : « C'est le dernier 
soupir de la monarchie expirante »(Âi*^ônson). 
Mais après l'écorchure, quel changement! Les 
femmes pleurent. Le Parlement , bon gré mal 

DolizccbvGoOglc 



(1157) _ 390 — 

gré, se calme, ayant peur qu'oa ne dise : a lis 

sont ponr Damiens. » 

Le Boi d'aittears était qu^que peu engagé. 
Il aTait dit au moment : « Je pardonne. » C'est 
qu'il croyait mourir , paraître devant Dieu. 
Guéri, il écouta tons ceux qui le prîaiait de se 
garder par )a terreur. 

Donc , cette chose horrible eut lieu le 28 
mars. J'aime mieux que le greffier racmle. Il 
snivit l'homme , et il vit tout , tant qu'il en 
resta un morceau : 

« Descendu dans la chapelle de la Concierge- 
rie , l'accusé n'a rien déclaré. Là , les pri^s 
chantées, ei la bénédiction du Saint-Sacrement 
donnée, l'arrêt lu dans la cour, et le cri fait 
par }e bourreau, il a été mené en tombereau à 
la porté de Notre-I^ime. Je lui ai dit, « qu'ayant 
porté ses mains sanguinaires sur l'Oint du 
Seigneur et le meilleur des Rois, ses supj^ccs 
suffiraient à peine ponr venger la Justice hu- 
maine; que la Justice divine lui en réservait de 
plus grands, s'il ne révélait ses complices. — 
Réponse. Ni complot , ni complices. Mais j'ai 
insulté M. l'archevêque. Je lui en demande 
pardon. » 

Les commissaires (Maupeou, Mole, Pasquier, 
Severt) étaient à l'Hôtel de Ville pour l'écouter. 
Il ne dit rien de plus (quoique la tentation fût 

Doiizccb, Google 



— 591 — (1Î57) 

grande de relarder de si excessives douleurs). 
Sur l'échalaad, on lui brûla d'abord la main 
qui tenait le couteau. Je lui demandai ses com- 
plices. Il ne dit rien, fut alors tenaillé aux l^as, 
cuisses et maoïellcs; et dessus ou jetait buile, 
poix, cire, soufre et plomb fondus. Il criait : 
« Mon Dieu, de la force I Seigneur, ayez pitié I 
Dieu I donnez-moi la patience. » 

Il était fort. Et quatre forts chevaux ne pu- 
rent l'écarteler. On en ajouta deux, avec peu 
de succès. Le bourreau, excédé, peut-être ayant 
pitié (de quoi il fut puni), monta et demanda 
aux ««nniissaires « ta permission de donner un 
coup de tranchoir aux jointures, » ce qui ixA re- 
fusé d'abord « pour le faire souffrir davan- 
ta^. » (Barbier, YI, 507.) Cela aurait trop 
abrégé. Nombre d'wiateurs distingnés, de gran- 
des dames, qui avaient loué cher les croisées 
de la Grève , n'auraient pas eu pour leur ar- 
gent. Les commissaires auraient paru peu zé- 
lés pour le Roi. Cependant à la longue, pour en 
finir avant la nuit qui venait, on permit de tran- 
cher. Les deux cuisses partirent les premières, 
puis une épaule. Il expira à six heures un 
quart, le jour finissant (28 mars 1757). 

n n'a pas blasphémé, dit Barbier, ni nommé 
personne. Mais pour la religion, les confesseurs 
n'en sont pas trop contents. {BarUef, VI, 508.) 



(1757) — 592 — 

Pour le confesser et l'absoudre, on exigeait 
qu'il en devînt indigne, qu'il nommât des com- 
plices (qu'il n'avait jamais eus). Il s'en passa. 
Et il resta visible, par son procès, qu'il n'était 
ni de l'un, ni de l'autre parti Ibéologique, qu'il 
avait cru agir « pour Dieu et pour le peuple 
{65}.. . Ayant été touché de voir à Paris, à Arras, 
le peuple vendre tout ce qu'il a pour vivre » 
(105, n»* 156-157). 

Les quatre commissaires furent payés après 
le supplice, reçurent des pensions du Roi (Bar- 
bier). L'affaire fut excellente pour Meaupeou , 
dont le fils deviendra plus tard chancelier. 

Rien de mieux mérité. Ils rendirent le ser- 
vice de laisser le procès dans l'obscurité désirée. 
Ils permirent au greffier de le publier, écourté, 
avec un précis inexact, faux, de la vie de Da- 
miens, que tous les historiens ont religieusement 
copié. 

Les nombreux témoignages qu'on n'a pu sup- 
primer, et qui se lisent en ce volume du gref- 
fier , quoique mutilé , m'ont permis de refaire 
cette vie selon la vérité. J'aurais voulu pouvoir 
consulter les originaux, bien plus complets sans 
doute. Quand je commençai ces éludes aux 
Archives, il y a trente ans, mon collègue M. Ter- 
race qui avait en main les r^istres du Parlement 
au Palais de justice (où ils étaient alors) , me 

Douze. bvGoogle 



— 595 — {«571 

mena au coin d'un grenier, me dit : « Voici 
tout ce qui reste du Procès , » et il souleva 
une horrible guenille , un lambeau rouge de 
la chemise du patient qu'on avait conservée. 
Pour les registres, rien. Les feuilles, à cette 
place, étaient brutalement arrachées. 



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CHAPITRE XXII. 



Frëdénc. — Rosbach. 17&7. 



Écartons le regard au plus loin, et voyons 
l'Europe. 

A ce moment (1" avril 1757), elle offre un 
grand spectacle, rare, imposant, terrible. Tous 
les rois sont d'accord. De tous les points leurs 
armées sont en marche. La terre tremble, ébran- 
lée sous les pas de sept cent mille hommes. 

Tous contre xm seul. Tous contre Frédéric. 

La chasse s'ouvre, et c'est la SaintrHubert. 
Il sera bien habile, entre tous ces chasseurs, 
s'il peut esquiver, échapper (Voltaire). 

En même temps, juste en ce mois d'avril, la 
guerre est déclarée à la libre pensée. Des ordon- 
nances atroces ouvrent la chasse aussi contre les 



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— 595 — (mt) 

philoso^es, la librairie, l'imprimefie. A l'écri- 
Tain la GrèTe, au libraire les galères à perpé- 
tuité. Pour les moiuâres d^its, pàialités sau- 
▼ages. 

Cela éclaire le temps, fait CMUprendre la crise. 
La croisade se fait et contre Frédâic, et contre 
l'Encyclopédie. Mort aux penseurs, tl m{»t au 
roi de la pensée I 

Gloire peu commune* Frédéric, mis au bas du 
monde, voit {soscrire avec lui la grande année 
des gens de lettres , « cette association frater- 
nelle, désintéressée, que Ton ne reverra jamais. » 
L'Encyclopédie est brisée, démembrée. D'Alem- 
hett laisse là Kderot. La meute de la réadion 
hurle de joie, ftémn, les Jésuites et Trévoux 
mêlent un concert sauvage au tambour de Marie* 
Thérèse. 

il est biea temps qu'on fasse réparation à 
Frédéric, nié ou dénigré, amoindri cent années. 

Le complot Autrichien et la Presse gagée de 
Choisi ont épuisé sur lui la calomnie. 

Voltaire, pour nn toat passager et fort exagéré, 
l'a cruellement persécuté, dans ses écrits pos- 
thumes, poursuivi par ^là la mort. 

Napoléon, en protestant de son admiration pour 
ce grand capitaine, n'oublie rien pour le ravaler. 
1^ jugeant ses opérations par ses règles géné- 
rales de géométrie militaire, il se garde de rap- 



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(i757) — 396 — 

peler les circonstances très-spéciales, où fut le 
roi de Prusse. Il affirme hardiment, entr'au- 
Ires choses, que l'Autriche qui préparait la guerre 
depuis douze ans fut prise à l'imprévu. Il vou- 
drait faire accroire qu'elle était inférieure en 
moyens militaires, oubliant ce grand fonds si riche 
qu'elle a, dans ses peuples soldats, ses Hongrois, 
ses Croates, les régiments frontières, la ma- 
chine créée par Eugène. Surprenante ignorance, 
ou volontaire aveuglement? Il fallait d'abord 
reconnaître la chose énorme et capitale, c'est 
que l'Autriche, la France et la Russie, dans 
leurs cent millions d'hommes, avaient un grand 
fonds naturel, qu'au contraire Frédéric (si pe- 
tit! quatre millions d'hommes) n'opérait qu'avec 
une force absolument artificielle , une épée 
forgée de vingt pièces, l'armée soi-disant prus- 
sienne, mais créée de toute nation. Œuvre d'art 
qu'on ne vit jamais et que n'ont plus offert les 
armées de la Prusse. 

Celte armée, ce monstre admirable, eut l'u- 
nité passive dans une discipUne terrible, mais 
l'unité active, la puissance et l'élan dans la 
grande àme qui l'inventa, la fit, la coinmandâ, 
et marchait devant elle, lui donnait l'étincelle 
dans l'éclair bleu de swi regard. 

Fut-il le conducteur heureux d'une armée na- 
tionale, homogène, inspirée et brûlante (comme 

DiailizccbyGoOgle 



— 397 — ("51) 

fut noire armée d'Italie), d'une armée lancée des 
hauteurs de la Révolution, qui roule à la victoire 
par une irrésistible pente? Point du tout. 

Il fut moins encore un Wallenstein , chef 
puissant de l'universel hrigandage, le tyran re- 
douté près duquel tous cherchaient la liberté du 
crime. 

L'armée de Frédéric n'eut ni l'un, ai l'autre 
principe. Dans sa discipline excessive, elle fut 
soutenue par l'idée, confuse, mais très-haute, de 
son grand Esprit : 

L'Esprit guerrier, vainqueur, et si grand de 
lui-même que vaincu il ne baissait pas ; 

L'Esprit défenseur et sauveur (quelque fran- 
çais qu'il fut), sauveur de la patrie Allemande, 
contre la barbarie Russo-Tartare , Hongro- 
Croate, etc. 

PluSj ce qui est plus haut , le vrai Roi des 
Esprits, celui vers qui les penseurs libres, de 
tous les côtés de l'Europe, se tournent et regar- 
dent, d'une part d'Alembert, Diderot, et d'autre 
part Euler, plus tard Kant et Lessing, Herder, 
Gœthe, la jeune Allemagne. Revenant à sa lan- 
gue, elle eut pourtant sa source, son nerf en 
l'héroïsme de la Guerre de Sept ans. Si Kant, 
aux rocs dé la Raltique, forgea l'horame de fer 
de la force immuable, c'est que, dans l'action, 
sous le poids de l'Europe , ; un homme avait 

Douze, bv Google 



(1751) — 398 — 

montré le granit et le fer de l'inniicible volmté. 

Chose bizarre, il était né plidiôt pour les arts 
de la paix et ne semblait pas avoir le tempéra- 
ment militaire. Le fonds de Frédéric, comme on 
l'a très-bien dit, c^était l'homme de lettres. ^>eo- 
tacle sm^renant de vmr ce petit ÏKHnme, reflet 
et presque gras, si mou jusqu'à trente ans, mar'- 
cher devant ses troupes aux profondes boues de 
Westphalie', dans les ndges des monts de B(^ 
bème, dans ces batailles affreuses de décaobre 
et janvier, ne connaissant hiver ni été, ni repos. 

En paix , tout anssi grand. On n'a jamais 
connu de roi qni se soit sonveau à ce point des 
devoirs du Roi, « le premier serviteur de TËlat 
(ce sont ses paroles). » D voulait l'impossible. 
Dans scm zèle inquiet, il serait devenu volontiers 
le seul juge. On Ta vu, des années entàèros, 
suivre une enquête sur xm minime procès de 
paysan , avec une pas»OD , un acharnement de 
justice, à vrai dire, sans «temple. Il recevait ks 
réclamants, il les faisait chercher et les encounn 
geait. Uoquenr pour d'autres, avec les pauvres 
gens, il était s^enx, les consolait, leur 
expliquait la dure fatalité d'un gouvernement 
en péril (entre Russie, France et Autriche), 
pressé dans un étau âitre les trois géants. 

Par lui, le paysan affranchi du servage, eut um 
liberté relative, ti>ès^rande, si on la compare au 

Douze. bvGoogle 



— 599 — («511 

sort abject de ceux de Mecklembourg, de Polo- 
gne et Russie, ^ul inapte qu'indirect. La libre 
électi(Hi des pasteurs , du mallre d'école (s'ils 
repoussent celui que le consistoire a choisi^. 
Enfin, l'appel au Roi. Moyen grossier, barbare, 
qui pourtant effrayait, contenait les fraction- 
naires. Ce qui est sûr, c'est que les étrangers ve- 
naient en foule à Frédéric : tels pour l'armée, 
comme les lords Keilb et Haréchal; tels pour 
l'industrie, la culture. Tant de colons qui 
affluaient, parlent assez haut pour lui. Les ré- 
fugiés de tous les cultes Tenaient au grand asile. 
Près de nos protestants, chassés par les Jésniles, 
aiTiTèrenl les Jésuites , quand leur ordre fut 
supprimé. 

Je hais les fades et £ausses légendes du des- 
potisme bienfaisant, des bons tyrans, etc. Mais, 
ici, on doit avouer que, sans le nerf tendu d'un 
gouvernement concentré, sans une discipline 
terrible, la Prusse n'eût jamais subsisté. Bien 
plus, sans l'énergie de ce grand défenseur, les 
événements les plus sinistres étaient à craindre 
pour l'Europe. On vit (1744), lorsque Marie- 
Thâfèsc crut envahir la France, l'atrocilé bar- 
bare des bandes qui firent reÊfroi de l'Alsace et 
de la Lorraine , les mutilations turques , les 
brûlés et les éventrées. 

D'autre part, quand les Russes virent PEu- 

D,a,l,zc.bvG00gIf 



(ns7| _ 400, — 

rope épuisée (1748}, ils eurent l'idée d'avan- 
cer à l'Ouest, d'entrer en Allemagne. Frédéric 
ajourna ce danger tantôt en payant leurs mi- 
nistres, tantôt en montrant qu'il pourrait faire 
appel à la France et à l'Angleterre (Dover, II, 
179). Moins prudents les Anglais, dans la peur 
d'une descente (1755), eurent l'idée déplorable 
d'acbcter cinquante-cinq mille Russes, et de les 
lancer sur la France. Frédéric se mil entre, jura 
qu'ils ne passeraient pas. 

On ne voit pas assez son danger permanent, 
dans cette ombre mortelle , sous ce froid géant 
famélique, dont la gueule dentue bâille toujours 
vers le riche Occident. Bêle épouvantable de proie, . 
entourée par surcroît des vermines affamées, la 
racaille Cosaquo-Tartare, déménageurs terribles 
(en Hongrie ils prenaient jusqu'aux glaces cas- 
sées, 1849; en Polt^ne ils prenaient jusqu'aux 
jouets d'enfants, jusqu'aux poupées brisées). 
Quand Frédéric arrache à la Russie un morceau 
de Pologne, c'est qu'elle l'a déjà dans les dents. 

Revenons à l'année 1757. 

Il est très-faux de dire que d'abord Frédéric 
n'eut affaire qu'à l'Autriche. En avril, cent cinq 
mille Français entraient chez lui par leTiord et 
le Centre. En avril, les Suédois, entraînés par 
ia France, franchissaient la Baltique. En avril, 
la Diète Allemande , menacée par la France, 



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— 40i — [1757) 

poussée , forcée , armait contre la Prusse. Eu 
avril, la grande armée russe s'ébranlait, et ses 
masses hideuses de Cosaques et de Tartares. Elle 
allait lentement. Mais la cruelle approche d'un 
tel fléau foiçait Frédéric de tenir une armée au 
Nord et d'affaiblir d'autant celle qui agissait 
au Midi. 

L'Autriche, n'était point désarmée. Elle avait 
concentré de grandes forces sous Charles de 
Lorraine et Brown. Une autre armée , sous 
Daun, se formait à côté, augmentée chaque jour 
d'inépuisables flots de la barbarie du Danube. 
Un malin , du milieu de son calme apparent, 
Frédéric fond sur la Bohême. El le voilà vers 
Prague , aligné devant les barbares. Depuis dix 
ans, la Prusse n'avait pas fait la guerre (6 mai 
1757). Son armée, en partie novice et mêlée de 
tout peuple, serait-elle au jour du combat celle 
qui frappa de si grands coups? On pouvait en 
douter. L'Autrichien se croyait couvert par des 
marais où l'on enfonçait à mi-jambe. Il fut bien 
étonné de voir la sombre ligne noire de soixante 
mille hommes qui résolument traversait ce sol 
mouvant, venait à lui, — plus étonné de voir que 
celle ligne immense, sur une demi-lieue de lon- 
gueur, et par un tel terrain, ne flottait pas, qu'elle 
avançait d'ensemble, aussi droite qu'une barre 
d'acier. Nulle musique pour régler le pas. Au vain 



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(H5T1 ~ 402 — 

tintamarre turc des Autrichiens, nul bruit, nulle 
voix ne répondait. La masse noire allait, comme 
un spectre muet, ne répondant pas même aux ca- 
nons, à la fusillade. Le Roi défend qu'on tire, veut 
toucher l'ennemi et frapper de la baïonnette. 

Le curieux était de voir cette armée toute' 
neuve devant l'arlillerie, la cruelle canonnade 
emportant des lignes entières, — de voir aussi en 
danse la fille vierge de Frédéric, son œuvre, sa 
cavalerie, induslrieusement préparée, une Hon- 
grie du Nord contre la Hongrie de l'Autriche. 
Cette merveille ici paraissait pour la première 
fois. 

Grande épreuve. Tous les généraux marchaient 
devant. L'honneur du premier coup fut à Fou- 
quet, l'un des Français de Frédéric. D'autres 
généraux tombent. On allait lentement sous ces 
bouches de fer qui crachaient un enfer de mort 
et de fumée. Un des pères de l'armée, le vieux 
Schwérin, jeune à soixante-douze ans, ne souffifit 
pas cela. Pour enseigner les jeunes, il empoigne 
un drapeau, marche droit à ces chiens, les fait 
cracher contre l'Autriche. 

il fut tué, mourut dans son drapeau. Mais 
l'effet en fut tel que l'infanterie, dès lors maî- 
tresse, ayant d'un coin de fer fendu en deux parts 
l'ennemi, il ne put jamais réunir ses deux moi- 
tiés. L'une s'enfuit à gauche, alla joindre l'armée 



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— 403 — [17J7) 

de Daun, qui était à huit lieues. L'autre, énorme 
(48,000 hommes), se mit derrière les murs de 
Prague. * 

Napoléon, dans le repos de Sainte-Hélène, me 
semble ici bien dur pour un homme en situation 
si terrible. Il le trouve imprudent, précipité, un 
téméraire qui de ses calculs élimine le lieu, le 
temps, toutes les règles. — Mais quoi?f7 -rCy avait 
plus de temps! 

Il faut juger ces choses par la crise révolution- 
naire. Frédéric était juste au point des premiers 
généraux de la Révolution. L'extraordinaire, l'ab- 
surde, l'impossible, entra dans ses moyens, par- 
lois lui réussit. 

Voici le fonds , le vrai : comme les Russes 
vont lentement, lui donnent quelques mois, 
comme des trois colosses , Russie , France et 
Autriche, il n'en a que deux sur les bras, il 
doit ou périr sans remède, ou pour un an dé^ 
armer deux empires. Eh! bien, il le fait à la 
lettre : 

Vainqueur, vaincu, en trois batailles horrible- 
ment sanglantes, il fil une saignée à l'Autriche, 
telle qu'elle ne remua de longtemps. 

Par l'affaire de Rosbach, d'immortel ridicule, 
il porta à la France un si grand coup moral, 
qu'elle se méprisa , fit des vœux contre soi , 
n'admira plus que son vainqueur. 

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(1757) — 404 — 

Napoléon, certes, est bien dJlficile. Quoi de plus 
grand se fit jamais? 

« Oui, mais contre les règles. » Assi^er celle 
grosse Prague, une garnison de cinquante mille 
hommes I Quoi de plus insensé I 

Plus insensé encore d'aller attaquer l'autre 
armée, celle de Daun. « Il aurait dû d'abord en- 
tourer Prague de double ligne de circonvallalion 
et contrevallation. » Un travail de trois mois!... 
Mais, pendant ce temps-là les Russes entreront, 
les Français iront jusqu'à Berlin rencontrer les 
Suédois f 

Et ce Daun, à dis lieues de Prague, qui re- 
çoit d'heure en heure des torrents de barbares, 
si on ne t'élouffe aujourd'hui, demain ce sera 
une mer , un déluge d'armes et de soldais. 
Frédéric y court. Il le voit perché haut, retran- 
ché. N'importe. Daun a soixante mille hommes, 
Frédéric trente mille. N'importe. La force révo- 
lutionnaire c'est le mépris de l'ennemi. Daun 
résiste, crible Frédéric. « Celui-ci a tort? » Point 
du tout. Daun en reste si faible, qu'il ne peut 
bouger de sept mois. Sept mois ! Gagner cela, 
mais c'est plus que d'avoir vaincu. 

Ces batailles étaient des massacres immenses. 
A la première, celle de Pr^e, vingt-huit mille 
hommes restent sur le carreau; à celle de 
Kollin, la seconde, vingt mille. Rien n'était 

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— 405 — (1757) 

préparé pour de tels événements, nuls secours 
d'hôpitaux. Dans nu tel abandon, les blessés sont 
des morts. 

Horrible guerre de femmes I Avec quelle pas- 
sion étourdie et sauvage les trois dames l'avaient 
préparée I Avec quelle furie de colère, d'acharne- 
ment, elles l'exécutèrent, dans leur mortelle envie 
de tuer !e grand homme du temps I 

Les malheurs se suivent et s'enchaînent. Tous 
à la nie accablent Frédéric : malheurs publics , 
malheurs privés. Il perd sa mère, le soutien adoré 
de sa jeunesse en ses cruelles épreuves. Il perd 
son frère, en quelque sorte; ce frère, héritier du 
royaume, eût mieux aimé traiter ; il fallut l'éloi- 
gner. Au revers de Kollin succéda la nouvelle que, 
pendant que la Suède a saisi la Poméranie, la 
masse Russe (et sa nuée Tartare) entre par l'Est 
et mange tout. Cependant les Français occupaient 
tout rOuest, vainqueurs à bon marché, ne ren- 
contrant personne. 

Son unique alliée, c'était la petite armée de 
Hanovre, misérable et peu aguerrie sous Cum- 
berland, le fils de Geoi^es. Cumherland, battu à 
Haslembeck , et sûr de l'être encore , recule et 
recule toujours, poussé par Richelieu. Il arrive 
à la mer. Va-t-il sauter dedans ? Ou bien le déses- 
poir lui fera-t-il livrer bataille? Richelieu, qui, 
je crois, a de sa propre armée la triste opinion 

DolizccbvGoOglc 



(17571 —Mo- 

qué CumberlaDd a de la sienne, accorde à ses 
trente-buit mille hommes la convention de KI0&- 
ler-Seven : ils restent armés, maïs seront neu- 
tres. Les Français gardent le Hanovre, point es- 
sentiel à Richelieu , qui ne voulait rien que 
piller, et qui put à son aise manger tout le pays. 

Ainsi, le 8 septembre, Frédéric a perdu son 
seul allié. Quoiqu'il détende encore la Silésie, 
on fait de lui si peu de compte que les cavaliers 
de l'Autriche s'en vont jusqu'à Berlin insolem- 
ment la rançonner. 

Voilà le point où Vienne voulait voir Frédé»- 
rie. Là tendait tout l'effort des douze années. Ce 
n'était pas en vain que la pieuse Marie-Thérèse 
employait aux prières quatre ou cinq heures 
par jours : elle était exaucée. Le mécréant sen- 
tait le bras de Dieu. Dans ses fatigues extrê- 
mes, ses mî^rcbes, ses combats acharnés, il y 
avait à parier qu'il périrait. Mais cela n'allait 
pas à la haine de Marie-Thérèse ; elle eût voulu 
le voir prisonnier et traîné dans Vienne , se 
déclarant vaincu, criant contre le ciel, disant 
comme Julien l'Apostat : « Tu as vaincu, Ga- 
liléen! » 

Œuvre pie! Et elle est travaillée par des 
Vollairiens. De Vienne, Kaunilz dirige tout. Son 
actif instrument, plein d'esprit, plein d'audace, 
Choiseul, jusqu'en août, suit ici le grand plan 



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— 407 — (1157) 

autrichien : « La paix en France, et la guerre 
en Europe. » Le Parlement se calme, les 
exilés reviennent , la justice reproid son cours. 
D'autant plus vivement le Roi pourra pousser 
ïa guerre, accabler Frédéric. 

Depuis août , Ghoiseul est à Vienne. De là , 
bien mieux que de Paris, il stimule nos géné- 
raux, Richelieu et Soubise. Il a le zèle ardent 
d'un homme qui monte au ministère, qui brûle 
d'être ici le lieutenant de Marie-Thérèse. Dans 
ses lettres {Riehdiet^, il ne cache pas le motif 
qui le presse. Il est pauvre; il vit par sa femme 
(délicate et fragile) ; s'il la perd, « il sera dans 
la plus affreuse indigence. » Le pauvre est 
capable de tout. 

A ses dâïuts , il s'était posé en méchant 
par les perfidies galantes, les femmes compro- 
mises, les mots mordants. Il était craint des 
sots. Il se disait alors le chevalier de Mau- 
repas, autrement dit un Maurepas plus jeune, 
qui reproduirait l'autre, son esprit, ses ma- 
lices. Il passa son modèle.' Par lui surtout 
l'Autriche sut pervertir l'opinion. On ne 
croyait pouvoir éreinter Frédéric qu'en éga- 
rant Paris, en corrompant la Presse. Tous les 
écrivains faméliques savaient qu'on n'aurait rien 
que par la cabale autrichienne. Ils prêtèrent 
leur plume à Ghoiseul . Il eut un atelier de 

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(1Î57) — 408 — 

satires, de châDsons sur un même thème in- 
variable , l'avilissement de Frédéric. Sur tous 
les tons, sur tous les airs, on chanla, on dit 
et redit qu'il vivait à la turque. Il n'appuyait 
que trop ces bruits par un cynisme étrange, 
.l'ostentation des vices dont il était bien peu 
capable. Il n'était qu'un cerveau. S'il eût vécu 
ainsi, certes, il n'eût pas gardé cette énerçie 
prodigieuse , cette capacité étonnante de travail 
jusqu'au dernier âge. Il n'est pas si facile d'être 
tout à la fois un Henri 111 et un héros. On a 
vu ce que Louis XV devint par ses vices d'en- 
fance, son énervation féminine, sa honteuse ti- 
midité. Une chanson terrible, vraie Marseillaise 
du mépris , l'accuse précisément des hontes 
qu'on reprochait à Frédéric. Elle éclaire mieux 
que la Hausset, l'histoire du privé de Choisy 
(1755). 

Regardons les deux rois à ce moment (1757). 
Que fait Louis XV? et que fait Frédéric? 

Louis XV, après Vamiens, fut quelque temps 
captif, n'osait sortir, aller au Parc-aux-cerfs. 11 
avait toujoui^ chez lui Madame, mais uu 
peu négligée , qui se désennuyait avec le petit 
Louis XVI et le charmant petit Narbonne. La 
Pompadour imagina, pour mettre le roi plus à 
l'aise , de lui faire au plus près et contre la 
chapelle, un Parc-aus-cerfs réduit, resserré. 

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— 409 — (1717) 

ignoré. Dans deux chambres sur la triste cour, 
d'où l'on entendait le plain-chant, on lui logea 
des filles (exemple la jeune épicière que vendit 
sa mère alfamée, Hausset). On leur disait que 
c'était un seigneur. Une dit ; « C'est le Roi ! » 
Et on l'enrerma chez les folles. Ces belles in- 
discrètes étaient fort incommodes, surtout par 
l'embarras des couches , que délestait le Roi. 
De plus en plus, il se fit donner des enfants, 
pauvres jouets stériles , dont il se faisait ma- 
gister, dans ce petit logis étouffé et fétide. Vie 
sale autant que sombre d'un misérable pri- 
sonnier. 

Frédéric a du moins, il faut en convenir, un 
intérieur plus aéré. Quel intérieur? quel cabi- 
net? immense. Ce n'est pas moins que la plaine 
du Nord, le grand champ de bataille de trois 
cents lieues de long. 11 fait face aux deux bouts 
par une rapidité terrible qui semble le vol des 
esprits. Le soir, sous !a tente légère, qui fris- 
sonne à la bise , il tire encrier , plume , tout 
comme à Potsdam il écrit. Il fait des vers, souvent 
mauvais, qui témoignent du moins d'un bien 
rare équilibre d'âme. \rai siècle de l'esprit : ce 
qui l'inquiète, c'est Voltaire. C'est à lui qu'il 
envoie sa pensée (la dernière peut-être). Et le 
danger l'inspire. Plusieurs de ces vers sont très- 
beaux : 

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. . , Pour mrà, menacé du naurrage. 
Je dois. Taisant tète à l'orage. 
Penser, vivre ei mourir en roi. 

Voltaire lui avait jusque-là gardé rancune, 
entouré qu'il était des caresses de k Pompa- 
dour, de Kaunitz, de Choiseul. Il fat touché 
pourtant, lui conseilla de vivre, et il écrivit à 
la sœur de Frédéric qu'on pouvait s'arranger, 
a que, si l'on voulait tout réméré, à la bonté 
du roi de France » (21 août 1757), Richelieu 
pourrait bien agir et se porter arbitre. C'était 
le pire conseil à coup sûj: qu'on pouvait don- 
ner. Frédéric, tout surpris qu'il fût de l'inno- 
cence' de Voltaire, fit semblant de le croire, et 
écrivit à Richelieu, le flatta, l'endormit. Riche- 
lieu écouta , répondit , méoie se lit on chifîre 
secret pour bien s'entendre avec le Roi. Devant 
un pareil homme, il avait plus d'envie de né- 
gocier que de se battre. 

Frédéric l'amusait, préparait un gruid coup. 
Il jugeait froidement qu'il lui restait des chan- 
ces et de grandes ressources morales, 

L'Allemagne lui faisait la plus absurde guerre^ 
à lui son défenseur, le défenseur des princes 
que rAutriche poussait contre lui. Il les rappelait 
au bon sens , leur demandait pourquoi Us se 
hâtaient tant d'être esclaves , de faire les Alle- 
mands serfs du roi de Hongrie. Contre qui mar- 

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— 4ii — (17571 

chaient-iU? contre celui qu'ils imilaient, adjni- 
raient, révéraient, leur maître. L!Autriche même 
tâchait d'organiser de» troupes à la prussienne. 
Le petit Joseph II, enfant,, le fuLurczar Pierre IH, 
ne juraient que par Frédéric. Nos meilleurs ofiûr 
ciers (Saint-Gennai n et Luckner) étaient de par- 
faits Prussiens. Leurs yœoï étaient pour lui , 
ceux de la plupart des Français. D'Angenson 
n'ose dire qu'il lui souhaite de battre les nôtres, 
mais U parle des Russes. « Ah! dit-il, si le Roi 
pouvait accabler ces C(>quiDS l » 

Quel eût été le detùl ,de tous les. penseurs en ce 
monde, si l'on eût perdu Fsédérjcl, Berlin n' était- 
il pas l'asile de la libre pensée, tle h plus pré- 
cieuse des libertés, la liberté religieuse. Frédéric 
le sentait. Il se sentait. gardien et d^s droits de 
l'Empire et des droits de la fiijpsciBqçe, néces- 
saire à la fois à la patrie, au monde, je ne trouve 
pas ridicule (quoiqu'tqi ^it dit) qu'eu sa pensée 
suprême, il invoque ,]'oaibre de Gatoo. .- . 

Jamais personne ne brava tant la mort. 11 le 
fallait. Ses soldats, si ;dociles en h^laille, étaient 
exigeants, r^ardaient s'il était avec eux au dan- 
ger. Le soir d'une bataille, le voyant à. leurs feijx, 
ils disent dans leur Hberté rude : « Eh ! Sire I oii 
étiez-vous ? On ne vous a pas vu... » Il ne 
répondit rien. Mais ils virent son habit troué 
de balles et il en tomba une. Les voilà bien 



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{1757) — 412 — 

honléux. « Sire, nous mourrons pour vous. » 
Sa gaîté héroïque était inaltérable. Dans cette 
année terrible, un peu avant Rosbach, on lui 
amène un de ses Français, un grenadier qui dé- 
sertait. « Pourquoi nous quittes-(u? — Sire, vos 
affaires vont mal. — C'est vrai... Eh 1 bien, 
écoule : encore une bataillel si cela ne va mieux, 
nous déserterons tous les deux. » [ThiébavU.) 

L'élonnement de Marie-Thérèse, c'était noire 
lenteur. Par Choiseul, qui était à Vienne, elle 
demandait à chaque instant pourquoi on ne se 
hâtait pas de donner le coup de grâce. — Elle 
employa, le 3 septembre, la ressource suprême 
qui lui avait déjà servi, un voyage de l'Infante 
près de son père. L'Infante se mourait de deux 
passions , celle du grand mariage autrichien , 
et celle d'aller aux Pays-Bas , de quitter son 
désert de Parme pour ces grandes villes riches, 
peuplées, de Bruxelles et d'Anvers. Bernis , 
son ex-amant, qu'elle avait eu en Italie, était 
devenu si prudent qu'il respectait, approuvait les 
excuses de Richelieu et de Soubise , tous deux 
fort peu pressés de voir le lion au gîte. Dans 
son désespoir même , celui-ci était redoutable. 
Par sa petite armée du Nord (vingt mille contré 
soixante mille) il avait étrillé les Russes à Jœger- 
noff; tout en se proclamant vainqueurs, ils en 
eurent assez, s'en allèrent. Plus récemment, sur 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



— 415 — (1751) 

Soubise même, il eut un avantage léger, mais qui 
fit rire. Soubise a huit mille grenadiers,, fuit 
devant cpiinze cents Prussiens , perd sqn camp 
et tous ses bagages. 

La guerre était menée réellement par la Pom- 
padour. Entre le vieux Bellisie et le vieux Duver^ 
ney, elle aurait pu avoir de bons conseils, mais 
ne les suivait pas. N'étant que par l'Autricbe, 
ne suivant que Marie-Thérèse, elle attendait le 
mot de Vienne. Ce mot était d'agir secondaire- 
ment par Richelieu, mais de laire les grands 
coups par les vingt-cînq mille hommes que com- 
mandait Soubise, uni à l'armée de TEmpire, 
trente-cinq mille Allemands , qu'un Allemand 
menait , le prince Hildburghausen , un valet 
de Marie-Thérèse. Les Français étant moins nom- 
breux, la gloire serait toute allemande, toute à 
Marie-Thérèse ; elle aurait été quitte de ta recon- 
naissance, quitte de ses promesses, eût refusé les 
Pays-Bas. 

Qu'était ce favori Soubise? Rien en lui, mais 
tout par sa sœur, Marsan (Soubise), gouver- 
nante des enfants de France, qui avait eu ce 
poste de conSance par la grâce de Marie-Thé- 
rèse. Ces Soubise, depuis la belle rousse de 
Louis XrV, étaient toujours des favoris. Trois 
cardinaux Soubise sont les grands aumôniers; 
le premier ( fils du roi? ) , c'est ce cardinal 

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(1757) — 414 — 

femme, célèbre fxr sa belle peau et son zèle 
moliniste; le second, joli homme épuisé, qui 
meurt jeune, passait, dit Argenson, pour amant 
de sa sœur. Son frère, le général, brave homme 
et médiocre, plaisait à Louis XV par l'analogie 
de leurs mœurs. Sa scéur (Marsan) le fit t^- 
lemrait adopter de l'Autriche et de la Pomp»- 
dour, qu'on voulait lui donner ce que ne pat 
avoir Turenne : on voulait le faire connétable ! 

Soubiee, de Vietane et de Versailles, rece- 
vait des lettres pressantes qui revenaient à 
dire : « Allons , sois un héros. » Le destin 
l'accabla. TJn autre, Richelieu, eût été battu tout 
de même. La décadence pitoyable de l'armée 
(comme de toute chose) arrivait au dernier degré. 
Nos Français sont terribles aux premières guerre 
de Louis XV, à Guastalta, au combat de Plélo 
(1731). A Fontenoy, l'infanterie mollit, percée 
par la colonne anglaise (1745). Ici tout est dis- 
sout (1757). Personne ne se soucie de guerre. 
« Nos paysans en ont horreur , » dit Quesnay 
(art. Fermiers, dans l'Encyclopédie). 

L'âme est morte? Non pas. Avant Mahon, 
quand on dit qu'on n'embarquerait que les gens 
de bonne volonté, ils voulurent tous en être. Mais 
dans cette misérable guerre d'Allem^ne , se 
traînant , embourbés dans la boue , le vol , 
et le pillî^e, et les jambons de Westphalie, ils se 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



_ 415 — (i7S7) 

moquaient d'eux-mêmes, méprisaient cette guerre 
qu'on faisait pour trois femmes , et (sans nul 
doute usant déjà du mot rude de 92) « Pour 
ces cochons de Kaiserlics. » 

L'année française, chaque matin, à dix heures, 
offrait un grand spectacle. Devant les tentes, en 
ligne, on coiffait loua les officiers. Les coiffeurs, 
l'épée an côté, les tenaient sous le fer, frisaient, 
poudraient à blanc. Cérémonie essentielle. Com- 
ment se montrer décoiffé? Défrisé, on n'était plus 
homme. Nul besoin du service, nul danger n'au- 
rait ajourné. 

Cela prenait du temps, bien plus que sous 
Louis XIV. Car la Taste perruque du dix-septième 
siècle était frisée la nuit, toute préparée pour le 
matin. L'artiste, au dix-huitième, tous tenait par 
la t^ une heure et plus. Aussi, les perruquiers 
avaient pris un grand vol. Ils devinrent innom- 
Ivables. En 89, à Paris, ils étaient vingt ou trente 
mille. 

Ces officiers coquets, quoique assez vifs au feu, 
de mœurs, d'habitudes, étaient femmes. Aux sa* 
Ions, ils brodaient, découpaient des estampes, etc. 
Plusieurs étaient très-jeunes. Tel colonel avait 
quinze ans. Â l'assaut de Mahon, on en vit un de 
douze, iqui ne savait marcher; ses petits pieds 
se froissuent aux décombres; un grenadier le 
prit, loi servit de nourrice. 

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i!757) _ 416 — 

Ces faibles créatures ne manquaient guère, par 
vanité, d'entretenir des femmes. Leurs actrice^, 
chanteuses ou danseuses, les suivaient vaillam- 
ment dans leurs caresses, avec leur train, coiffeurs 
et cuisiniers. L'ofûcier, sa toilette faite, laissait te 
camp, allait au camp des femmes rire et causer. 
Le maréchal de Saxe n'eu fit-il pas autant? est-ce 
qu' il n'avait pas sa Favarl pour chanter avant la 
bataille? Mais ces dames n'auraient pas marché, 
si elles n'eussent trouvé à la guerre tout ce qu'on 
avait à Paris, leurs marchandes de modes, leurs 
soieries, essences et parfums, parasols et fard, 
mouches à mettre au coin de l'oeil. 

L'esprit d'égalité gagnait. Les subalternes, d'a- 
près les officiers, voulaient avoir des filles, les 
soldats même aussi. On dit que douze mille 
chariolslrainaient à l'arrière garde. Vaste camp 
pacifique, qui avait l'aspect d'un bazar. 

Pour être juste, il faut, à celte comiptioo 
étourdie, en opposer une grossière, celle de l'Au- 
triche. Qui croirait que parmi les fournisseurs de 
Frédéric, ses marchands de foin el de farine, oh 
comptait l'Empereur loi-même? Oisif, avare, il 
jouait au trafic; il nourrissait l'armée qui battait 
celles de sa femme. Vienne était remph d'espions 
de Prusse. Les grandfô dames, dans leur vie gour- 
mande, molle et voluptueuse, avaient toutes quel- 
que favorite, quelque petite femme de chambre. 



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— 417 — {17M) 

lui disaient tout. Le b'ijou ennuyé se consolait par 
unamantetlui livrait ces confidences. Il les trans- 
mettait à Berlin. On put savoir ainsi que le général 
de l'Empire recevait de l'argent de Vienne, qu'il 
entraînait Soubise, el le presserait de se battre à 
la première occasion. 

Le 7 novembre 1757, Frédéric, n'ayant que 
20j000 hommes, des hauteurs de Rosbach, con- 
templait l'arma de Soubise et du prince Hildboui^- 
hausen, augmentée d'un renfort qu'avait envoyé 
Hichelieu. Soubise hésitait à combattre, disait à 
son collègue l'attitude réelle du Prussien, caché 
par ses tentes, et qui derrière s'était rais en ba- 
taille. 

Ace moment critique, vient un bïUetde Vienne 
pour Soubise, billet de Choiseul. Il lui conseille, 
le presse de se battre (Duclos, 646). ConseiUm- 
périeuxl Soubise y sent l'impératrice, l'ordre 
absolu. Que faire? S'il ne combat, c'est fait de sa 
fortune. 

a Je le tiens, disait le sot prince allemand, 
je vais l'envelopper. » Opération très-simple. D 
fallait pousser notre armée à droite, cerner leur 
aile gauche , leur couper la retraite ; et pour cela 
d'abord faire un long défilé, passer devant le 
Prussien , sous son artillerie. 

On n'est pas à moitié que ses tentes ont tombé. 
Il apparaît. . . Sa cavalerie se démasque et 



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(tIBI) — 418 — 

s'élance. La nôtre lulle iin peu. Hais l'infante- 
rie ne soutient rien; on travaillait à la mettre 
en bataille; dansées mouvements commencés, 
trois volées de boulets la troublent, elle fuît 
à toutes jambes. Soubise amène ses réserves ; 
trop tard; on les culbute aussi. 

L'affaire ne fut que ridicule. Feu de blessés, 
très-peu de moris , maïs d'innombrables prison- 
niers. La suite aurait été terrible si la nuit, ve- 
une de bonne heure, n'eût charitablement cou- 
vert le camp des femmes , ce grand troupeau de 
faibles créatures , de dames qui s'évanouis- 
saient, de filles éperdues, qui criaient. Les 
marchands lâchèrent tout, n'eurent le temps 
d'emballer. Les cuisiniers laissèrent leurs bat- 
teries. Loin devant, vrais zéphirs, volaient les 
perruquiers, jetant l'épée qui leur baUait les 
jambes. Ce tourbillon eût été loin, si l'Instrutt, un 
méchant torrent, n'eût tout arrêté court. Un seul 
pont! Un long défilé.... Deux jours, trois jours 
on fuit de dltlérents côtés. A jeun. On n'a rien em- 
porté. Si par bonheur on trouve , à peine on veut 
dîner, qu'un cri part: « Voici l'ennemi. » 

Le camp abandonné fut pour la sombre armée 
du roi de Prusse un surprenant spectacle. Ces 
moines du drapeau, dans leur vie dure, n'a- 
vaient aucune a>nnnissance d'un tel monde de 
bagatelles, de frivolités parisiennes; que faire 

Douze. bvGoogle 



- 4iâ — {ii^f 

d'un le! bulin? Par l'ordre exprès du Roi, les 
blessés furent soigneusement recueillis et soi- 
gnes. Lui-même il fit manger les officiers avec 
lui , à sa table, leur en fit les honneurs, s'excu- 
sant de n' avoir pas mieux. « Mais, messieurs, 
je ne vous attendais pas sitôt, en si grand nom- 
bre. » Il dit encore : « Je ne m'accoutume pas à 
regarder des Français comme ennemis. » Et en 
effet, entre nos officiers , tous enthousiastes de 
lui , il avait l'air du Roi de France 

Un cri d'admiration piartit de l'Angleterre et de 
la France même. Vingt chansons célébrèrent 
Soubise. 

Cependant Vienne avait repris la SJlésie, l'oc- 
cupait avec cent mille hommes. Frédéric y court.' 
Il en a trente mille, mais si sûrs qu'au moment 
il dit: « Si quelqu'un flotte, hésite, je lui donne 
congé ; il peut se retirer, sans blâme et sans re- 
proche. » Pas un ne s'en alla. 

Le sot. démon d'oi^ueil qui possédait Marie- 
Thérèse, avait gagné les siens; ils déliraient 
d'avoir repris la Silésie. Us raillaient Frédéric. 
La terrible boucherie de Lissa les fit sérieux. Ds 
payèrent de leur sang. C'était la septième bataille 
de Frédéric en cette ïœnée ( 4 déc. 1 757 ) , et son 
chef-d'œuvre militaire. Napoléon lui-même en 
parle avec admiration. 

Dès ce jour-là, son sort était changé. Il pouvait 

D,a,l,zc.bvG00gIe 



(1157) — 420 — 

désormitis largement réparer ses perles. Pilt, de- 
puis juin , gouvernait rAnglelcrre. Frédéric reçut 
à ]a fois de l'agent, une armée. L'armée hano- 
vrienne, après Bosbach, déchire sa convention, et 
elle est mise aux mains des généraux de Frédéric. 
Quinze millions par an lui sont donnés de Lon^ 
dres. 11 peut nourrir, payer les nombreux dé- 
serteurs qui de tous côtés lui arrivent , veulent 
servir le grand Roi de Prusse. 

Véritablement grand*. Les Autrichiens eux- 
mêmes, regrettant de lui Ëiire la guare, dans 
le Prussira, ressentirent rAllemand. L'admira- 
tion d'un homme rouvrit la source vive de la 
fraternité. Le culte du héros leur refît la Germa- 
nia. 

Dans les nobles et simples récits que Frédéric 
nous donne de cette guerre unique, il n'a daigné 
rien faire pour en relever la grandeur. Loin d'en 
marquer l'effet, les résultats moraux, immenses, 
qu'on entrevoit ici, il s'en tient au technique, dit 
seulement pourquoi et comment il lit cette ma-' 
nœuvre, livra, gagna celte bataille, très-attentif 
surtout à bien marquer ses fautes , pour ne pas 
tromper l'avenir. Nulle excuse pour ses défaites. 
Une véracité héroïque. Les succès plutôt amoin- 

* Il n'a qu'une lacbe, sa participation au partage de la Pologne, 
préparé depuis cent années. Vo;. plus haut Tbom et les Jésuites, w- 
tqurt réel« de ç«tte ruine. Je l'ext^iquerai mieui an tome mirant. 



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— 421 — {175 ) 

aris. Sur le nombre des morts, des prisonniers, 
si les narrations diffèrent, c'est dans celle de 
Frédéric que le nombre est le plus petit. 

On sent en lui une cbose Irès-belle, c'est que 
ses faits de guerre il les a vus d'en haut. 

Derrière le capitaine et au-dessus est le Fré- 
déric roi , dont l'autre Frédéric n'est que le gé- 
néral. 

S'il n'eût été ni roi, ni général, il resterait en- 
core un des premiers hommes du siècle. En par- 
courant la colossale édition de ses œuvres (trente 
volumes in-4''), on reconnaît avec tous les criti- 
ques, les Villeroain et les Sainte-Beuve, ce que 
le libre esprit des Diderot et des d'Alemberl disait 
sans flatterie : C'est un grand écrivain, excellent 
prosateur, net, simple, mâle, d'étonnant sérieux, 
qui, même en face de Voltaire, dans ses très- 
belles lettres, se soutient avec dignité. 

Quelques formes bizarres , imprudemment 
cyniques,dont on abusa contre lui, n'empêcheront 
pas de déclarer : 

Qu'il fut le caractère le plus complet du dix- 
huitième siècle, ayant seul réuni à la force 
l'idée. 



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CHAPITRE DERNIER. 



Credo du dixJiuJtième nède. 1730-1757. 



Le grand coup de Rosbach frappait , noa- 
seulement la Pompadour, mais le Dauphin el 
la Dauphine. Celle-ci avait cru venger sa mère, 
le Dauphin venger Dieu. C'est par là que l'Au- 
triche les avait pris , par là que l'amie de 
l'Autriche, gouvernante des enlants de France, 
madame de Marsan , née Soubise , avait poussé 
son fi-ère. Le Dauphin , fort peu Autrichien , 
le fut dans cette année 1757. Il eut le charitable 
espoir qu'on avait, en se mettant dix contre un, 
d'exterminer l'impie. 

Voltaire la même année, ainsi que Frédéric, 
avait sa victoire, son Rosbach. C'est l'Essai sur 
les nweurs. Livre immense, livre décisif, qu'on 



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— 425 — (na(M757) 

allendait depuis quatre ans. Frédéric, quand Vol- 
taire le quitta (1755), laissa publier la copie 
incomplète qu'il avait dans les mains. Elle fut à 
l'instant réimprimée partout. L'ouvi'age ne pa- 
rut complet, dans sa grandeur, qu'en mars 1757. , 
Tiré du premier coupa un nombre inouï (7,000), 
il inonda l'Europe, la remplit de lumière. Viaisce 
gui est bien plus, ce livre, plein de vie et d'initia- 
tive, en donne à tout le monde. Il commence une 
enquête immense sm* l'histoire qui ne s'arrête 
plus. Le siècle marche dès lors dans un chemin 
nouveau, toute la grande armée historique, les 
Mably, les Raynal, les Hume, Gibbon et Robert- 
son, Jean de MûUer, etc. D'une part les critiques, 
et de l'autre les narrateurs, la philosophie de 
l'histoire, les Turgot et les Condorcet. 

La France est loin de se sentir vaincue. Tout 
au contraire, elle envahit l'Europe. Le cycle va- 
rié de ses grands écrivains, très-harmoniques 
entre eux, répond aux besoins variés, aux senti- 
ments des nations. Montesquieu gagne l'Angle- 
terre, à ce point qu'il y fait Blakstone. BulTon, 
dans sa solennité, inaugure en Europe les éludes 
de la nature, Diderot la critique inspirée et àes 
arts et de toute chose. 

Ce qui pi'ouve le mieux la souveraineté de la 
Fi-ance, c'est l'avidité, le respect, j'allais dire la 
religion, avec laquelle l'Europe l'accueillait dans 

Douze, bv Google 



(17ïO-n51) — 424 — 

son œuvre mêlée, énorme et indigeste, de l'En- 
cyclopédie. Rien ne donne aujourd'hui l'idée d'une 
telle chose. Tant de milliers de souscripteurs, 
pour un livre si lourd, si cher. 

Chaque volume est reçu comme un événement, 
salué avec enthousiasme. Bonne nouvelle ! l'année 
deRosbach, le septième volume a paru. L'Europe 
en est charmée. Outre les articles éclatants de Vol- 
taire, Diderot, beaucoup d'aulfes saisissent, com- 
mandent l'attention. De l'arllcleGenèue qu'a donné 
d'Alembert, une révolution va sortir, le grand 
schisme encyclopédique. 



C'est un sot préjugé, malheureusement fort ré- 
pandu, qu'avant celle réaction le siècle avait 
flotté, divagué" de côlé et d'autre. Erreur. Il a mar- 
ché très-droit. 

Qu'on me laisse un moment remonter et mar- 
quer depuis 1720 quelle avait été cette voie. 

1. L'action. — Montesquieu. Voltaire. 

Le point de départ est l'aiTêt de Montesquieu 
(dans la 117* des Lettres Persanes) sur le catho- 
licisme c( qui ne peut durer cinq cents ans. » 

H n'eut jamais d'éclipsé plus forte que sous la 
Régence. On ne le combattit pas ; on l'oublia. 

Douze. bvGoogle 



— 425 — (1121) 1757) 

Le jugement de Dieu, qu'il allestail toujours, 
avait deux fois prononcé contre lui. Vaincu deux 
fois, avec Philippe II, avec Louis XIV, il paraissait 
fini. Il rélait bien plus en lui-même, ayant dans 
VVnigmitus condamné l'Évangile, et les propres 
mots de Jésus. 

Montesquieu ne s'amuse pas à faire la petite 
guerre, noter tel scandale, tel abus. Il va à la vraie 
question : Si le calholicisme meurt, est-ce un effet 
de ses abusqui l'écarlentde l'Évangile? ou l'effet 
naturel, nécessaire, du principe chrétien? — 
Quel est-il, ce principe, et quelle est sa portée? 

Regardant l'avenir, dédaignant le présent et 
méprisant ce monde, condamnant toute occu- 
pation mondaine, maudissant la nature, il est 
essentiellement stérile et dépopulateur (let- 
tre i 14) . — Il est le père des moine», mais il en 
est le fds, issu du monachisme oriental, si fort en 
Egypte, en Syrie, avant Jésus, plus fort dans la 
mort de l'Empire, ce grand tombeau des nations. 
Au monde défaillant qui n'agissait plus guère , 
qui n'espérait plus rien, il interdit l'espoir, 
défendit l'action. 



Le premier mot qui part, en 1734, le premier 
cri, c'est : « l'action. » 

Voltaire, dans ses Lettres Anglaises el la lettre 

Douze, bv Google 



(1130-1767) — 426 — 

contre Pascal, dit la grande parole, le moderue 
Symbole : <iLe biUde l'homme est V action. » 

Nousavonsvn Yoltaîreà ce Irès-beau moment,, 
qu'on pourrait dire son moment stoïcien, quand, 
pauvre, ruiné, au retour d'Angleterre, il étaitcaché 
près Paris. 

Aux jérémiades amères de Pascal, sur les maux 
de l'homme, il répond noblement : « L'homme 
est heureux... Je suis heureux. » 

Comment heureux? Par faction. 
. Vacti&n, btU souverain de l'homme; avec ce 
mot il n'était plus besoin d'épigrammes, ni de 
petits combats. Cela renvoyait au néant les dog- 
mes de l'inaction, de la contemplation stérile. 

Le but, entendez-vous ? ce n'est pas le plaisir, 
ce n'est pas l'intérêt (à vous I Helvétius, Holbach I 
 vous, lesrinodernes écoles de la matière et du 
plaisir). 

Voltaire se croit sensualisteet dispple de Locke. 
]1 ne Test point au fond. Il se sépare très-bien de 
lui et de tous ceux qui croyenlla morale variable, 
qui ne i-econnaissent pas une règle identique d'ac- 
tion. 

Il se moque de Locke qui, sur la foi de voya- 
geurs suspects, a la crédulité d'admettre que les 
Mingréliens s'amusentà enten-er vifs leursenfants. 
« Mettons cela, dit-il, avec le perroquet qui liutau 
P. Maurice ces beaux discours eq langue brési- 

Doiizc^bv Google 



— 427 — {tMft-lïsij 

tienne, que Locke a la simplicîlé de redire. » 

Et il n'est pas moins ferme conti-e le fatalisme. 
Contre Wolf, contre Frédéric, il proclame la U- 
berté de l'action. 

« La liberté danst'hommeestla santé deVâme. » 
Plus on a la santé morale, plus on croit à la liberté. 
Le fataliste est un malade. 

C'est un état artificiel, contre lequel protestent 
la rnnsdence et la lihevté iniérimre. 

Tout cela, beau en soi, l'est encore plus dans la 
situation. Il soutient cette thèse contre un homme 
qui va r^ner, le jeune prince de Prusse (175-7- 
1758). Il tremble de le voir persister dans ce fata- 
lisme qui endurcit le cœur. « Au mmi de l'hvr 
manité, daignez penser que l'homme est libre. » 



La morale héroïque se prouve par les actes et les 
œuvres, la liberté par l'énergie. 

Fi'édéric, qui en fit un si terrible usage dans la 
guerre de Sept ans, fut converti par la victoire. 
Déjà vieux, il avoue (1771, 16 septembre) que 
nos actes sont libres, et que Voltaire avait raison. 

Mais il n'est pas moins beau de te sentir par les 
revers, par l'excès des malheurs. Le jeune et pro- 
fond Vauvenai^ues, martyr de la cruelle retraite de 
Prague (174i), fut le témoin du nouveau dogme 
par sa vie et par ses écrits. 

Douze. bvGoogle 



(1730-M51) — 428 — 

Voltaire les recevant (1744), lui écrit : « Beau 
génie, j'ai lu, j'ai admiré cette hauteur d'une 
grande âme... Si vous étiez né plus tôt, mes ou- 
vrages en vaudraient mieux. Mais, au moins, sur 
ma fin, vous m'affermissez. . . » 

 50 ans, le jeune homme avait déjà passé par 
deux âges. Un de concentralion sloïque, dans l'é- 
nivrement d'énergie où le jeta la lecture de PIu- 
tarque. Il se dépeint lui-même dans une lettre, 
comme il était alors : stoïcien à Mer, désirant un 
malheur pour s'assurer de sa force intérieure. Plus 
réfléchi, il eut le second âge, celui delà force 
expansive qui dit : A tout prix l'action. Là il est 
justement l'opposé de Pascal et du christianisme, 
de la morale d'abstention. Il accepte hardiment 
toutes les conditions de la vie, les passions 
comme aiguillons puissants de notre force active. 

D'autres aussi, non moins antichrétiens, ad- 
mettent la passion, mais l'emploient au bonheur. 
Vauvenai^es l'emploie, comme degré pour s'é- 
lever, un escalier qui monte à la grandeur , aux 
nobles résultats qui serviront le genre humain. 

Cette forte pensée ayant rempli son âme, et deve- 
nant lui-même, il donnait à sa personne modeste et 
réservée une autorité singulière. Le plus fougueux 
des hommes, Mirabeau (père de l'orateur), en écri- 
vant à Vauvenai-gues (du même âge, Usonl22ans), 
lui parle en fils plutôt qu'en frère. Il l'appelle : 

Douze. bvGoogle 



— 429 — (1780-1757) 

« Mon ma!lre. » Ce qui surprend bien plus, c'est 
que dans ce monde fulile de jeunes officiers dis- 
sipés et rieurs, nul n'ait ri de la vie recueillie, des 
mœurs graves et puresde ce singulier camarade. 
Devant son austérité douce, ils nesenlaient que 
du re^ct. 

Écoulons-le : « Blâmer l'activité, c'est blâmer 
la nature. Le présent nous échappe, nos pensées 
sont mortelles. Nous ne saurions les retenir. Si 
notre âme n'était secourue par cette activité infati- 
gable qui répare les écoulements de notre esprit, 
nous ne durerions qu'un instant. Il faut marcher, 
suivre le mouvement universel. Nous ne pouvons 
retenir le présent que par une action qui sort du 
présent... L'activité qui détruit le présent, le rap- 
pelle et le reproduit. » (11, 94, éd. 1757.) 

Et ailleurs ce mot si fécond : « Agir n'est 
autre chose que produire. Qui condamne l'ac- 
tivité , condamne la fécondité. Chaque action 
est un tumvel être qui commence ce qui n'était 
pas. » 

Son destin fut cruel. 11 ne put pas agir. II 
languit à l'armée. Il languit en Provence. Sa 
famille pauvre et très-serrée lui refuse toute 
expansion. Il a des ailes et il ne peut voler. 
Forte épreuve. Eh bien , il se dit : « C'est 
sur nous que nous devons travailler. Et la 
grandeur se trouve en ce travail. L'âme est 



^cb, Google 



grande, par ses pensées et par ses sentimenls. 
Le reste est étrange. Lorsqu'il lui est refusé 
d'étendre au dehors son action , elle s'exerce en 
elle-même d'une manière inconnue aux esprits 
faibles et légers. Semblables à des somnambules 
qui parlent et marchent en dormant , ces der- 
niers ne connaissent point cette suite impétueuse 
et féconde de pensées qui forment un si \if sen- 
timent dans le cœur des hommes profonds. » 

Ce mot qui , dans le calme, fait sentir le com- 
bat, montre aussi fièrement qu'en cette grande mo- 
rale, tout est compris, que l'âme souTeraine sait 
et lancer et retenir le chai-, créer à raclion refou- 
lée le champ illimité de l'activité intérieure, — 
qu'elle peut dire au monde : « Je suis un monde 
aussi. » 

Que de coups l'accablèrent I La fimeste re- 
traite de Prague lui avait coûté son ami, un 
jeune élève aimé , créé de sa pensée. Il quitta le 
service, rechercha un emploi. Par Voltaire il l'ob- 
tint. Mais le voilà gisant. Une cruelle petite 
vérole le dévaste, le défigure. Ses jambes, ge- 
lées à la retraite, s'ouvrent, ont des plaies. 
Et avec cela, poitrinaire, presque aveugle I La 
pauvreté cruelle pèse encore par-d^sus ces 
maux! 

Voltaire ici est admirable de braté, de cha- 
leur de cœur. I! va, vient, coiut, à Paris, à 



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— 431 — {1790-17571 

Tersailles. Il intéresse les puissants à la publica- 
tion nouvelle (1746). Il remue les ministres et 
la reine elle-même. Â ce moment où il entrait en 
cour, s'agitait tellement, il a du temps pour le 
malade. 

Aucun plus grand spectacle que celui de ce 
lit et de cette mansarde derrière l'École de mé- 
decine. Plusieurs en profilaient; le jeune, l'ai- 
mable Marmontel , Chauvelin , l'âpre chef des 
batailles parlementaires, Tenaient voir volontiers 
ce stoïcien si doux. « Jel'ai vu, dit Voltaire, le 
plus accablé des hommes , et le plus tranquille. » 

Quel était-il dans son for intérieur? Fils du 
passé, sorti d'une famille catholique (avec une 
mère très-dévote, une. sœur carmélite, etc.), 
d'autre part ami de Voltaire, ayant adopté son 
principe {antichrétien) de l'action^ du bon em- 
ploi des passions , étaît-il combattu , avait-il 
des agitations? Souffrait-il d'être double ainsi? 
Bien ne l'indique. Ayant peu à donner encore, 
il crut devoir garder dans son petit volume des 
exercices de jeune homme , qu'il eût mieux valu 
supprimer et qui loferaient croire chrétien, donc 
opposé à sa propre doctrine. Un morceau vigou- 
reux écrit de main de maître, et certes dans son 
âge de force [Vlmitatùm des pensées de Pascal)^ 
dément entièrement cette idée. Il est d'un par^ 
(ait Vollairien. 



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(1740-1151) — 432 — 

Rien de plus vi-aisemblable que ce qu'on a 
raconlé de sa mort. Vollaire alors n' était pas à 
Paris, mais il y fut présent par son aUer ego, 
l'excellait d'Argental, le même qui avait assisté 
Mlle Lecouvreur. Un jésuite arriva , n'en tira 
rien. Vaunevargues dit après son départ les vers 
dé Bajazet: 

.... Cet esclave est venu. 
Il a montré son orJre, et n'a rien (d)teDU. 

Mort à trente-deus ans, moins deux mois, 
en 1747. 

On a dit, non sans vraisemblance, que Vauvenar- 
gues qui souvent atteste contre le raisonnement 
l'autorité du sentiment, de ta nature, du cœur, 
est déjà un Rousseau anticipé. Oui, mais, très- 
grande différence, il est bien moin? sensible que 
Rousseau pour ses propres maux. Sur le grabat de 
Job, idaus ces infirmités déplorables, cette destmc- 
tion, il gémit, il est vrai, se plaint... des maux 
d'autrui. 

Ce sombre Paris, ruiné par une interaiinable 
guerre, ce quartier noir, pauvre et humide, lui 
révélait un misérable monde qu'il n'avait pas vu 
au Midi. 

. Dans un passage ému, touchante vision de ma- 
lade, il regarde passer le grand torrent, le monde 



t,ÇoogIf 



— 455 — (iï3«-nS7) 

et la foule aflairée. Hais de côté et d'autre, aux 
chemins de traverse, il voit de pauvres solitaires 
souffrants, muets, étouffant leur douleur. C'est à 
eux qu'il voudrait aller, eux qu'il voudrait calmer 
et consoler. Il hésite, craiut de les blesser; il les 
laisse passer à regret. 

Ailleurs, un aveu adorable : c'est que, tant mal- 
heureux qu'il soit, l'homme n'en sent que mieux 
toutes les misères des autres hommes... «Comme 
si c'était sa faute qu'il y eût des hommes plus mal- 
heureux encore. Sa générosité s'accuse de tous les 
maux du genre humain. » 

Cette vive sensibilité éclate à chaque instant 
chez son maître Voliaire, le rieur plein de larmes. 
Elle alla trop loin même dans son Désastre de ÏAs- 
bonne, l'égara, lui fit croire au désordre de la na- 
ture, lui en cacha l'ordre profond. 

Mais elle est admirable dans l'Essai sur les 
moeurs. Sous forme légère et critique, elle anime 
partout ce beau livre. Partout on est heureux d'y 
retrouver le sens humain. 

Bien mieux que Montesquieu', il pose : que, si 



* Si je ne çsrle pas ici de l'Esprit des lois, c'esl qu'il n'a pris au- 
torité que tard, dans la seconde moitié du siècle, avec nos Anglomanes, 
nos Constituants, etc. A. son appsrition, il eut un grand succès de cufIo- 
site (âS éditions en 18 mois, lTlS-1749). Mais bientât on l'oublie un 
peu (1150). Les raszias d'enfants, la fureur de Paris et le cheniin de 
la révolte, mettent ï cent lieues de ce livre si froid des temps endormii 
ni. SS 



bv Google 



(11W.1757) _ iS* — 

la coutume diffère selon les lieux et les climats, 
tout ce qui tient au fonds de la nature est le même 
et ne -varie pas. L'homme a toujours vécu en so- 
ciété, et cette société dure sur deux bases : justiôe 
a pitié. 

Plus vieux, il a mieux dit encore, étendant 6e 
principe de notre petit globe à ceux qu'on voit au 
ciel, et à tous les mondes possibles. Partout même 
morale, tout cotnme même géométrie. Je cite ce 
qui suit de mémoire, je crois, assez exactement : 

« Si , dans la Voie lactée, un être jVensant voit un 
autre être qui souffre, et ne le secourt pas, il a 
péché contre la Voie lactée. Si, dans la plus loin- 
taine étoile^ dans Sirius, un enfant, nourri par son 
père, ne le nourrit pas à son tour, il est coupable 
envers tous les globes. » 

de Fleury. — Hontesquiea meurt tant seul [1T5S), i ce ptûnt qu'il n'j 
eut qu'un homme pour smvre son convoi. C'éhit le bon Diderot. — Le 
pauvre Montesquieu avait été dupé sur l'Angleterre, mystifié par les 
Walpole. lU lui firmit admirer la machine, qui ast peu de chose. C'est 
la île qui est tout, ia vie, c'e&tYHabeas corpus et le jury, la sûreté de 
l'bomme et de la maison bien fermée. La maison ? qu''est-cc ? Le ma- 
riage. Une femme sûre, qui ne tient qu'au mari (beaucoup phisqu'am 
enfants). C'est ce qui a fait tout le reste, la force du dedans, la graoduir 
du dehors. Il Ta au bout du monde ; elle suit. Dès lorj tout est pos- 
^le et la colonie durera. — On n'imite pas la liberté, on ne l'importe 
pas, il faut la prendre en soi. A chacun de la faire par l'énergie du 
sacrifice ; non le sacrifice d'un jour, mais celui de loua les ours, le 
fort travail suivi, les mœurs laborieuses. 



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2. L'action universeUe. — Didei-ot. 

. L'ouvrier naît au dix-huitième siècle, et la ma- 
diine au dix-neuvième. Notable différence. Les 
œuvres industrielles, Tameublemenl surtout, les 
arts de décoration intérieure, portent alors l'em- 
preinte vive de la main de l'homme, souvent 
exquise et délicate, parfois quelque peu indé- 
cise, avec certains légers défauts qui ne sont 
' pas sans grâce, indiquant que la vie a passé là, 
l'émotion, et que l'oeuvre en palpite encore. 

Les formes convenues du siècle de Louis XIV 
s'étaient imposées à l'Europe, mais pour les cho- 
ses qu'on peut dire extérieures : architecture, jar- 
dins, costumes officiels. Des arts nouveaux se 
créent sous la Régence, qui atteignent bien plus 
k dedans. Ils pénèlrent, se glissent, semblent 
des confidents d'amour et d'amitié. Ils ne mé- 
prisent rien, donnent aux menus détails d'inté- 
rieur, à cent choses d'utilité (fort grossières sous 
Louis le Grand) un charme singulier. Toute la 
vie en est ennoblie. Au plus caché boudoir des 
princesses étrangères, l'ameublement intime, le 
négligé d'amour, la vie mystérieuse, tout est 
création de la France. Ce génie d'industrie, qui 
sentet prévoit tout, sert les raffinements solitaires 

Douze. bvGoOgIf 



(1720-1757) — 436 — 

et la coquetterie sociale, les goûts de l'intérieur 
et r»imable vie de salon. 

En ouvrant les recueils des hommes sortis de la 
Régence, Oppenord, Meissonier, de Cotte, etc., on 
voit qu'ils entrevirent, tentèrent une grande 
chose : féconder l'art par la nature, marier avec 
charme les formes si diverses de la végétation et 
de la vie marine, les feuilles, oiseaux, coquilles ; 
exploiter mille espèces de fleurs, de coraux (au- 
tres fleurs); sortir de la pauvreté sèche des trois 
ou quatre types maussades oij s'est tenu le Moyen 
âge. Ils en firent des essais, allèrent (on peut le 
dire) au bord de la Nature. Ils y seraient entrés 
avec bien plus d'audace si l'Histoire naturelle, 
maîtrisée par Buffon, n'eût été immobile dans ses 
descriptions solennelles, si déjà elle eût eu le gé- 
nie des transformations qui doit un jour changer 
les arts. Lamarck, Geoffroy, Darwin, s'ils étaient 
nés déjà, auraient ouvert un champ immense au 
génie de nos Oppenord. 

L'art était jusque-là chose d'église, se répétant 
toujours, ou ridiculement houfli, aux apothéoses 
royales, aux plafonds de Versailles. Mais tout à 
coup voilà qu'il est partout. Il devient social. Il 
crée une société, li n'est plus une école ou une 
académie; il est un peuple. Un grand peuple sans 
nom a poussé sous la terre, de fine main, par qui 
le métier devient art. Il est même juste de dire 

Douze, bv Google 



— 437 — (1720-1757 J 

que le sculpteur, le peintre, ne sont pas alors 
en progrès. C'est bien plus en ces arts appelés 
des métiers, que le siècle fleurit de grâce et d'in- 
vention. 

Notez qu'ici l'ouvrier seul est tout. Il conçoil, 
exécute. Ce n'est ni Vanloo, ni Boucher qui lui 
enseignent ces merveilles. Dans son cinquième 
étage, il est un créateur. Sans secours, sans ma- 
chine et presque sans outil, il est forcé d'avoir 
du génie dans les doigts. Que d'eiîorts, de pen- 
sées, de combinaisons solitaires, avant que le 
chef-d'œuvre aille au bout de l'Europe faire ad- 
mirer les arts français ! 

Mais cet ermite du travail, par moment, voit 
monter à lui un Esprit, qui aime et sent tout, qui 
pénètre ses habiletés, ses procédés, qui lui trouve 
une langue pour cent choses innommées, lui 
explique son art à lui-même. C'est le panto- 
pbile Diderot. 

Voltaire l'appelle Panto-phile, amant de toute 
la nature, ou plutôt amoureux de tout. 

Il n'est pas moins Pavrurge, l'universel fai- 
seur. C'est un fils d'ouvrier (comme Rousseau, 
Beaumarchais et tant d'autres). Lai^res, sa ville, 
fabrique de bons couteaux et de mauvais tableaux , 
l'inspire aux métiers et aux arts. 

De son troisième nom qui lui va mieux en- 
core, c'est le \Tai Prométhée. X\ fit plus que des 

DolizccbvGoOglc 



(17!0 ns7) — 438 — 

œuvres. Il ût surloùl des liommes. II souffla 
sur la France, souHIa sur l'Allemagne. Celle-ci 
l'adopta plus que la France encore, par la voix 
solennelle de Goethe. " 

Grand spectacle de voir le siècle autour de luiS 
Tous venaient à la file puiser au puits de feu. Ils 



* Cherchons le cceur du dii -huitième siècle. H esl doulile : Vol- 
taire, Diderot. — Vi^ire garda, trèa-nelte Vunilé de la vie dirine. 
Diderot sa mulliplicilé. Tous deux sealirent fortement Dieu. — Tous 
doux furent Irès-uuU par l'idée identique qu'ib eurent de la Jurtice. 
Contre Locke Voltaire, et Diderot contre Udiétiui seutieiinait la Jus- 
tice absolue. ~- Les hauts génies de cette époque, dont si complaisam- 
ment on a eiagéré les dissentiments eitérieurs, furent d'accord bien 
plus qu'on ne dit. On n'a pas asseï rappelé tant d'expressions fnter> 
relies, de mois d'admiration, de mutuelle tendresse, qui leur ont 
échappé. — Vojez d'abord avec quelle joie toute appaiilioa nouvelle du 
génie était refue. Lorsque Voltaire, au eomUe de sa gloire, flatté de 
tant de rois, regoit les essais d'un jeune homme inconnu, YauTenargues, 
quel attendrissement paternel ! quels efforts pour le produire, le &ire 
accepter de tous ! Chose toucbaote ! il descend de sa gloire, lui dît : 
< J'aurais valu mieux, si je vous avais connu. • Ce mot, c'est le destin, 
c'est le prii de la rie. Qu'il souffre et meure, qu'importe? Il est dans 
l'immorl alité. — Quand l'Esprit des lois apparaît dans son snccès im- 
mense, Vollaire est ravi, il tressaille. Il en entreprend la défense et 
lance aux détracteurs un de ses beaux pamphlets. Plus lard il critiqua. 
Hais que sont ses critiques auprès de l'éloge excessif: • Le g^ire bu- 
main avait perdu ses tilrcs. Moutcsquieu les s relrouvés. * ^ Dans la 
lettre où Aiderai défend contre Fakonet Vidée de l' immortalité, il j a 
un mot, tendre, inquiet, eut Voltaire qu'il TDjait vieillir ; t Quoi ! fsut-U 
qn'un tel homme meure'.' ■ — Diderot, ï son tour, trouva en ses pairs 
la sympathie profonde, l'aveu de son immensité : > L'oiseau de si grande 
aile 1 > Vollaire l'appelle ainsi. Et Rousseau : t Génie transcuidant! je 
n'en vois pas deux en ce siècle! * — Grands cceursl Ils me rappel- 
lent le fanatisme de Ruhens pour Vinci, et raccent si fort de HUton 
dans ce sonnet touchant où il dit : f Mon Sbakspeare ! r — Cela ne 
nous ressemble guère... Hélas ! pauvres sauvages du dix-neuvième siède 
qui marchons » sombres un ï un ! 



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— 359 — (1120-1157) 

y venaient d'ai^ile, ils en sortaient de flamme. Et, 
chose merveilleuse, c'était la libre flamme de la 
natmre propre à, chacun. Il fit jusqu'à ses enne- 
mis, les grandit, les arma de ce qu'ils tournèrent 
contre lui. 

11 faut le voir à l'œuvre, et travaillant pour 
tous. Aux timides chercheurs, il donnait l'étiu- 
celle, et souvent la première idée. Mais l'idée 
grandiose les efî'rayait?lls avaient peu d'haleine? 
Il leur donnait le souffle, l'âme chaude et la vie 
par torrents. Comment réalisa-? S'il les voyait en 
peine, de sibylle et prophète, il était tout à coup, 
pour les tirer de là, ouvrier, maçon, foi^eron ; il 
ne s'arrêtait pas que l'œuvre ne surgît, brusque- 
ment ébauchée, devant son auteur stupéfait ^ 

Les plus divers esprits sortirent de Diderot ; 
d'un de ses essais, Condillac ; d'un mot, Rousseau 
dans ses premiers débuts. Grimm le suça vingt 
ans. De son labeur immense et de sa richesse in- 
croyable coula le fleuve trouble, plein de pierres, 
de graviers, qu'on appelle du nom de Raynal. 



■ Do jeune homme lui apporte une satjre contre lui. Il s'excuse : 
( Je n'ù point de pain. J'ai pensé que tous me donneriei qudques - 
écns. — îfis, monsieur, quel triste métier !... Haig tous pouvez tirer 
de ceci un meilleur parti. H. le duc d'Orléans, retiré i Sainte-GeneTièTe, 
me hit Tbinmeur de me faair. Dédiez-lui ce lirre, et qu'on le relie k ses 
«rrnea. Vois en aurez i^elque secours. — Monsieur, l'épitre m'emba» 
rane. — Asse^-vous lï, je Tais tous la bire. ■ Le prince donna 
Tin^-dnq louis. 



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Un lorrenl révolulionnaire. On peut dire da- 
vantage. La Bévolulion même , son aine , son 
génie, fut en lui. Si de IVoiisseau vint Robes- 
pierre, « de Diderot jaillit Danton. » {Aug. 
Comte.) 

« Ce qui me reste, c'est ce que j'ai donné. »> 
Ce mot que le Romain généreux dit en expirant, 
Diderot aussi pouvait le dire. Nul monument 
achevé n'en reste, mais cet esprit commun, la 
grande vie qu'il a mise en ce monde, et qui 
fiotle orageuse en ses livres incomplets. Source 
immense et sans fonds. On y puisa cent ans. 
L'infini reste encore. 

Dans l'année même (1746) où Vauvenai^ues 
publia ses Essais, ses vues sur Vaction, Diderot 
publia ses Pensées, où il dit un mot admirable. 
Il demande que Dieu ait sa libre action, qu'il 
sorte de la captivité des temples et des dermes, et 
qu'il se mêle à tout, remette en tout la vie 
divine : 

« Élai^issez Dieu I » 

Combien à ce moment on l'avait étouffé ! com- 
bien indignement on l'avait remplacé, ce Dieu de 
vie, par la Mort même ! Comme on s'en servait 
hardiment pour sacrer toute tyrannie, arrêter la 
science, la recherche des causes, au nom de la 



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— 441 — [1«(I-1M7) 

Cause première ! On voulait qu'on s'en tint à ce 
mot : « Dieu le veut. » 

« Qu'est-ce que la. Nature? Adorez, ignorez! 
Comprendre, c'est impie. — Qu'est-ce que l'in- 
dustrie ! la témérité de créer et de faire concur- 
rence à. Dieu. — Et la médecine ? défiance et dé- 
faut de résignation, l'acharnement de vivre. Guérir 
est un péché, a 

Ainsi à chaque pas, obstacle et inertie, un 
monde obscur, épais, coagulé; rien ne se meut. 
Pour y ramener le mouvement, la circulation de la 
vie, le fluide de la Nature, et ses transformations à 
U^vers l'espace et le lanps, il lallait écarter le Dieu 
faune d'inertie, — affranchir le Dieu mouvemaU. 

Après la longue mort des trente années dernières 
du règne de Louis XIV, il y eut un réveil violent 
de toutes les énei^les cachées. Dieu s'élargit, on 
peut le dire, il s'échappa. La vie parut partout. 
Des lettres aux arts, des arts à la Nature, tout 
s'anima, tout devint force vive. Il n'y eut plus 
personne de mort. Tous les êtres voulurent monter. 

Dn plus profond abîme, les madrépores eux- 
mêmes» les coraux réclamèrent, dirent qu'ils n'é- 
taient pas simples fleurs, mais de vrais animaux. 
{P^ssonel.)ies plantes à leur tour, autant que l'a- 
nimal, dirent aimer et avoir des sexes (VaUlatU). 

Les insectes (par Béaumur) prouvèrent qu'ils 
étaient ouvriers, de merveilleux industriels, qui 



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(ï7»-n57) — 442 — 

se disaient chacun des outils pour son art. 

Ainsi la Nalure tout entière, devant llhdustrie 
qui naissait, dit qu'elle aussi elle était industrie, 
uu créateur laborieux. Notre Maillet, qui vécut en 
Egypte, vit, dans la matrice du Nil, surgir Tanimal 
(non oisif), mais persévérant ouvrier, qui va se 
fabriquant, va montant dans l'échelle de la méta- 
morphose, se diversifiant, tendant vers chaque 
espèce, selon qu'il développe tel oi^ane ou telle 
fonction. 

Pure machine au temps de Descartes, l'animal 
s'émancipe au dix-huitième siècle, devient animal 
vrai, tme force animée et active, qui se crée, et 
qiii a sa part du Créateur... Et Dieu lï'en rougit 
pas. Animer tous ces simples, ces innocents, poiu* 
lui, c'est s'élargir , reprendre sa libre action et 
rentrer dans la vie divine dont les prêtres et les 
sophistes, ces impies, l'avaient exilé. 

Le vertige me vient à regarder la scène prodi- 
gieuse de tant d'êtres, hier morts, aujourd'hui si 
vivants, créateurs... Cela est beau, grand! Dieu 
partout! 

Démocratie immense !.. Plus la compressiMi 
monarchique du Dieu de fer du Moyen âge fut exar 
gérée jusqu'ici, plus aussi elles brûlent, ces forces 
délivrées, d'avoir tout leur ressort, de se détendre 
enfin, de vivre de la vie républicaine. Diderot, leur 
oi^ne, a un respect si tendre des moindres 

Douze. bvGoogle 



— 445 — {1120-1757) 

libertés, des petites activités, qu'il craint de les 
gêner par un 'cadre trop fort. Il les relie sans les 
serrer, les laisse vigoureusement s'épandre en ses 
systèmes. Il ne les contraint pas, s'efface. — Au 
système du monde, il agit tout à fait de même. 
Le grand Auteur à peine y paraît. II n'est pas nié, 
mais écarté, ajourné ou voilé. 

Ah ! l'amour contredit l'amour, et il a en lui son 
obstacle I 

Qui aime à ce point toute chose, — par l'amour 
de la vie locale, — perdra le sentiment de l'Onilc 
centrale. 

En douant chaque être d'une âme et d'un esprit 
divin, y mettant Dieu, on a peine à garder l'har- 
monie supérieure et la haute Unité d'amour qui 
liait toute chose. 

Cela est triste ^.. Le monde en devient sombre. 
Quel éparpillement de la vie !.. 



' Il est trbta de toir dcui on trois hommes, et des plus émineotB, 
— [deina de la tie divine, — a'ea pas bien Beolir rtloîtù. C'était ma 
querelle déjà avec notre regrettable Proudhon, qui m'a suitj de près 
dans mon idée de la Justice, de la Révolution, opposé du Christia. 
Disine. Son esprit déceatralisatoir hù a voilé l'I/nif^ du grand Tout. — 
J'ai dit ma pensée Ë-deEsus dans le livre de la Femme, dans la Bible 
de rhumanité. — Ké fort indépendant de la forme chrétienne, n'ayant 
jamais communié, quoi qu'en disent d'impudents biographes, j'avais 
l'esprit très-libre, et plus de droit de m' expliquer. 

Le vrai soleil du monde, l'Amour qui en est l'âme, n'apparait pas 
toujours. La ravissante idée de l'Unité centrale par moments se dérobe 
pour enhardir la vie locale. C'est un phare à éclipses qui tourne, qui se 
cache et ne périt jamab. Rassurez-vous donc ani heures sombres. 



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(1720-1155) _ 444 — 

Si l"animal s'âève dans l'échelle des êtres, 
selon qu'il est cenbtilisé. en montant des moUas- 
ques à l'bomme, — hélas ! Yamnud monde, s'il 
n'est centralisé dans l'unilé divine, de quelle 
chute profonde va-t-il tomber, cher Diderot ! 

Ses Pensées sont brûlées (1746). — Sa Lettre 
sur les aveugles (1749) le fait mettre à \in- 
cennes. Regardons^e sur ce donjon. 

De là la vue est grande sur la plaine, la Seine 
et Paris, sur Notre-Dame et la Bastille. Que 
d'homme ont regardé du haut de cette tour, 
mesuré la hauteur I Retz, Condé, Barbes, Mira- 
beau, mille autres y ont passé. Hais nul oiseau 
jamais de si haut vol n'y fut que celui que j'y 
vois, nul plus grand, plus hardi, « nul plus sage 
et plus fou. » 

Lui-même s'est dépeint à merveille. Né à Lan- 
gres, lieu haut et de vents étemels, qui d'heure 
m heure va du calme à l'orage, il dit : «-Ma tête 
est le coq du clocher qui va, vient et tourne tou- 
jours. » Un coq, disons-le, d'un œil d'aigle qui 
plane et voit au loin, pressent de tous c^tés les 
vents de l'avenir. 

C'est l'an 1749 (juillet), l'avènement de Mes- 
dames, et le triomphe du Clei^é. Le Roi accorde 

Cette flamme qui bit U joie du cœur, [>«ttl manquer parmoEnrats, noiu 
attrister de md abience. Toujours elle rerient plut rivante, agrandie. 



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— 445 — (ITSO-lTOl) 

atix préIres une razzia des gens de lettres. Sous 
le prétexte d'athéisme, on \%e au donjon Di- 
derot. 

Cent ans plus tôt cela mène au bûcher. Vallée, 
Yanini, Théophile furent sans piété brûlés. Que 
d'autres, pour des riens, furent enterrés vivants! 
J'ai dit la cage de Saint-Michel-en-grève. Je n'ai 
pas dit les fosses pleines de rats, où Renneville 
eut Je nez mangé. 

Diderot fut très-beau en prison. Tenu au secret 
le plus diu*, il ne livra jamais le nom de son li- 
braire qui eût été droit à Toulon. Il était décidé à 
rester là. Et, sans papier ni plume, il charbonnait 
un drame de ia mort de Socrate. L'autorité fléchit 
et recula. 

Dans ce séjour de trois mois à Vincennes, il 
mûrit son grand plan d'une association imiver- 
selle des gens de lettres, concentrant leurs travaux 
dans un Dictionnaire qui contiendrait la science 
humaine. Pensée folle? on devait le croire. 

L'autorité permettrait-elle une si dangereuse , 
entreprise, toutes les sciences exposées, traduites 
selon l'esprit philosophique (autrement dit, contre 
l'autorité) ? Aucun protecteur sûr. La Pompadour 
et d'Ai^enson cadet voulaient, ne voulaient pas. 
Si Diderot n'eût fait qu'un livre, il eût péri. Il 
emporta l'obstacle à force de grandeur. Dans sa 
vaste entreprise, au peuple des lettrés s'unit le 

Douze, bv Google 



(nawiMl — 446 — 

peuple financier. Des fortunes s'y ei^ï^èi-ent., 
Telle y Ail jetée sans retour. Une seule dame. y 
mil cent mille écus. 

Plusieurs y mirent leur vie (de Jsnicourt, et tant 
d'autres). La générosité de Diderot qni s'y us» 
pour rien (y eut son pain à peine), sa générosité 
gagna. On vit un surprenant spectacle, cesser 
l'^oïsme et l'envie 1 Qui aurait jamais cru que 
la nation des gens de lettres (comme l'appelle 
d'Alembert), nation de rivaux, d'envieux,, en 
viendrait à s'immoler dans un travail poiomun 
où chacun brillerait si peu? une Babel par ordre 
alphabétique , un monstrueux dictionnaire de 
trente volumes in-folio? L'£ncî/çitopéd*e fut bien 
plus qu'un livre. Ce fut une faction. A travers 
les persécutions, elle alla grossissant. L'Europe 
entière s'y mit. 

Belle conspiration générale qui devint celle de 
tout le monde. Troie entière s'embarqua elle- 
même dans te cheval de Troie. 

Tout cela était encore dans le cerveau de Dide- 
rot. 11 était encore à Vincennes, m^is plus libre 
déjà, quand il eut, en août 1749, la visite vrai- 
ment mémorable du musicien Bousseau. 11 n'a- 
vait pas encore fait le Devin du village, et rien 
ne le recommandait. Diderot qui l'aimait, ne mé- 
ditait pas moins d'inscrire Rousseau au litre du 



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_ 447 — ()790-nW) 

grand Dietimmire des sdenees, de lui donner 
l'honneur d'être un des fondateurs de l'Encyclo- 
pédie (ce qu'il a fait rédlemeut). 

Mably, dans cette année, avait donné son liyre 
contre la vie moderne, son éloge de Sparte, elo. 
Rousseau, protégé de Mably et ami du célèbre 
auteur, pouvait-il ignorer ce livre? Il n'en 
dit rien , mais parle seulement du sujet pro- 
posé par l'Académie de Dijon. « Les sciences 
et les arts ont-ils servi le genre humain? » 
Cette question, dit-il, lui ouvrit tout un monde. 
11 allait à Vincennes quand il ta lut, en fut 
ému, gonflé, ne put plus respirer. Il s'assit 
sous un arbre, y écrivit une page au crayon pour 
la montrer à Diderot. 

Les trois récits qu'on a de ce moment (par 
Rousseau, Diderot, Marmontel) s'accordent aisé- 
ment. Rousseau entrevit bien la grande place 
qu'il allait saisir, en attaquant les sciences et le 
parti de ses amis. Mais il ne l'eût pas fait sans 
l'avis généreux du capital ami, qui pour lui était 
tout alors, sans l'autorisation de l'oracle du temps. 

Grave question pour Diderot I Au jour oià il 
dressait le monument des sciences , allait-il 
envoyer Rousseau dans le camp opposé? Ne 
risquait-on de voir bientôt un encyclopédiste 
ennemi de l'Encyclopédie ? qui sait ? ennemi 
de Diderot? 

. Douze, bv Google 



(IWO-lîST) _ 448 _ 

Celui-ci fut Irès-grand. Il conseilla contre lui- 
même, contre son œuvre el contre son parti. Il 
conseilla Rousseau pour Rousseau, selon ses 
tendances, son talent et sa destinée, et, quoi 
qu'il arrivât, il le lança dans l'avenir. 



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TABLE 



Piges. 
PRiviCB. — SourceE de- celle histoire.' — la conspiration De fe- 
mille. — Le Credo du dîx-hnitiËme siècle 



GuFiTM nunnra. — Fleury et M. le Duc, 1724 1 

Fleary transmet & H. le Duc un pouvoir limité. 5 

Fleury créé par les Jésuites. . 5 

Il écarte les honnêtes, gçn; du Veorapl ^;al. ,,...... (i 

DuTerqey dirige H. le Duc et Madame de Prie 9 

Rétwme de Duïernej. Son impopularîlé 15 



Cha?. n. — CkuU dt M. le Duc. n2&-1790. 



Amour de la France pour le petit roi 19 

Ses camarades. ConDiience de Fleur; 31 

U. le Duc les chasse 36 

n maris le Roi, septembre 1735 38 

Chute de M. le Duc, juin 1726 32 

Ëiil et mort de Madame de Prie 38 

Cb»?. m. — Eîprit guerrier et provocateur du clergé. — 

France. Pologne. Espagne. 1726-1727 ii 

On aggrave la perséfution protestante. 43 

Cruautés des Jésuites, fune^es à li Pologne. - . ■ 45 

Leurs folies d'Espagne. Riperda, nouvelle Arma dj 4'J 

L'Anglais corrompt la Famèsc cl se joue de Fleurv 57 



t,CoogIc 



— 450 — 

Psges. 
Chap. IV. — Chute du tiède. — (mpuissance des jamé- 

nisUs el des proteftanls. im-in9 59 

Oa dit ï tort que la France se remit gous Fleury 59 

Réaction honoUe et libérale du Juuémsme 6S 

Persécutiom. Hiracles iansénietefl S5 

AtsodatioDS des jansénistes, des friLUCS-maçons 69 

Vertus et stérilité des jansénistes, des protestants 73 

Cau. V. — Voltaire et M'" Lecouvreur, 1728-1750. . . 76 

VolUire revenu d'Angleterre, 173S 77 

Lettres Anglaises et contre Pascal : Le but deVhgmme est Caclion. 85 

Tragique destinée de mademoiselle Lecouvreur. 8S 

Elle est enterrée furtiToment v • . • 93 

Chap. VI. — La Marmousets. — U Cadiire. 1750-1751. 97 

Le Koi sous le Pape : b Bulle loi du rojaume 98 

Le Boi trahit see camarades ; Fleury le tient sous clef. . . . - , ' iOO 
Le procè; du P. Girard et de la CatUire trouble la royauté du 

clergé, 1751 102 

Le Clergé perd l'espoir de devenir son pn^e juge ' H3 

Ch»p. Vm. — Ziare et Chartes XH. — La guerre. 1752- 

1755 Hi 

La chanson de Bonncval, le pacha français ItS 

Chauvelin et Belliate pour la guerre (contre Fleury) 118 

Essor des arts lyriques, Zaïre. On est amoureux de l'amour. , 120 
Infirmité de la reine. On acbite pour le Roi H" de Uaill; , 

1752., , 122 

Chauvelin vent rétablir Stanislas, chasser l'Autrichien d'Italie. , 127 

Chap. IX. — tfljfiwrre.— Fleury et Walpde. 1753-1755. , 151 

Fleurj, mené par Walpole, retarde et entrave. 132 

Ou comprometla Pologne, Stanislas, et on les trahit 155 

Mort héroïque de riélo jjQ 

L'Espagne profite delà guerre, prend les deux SIciles 140 



^cb, Google 



— 45i — 

Pagw. 

Maigre la trahison de Flearf, Chinrelin exige la Lonaine. . , 143 

L'Angleterre anti^protestaote. Elle assure TEmpire !i l'Autriche. 145 

(kip. X. — VoUmre, 1754-175». —URoitie fait point 

sespdques, 1759. 147 

LetLettrea Anglaises de Voltaire, 1754 149 

It se réTugie dbei madame Du GhStelet, en Hollnide, etc. . . . 149 

Réaction. Clwte de ÇhaHvelin, 33 Kmer 1737 155 

Influence dérote et galante de madame de Toulouse 1^ 

Contre elle, la MaiUj appelle sa jeune soeur la Nesle, déc. 1738. 160 

Le Roidé<&requ'ilnefffB pas EGS piques, arrit 1139- . . • . 1^ 

Cbat. m. — Guerre d'Autriche. — Grandeur et eauutivphe 

de la Nesle.. ; 163 

La chimère du (on ilin, du salut par l'amour 163 

Uort de l'Empereur, guerre imminente, octobre 1740 170 

Apparitiffli de Pridéric. . 170 

LaNeeledécideleRai pour FrédériccoDtreHarie'ThêrËse, 1741. . 175 

Ambassade de Belliele qui Tait élire le Ba?arDis 175 

La Nesle ne peut réussir contre Fleury, l'Autriche. 176 

La mort de la Nesle sauTe Harie-Thérèee, s^lembre 1741.. . . 185 

Chap. XII. — Compiratim de famille. — La TourneUe. — 

Dgsaslre de Prague, 1742. 188 

LeDauphin, gras, dérot, chef du parti jésuite 189 

La peine et ses filles sont pour' l'Espagne et pour Marie-Thé- 
rèse 192 

On Teut leur opposer une maîtresse. Concurrence de la Tour- 

nelle et de la petite Poisson 195 

Fleurj nous trahit pour l'Autriche; retraite de Prague, déc. 

Mort de Fleury, janrier 1753 201 

Chap. XID. - Frédéric le Grand. — Furie de l'Angleterre. 

~ La TourneUe. — UBoimtOade.iHZ-im. ... 30ft 

FMdéric et Bonaparte 207 

Combien FrédÔTC fat Français ^ ., -gift 



^cbvGooglc 



— 452 - 

Pagei. 

firulaljld de r Angleterre, barhurie de Marifi-Thérèie ^t 

Faiblesse du roi pour safllk l'IaFante; pacte de Auuiile.. ,' . . .318 

Mai» la TourneUeentoye Voltaire à Frédéric 319 

Projet de descente en Angleterre 325 

Succèf en Flandre; le Hoi malade ïlUU, 11U 335 

Hort de la Tournelle, 6 décembre 1744 239 

Frédéric, abindonoé de la France, sauvé par un coup de génie.. 257 

Cbu. XIV. — La Pmnpadour. — Fontenoy.— Voltaire et 

■l'Encyclopédie. 1745-1746 25» 

^^ommeut la Pompadour s'imposa au Roi malgré lui 84Ï 

BataUle de Fontenoy, n mai 1745 245 

Descente deCharles ÉdouordenÉcosse, octobre ....... 249 

(ta abandonne ÉdouardetFïédéric ipiitait la paii 355 

1^ Pompadonr, accueillie de la reine, non de ses filles , . - - . 254 

Elle appuyé Uacbaull pour imposer tes biens du Clergé 257 

Voltaire à la cour. l'Encyclopédie 357 

Cbap. SV. — Le Roi concis par ta famille. — Hègne de 

Madame ffairieto.PaiK de 1748 259 

Le plan de d'Argenson pour )a Pologne et l'Italie, pour donner 

Milan au Piémont, etc ^* 

Velléité do Roi, d&espir de sa fille l'infenlc 361 

Décadence de la Pompifdour*; 'influence d'Henriette; il renvoie 

Argen8on(féTriMl747) 265 

La reiae refroidie pour Henriette ^'0 

Vdlaire écrit S^rairamw. .,........,- 270 

— étril contre la paix, est disgradé 275 

IWiâel748 (18 octobre). 275 

Enlèrement du prince Edward "75 

Chat. XVI — Sadame Henrieùe. — La bittu d'Église sont dé- 

/flWilM. 1748-1751 277 

Le" clergé renouvellela guerre du Jansénisme et employé les filles 

du Roi pour, défendre ses biens. _ . . 379 

Voyage de l!ln&Qte.k Versailles, renwi.de Maurt^as 380 



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- 455 — 

Le Roi asBO«ie ses filles k ses orgies, octobre 174d 282 

Enlèvements d'enfants et révoltes de Paris, nui 1760 SS5 

Le Chemin de la Révolte 288 

Le Roi abandonne l'idée d'imposer le Clergé 39* 

Entrée du Dauphin au Ccoseil (octobre) ^93 

Adélaïde succide fa Henriette qui meurt, février 1753 298 

Ch*?. XVn. — Madone Adélaïde. — les bient ecclésiailiquet 

sont sauvéi. 1752 304 

Caractère d'Adébide, violemment psaionné 303 

Guerre immiDente, tatte intérieure du Parlement et du Clergé. . 508 
Règne d'Adélaïde (septembre 1752), abaisseinent de la Pompa- 

donr 310 

Discours mnlre les sciences. Devin du village; divisions du parti 

Ëncjclopédiqiie !, ^'° 

V)olençes,eDlëTeinenls.LeParlement ^ttaqneles Lettres decut^I- 314 

Enlêïemeal du Parlement (9inai 1755) 315 

CttiP. XVin. — SuiU d^AMafde, — Fourberie du Bai- - Drf- 

ceplion du Parlement. nhZ-i^&a 317 

t'iuctuationa du Roi. Ad^aïde s'établit chei hii (27 décembre 

1753) 321 

Le Clergé obtient que Hàcbault sorte des Finances (4 août 1754), 524 

L'archevêque sauvé par le Boi des poursuites du Parlement. . . 325 

Le Roi flatte le Parlement, fait enregistrer les impits 526 

Bruits publics sur Adélaïde (juillet 1755] 327 

Le Roi se moque du Parlonent, le subordonne au Grand Con- 

seil. . . .' 329 

Ceu.ïTI. — Guerre de Sept ara. il^ 331 

La Ponipadour très-bas en août 1765, et très-haut eu septembre. 551 
Elle gagne le Roi et U Êimille i l'Autriche par l'espoir que l'In- 

ûiDte aura les Pays-Ras 333 

Fourberie de l'Autriche. Marie-Thérèse se fait Française .... 555 

ConfôrencedeRabiole (22 septembre 1755) 556 

0nion de la Prusse et de l'Angletoire (18 janvier i756) . ... 339 

la PompadouF règne. 'Plus d'hommes en France. I 540 



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— 454 — 

agM. 

Hidielieu emporte Nation (mai 50) 343 

Hais Frédéric enlbve la Sne au père de )a Uauphine 545 

Le roi irrité le jette dans )■ Bnerre, brise le Parlement (décembre 

1756) 547 

Cup. XS. — Damtou. JinTter-man1757. . 550 

L%endes du Pacte de fanûne, du Parc aux Cerfs 552 

Le ïJol du 17 février 1756. . . ,555 

On croit que le Roi sera tué 354 

Origines de Damiens. — Les domestiques ru dit-huiliëme siècle . 356 
ta Jésuite, Di Janséniste, mais Parlementaire. Son idée fixe 

d'orerft'rle Roi. 365 

6n hii jette un sort. Il tôle.' . ■. -. : 565 

n retoumeïArrasi.TOudrait se tuer 368 

H rerient pour avertir le Roi-, le frappe, 5 Janviar 1 757 . . . . 571 

Ses premières reprises S7S 

On veut lui bire accuser le ParlemeBt. . .' 575 

La Pompadour renroyée reste, fait renvoyer Argenson et Hachanlt, 

1" février 1755 581 

Elle négocie avec le Parlement, fait espérer l'expulsion des Jésuites. 583 

Le procès étouiïé. — Tortures et exécution de Damieni, SS mars. 591 

Caa.ta. ~ Frédéric. RosbàckAlh'S 594 

Proscription dePrédériceldesphilosophes, derfincyclopédie. . 595 

napoléon, Voltaire,cAlous, onttrop ramléFrédéric 398 

Sa grandeur dans la paix 598 

Son danger entre trois géants et sa défense de l'Europe .... 5M 

Sept batailles en on an : victoire de Prague, 6 mai . . . ' . . . 401 

Frédéric perd sou unique allié (la petite année de Hanovre). . 405 

Les agents de l'Autriche (Cboisenl) di/famenl Frédéric 407 

Vie de Louis XV ; petit Parc aux cerfs intérieur 408 

Via de Frédéric; ses tersïVolUire 409 

Q se sent nécessaire an monde ; sa gaieté hëroïqne 411 

Marie-Thérèse le croit accablé, ordonne (par Cboiseul} qu'on 

l'acbère k Rosbach.. 419 

LefaïoriSoubise,]'annéedesiiUes,ooifIeursetcui3iDiers. , . . 415 

Le déroute de Boibach, 5 novembre 1757 417 



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L'admirabon de Frédéric refait la patne allemande 

Roi, g:éiiénl,pbîloBi^he, hislorieo 

Cuit. un.— Credû dtt XYIIf siècle. in0-il51 .... 
La France fait la conquête morale de l'Europe 

1. Uaction. Montesquieu et Voltaire 

Montesquieu prédit la mort du catAoJtcûme (17^10) 434 

— déclare le christianisme improductif et inaetif . . 
\o\taxt6 dèdan : Le but de l'homme est l'acliott [il^) ... 425 

— tacHon est libre, min fatale 

— U régie del'acliim est invariable (115S) 

Ses disciples, Frédérie et Vautenargues(1746) 427 

Son Essai Bur les mœurs(174l)-1757): Unité morale du monde. 453 

U. L'action universelle. ïHitTot 434 

Les arta-méliers 

Diderot panto-phile, panurge et prométhée 436 

émancipe la Nature 438 

11 crée l'Encyclopédie 443 

Il lance Rousseau 446 



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